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Nombre d’écrivains s’engagent aujourd’hui sur les réseaux sociaux pour gérer certains aspects de leur visibilité en ligne. Invités à se mettre en scène sur le web, ils déclinent leur identité à travers diverses plateformes sur lesquelles ils peuvent diffuser des textes, expérimenter de nouvelles formes d’écriture, nouer des contacts directs avec leurs lecteurs, mais aussi avec d’autres écrivains, des institutions culturelles, des professionnels du livre et de l’édition. L’objectif de cette contribution est d’étudier les réseaux sociaux en tant qu’espaces où se manifeste et s’élabore la notoriété des écrivains. Plus précisément, notre étude s’intéresse à la situation des auteurs d’œuvres littéraires parmi les écrivains. Comment se produit l’engagement des écrivains sur les réseaux sociaux ? Quels sont les facteurs déterminant leur notoriété sur ces plateformes ? La notoriété en ligne est-elle une conséquence de la place occupée par l’auteur dans le champ de l’édition ou un effet de son implication sur les réseaux sociaux ? Il s’agit tout à la fois de saisir les pratiques communicationnelles des écrivains se manifestant sur les réseaux sociaux et les phénomènes de construction de la notoriété en ligne.

Ces dernières années, la présence des écrivains sur le web a suscité l’intérêt de la recherche universitaire en lettres et en sciences de l’information et de la communication, qui analyse la figure de l’auteur au regard de ses postures, de ses mises en scène et de son travail de gestion de l’identité en ligne, sans pour autant explorer la question de la notoriété (Ducas, 2016 ; Garcin-Marrou, 2013 ; Jeanne-Perrier, 2013 ; Laing, 2017). La recherche en sociologie du numérique montre que les usages du web social, partagés entre exposition de soi et interaction avec autrui, visent notamment à mettre en visibilité des individus et leurs œuvres dans une logique d’accroissement de leur notoriété (Beuscart, Dagiral et Parasie, 2016 ; Beuscart et Crépel, 2014). À la différence de concepts comme la reconnaissance ou la consécration, davantage attachés à la dimension symbolique de l’activité, celui de notoriété, qui exprime le fait d’être connu par un grand nombre de personnes, renvoie plus spécifiquement à ce qui se joue sur le plan médiatique et promotionnel (Lizé, Naudier et Sofio, 2014). La perspective ainsi ouverte est particulièrement appropriée pour analyser l’univers des réseaux sociaux, marqué par des technologies de mise en visibilité et de mesure de la notoriété (nombre de followers d’un compte, quantité de tweets ou de likes suscités par une publication) qui servent d’appui aux utilisateurs dans la conduite de leurs activités en ligne.

Dans une précédente étude, il a été établi que le niveau d’investissement des écrivains sur les réseaux sociaux et leurs formes d’intervention sont très variables et s’organisent selon deux grandes modalités : d’un côté, des écrivains utilisent le web comme « une vitrine, un lieu de promotion des livres publiés et un lieu d’annonce d’évènements liés aux parutions », tandis que, de l’autre, des écrivains l’envisagent comme « un lieu de construction de relations et un lieu d’expérimentations de formes d’écriture » et s’inscrivent « dans un réseau d’écrivains » où ils « donnent à voir leurs appartenances, leurs proximités avec d’autres auteurs, avec des institutions » (Beaudouin, 2012, p. 127). Orientées vers la promotion et vers le développement de relations, les pratiques de marketing de soi dont font preuve nombre d’auteurs tendent à les positionner comme des entrepreneurs de leur propre notoriété , tel que cela a été constaté chez les musiciens (Beuscart, 2008 ; Creton, 2018). Cette recherche d’audience et de contacts plus nombreux a été décrite par Dominique Cardon (2008) à travers le modèle du « phare » selon lequel « la visibilité fait souvent l’objet d’une quête délibérée et s’objective à travers des indicateurs de réputation, des compteurs d’audience et la recherche d’une connectivité maximale » (s. p.).

En communication marketing, les formes de gestion de l’identité destinées à poursuivre des finalités professionnelles relèvent du personal branding , entendu comme le fait, pour des individus, de promouvoir par eux-mêmes leur image et leurs compétences en recourant à « des techniques d’influence sociale, autrefois surtout appliquées dans le monde de l’entreprise, du marketing et de la vente » (Amato, 2016, p. 204). Popularisé par le consultant Tom Peters (1997), ce concept suggère que les principes du marketing des produits et des services peuvent être transférés à la promotion des personnes. Les pratiques de personal branding se sont développées à partir des années 1990 dans le milieu des affaires, donnant lieu à une profusion d’écrits professionnels, d’ouvrages de développement personnel et d’offres de formation et de coaching visant à faire émerger l’individu vis-à-vis de ses concurrents : face à la dégradation et à l’instabilité du marché de l’emploi, les promoteurs du personal branding présentent celui-ci comme une solution pour contrôler son identité professionnelle et mieux répondre à cette incertitude (Lair, Sullivan et Cheney, 2005). Dans cette perspective, « l’individu se voit comme son propre manager ou entrepreneur, responsable de ses identités professionnelles et estimant que s’il investit dans la construction d’une marque personnelle, il aura un retour en capital humain, en capital social et en capital économique, comme tout autre investisseur » (Khedher, 2014, p. 35). Avec la popularisation des médias sociaux numériques depuis le milieu des années 2000, le personal branding connaît un nouveau souffle en soulignant comment ces technologies permettent à tout à chacun d’investir des espaces en ligne pour développer son image et sa réputation dans son intérêt personnel.

