Introduction

Composition musicale et souci écologique : vers une nouvelle justesse ?[Notice]

  • Nicolas Donin

La crise écologique, ses symptômes intempestifs, sa complexité, son aggravation indéfinie et apparemment exponentielle… difficile de leur faire la sourde oreille aujourd’hui. La prise de conscience planétaire qui semblait un horizon lointain il y a encore quelques années, lorsque les associations et les partis politiques écologistes désespéraient d’influencer décisivement l’action et le débat publics, a pris un tour très concret et dynamique avec le mouvement FridayForFutures ainsi qu’avec d’innombrables autres mouvements citoyens. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (en français giec, en anglais ipcc), le traité international issu de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques, les lois, standards et réglementations tricotés ou détricotés par les différents gouvernements ont constitué autant d’événements politiques, juridiques, médiatiques qui ont scandé et polarisé l’attention collective. On imagine mal, désormais, une personne raisonnablement insérée dans la société qui n’aurait jamais entendu parler des processus liés au réchauffement climatique (effet de serre, fonte des glaciers, multiplication des épisodes caniculaires, etc.) ou à la croissance industrielle aveugle (pollutions, dégradation de la biodiversité, extinction massive d’espèces animales, raréfaction des ressources en eau et en minerai, entre autres). Le monde des arts s’est plus ou moins étroitement associé à toutes ces initiatives collectives et publiques. Par exemple, la Conférence de Paris s’accompagnait d’une programmation artistique intitulée Artcop21 coordonnée par deux associations d’activisme artistique, l’une française (la Coalition pour l’art et le développement durable), l’autre britannique (CapeFarewell). Indépendamment des tentatives institutionnelles de relier des démarches artistiques et des politiques écologiques, les mouvements citoyens ont spontanément donné un rôle important aux modes d’expression littéraires, musicaux et graphiques, tant pour leurs actions publiques que pour la mobilisation interne des militants et militantes. Ainsi la section britannique d’Extinction Rebellion consacre-t-elle une page spécifique de son site web à la musique en tant que ressource privilégiée d’une action collective, tandis que celle de Lausanne a publié une anthologie musicale organisée en catégories telles que « Dire la vérité », « Musique régénératrice » ou encore « Exprimer sa tristesse et sa colère ». Dans ces exemples, on retrouve des usages de la musique, et plus particulièrement de la chanson, qui ont accompagné toute l’histoire politique moderne : faire groupe par la coprésence et la coordination des corps chantants ; attirer l’attention pour faire passer un message dans l’espace public ; donner forme symbolique à des affects partagés entre membres d’une organisation. La création musicale dite contemporaine peut-elle contribuer à ces efforts, elle qui est le plus souvent aux antipodes de la chanson et de la chorale à cause de ses formats, de ses langages, de sa relation à l’intelligibilité du texte, mais aussi de son exigence d’expertise instrumentale et de la confidentialité de sa diffusion ? Certes, les hommages rendus récemment à Frederic Rzewski (1938-2021) et à Mikis Theodorakis (1925-2021) suffiraient à nous rappeler que certaines figures de la création du siècle passé ont navigué avec aisance entre ces mondes musicaux réputés antinomiques – et sans hésiter, pour ce qui est de ces deux compositeurs en particulier, à mettre leur art au service de leurs convictions politiques. De telles démarches sont restées exceptionnelles, inhabituelles. Elles pouvaient se reposer sur un corpus idéologique solidement défini, en l’occurrence marxiste, qui offrait aux musiciens et musiciennes des précédents, des modèles, des cadres, voire des mots d’ordre, pour déterminer très concrètement leur positionnement esthético-politique, qui à son tour serait culturellement intelligible par un large public. Aussi leur engagement pouvait-il prendre des formes différenciées en fonction des contextes institutionnels et sociaux dans lesquels leur musique allait être jouée – ce qui leur permettait de jongler entre l’efficace de …

Parties annexes