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Depuis quelques années, disons au moins depuis les mouvements de contestation populaire de 2011 – des Printemps arabes à Occupy Wall Street –, des vagues particulièrement nombreuses de protestations, de remises en cause et de gestes militants secouent le confort des habitudes, dérangent la quiétude des acquis. Certes, les accords et désaccords peuvent varier au cas par cas, mais comment nier que nous n’avons pas fini d’en découdre avec le sexisme, le racisme, les injustices sociales, la discrimination et, plus directement en lien avec le présent numéro, l’hétéronormativité ? À voir les prises de position polarisées, les dérives sur les réseaux sociaux et certaines altercations lors de manifestations, il est évident que ce sont là des sujets brûlants, laissant peu de place à l’indifférence. Ces problématiques sont tout sauf réglées. Les musiques dites contemporaines, sous prétexte d’être autoréférentielles et asémantiques, devraient-elles être exemptées de ces remises en question, se soustraire à ces mouvements ? Ce serait discutable sur bien des plans, mais ce serait déjà faire abstraction du fait que ces musiques existent à travers des milieux sociaux, composés d’êtres humains. Néanmoins, il est évident que cet art a des spécificités, une part d’irréductibilité ne pouvant être pensée (ni penser) de la même manière que s’il s’agissait du cinéma, de la littérature, ou même de la chanson, par exemple. C’est en cela qu’on peut espérer qu’il soit le lieu, voire l’occasion, de réflexions qui lui sont propres ; d’un éclairage singulier sur des enjeux communs qui, réciproquement, stimulent et nourrissent cet art particulier. Dans cette dynamique, Circuit constitue un espace éditorial qui n’impose pas de position unique, mais qui, en revanche, propose une position d’écoute. Ce n’est certes pas suffisant, mais cela demeure indispensable pour réfléchir sereinement, apprendre, se sensibiliser et avancer.

C’est ainsi que Circuit a consacré récemment des dossiers touchant, notamment, au post-colonialisme[1] et à l’engagement politique[2]. D’autres dossiers cherchant à situer les musiques contemporaines relativement à des questions sociales, d’intérêt public, sont en préparation. Le présent numéro, pour sa part, aborde l’enjeu de la diversité des identités sexuelles dans les musiques de création. Dans toutes les sphères de la société, la place des communautés lgbtq+ ne va toujours pas de soi et continue de faire des vagues. Lorsque, en 2016, Jordan Peterson – professeur de psychologie à l’Université de Toronto – a pris position, dans la foulée du projet de loi c-16, contre l’utilisation de pronoms neutres au nom de la liberté académique, le débat s’est enflammé et a pris une ampleur médiatique considérable[3]. Plus positivement, en 2020, le travail de la rappeuse noire et trans Backxwash a été reconnu par le prix Polaris, un « évènement majeur » selon le fondateur de l’étiquette de disques Trans Trenderz, le rappeur trans Blxck Cxsper. Trans Trenderz, basée à Montréal, est la seule maison de disques entièrement dédiée aux musiscien.ne.s noir.e.s trans. En entretien avec le quotidien La Presse, son fondateur abordait notamment la question linguistique au Québec, parfois liée aux défis d’inclusivité, mais aussi la diversité de styles musicaux pouvant se retrouver dans la communauté musicale queer[4]. Parmi cette pluralité d’expressions, qu’en est-il des musiques dites contemporaines ? D’où partons-nous et où en sommes-nous ? Ce dossier, préparé par Éric Champagne et Martine Rhéaume en collaboration avec la rédaction de la revue, permet de lever le voile sur ces interrogations par le truchement, notamment, d’une perspective multigénérationnelle, allant du Canada des années 1950 jusqu’à la génération montante d’aujourd’hui[5].

En complément à ce dossier thématique, la rédaction a préparé (comme c’est généralement le cas) une rubrique Actualités « hors thème ». Celle-ci s’ouvre ainsi avec deux comptes rendus de livres. D’abord, Robert Hasegawa évoque un ouvrage collectif dirigé par Nicolas Donin, Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale : anthologie d’auto-analyses, de Janáček à nos jours[6]. J’en profite pour signaler que nous préparons, avec Donin, un autre dossier dans lequel nous traiterons de nouveau d’une question publique importante : comment se positionnent, dans les divers aspects de leurs pratiques, les milieux des musiques contemporaines face aux défis écologiques mondiaux, à l’ère de l’anthropocène ? Ensuite, un compte rendu de Fanny Gribenski aborde le livre Sur le diapason de Nicolas Bernier[7]. Cette fois, ce n’est pas à un numéro futur que l’on peut faire référence, mais à un numéro passé, soit celui consacré aux arts sonores[8] – en effet, ce compte rendu sur le travail de Bernier pourrait être considéré comme en étant une extension ! Enfin, cette rubrique Actualités se termine par un entretien que le compositeur Sébastien Sauvageau a accordé à Paul Bazin, où il y aborde notamment ses divers projets « lanaudois », menés loin des centres urbains.

Par ailleurs, il convient de consacrer quelques mots de cet avant-propos à notre équipe. Le numéro actuel (vol. 31, no 1) est le premier de 2021, suivant la célébration de notre 30e anniversaire tout au long de l’année 2020. Depuis 1990, Circuit s’est intéressée à bien des sujets à travers ses pages, en évoluant au fil du temps. Et ces pages sont le fruit du travail de nombreux artisans qui, au cours des ans, s’investissent, collaborent ensemble et, éventuellement, quittent l’aventure. Je tiens donc à saluer et à remercier très chaleureusement deux personnes qui ont choisi de tirer leur révérence, après de nombreuses années de vaillants services : Michel Gonneville, président sortant de notre conseil d’administration, et Cléo Palacio-Quintin, qui quitte le comité de rédaction. Michel a signé un texte dans le tout premier numéro de la revue en 1990, et son nom apparaît sur la liste des membres fondateurs de nos lettres patentes, lorsque Circuit a été enregistrée comme obnl en 2008[9] ! Quant à Cléo, elle était membre de notre comité de rédaction depuis 2011 et a aussi beaucoup contribué à la revue comme autrice, directrice invitée et, tout particulièrement, en s’impliquant pour la rubrique Actualités[10]. Après ces au revoir amicaux et reconnaissants, viennent des mots de bienvenue tout aussi chaleureux. En effet, notre conseil d’administration accueille trois nouveaux membres : Marie-Hélène Breault, Jean-Guy Côté et – de retour après trois années de pause – Anne Marie Messier.

En terminant, je rappelle que nous sommes toujours très heureux de vous lire ! Ainsi, n’hésitez pas à nous écrire[11] et à nous suivre sur les médias sociaux[12]. Une revue est un espace fondamentalement collectif, un forum commun prenant son sens à travers ses interlocuteur.trice.s.