Si d’un point de vue formel les réseaux sociaux placent les auteurs sur un pied d’égalité, il existe des différences notables dans les perspectives qui s’ouvrent à eux. Pour les écrivains déjà présents dans le paysage médiatique, les réseaux sociaux apparaissent comme un canal de communication qui s’ajoute aux autres, venant renforcer leur succès. Ainsi, le classement des comptes d’auteurs francophones les plus suivis sur Twitter est dominé par des auteurs vedettes, au succès bien établi, tels que Pénélope Bagieu, Michel Onfray, Joann Sfar, Marc Lévy, Guillaume Musso, Alexandre Jardin, Maxime Chattam, Bernard Werber ou Riad Sattouf (Babelio, 2015). Un tel constat revient à dire que les réseaux sociaux tendent à reproduire les rapports de force et les hiérarchies déjà existants dans l’industrie du livre (Wiart, 2017, 2016), ce qui a aussi été observé pour le secteur musical (Bastard et al ., 2012).

À l’opposé, un autre effet attendu des réseaux sociaux tient à « la possibilité pour des couches nouvelles de population d’accéder à cette visibilité et d’être moins dépendantes des traditionnels filtres médiatiques » (Robin, 2011, p. 60-61). Ainsi envisagés, les réseaux sociaux peuvent devenir des outils de communication privilégiés pour des écrivains qui occupent une position plus marginale dans le monde de l’édition et dont les œuvres sont moins largement diffusées, ou alors publiées en dehors des circuits de l’industrie (autoédition, compte d’auteur). N’importe quel auteur, quel que soit son statut, sa notoriété ou son genre de prédilection, peut en effet ouvrir un compte à son nom sur un réseau social et y animer une présence, lui offrant l’occasion d’entreprendre de sa propre initiative des activités promotionnelles et d’accroître sa visibilité. Parmi les catégories d’auteurs susceptibles de bénéficier de cette ouverture de l’accès à la visibilité, ceux qui pratiquent la littérature de genres semblent dans une situation particulière. Les genres à moindre légitimité culturelle, également moins dépendants du traitement réservé par des autorités médiatiques et critiques (revues, prix, etc.), sont réputés s’épanouir plus volontiers sur Internet. Les formes de critiques et de promotion en ligne semblent ainsi particulièrement développées pour la littérature de genre (Wiart, 2017, 2016).

La recherche que nous avons conduite sur la notoriété en ligne n’a jusqu’à présent pas encore été menée à propos des écrivains et permet d’éclairer le travail de communicant aujourd’hui endossé par nombre d’entre eux. La suite de cet article se divise en trois parties. Dans un premier temps, nous détaillons la méthodologie de la recherche ; dans un deuxième temps, nous caractérisons les actions et les stratégies déployées par les auteurs et la façon dont ces derniers perçoivent leurs activités en ligne ; et, dans un troisième temps, nous nous efforçons d’identifier les facteurs explicatifs de la notoriété des écrivains sur les réseaux sociaux.

Méthodologie

Dans d’une phase qualitative, une douzaine d’auteurs a été rencontrée en entretien (voir Annexe 1) afin de construire et de stabiliser un questionnaire et d’approfondir certains aspects de la recherche. Ces auteurs ont été repérés en fonction de leur activité sur les réseaux sociaux et directement contactés en vue de leur participation à l’étude. Une enquête en ligne a également été conduite au mois de janvier 2018 : le questionnaire a été diffusé sur les réseaux sociaux et directement relayé par des sociétés d’auteurs (Société des gens de lettres, Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs) auprès de leurs adhérents à partir d’une campagne de publipostage électronique. La grille de questions reposait sur deux axes principaux, avec des questions se rapportant à leur situation d’écrivain d’une part (genres d’écriture, maisons d’édition, nombre de livres publiés, succès commercial) et des questions se rapportant à leur utilisation des réseaux sociaux d’autre part (plateformes utilisées, activités privilégiées, fréquence de connexion, audience des comptes, niveau d’interaction). Les statistiques explicatives ont été réalisées par Coraline Lethimonnier, économètre (Stats&Co).

À l’arrivée, 478 réponses ont été obtenues, dont 415 ont été retenues pour l’analyse [1] . Les informations descriptives de l’échantillon sont détaillées en annexe. Précisons d’emblée quelques caractéristiques sociodémographiques des répondants au questionnaire. La population interrogée est composée à 54 % de femmes et à 46 % d’hommes. Les répondants sont plutôt âgés, près de la moitié d’entre eux ayant plus de 55 ans. Le niveau d’étude est élevé, avec 53 % de personnes diplômées en deuxième et troisième cycle universitaire et 28 %, en premier cycle universitaire. Parmi les catégories professionnelles les plus représentées, on retrouve d’abord les cadres et les professions intellectuelles supérieures (28 %), puis des personnes sans autre profession (22 %) et des retraités (17 %).

Il est aussi important de préciser à quel type d’auteurs nous avons affaire. Près de 80 % des répondants ont déjà publié chez un éditeur traditionnel, les 20 % restant ayant uniquement publié dans des structures qui relèvent du compte d’auteur, de l’autoédition ou de l’édition participative [2] . Leur niveau d’expérience de la pratique de publication est variable : l’analyse du nombre de livres publiés par chacun d’eux montre qu’ils sont 55 % à avoir fait paraître moins de six livres, 22 %, de six à dix livres, et 23 %, au-delà. Après la littérature générale, citée par 60 % des répondants, les principaux genres d’écriture des auteurs sont le roman policier, d’espionnage ou thriller, les livres jeunesse et ceux de science-fiction, de fantasy ou de fantastique. Le poids de la littérature de genre est à souligner, une majorité d’auteurs déclarant écrire dans au moins une catégorie de genre.

