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La revue Communiquer a dix ans, l’actuelle Faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a quinze ans et l’UQAM cinquante. Ce demi-siècle a vu le développement de l’un des plus importants pôles d’enseignement et de recherche en communication au Canada et, probablement, de la francophonie. Les chercheurs et chercheuses en communication de l’UQAM mènent des travaux et collaborations sur les cinq continents et quatre coins du globe. Ils produisent des manuels qui deviennent des références internationales et aident à modeler la représentation de la discipline. Ils contribuent ainsi au rayonnement et à la vitalité de l’institution qui l’héberge.

Pourtant, si la reconnaissance de la Faculté de communication ne cesse de croître, l’éloignement amène son lot de confusions et de méconnaissances. Je dois reconnaître que j’ai moi-même souffert de cette ignorance quelques années auparavant. Étudiant dans un autre pays dans une autre Faculté de communication – dont l’un des ouvriers fondateurs avait aussi été un des géants à l’origine des sciences de l’information et de la communication, Robert Escarpit[1] –, j’avais planché sur des textes nourris depuis l’UQAM. Mais, ce n’est qu’en venant y travailler que j’ai pu véritablement le réaliser. Ce n’est qu’en venant y travailler que j’ai pu saisir toute la richesse et la diversité que pouvait générer cette institution, comprendre sa relation à l’Histoire de la société qui l’a faite émerger et qu’elle soutient aujourd’hui en retour. Ce n’est qu’en venant y travailler que j’ai commencé à véritablement saisir comment et pourquoi elle traversait colline et océans pour apprendre sans cesse des autres, pour ensuite développer ses propres apports en lien avec des positionnements politiques et épistémologiques forts.

Est-ce que les anniversaires mentionnés au début ne pourraient pas être le prétexte pour faire un exercice rétrospectif, une mise en perspective nécessaire pour les candides voyageurs de la connaissance (dont je prétends être) ?

Le comité éditorial de la revue (que je remercie) a, dans cette perspective, invité des collègues à exposer leur vision du développement de leur spécialité au sein du domaine scientifique de la communication à nous présenter le rôle des recherches menées à l’UQAM depuis sa création, la manière dont elles s’insèrent dans la recherche internationale et les interactions que ces développements ont avec l’enseignement. Nous vous proposons à continuation les premiers textes que ces chercheurs et chercheuses en communication ont eu la générosité de nous offrir.

Nous entamons ce dossier avec « une mise en récit » de Johanne Saint-Charles et Pierre Mongeau qui nous ramènent à la fondation de l’UQAM où la communication était fortement marquée par l’influence de l’école des relations humaines et des approches psychosociales. Le duo nous expose comment l’institutionnalisation des études en communication à l’UQAM est tributaire de la rencontre de programmes de formation en « communication humaine » et médiatique dans une division qui marque encore aujourd’hui son développement.

À leur tour, Chantal Francœur, Éric George, Samuel Lamoureux et Jean-Hugues Roy nous amènent vers le versant médiatique de la communication à l’UQAM en cartographiant les recherches uqamiennes sur le journalisme. Ils refont la trajectoire depuis les débuts de son enseignement dans les années 1970, dans une tension conflictuelle entre pratique et recherche, jusqu’à la création officielle du baccalauréat en journalisme en 1995. Cela, sans oublier la présentation d’une recherche fertile et foisonnante qui, nous expliquent-ils, mériterait de renforcer son dialogue interne.

La pratique est un des points forts de l’UQAM, créée en réponse aux besoins d’une éducation supérieure pour une classe populaire. Au point que cette qualité lui est à l’occasion renvoyée comme un anathème. Pourtant la recherche y est largement présente aussi et contribue à l’amélioration des pratiques professionnelles.

C’est ce qui peut être retrouvé dans le domaine des relations publiques comme nous le montre Stéphanie Yates. Les professions reliées sont critiquées notamment sur le plan éthique. Les approches théoriques, dans un effort de dépassement, demeurent pourtant très normatives. L’UQAM se lance quand même en créant au milieu des années 1990 le premier programme en Amérique du Nord entièrement consacré à l’enseignement des relations publiques en français. L’ancrage pratique y est très important avec un souci de développement des compétences professionnelles et de sensibilisation aux enjeux sociaux et éthiques.

Le domaine de la communication en santé est probablement moins controversé. Il n’en demeure pas moins en demande d’améliorations dans une perspective d’information-communication comme d’intervention. Lise Renaud nous offre une présentation d’une recherche qui se mène de manière avant tout partenariale et préoccupée par l’utilisation de stratégies de communications interpersonnelles, organisationnelles et médiatiques, avec l’objectif d’informer et influencer les décisions individuelles et collectives propices à l’amélioration de la santé.

S’il est des domaines de recherche plus récents, alors qu’il est possible sans difficulté de retracer leurs racines à l’antiquité grecque, les études du jeu (game studies) en font partie. Maude Bonenfant, Gabrielle Trépanier-Jobin et Laura Iseut Lafrance St-Martin en refont le cheminement et nous montrent comment l’UQAM contribue à son institutionnalisation en ayant, qui plus est, mûri un cadre conceptuel, épistémologique et méthodologique propre aux études du jeu dans le champ de la communication. Ce n’est probablement pas une surprise puisque ces recherches se développent dans l’une des cinq villes les plus importantes pour la production de jeux vidéo.

Enfin, Louis-Claude Paquin et Cynthia Noury nous ramènent encore plus spécifiquement vers des enjeux épistémologiques et méthodologiques. Cependant, gare à ceux qui croient qu’ils adopteraient enfin une posture surplombante sur la pratique. Les deux s’intéressent en fait à la recherche-création médiatique. Ils retracent cette inquiétude aux origines du Département des communications de l’UQAM en 1974. Une manière non concertée de boucler la quadrature du cercle avec le premier texte de ce dossier. La recherche-création y est envisagée comme un ensemble de pratiques visant à produire divers types de connaissances sans délaisser une préoccupation disciplinaire qui veut distinguer création artistique et médiatique.

Ces articles rendent déjà compte de cette tension, qui caractérise l’UQAM, qu’il y a entre pratique et théorie, avec différents points de vue qui en envisagent les combinaisons de manières variées. Si cette problématique n’est pas spécifique à cette université, sa manière d’y répondre continue de refléter les conditions de sa genèse : des racines fortes dans la formation et la pratique qu’accompagnent une recherche théoriquement exigeante et empiriquement ancrée de manière volontaire, pour ne pas dire têtue.

Ceci n’est qu’un échantillon de tout ce qui se fait en communication à l’UQAM. Nous remercions d’ailleurs les collègues qui ont pu répondre à l’invitation. Conscients des manques, nous espérons revenir bientôt avec de nouveaux articles présentant d’autres domaines, objets et orientations, toujours en communication.