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Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale : anthologie d’auto-analyses, de Janáček à nos jours, de Nicolas Donin (dir.), Genève, Droz/Haute école de musique de Genève, 2019, 717 pages[Notice]

  • Robert Hasegawa

« Pourquoi analyser son propre travail ? », demande le compositeur Luis Naón dans le titre de son « cahier de fabrication », lequel retrace la création de son oeuvre pour ensemble Around the Bell (2012). Qu’est-ce qui motive un compositeur à mettre de côté son papier à musique et à se tourner vers le genre plus ésotérique de l’analyse musicale, et plus précisément vers l’auto-analyse ? Un cynique pourrait voir un aspect auto-promotionnel dans les écrits réflexifs d’un compositeur, les interprétant comme autant de tentatives, de la part de celui-ci, de situer sa production dans le panthéon historique, de justifier sa propre importance en invoquant sa complexité intellectuelle, ou encore de faire la démonstration de sa maîtrise des derniers développements techniques. Cependant, au-delà de l’intérêt personnel du compositeur, il est aussi possible de constater l’attrait qu’exercent les questions auto-analytiques pour toute personne impliquée quotidiennement dans les mystérieux processus de la création musicale : « Pourquoi ce choix d’une note ou d’un rythme ? » ; « Quel est le point commun entre ces deux sons ? » ; « Pourquoi ce passage est-il réussi alors qu’un autre doit être retravaillé ? » Répondre à de telles questions fait non seulement partie des étapes de création d’un travail en cours, mais s’avère également essentiel pour qui souhaite développer et affiner ses outils en vue de travaux futurs. De manière plus altruiste, la publication de tels écrits représente un potentiel pédagogique important, offrant aux publics, aux interprètes et aux autres compositeurs un aperçu des prémisses uniques d’une oeuvre. L’analyse de partitions est toujours une partie essentielle de l’éducation d’un musicien, bien que dans la tour de Babel de la musique d’aujourd’hui, il soit souvent difficile d’identifier les principes de base d’une pièce donnée. Les aperçus des processus de pensée d’un compositeur offerts par l’écriture auto-analytique peuvent souvent s’avérer précieux, levant le voile sur les principes – tant esthétiques que techniques – qui sous-tendent une oeuvre. Cette variété de motivations justifiant l’auto-analyse est largement mise en évidence dans une récente collection d’« écrits réflexifs » éditée par Nicolas Donin, un ouvrage volumineux de plus de 700 pages couvrant le « long » xxe siècle, allant du texte « Comment les idées me tombèrent du ciel » (1897), de Leoš Janáček, à l’article de Luis Naón cité plus haut (2014). Donin est certainement le chercheur ayant le plus contribué à notre compréhension des écrits auto-analytiques des compositeurs contemporains et, dans cet ouvrage, il livre avec ses collaborateurs des essais introductifs riches et détaillés pour chacun des quarante-huit textes. On y trouve des descriptions étape par étape de processus de composition (Bennett, Sloboda, Reynolds), des journaux intimes et des carnets de bord (Schaeffer, Henze, Platz, Pesson), des réflexions post-hoc sur la psychologie de la création (Cowell, Saxton), des entretiens (Honegger, Adams, Reich) et des descriptions de techniques ou de systèmes de composition (Carter, Dallapiccola). La grande diversité des approches est attirante, même si l’on peut se demander si tous ces écrits réflexifs sont véritablement des auto-analyses : les entretiens avec John Adams et Steve Reich, par exemple, ressemblent tous deux davantage à des autoprésentations publiques soignées qu’à des réflexions introspectives, et aucun d’eux ne plonge dans une lecture approfondie d’une oeuvre particulière. En élargissant cette distinction, on pourrait diviser les textes du livre entre ceux qui présentent une analyse musicale détaillée d’une composition spécifique et ceux qui considèrent le processus créatif dans un sens plus abstrait et général. Cette deuxième catégorie comprendrait non seulement les entretiens cités ci-dessus, mais aussi des écrits philosophiques comme « L’autre tigre » de Chaya Czernowin (2007), des …

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