Le succès commercial des auteurs se distribue de manière à peu près équilibrée : un tiers des écrivains situe leur plus grosse vente à 500 exemplaires, un tiers la situe entre 500 et 2000 exemplaires, et un dernier tiers la situe à plus de 2000 exemplaires. Il est utile de préciser qu’une poignée de nos répondants, plus précisément 4 %, appartient à la catégorie des auteurs de best-sellers, avec un niveau de vente dépassant les 50 000 exemplaires. Cette information se recoupe immanquablement avec l’exploitation des droits dérivés de leur œuvre (poche, traduction, adaptation, club), qui constitue un autre indicateur de succès commercial. La très grande majorité des auteurs (67 %) n’ont jamais vendu de droits dérivés de leurs ouvrages et ceux auxquels cela est déjà arrivé sont à trouver du côté des meilleurs vendeurs. On le comprend, le succès commercial d’un livre favorise ses chances d’être repéré et exploité sous d’autres formes, venant renforcer en retour sa trajectoire de succès.

La proportion élevée d’auteurs à petits tirages dans notre échantillon correspond à la dynamique du marché du livre, marqué depuis une décennie par l’explosion des livres à faible vente dans un contexte de surproduction éditoriale [3] (Donnat, 2018). Cependant, cette caractéristique de notre échantillon se croise avec le niveau de professionnalisation des écrivains, moins développé que ce que l’on peut observer dans la population générale des auteurs. À notre connaissance, l’enquête la plus exhaustive sur la situation des auteurs est le baromètre que réalisent conjointement la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et la Société des gens de lettres (SGDL) : si l’on s’en tient aux résultats de sa dernière édition, nous pouvons en effet constater que notre échantillon présente des caractéristiques proches de celles de la population générale des auteurs en matière de genre et d’âge, mais qu’il s’en éloigne sensiblement par le fait qu’il intègre une plus grande proportion d’écrivains autoédités et pour lesquels cette activité n’est pas l’unique métier (SCAM et SGDL, 2018) [4] .

Entre promotion, échange et écriture

La présence des romanciers sur les réseaux sociaux se déploie d’abord sur Facebook, qui est la principale plateforme investie par les auteurs (95 % des répondants), devant Twitter (47 %), Instagram (29 %) et LinkedIn (27 %). La particularité de Facebook tient non seulement à l’utilisation généralisée de cette plateforme, mais aussi au fait que près d’un tiers de l’échantillon se contente d’une présence exclusive sur ce réseau social. Cet usage mono-plateforme, principalement observé pour ce réseau en particulier, tend à placer les autres réseaux sociaux dans un rôle secondaire ou complémentaire. Parallèlement à leur présence sur les réseaux sociaux, 46 % des auteurs interrogés alimentent un blogue ou un site personnel, ce qui témoigne d’une volonté d’investir d’autres espaces d’énonciation et de présentation de soi. Tenir un blogue est une activité qui s’est répandue chez les auteurs à partir de la fin des années 1990 avec le lancement du système de publication Blogger et le développement de la blogosphère, aujourd’hui en concurrence avec la pratique des réseaux sociaux (Garcin-Marrou, 2013).

Les connexions sur les réseaux sociaux rythment le quotidien de la majorité des auteurs : 80 % des répondants se connectent à ces plateformes au moins une fois par jour et la plupart d’entre eux déclarent le faire plusieurs fois par jour. Les entretiens réalisés montrent que l’intensité des connexions découle de la connectivité permanente qu’autorisent les smartphones et qu’elle s’accompagne de temps de consultations multiples et rapides, de l’ordre de la « micro-connexion ». À un certain point, l’écriture de l’œuvre en cours peut même s’entremêler avec le temps passé sur les réseaux sociaux, ce dont témoigne très bien un auteur rencontré en entretien : « Quand j’écris sur le PC, Facebook est ouvert. J’écris et je vais voir régulièrement, j’interagis, je réponds instantanément. » Le temps de l’écriture est alors indissociable du temps de la navigation et du partage sur les réseaux sociaux, phénomène symptomatique des nouvelles temporalités du web où se développent l’hyperconnectivité et la cyberflânerie (Schafer, 2018).

L’une des particularités de ces plateformes est de permettre de décloisonner des univers sociaux (amis, famille, collègues, connaissances, fans, etc.) qui pouvaient être jusqu’alors plus strictement séparés (Beuscart, Dagiral et Parasie, 2016). Si l’utilisation des réseaux sociaux est inscrite dans le quotidien des écrivains, la frontière entre leur identité d’auteur et les autres aspects de leur identité et de leur vie sociale sur ces sites fait l’objet de configurations variées. La moitié des répondants dédie de manière exclusive ses comptes sociaux à son activité d’auteur, tandis que l’autre moitié les utilise pour également diffuser des informations et des contenus sans rapport avec celle-ci, témoignant d’une ouverture des profils vers d’autres problématiques.

