Avant-propos. Björk, Montréal et le Nunavut[Notice]

  • Maxime McKinley

C’est un lieu commun dans tous les sens du terme : certaines musiques dites « savantes » ont un pied dans celles dites « populaires », et vice versa. Ce partage ne date pas d’hier, comme on peut le constater à de multiples occasions, par exemple en étudiant les fondements de la polyphonie occidentale. Dans cet esprit de chassé-croisé, d’intersections et de catégorisations troubles, on trouve dans la collection de Circuit des études au sujet de Frank Zappa, Nicole Lizée, Fausto Romitelli, John Zorn et René Lussier, notamment. Nous souhaitions depuis longtemps prolonger ce fil rouge avec un dossier thématique consacré à Björk, sans toutefois trouver une amorce pour ce faire. Aussi, lorsque nous avons eu connaissance de la journée d’étude « Wanderlust » : l’art total de Björk, tenue le 11 février 2020 à l’Université d’Évry-Val-d’Essonne, nous n’avons pas tardé à entrer en contact avec ses organisateurs, Martin Guerpin et Grégoire Tosser. C’est ainsi que ce dossier, qu’ils présentent dans l’introduction qui suit, leur a été confié. Géographiquement, l’Islande natale de Björk et le pays de Circuit sont en alignement sur quelques degrés de latitude. Je profite donc de cet avant-propos pour évoquer, au passage, trois exemples de proximités locales avec les espaces musicaux de Björk. 1) Le musicien français Olivier Alary, maintenant établi à Montréal et bien connu du milieu des musiques de création, a collaboré avec elle. En 2000, son premier album, Sketch Proposals, paraît sous l’étiquette Rephlex (à noter que cet album n’est pas signé explicitement Alary, mais Ensemble, nom qu’il donne alors à son projet de musique électronique). Björk le découvre et s’ensuivent quelques collaborations culminant avec la chanson « Desired Constellation », sur le cinquième album de la chanteuse, Medúlla (2004). 2) Sur ce même album, on entend par ailleurs une voix originaire du Nunavut (à six degrés de latitude au nord de Reykjavik), en particulier dans la chanson « Ancestors » : celle de Tanya Tagaq. L’imaginaire nordique de Björk semble au diapason de celui de Tagaq, qui pratique (entre autres) le katajjaq, une forme traditionnelle de chant de gorge inuit. 3) Un autre exemple, différent celui-ci en ce qu’il relève de l’influence et non de la collaboration, mérite aussi d’être évoqué. Il s’agit cette fois d’un compositeur québécois de musique contemporaine – ayant d’ailleurs étudié avec Stockhausen (que Björk admire) – et s’étant inspiré de la musique de l’artiste islandaise. En effet, Microphone Songs (2002-2009), de Michel Gonneville, « intègre des motifs, des idées formelles, des couleurs ou des transformations timbrales de “Pluto” de Björk ». Notons que l’oeuvre s’inspire aussi, entre autres, de « Kid A », « Pyramid Song » et « Pulk/Pull Revolving Doors » de Radiohead, dont le guitariste, Jonny Greenwood, est un autre « cas » intéressant d’imbrications d’univers musicaux. Comme c’est généralement le cas, la rubrique Actualités de ce numéro est indépendante du dossier thématique et a été coordonnée par la rédaction. Elle s’ouvre par un compte rendu de James O’Callaghan d’un passionnant livre de Gascia Ouzounian, intitulé Stereophonica : Sound and Space in Science, Technology, and the Arts (mit Press, 2020). Ensuite, Terri Hron aborde deux initiatives récentes qui tendent vers la « décolonialité » dans les musiques dites « nouvelles » : la série Décolonisation du Réseau canadien pour les nouvelles musiques (rcmn), dont Hron est la directrice, et l’ouvrage collectif Taking the Temperature : Crisis, Curating and Musical Diversity, paru sous la direction de Brandon Farnworth, Anna Jakobsson et Vanessa Massera (OnCurating.org, 2021). Enfin, nous retrouvons la chronique « Créé dans Le Vivier », préparée …

Parties annexes