Introduction. Le principe de réciprocité (belgitudes québécoises, et vice versa)[Notice]

  • Maxime McKinley

Ilya Prigogine, l’un des plus grands scientifiques ayant vécu en Belgique, a reçu en 1977 le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur les « structures dissipatives », qui impliquent des échanges d’énergie ou de matière dans les interactions chimiques. Prigogine, dont la vie cosmopolite fut elle-même ponctuée de nombreuses migrations entre divers lieux, n’hésitait pas à tirer de ses recherches des conséquences plus larges, y compris du côté des arts et des sciences humaines. La multiplicité des échanges est féconde, elle ouvre de nouvelles possibilités, et il est passionnant de ne pas savoir d’avance lesquelles ! Cette perspective est d’autant plus pertinente aujourd’hui que les interactions internationales et interculturelles (inter, en latin, désigne la réciprocité ou l’action mutuelle) ne cessent de se multiplier et de s’élargir, l’échiquier mondial étant en profonde transformation. Les nouvelles technologies de communication, les changements de mentalité quant aux héritages colonialistes et les défis planétaires relatifs à la crise écologique ne sont que quelques-uns des vecteurs de ces reconfigurations majeures. La création musicale contemporaine et ses échanges internationaux n’y sont pas imperméables ; dans ce numéro, nous nous pencherons plus particulièrement sur ceux entre le Québec et la Belgique. Tandis que la Belgique accueille des sièges ou des antennes de nombreuses organisations internationales telles que l’onu ou le Conseil de l’Europe, le Québec a souvent été qualifié de « village gaulois », en référence à la populaire bande dessinée célébrant la résistance d’Astérix et de ses compagnons face au puissant Empire romain. Cet îlot majoritairement francophone qu’est le Québec représente, en effet, une exception linguistique de 2 % sur l’ensemble du territoire nord-américain. Dans ce contexte, on pourrait imaginer qu’une discipline « nichée », comme celle de la musique dite contemporaine, pourrait vite y prendre des allures de bocal particulièrement isolé, peu propice aux « interactions chimiques », aux « structures dissipatives » imprévisibles et fécondes qui enthousiasmaient tant Prigogine. Pourtant, lorsque l’on étudie un tant soit peu la jeune histoire des musiques contemporaines québécoises, on constate que ce ne sont pas les stratégies de repli et de méfiance qui y règnent. Au contraire, cette histoire est faite de rencontres internationales et de curiosité, tout autant que d’un désir d’être et d’affirmation culturelle. La question de la francophonie dans le monde se pose ici tout naturellement, car une langue commune peut faciliter et accélérer de tels échanges. Cela est indéniable, mais il importe de préciser que les rapports internationaux du Québec, a fortiori de nos jours, s’ouvrent au-delà de la francophonie en général et de celle de l’Europe en particulier. Henri Pousseur, faisant allusion aux deux théories de la relativité d’Einstein, parlait de série « restreinte » et « générale » : ajoutons un rebond à ce galet métaphorique, en affirmant que nous vivons aujourd’hui un internationalisme de moins en moins restreint et de plus en plus général. Tout cela étant dit, les liens entre le Québec et la Belgique dans le domaine des musiques de création sont particulièrement riches et intéressants à sonder. Situés sur deux continents différents, mais parlant une même langue, bien que dans les deux cas il ne s’agisse pas de nations unilingues, ils ne partagent pas la même histoire coloniale (malgré des historiques qui leur sont propres à ce sujet). Ce cas devient encore plus intéressant si l’on met de côté la périlleuse question des « identités nationales » et qu’on la remplace par (ou la déplace vers) celle, plus stimulante, des lieux d’incubation et d’émulation. En effet, de fertiles interactions peuvent opérer à l’intérieur même de ces différents lieux, mais aussi – sur un plan …

Parties annexes