D’une manière générale, les entretiens réalisés révèlent une conscience des enjeux de préservation de la vie privée et une exposition de soi qui reste très maîtrisée. Le dévoilement sur les réseaux sociaux est ainsi décrit par un auteur, qui révèle une démarche sous contrôle : « Ça permet de créer un monde qui me ressemble, ça crée une atmosphère autour des livres. Je ne mets pas d’info privée sur Facebook, mais des infos qui privatisent ». Dans cette perspective, il arrive que les auteurs privilégient la séparation entre les publics cibles en utilisant des comptes distincts (l’un privé, l’autre public) ou en paramétrant leur compte pour réguler la visibilité des publications auprès de certains types de contacts. C’est tout un travail de segmentation de l’audience que mène ainsi une auteure, soucieuse de ne pas mélanger sphère privée et sphère publique : « Je compartimente les posts , je module leur confidentialité selon les cercles (amis, privé, enfance, etc.). Par exemple, il y a un cercle amis auteurs, auquel sont destinées des publications qui traitent vraiment du métier. » Le glissement d’un usage personnel vers un usage professionnel des réseaux sociaux est une tendance que nous avons également observée et qui s’accompagne d’une restriction significative des publications au caractère plus intime. S’ils exposent en ligne certaines facettes d’eux-mêmes, nombre d’auteurs rencontrés en entretien adoptent des stratégies pour garder des informations privées ou pour moduler la portée de leur diffusion, faisant la différence entre les liens forts, issus de leur entourage proche, et les liens faibles (connaissances, lecteurs), avec lesquels ils entretiennent une moindre proximité.

Lorsqu’on s’intéresse aux activités plébiscitées par les auteurs, notre enquête permet de repérer trois grandes catégories d’usage ayant tendance à coexister, voire à s’entremêler, sur les réseaux sociaux (Figure 1).

Figure  1

Les catégories d’usage des réseaux sociaux par les écrivains (en % des répondants)

Les catégories d’usage des réseaux sociaux par les écrivains (en % des répondants)

Le total des pourcentages ci-dessus est égal à 95 %, car 5 % des répondants disent effectuer sur les réseaux sociaux exclusivement d’autres activités (s’informer, naviguer, etc.). Exemple de lecture : 61 % des écrivains déclarent utiliser les réseaux sociaux à des fins de promotion/diffusion d’actualités les concernant et pour échanger avec d’autres personnes.

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Tout d’abord, les réseaux sociaux accueillent très clairement des usages orientés vers la promotion/le partage d’actualités : 90 % des auteurs interrogés déclarent les utiliser en ce sens. Les plateformes sont prioritairement mobilisées par les écrivains pour annoncer des évènements, mettre en avant leurs publications et faire connaître leurs actualités. Dans un contexte de « surmédiatisation des écrivains », ceux-ci sont en effet de plus en plus invités « à s’auto-marketer, à s’auto-évaluer comme produit marketing calibré pour vendre du livre : le réseau social peut être alors un moyen ludique de se mettre numériquement en vitrine » (Garcin-Marrou, 2013, p. 159). Cette pratique des réseaux sociaux conduit nombre d’entre eux à y diffuser des éléments choisis de leur quotidien d’auteur. Le témoignage d’une auteure montre combien ce régime d’existence en ligne peut s’accompagner de formes de présentation de soi particulièrement construites et réfléchies, destinées à se modeler un personnage : « J’utilise des symboles dans mes publications […]. C’est un positionnement d’identité de l’auteur, la personnalité de l’auteur que je construis. Chaque fois que je m’installe dans un café pour travailler, je prends une photo des feuilles, du stylo, du lieu. Les gens s’identifient à ça, c’est un jeu que j’accentue. » Alors que le milieu littéraire est traditionnellement peu professionnalisé, les réseaux sociaux fournissent aussi l’occasion de venir afficher un statut, en particulier pour les écrivains dont la renommée n’est pas établie. Comme cela a été montré pour d’autres espaces d’exhibition comme les salons du livre (Clerc, 2012), la mise en scène publique de l’écrivain convoque alors une imagerie visant à apparaître et à se faire reconnaître en tant qu’auteur.

Par ailleurs, les usages des écrivains s’orientent vers l’échange avec d’autres personnes, pratique citée par 75 % des répondants. Il s’agit davantage d’interagir avec des lecteurs (68 %) et avec d’autres auteurs (65 %) qu’avec des professionnels du livre intervenant à un niveau différent de la filière : éditeur, journaliste, bibliothécaire, libraire (44 %). Le recours à ces sites web permet de cultiver et de rendre visible des appartenances et des relations sociales dans les milieux littéraires et avec les lecteurs (Baudouin, 2012). La combinaison entre promotion et échange représente la situation d’usage la plus fréquente chez les écrivains. Le lien très fort qui existe entre ces deux activités témoigne de formes de présence en ligne où la mise en valeur de soi s’articule avec des interactions entre individus. En entretien, les auteurs rencontrés justifient d’ailleurs leurs publications sur les réseaux sociaux par une volonté de partage, d’échange et de communication. Les motivations qui sous-tendent les actions des auteurs sont souvent intrinsèques, c’est-à-dire liées au plaisir et au goût personnel qu’ils éprouvent pour ce type d’activité, mais aussi extrinsèques, soit liées aux bénéfices que leur confère la possibilité de toucher un public (notoriété, visibilité, réseautage).

