Présentation. À quoi bon des poètes …[Notice]

  • Silvestra Mariniello

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  • Silvestra Mariniello
    Université de Montréal

Le projet de reprendre Dante et son voyage en enfer n’était pas nouveau pour Pasolini, pas plus qu’il n’arrive à son terme avec La divine mimesis : c’est un projet qui, au fil des années, prend différentes formes, qu’il s’agisse des « fragments » de La mortaccia, en 1959, ou d’une oeuvre comme Pétrole, le roman posthume (publié en 1992). La divine mimesis est en prose mais, comme La divine comédie, elle est divisée en chants. Dans les deux premiers chants, les seuls qui sont achevés, Pasolini est fidèle au texte de Dante presque à la lettre. Comme Dante avant lui, Pasolini (1975, p. 9), « vers quarante ans », se trouve « à un moment très obscur » de sa vie. Le poète contemporain, comme jadis le poète médiéval, est secouru et guidé à travers les difficultés du voyage par quelqu’un : pour Pasolini il ne s’agit pas de Virgile, mais d’une « figure […] jaunie par le silence » (p. 18) dans laquelle le poète devra se reconnaître : il s’agit du Pasolini poète civil, du Pasolini des années 1950. C’est lui qui conduira le « nouveau poète » dans le monde : « Outre, toi et moi, nous n’irons pas parce que le monde finit avec le monde » (p. 25). Dans les deux premiers chants, Pasolini se distancie des années 1940-1950 et du Parti communiste italien, donc d’une forme d’engagement, et se met en route vers quelque chose de nouveau. Le voyage commence par une cérémonie au cinéma Splendid, théâtre d’une réunion du Parti, où l’obscurité laisse la place à une lumière, la lumière de la « vieille vérité », qui n’est qu’une autre forme d’obscurité. Dans ces pages, Pasolini dénonce la séparation du Parti — dont la conception politique est désormais inadéquate à la réalité historique et économique de l’Italie et de l’Europe des années 1960 — d’avec le monde. Les principales limites du marxisme, et Pasolini le répète à plusieurs reprises pendant ces années, sont le rationalisme et l’abstraction. La voie « juste » (p. 14), seulement rationnelle, ne peut que mener à l’obscurité ; pour en sortir, il faut affronter de nouveaux problèmes, trouver de nouvelles réponses. Comme Dante, Pasolini se repose un peu sur son chemin avant de se retrouver face aux trois fauves, la panthère, le lion et la louve, allégories des vices humains, mais surtout incarnations de ses tendances profondes qui le confrontent à sa propre obscurité. Son texte, qui se détache de celui de Dante d’une façon très intéressante, analyse en une série d’actions négatives ce moment d’arrêt : Le poète s’arrête, paralysé par l’obscurité à laquelle la voie « juste » l’a conduit ; il n’écrit pas, ne pense pas, ne vit pas, puis il recommence à avancer, et cette fois il est tout seul, parce qu’il est le seul à accepter les conséquences de l’abandon de cette voie « juste ». Ce voyage qu’il a entrepris doit l’amener à comprendre son travail d’écrivain et son rapport à la réalité d’une autre façon. Le cinéma sera un pas dans cette direction, vers une abolition de la distance entre le langage et le monde. Si la panthère incarne l’attachement à la vie filtré par l’amour maternel et les valeurs chrétiennes — « ne bougeait pas devant mes yeux comme une mère-garçon, comme une église-garçon » (p. 15) — et que la peur de perdre cet amour et ces valeurs, objets « d’une affection terrible » (ibid.), le repousse vers le fond de la vallée, le lion incarne le poète arrogant qui, par son …

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