Compte renduBook Review

Histoire d’un/de la critique : le cas RoudMichael Temple et Karen Smolens (éd.), Decades Never Start on Time: A Richard Roud Anthology, Londres, British Film Institute/Palgrave Macmillan, 2014, 280 p.[Notice]

  • Laurent Le Forestier

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  • Laurent Le Forestier
    Université Rennes 2

Sans doute y a-t-il une sorte de paradoxe à intituler cette anthologie de textes de Richard Roud Decades Never Start on Time. En effet, ce titre désignait originellement le projet d’autobiographie que Roud proposa à son éditeur américain (Viking Press)… qui ne voulait justement pas publier une anthologie de ses textes. Mais il faut reconnaître que ce choix éclaire parfaitement la « méthode Roud » autant que l’objet de ce livre, et ce à plusieurs égards. D’abord parce qu’en donnant à leur anthologie le titre de ce manuscrit inédit, Michael Temple (maître de conférences en études cinématographiques et médiatiques au Birkbeck College de l’Université de Londres) et Karen Smolens (la nièce de Richard Roud) indiquent en creux qu’ils entendent non seulement rassembler des articles déjà publiés, mais aussi livrer à notre connaissance des inédits, puisés notamment dans le fonds Richard Roud du Howard Gotlieb Archival Research Center de l’Université de Boston : les extraits de Decades Never Start on Time, justement, ainsi que ceux de la biographie de Truffaut (sans titre) à laquelle Roud travailla jusqu’à son décès en 1989, mais également des rapports, comme le Memorandum on processes of prospection and selection, daté de 1976 — dans lequel il explique les dispositifs de recherche et de choix de films (réseau de correspondants, etc.) mis en place pour élaborer la programmation du Festival du film de New York, dont il eut la responsabilité à partir de 1971 (il en était le cofondateur) —, voire de textes au statut incertain, par exemple le passionnant Film Criticism in Britain, peut-être destiné à une conférence. De fait, même les connaisseurs des nombreux écrits de Roud — qui fut un des plus importants critiques anglophones, de la fin des années 1950 jusqu’en 1989, publiant notamment dans la revue du British Film Institute, Sight & Sound, et dans le quotidien britannique The Guardian, et auteur de livres sur Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Henri Langlois  — découvriront dans ce volume des inédits, en même temps qu’ils auront une perception nouvelle des textes déjà connus, liée à la structure chronologique de cette anthologie : la division de l’ouvrage en cinq parties correspondant à autant de périodes (1956-1962, 1963-1969, 1970-1976, 1977-1983 et 1984-1989) invite en effet à une lecture « sérialisée », par série de textes appartenant au même bloc temporel, attentive aussi bien aux évolutions et aux transformations de la pensée qu’aux récurrences, tant « gustatives » (les cinéastes défendus sur la durée) que méthodologiques. Or, le deuxième intérêt du titre tient justement au fait qu’il livre d’emblée une des caractéristiques majeures, permanentes, de la pensée de Roud. En effet, cette attention aux decades peut être lue comme un symptôme de la propension de Roud à historiciser ou, du moins, à envisager systématiquement les événements commentés dans la complexité de la diachronie — ce qui distingue nettement sa pratique critique de celle de ses contemporains français (à l’exception d’André Bazin, mais qui disparaît en 1958). Faisant en 1962 le bilan des dix premières années de programmation du National Film Theatre (qu’il dirigeait), Roud décrit d’ailleurs l’ambition intellectuelle du Festival du film de Londres en des termes qui pourraient tout autant s’appliquer à ses écrits, ce bilan pouvant être perçu comme le résumé de sa démarche, tant de programmateur que de critique (les deux allant de pair, d’une manière quasi indissociable) : « Slowly and in the most non-authoritarian way possible, the National Film Theatre is rewriting film history » (p. 56). Michael Temple, dans sa présentation très approfondie, voit ce rapport à l’histoire comme la marque d’une évolution, puisqu’il écrit …

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