En revanche, plus rares sont les écrivains qui privilégient des usages orientés vers l’écriture : seulement 14 % des répondants disent se saisir des réseaux sociaux pour diffuser des textes ou expérimenter des formes d’écriture et de création. Dans ce cas de figure, les pratiques de microblogage littéraires se manifestent par la publication en ligne d’extraits, de poèmes, de pensées, de maximes, de jeux de mots, de micro-récits, etc., composant avec les incitations et les contraintes des plateformes. L’apparition et la diffusion des écrits du web font surgir des débats sur la valeur à leur donner et sur l’existence possible d’une esthétique propre à cette catégorie de littérature (Deseilligny et Clément, 2008 ; Fréchette et Côté, 2013). Sans nécessairement intervenir comme des supports de création à part entière, les entretiens que nous avons menés suggèrent que les réseaux sociaux peuvent parfois jouer un rôle dans le processus d’écriture et avoir des répercussions sur le travail des auteurs qui s’y connectent à la recherche d’avis, d’idées, de ressources ou de bonnes pratiques, ce qui est susceptible d’influer sur la trajectoire du texte en train de s’écrire. L’intérêt d’une auteure pour Facebook, par exemple, tient dans l’accès qui lui est donné à une communauté d’écrivains vers laquelle elle se tourne volontiers pour lutter contre la solitude de son travail : « Quand on est auteur, on écrit un texte que personne n’attend, que personne ne veut, dont personne ne demandera ce qu’il deviendra par la suite. C’est parfois très compliqué de trouver la motivation de continuer. Dans les moments difficiles, c’est une communauté avec laquelle je peux partager sur ce que j’écris. »

Les réseaux sociaux rendent ainsi possibles des solidarités entre auteurs tournées vers l’entraide et le partage d’expériences.

La notoriété en ligne des écrivains

D’abord utilisés à des fins de communication et de promotion, les réseaux sociaux apparaissent comme des lieux où se joue la notoriété des écrivains. Un moyen intéressant de mesurer la notoriété en ligne est de se référer à l’audience, entendue ici comme le nombre d’individus faisant partie de ses contacts sur les réseaux sociaux (amis, abonnés, fans, etc.). Plus l’audience est importante, plus l’auteur s’adresse à un public élargi, synonyme de capital social et de notoriété.

En première approche, l’analyse des scores d’audience sur les principaux réseaux sociaux investis par les écrivains suggère une distribution du succès en loi de puissance (Tableau 1) : une majorité d’écrivains disposent d’une audience qui se situe en deçà de 500 contacts et, à mesure que l’on progresse dans l’échelle d’audience, les effectifs d’auteurs tendent à diminuer. Un petit nombre d’auteurs seulement – 1 à 3 % selon les réseaux sociaux – sont capables de réunir une audience dépassant les 10 000 contacts. Cette asymétrie dans l’audience renvoie donc à une réalité où se côtoient une masse d’auteurs peu visibles et une élite limitée en nombre, mais jouissant d’un vaste public. Parmi les trois plateformes privilégiées par les auteurs, Instagram est celle sur laquelle les scores d’audience sont les plus faibles.

Tableau  1

Audience sur les trois réseaux sociaux les plus populaires chez les écrivains

Audience sur les trois réseaux sociaux les plus populaires chez les écrivains

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Comment expliquer que certains auteurs se distinguent, comme nous venons de le voir, par une plus grande notoriété sur les réseaux sociaux ? Pour répondre à cette question, nous construisons une variable « notoriété en ligne », en retenant la meilleure audience de l’auteur entre Facebook, Twitter et Instagram. À partir de cette mesure de l’audience, nous faisons l’hypothèse que deux catégories de facteurs sont susceptibles d’intervenir dans la notoriété en ligne. D’une part, nous pensons que des facteurs relatifs aux caractéristiques éditoriales de l’écrivain (un plus ou moins grand succès commercial, le fait de publier dans une maison d’édition traditionnelle ou de s’autoéditer, ou encore les genres d’écriture privilégiés) peuvent jouer un rôle déterminant. D’autre part, nous prenons en compte des facteurs liés à l’utilisation des réseaux sociaux (l’intensité de l’engagement des auteurs et la nature de leur usage des plateformes) pour tenter d’expliquer le succès qu’ils y rencontrent. La liste des variables sur lesquelles nous nous appuyons est reprise ci-dessous (pour plus de détails, voir l’Annexe 3, Index des variables).

Notoriété en ligne

  • Meilleure audience de l’auteur sur Facebook, Twitter ou Instagram (7 modalités)

Caractéristiques éditoriales

  • Meilleure vente réalisée (6 modalités)

  • Cession de droits sur des œuvres (2 modalités)

  • Nature de la structure éditoriale (2 modalités)

  • Genre d’écriture (7 modalités)

Pratique des réseaux sociaux

  • Nombre de plateformes sociales investies (9 modalités)

  • Fréquence de connexion (5 modalités)

  • Fréquence de publication (5 modalités)

  • Fréquence de like (5 modalités)

  • Fréquence de partage (5 modalités)

  • Fréquence de commentaire (5 modalités)

  • Nature des activités effectuées (9 variables à 2 modalités)

La notoriété en ligne au regard de la réussite éditoriale des écrivains

Le succès d’audience des auteurs sur les réseaux sociaux est-il lié à leur réussite éditoriale ? La confrontation de la variable « notoriété en ligne » avec des variables mesurant la réussite éditoriale fournit des éléments de réponse. Une première étape consiste à croiser la variable à expliquer avec les autres variables, afin de repérer l’existence éventuelle d’un lien entre celles-ci, à l’aide de tableaux de contingence. Certaines catégories d’auteurs ayant un faible effectif [5] (les catégories 0, 5 et 6), les conditions d’application du test du chi2 n’étaient pas respectées et il était évident que l’hypothèse d’absence de lien allait systématiquement être rejetée. L’alternative choisie a été de réaliser des profils-ligne, afin d’exprimer chaque variable en pourcentage de la notoriété en ligne, pour chaque catégorie, et de tracer les graphiques en mosaïque associés. Cela permet d’obtenir une représentation visuelle de la répartition de la variable explicative sur la variable à expliquer (la hauteur des rectangles est proportionnelle aux effectifs marginaux), mais également de la représentation de la modalité dans l’échantillon (la largeur des rectangles est proportionnelle au rapport de l’effectif « de la case » sur l’effectif de la colonne associée).

La Figure 2 met ainsi en rapport la notoriété en ligne avec le niveau de meilleure vente des écrivains. À sa lecture, il apparaît que les écrivains ayant une faible audience sur les réseaux sociaux sont également ceux dont les niveaux de ventes sont les plus faibles (cases claires), tandis que la situation s’inverse pour les écrivains dont l’audience est très forte et qui sont beaucoup plus représentés dans les niveaux de ventes élevés (cases noires). En d’autres termes, la notoriété sur les réseaux sociaux est corrélée avec les ventes réalisées : il semble exister une relation quasiment linéaire entre ces deux variables. Nous constatons également que la catégorie de vente 5 est très peu représentée dans notre échantillon et que, logiquement, on observe plus d’auteurs à des niveaux de ventes faibles qu’élevés (ce qui est tout à fait représentatif de la réalité du marché du livre).

Figure  2

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée au niveau de ventes de l’auteur ?

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée au niveau de ventes de l’auteur ?

Nombre de ventes en pourcentage de la notoriété. Audience sur les réseaux sociaux numériques (RSN) : l’échelle d’audience est croissante de 0 à 6. Meilleure vente : le niveau de vente est croissant de 1 à 6.

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Un lien existe également entre la notoriété en ligne et la variable « cession de droits ». La Figure 3 permet en effet de constater que les auteurs ayant déjà cédé des droits sur leurs livres sont généralement plus suivis que les autres sur les réseaux sociaux. De même, la Figure 4 met en évidence le fait que les auteurs qui publient dans une maison d’édition traditionnelle enregistrent de meilleurs résultats d’audience que ceux qui ont seulement recours à des formes d’autoédition. Bien que l’autoédition se soit démocratisée avec le numérique (Cahier et Sutton, 2016 ; Philipps, 2014), l’activité d’autopromotion qui l’accompagne ne permet généralement pas d’obtenir une visibilité équivalente à celle procurée par un intermédiaire comme l’éditeur, dont le travail de sélection et de mise en avant joue un rôle significatif dans la construction de la notoriété des auteurs. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, ces dernières années, dans les rares cas où des auteurs autoédités ont réussi à émerger par eux-mêmes sur Internet, le passage dans une maison d’édition traditionnelle a souvent constitué une étape décisive dans leur trajectoire [6] .

Figure  3

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée à la cession de droits par l’auteur ?

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée à la cession de droits par l’auteur ?

En pourcentage de la notoriété. Audience sur les réseaux sociaux numériques (RSN) : l’échelle d’audience est croissante de 0 à 6. Cession de droits : (1) les auteurs ayant déjà cédé des droits, (0) les auteurs n’ayant jamais cédé de droits.

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Figure  4

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée au fait d’être publié par une maison d’édition ?

L’audience sur les réseaux sociaux est-elle liée au fait d’être publié par une maison d’édition ?

En pourcentage de la notoriété. Audience sur les réseaux sociaux numériques (RSN) : l’échelle d’audience est croissante de 0 à 6. Édition : (1) les auteurs uniquement autoédités, (2) les auteurs ayant déjà publié chez un éditeur traditionnel.

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À l’arrivée, les trois variables de réussite éditoriale choisies pour expliquer la notoriété en ligne semblent toutes corrélées avec l’audience des écrivains sur les réseaux sociaux. Dans un premier temps, pour compléter cette investigation préliminaire, nous réalisons des régressions logistiques polytomiques ordonnées[7] (Tableau 2.). Les régressions effectuées avec une seule variable explicative permettent de confirmer de manière indépendante la significativité des variables « meilleures ventes », « cession de droits » et « structure éditoriale » pour expliquer la notoriété en ligne. Dans un deuxième temps, nous effectuons une régression avec les trois variables réunies afin d’observer leur comportement lorsqu’on les considère ensemble. Cette fois-ci, il apparaît que la variable « meilleure vente » écrase complètement les deux autres, qui ne sont plus du tout significatives. De tels résultats sont susceptibles de s’expliquer par le lien qui existe entre les variables : nous pouvons en effet supposer que les écrivains qui connaissent de meilleures ventes sont également ceux qui sont publiés par des maisons d’édition traditionnelles et qui sont amenés à céder leurs droits sous diverses formes (poche, traduction, adaptation, club). Par conséquent, il est plus que probable que nous soyons face à une situation de colinéarité : liées entre elles, les variables retenues tendent à expliquer la même part de la variabilité de la notoriété sur les réseaux sociaux. Cette hypothèse est confirmée par la matrice des corrélations de Kendall, qui montre l’existence d’une corrélation non négligeable entre ces variables (Figure 5) : le lien entre les variables « meilleure vente » et « cession de droits » est particulièrement fort. Nous remarquons également que le lien entre la notoriété sur les réseaux sociaux et les formes d’édition est le plus faible lien que possède la variable à expliquer avec les trois variables explicatives. Étant donné ces résultats, nous retiendrons, parmi les trois variables de réussite éditoriale, le niveau de vente réalisé par l’auteur comme celle expliquant le mieux la notoriété sur les réseaux sociaux.

Tableau  2

L’impact de la réussite éditoriale sur la notoriété en ligne

L’impact de la réussite éditoriale sur la notoriété en ligne

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Figure  5

Matrice des corrélations de Kendall

Matrice des corrélations de Kendall

Plus le cercle est grand et foncé, plus le lien entre les variables est fort. Exemple de lecture : la corrélation entre la meilleure vente et la cession de droit est le plus fort, il est d’environ 0,6.

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La popularité des genres d’écriture

Si la notoriété des écrivains dans l’univers numérique est statistiquement corrélée avec leur réussite éditoriale, nous souhaitons vérifier dans quelle mesure un lien similaire pourrait exister concernant le genre dans lequel ils écrivent. Dans cette perspective, nous réalisons une régression logistique polytomique ordonnée confrontant la variable « notoriété en ligne » avec l’ensemble des genres littéraires de l’étude (Tableau 3). Dans ce modèle, deux variables sont significatives, à savoir les catégories « littérature générale » et « historique ». Le coefficient du genre « historique » est négatif, ce qui signifie que la probabilité de rencontrer du succès sur les réseaux sociaux a tendance à diminuer dès lors qu’on écrit des romans qui appartiennent à cette catégorie. En revanche, nous pouvons affirmer que la notoriété en ligne augmente si l’auteur écrit des ouvrages de littérature générale.

Afin de vérifier s’il n’y a pas un effet d’« écrasement » de la variable « littérature générale », catégorie littéraire que l’on retrouve chez 60 % des auteurs de l’étude, nous avons testé la significativité des autres genres un par un, en réalisant des régressions avec une seule variable explicative, ainsi qu’une régression sans la variable « littérature générale » (Tableau 3). Les résultats obtenus montrent que le genre « science-fiction, fantasy, fantastique » a également un impact positif sur la notoriété en ligne des auteurs[8]. Ces résultats sont en cohérence avec la littérature scientifique, qui souligne combien ces genres culturels plutôt délaissés par les médias traditionnels peuvent gagner en popularité sur Internet, où les filtres médiatiques et les autorités critiques sont susceptibles d’être contournés (Pasquier, Beaudouin et Legon, 2014 ; Wiart, 2016, 2017). Le fait que le coefficient ne soit pas très significatif tient sans doute à ce que relativement peu d’auteurs à succès ayant participé à l’enquête sont des écrivains qui s’inscrivent dans ce genre littéraire. Enfin, les régressions viennent confirmer que les autres genres ne sont pas significatifs de manière individuelle.

Tableau  3

L’impact des genres d’écriture sur la notoriété en ligne

L’impact des genres d’écriture sur la notoriété en ligne

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Les pratiques numériques des écrivains, sources de succès en ligne ?

Dans cette section, notre objectif est de vérifier si l’usage qu’ont les écrivains des réseaux sociaux est susceptible de se traduire par une notoriété en ligne plus ou moins élevée. Dans un premier temps, nous cherchons à expliquer la variable notoriété par des variables sous forme d’échelles mesurant l’intensité de la pratique des réseaux sociaux. D’après notre modèle de régression (Tableau 4), il apparaît que les facteurs qui influent sur la notoriété en ligne sont le nombre de plateformes investies par les auteurs et la fréquence avec laquelle ces derniers se connectent et publient sur celles-ci. En d’autres termes, plus un écrivain est présent sur les réseaux sociaux, plus il s’y connecte et y publie régulièrement des posts , plus il aura tendance à rassembler autour de lui une communauté d’internautes et à accroître son audience. A contrario, l’activité d’interaction de l’auteur avec son audience – le fait de « liker », de commenter et de partager des publications initiées par d’autres internautes – ne semble pas exercer d’influence sur sa notoriété en ligne. L’intérêt des internautes pour les comptes et les pages d’écrivains paraît donc moins résider dans les opportunités de dialogue direct avec ceux-ci que dans le fait de pouvoir suivre leurs publications et accéder aux aspects de leur activité et de leur vie d’auteurs qu’ils rendent visibles.

Au-delà de ces facteurs d’intensité de la pratique, nous voulons voir s’il est possible d’expliquer la notoriété en ligne par des facteurs plus qualitatifs, mesurant le type d’utilisation qu’a l’auteur des réseaux sociaux. Le modèle de régression effectué (Tableau 4) montre tout d’abord que le fait de publier en direction des lecteurs et, dans une moindre mesure, en direction des professionnels du livre (éditeurs, libraires, bibliothécaires, journalistes, etc.) constitue des facteurs explicatifs de l’audience. Si le premier point apparaît comme une évidence, le deuxième l’est un peu moins et suggère que les plateformes sociales peuvent aussi servir aux auteurs à entretenir un réseau professionnel. Bien que majoritairement plébiscités par les écrivains, les usages promotionnels – à travers la publication d’annonces, d’évènements et d’actualités de l’auteur – ne semblent pas rejaillir positivement sur leur audience. En revanche, le partage d’informations sur le quotidien de l’auteur exerce une influence notable sur sa notoriété en ligne. De tels résultats vont dans le sens d’une étude précédente menée à propos de la communication des bibliothèques sur les réseaux sociaux, qui montre que les lecteurs sont en attente de publications qui offrent une fenêtre sur le quotidien et dévoilent les coulisses des institutions (Audouard, Rimaud et Wiart, 2018). La popularité de ce type de publications témoigne de l’intérêt du public pour l’activité de l’auteur dès lors qu’il se met en scène au jour le jour, raconte des anecdotes, donne à voir ce qu’il fait (photo de soi au travail, en déplacement, lors d’évènements, etc.), dans une posture qui renforce le sentiment d’authenticité et de proximité ressenti par ceux qui le suivent. À travers cette exposition de soi, l’auteur offre à son audience une relation « personnelle » et inscrit en fin de compte sa présence numérique dans les « pratiques routinières d’observation interpersonnelle » des internautes sur lesquelles s’appuient les réseaux sociaux (Proulx et Kwok Choon, 2011, p. 107).

Tableau  4

L’impact des pratiques numériques sur la notoriété en ligne

L’impact des pratiques numériques sur la notoriété en ligne

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Une hiérarchisation des variables

En dernier lieu, nous cherchons à apporter un point de vue global sur l’étude réalisée au préalable, en regroupant dans un seul modèle uniquement les variables dont l’impact est significatif sur la notoriété en ligne [9] . Plus précisément, nous cherchons à établir si celle-ci dépend davantage de la réussite éditoriale de l’auteur ou des activités qu’il déploie sur les réseaux sociaux. Les variables ainsi sélectionnées ont trait à la réussite éditoriale (meilleure vente réalisée), à l’intensité de la pratique des réseaux sociaux (fréquence de connexion, fréquence de publication, nombre de plateformes sociales investies) et à sa nature (partage de son quotidien, échange avec les lecteurs, échanges des professionnels du livre). Sur cette base, nous effectuons une régression logistique polytomique ordonnée, qui montre que toutes les variables sont significatives, à l’exception de l’échange avec les professionnels du livre et du partage du quotidien. Ce résultat est intéressant, car il signifie que, lorsque l’on prend en compte les variables significatives ensemble, certaines viennent écraser la significativité de ces deux dernières, qui restent donc moins pertinentes que les autres pour expliquer la notoriété. Avec les données à notre disposition, nous pouvons opérer une hiérarchisation de l’impact des variables, dont le Tableau 5 rend compte. En première ligne de celui-ci figure le niveau de vente de l’auteur, ce qui illustre plus que jamais le poids décisif du succès commercial des écrivains dans leurs perspectives de notoriété en ligne.

Tableau 5

Hiérarchisation des variables significatives

Hiérarchisation des variables significatives

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Conclusion

Cette recherche contribue à préciser les caractéristiques de l’activité des écrivains sur les réseaux sociaux et ses effets sur la notoriété en ligne. L’usage des réseaux sociaux, du moins tels que nous avons pu les observer, rythme le quotidien des auteurs de l’étude, qui s’y connectent très régulièrement pour y animer une présence. L’investissement sur ces plateformes est moins orienté vers l’écriture et la diffusion de textes, assez rarement privilégié par les auteurs, que vers l’échange, la communication et la promotion. Le registre des motivations des auteurs oscille entre le plaisir et le goût qu’ils éprouvent dans cette activité de partage et les conséquences positives qu’ils peuvent en tirer sur les plans de la visibilité et de la notoriété. Les réseaux sociaux sont en effet le support de pratiques d’autopromotion et de marketing de soi, pour le moins construites et maîtrisée (segmentation de l’audience, séparation des comptes public/privé, élaboration d’un personnage, exhibition de soi en contexte professionnel, etc.) qui relèvent du personal branding . Loin d’une liberté de ton et d’une spontanéité sans limites, les formes d’engagement mises en œuvre par les écrivains témoignent de démarches de communication sous contrôle.

Dans la deuxième partie de l’étude, nous avons cherché à identifier les facteurs explicatifs de la notoriété en ligne des écrivains. La probabilité d’avoir du succès sur les réseaux sociaux augmente si l’auteur écrit dans certains genres, en l’occurrence la littérature générale et la littérature de science-fiction, de fantasy et fantastique. Les pratiques numériques des écrivains participent aussi directement au développement de leur notoriété en ligne, notamment en fonction de leur intensité et de leur nature. Cette étude nous fournit ainsi l’occasion de souligner un intéressant paradoxe : d’un côté, les activités d’interaction directe avec les internautes ( likes , partages, commentaires) ne semblent pas influencer la notoriété en ligne, mais, d’un autre côté, les internautes paraissent en attente d’une relation « personnelle » avec l’écrivain et de publications qui en dévoilent le quotidien. Tout se passe comme si les réseaux sociaux favorisaient l’expression d’une proximité entre l’auteur et ses lecteurs, sans qu’il soit forcément nécessaire que celle-ci se concrétise par des interactions manifestes.

Surtout, il apparaît que le succès sur les réseaux sociaux se superpose avec le succès éditorial de l’auteur, les audiences en ligne ayant tendance à se concentrer autour des personnalités les plus installées dans le monde de l’édition. À cet égard, le niveau de vente atteint par l’auteur constitue, parmi toutes les variables testées, celle qui est la plus décisive pour comprendre sa notoriété en ligne. En dépit des occasions d’autopromotion offertes par les réseaux sociaux, les écrivains autoédités de notre étude n’émergent pas spécialement : le fait d’être publié par une maison d’édition traditionnelle reste la meilleure garantie de capter l’attention d’un public. Mesurées à l’échelle d’un large échantillon d’auteurs, les pratiques de personal branding et leurs promesses de construction de la notoriété en voie directe paraissent encore insuffisantes pour contourner les instances de légitimation et de visibilité que sont les maisons d’édition.

Annexes

Annexe  1

Auteurs rencontrés en entretien

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Annexe  2

Description de l’échantillon

Description de l’échantillon

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Figure

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Annexe  3

Index des variables

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Figure

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