Corps de l’article

Introduction

Au cours des prochaines décennies, la pyramide des âges au Canada et dans la plupart des pays industrialisés va changer considérablement. Suite à la baisse importante des taux de fécondité et à la hausse de l’espérance de vie, la population va vieillir à un rythme accéléré au cours des trente prochaines années[1]. En conséquence, avec les mises à la retraite massives des travailleurs âgés, le taux d’activité devrait diminuer de manière substantielle[2]. Cette situation risque d’entraîner des pressions économiques et financières importantes dont une baisse de l’épargne, une hausse des coûts des régimes de pensions publics et une augmentation des dépenses de santé. De plus, l’augmentation du nombre de travailleurs plus âgés et de la hausse des taux de retraite vont conduire à une plus grande rareté de la main-d’oeuvre et à une baisse possible du potentiel de croissance de l’économie.

Bon nombre d’études ont été consacrées aux conséquences économiques à long terme du vieillissement démographique dans les pays de l’OCDE et par grandes régions du monde[3]. Bien que les causes de ces changements démographiques soient à peu près les mêmes entre les différents pays, l’amplitude est différente d’un endroit à un autre. Par exemple, les États-Unis, la France et le Canada sont parmi les pays qui devraient connaître des pressions démographiques plus modérées. Toutefois, au Québec, la situation est plus préoccupante car l’amplitude des changements démographiques à venir se rapproche de ce qui a été prévu en Allemagne, en Italie et au Japon, trois pays qui devraient connaître un vieillissement démographique plus prononcé par rapport à l’ensemble des pays de l’OCDE.

Dans cette étude, nous nous penchons sur la situation du Québec. Plus spécifiquement, nous examinons l’impact économique à long terme du vieillissement de la population au Québec selon des hypothèses démographiques courantes, à partir des tendances récentes observées sur le taux de fécondité, de l’espérance de vie et de l’immigration par niveau de qualification. Nous prenons également en compte la différence dans les taux d’activité et de l’âge effectif de la retraite au Québec par rapport au reste du Canada.

Ensuite, nous présentons divers scénarios de politiques visant à amoindrir l’impact économique négatif du vieillissement de la main-d’oeuvre au Québec. Parmi les politiques envisagées, nous examinons l’impact d’une hausse de la proportion des immigrants, une augmentation de l’âge effectif de la retraite et une baisse graduelle de la proportion des inactifs. L’analyse est effectuée à l’aide d’un modèle régional appliqué d’équilibre général, calculable, dynamique, de cycle de vie. Le modèle est calibré à l’aide de données sur les régions canadiennes.

L’article se divise de la façon suivante. La première partie traite des tendances démographiques et des conditions du marché du travail au Québec et dans le reste du Canada. La seconde partie décrit de manière simplifiée la structure du modèle et traite de son calibrage[4]. La troisième partie présente les résultats de la simulation et la dernière section tient lieu de conclusion.

Démographie et conditions d’offre de travail au Québec et au Canada

Tendances historiques

Tel que nous l’avons mentionné en introduction, la baisse du taux de fécondité et la hausse de l’espérance de vie sont les principales causes du vieillissement démographique. La figure 1 présente l’évolution de l’indice synthétique de fécondité au Québec et au Canada au cours de la période 1951 à 2003. Il est intéressant de noter qu’au cours des années 50, il était nettement plus élevé au Québec qu’au Canada. Les indices synthétiques de fécondité ont commencé à diminuer durant les années 60 et le taux au ­Québec s’est retrouvé en dessous du taux du Canada vers la fin de la décennie. De plus, depuis le début des années 70, les taux de fécondité au Québec et au Canada sont demeurés en dessous de 2,1, soit le niveau requis pour assurer le remplacement naturel de la population. Ensuite, après avoir atteint un creux historique de 1,36 en 1987, le nombre d’enfants par femme au Québec est remonté près de la moyenne canadienne à 1,67 en 1992. Toutefois, depuis cette date, les indices synthétiques de fécondité tant au Québec qu’au Canada ont diminué à nouveau pour se retrouver près de 1,5 en 2003.

Figure 1

Indice synthétique de fécondité au Québec et au Canada (1951 à 2003)

Indice synthétique de fécondité au Québec et au Canada (1951 à 2003)
Source : Statistique Canada, Division de la démographie, Section des estimations démographiques

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Suite à la baisse de l’indice synthétique de fécondité, l’espérance de vie a augmenté de manière importante au Québec, tout comme dans le reste du Canada. Tel qu’indiqué dans le tableau 1, l’espérance de vie à la naissance est passée de 74 ans pour les femmes et de 66 ans pour les hommes en 1960-1962 à respectivement 82 ans et 77 ans en 2001-2003 au Québec. Cette tendance est similaire à celle observée au Canada.

Tableau 1

Espérance de vie à la naissance (1960 à 2003)

Espérance de vie à la naissance (1960 à 2003)
Source : Statistique Canada, Division de la démographie, Section des estimations démographiques

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Le nombre de résidents permanents a beaucoup fluctué au Canada au cours des années 70 et 80, tout comme au Québec (voir la figure 2). Avant les années 90, la cible d’obtention de nouveaux immigrants au Canada avait tendance à fluctuer avec le cycle économique. Par exemple, suite aux chocs mondiaux des prix du pétrole durant la seconde moitié des années 70, le taux de chômage est passé de 5,4 % en 1974 à 8,4 % en 1978, alors que durant la même période, le nombre de résidents permanents est passé de près de 188 000 à 86 000. Le nombre de résidents permanents est remonté à 143 000 en 1980 puis est redescendu, suite à la récession de 1981-1982, à 89 000 en 1983 et 84 000 en 1984. Au cours de ces années, la part des nouveaux immigrants localisés au Québec a fluctué entre 15 % et 18 % alors que la part pour l’Ontario a varié entre 52 % et 42 %.

Âge effectif de la retraite

Depuis quelques décennies, l’âge effectif de la retraite est plus bas au Québec qu’en Ontario et dans le reste du Canada (voir le tableau 2). Vers la fin des années 70, l’âge effectif de la retraite se situait à soixante-cinq ans partout au Canada. Toutefois, au cours des années 80 et 90, il a diminué dans l’ensemble du pays, mais plus rapidement au Québec. Ainsi, en 2001, le Québec connaissait un âge effectif de retraite parmi les plus faibles du pays.

Figure 2

Résidents permanents, Canada, Québec et Ontario

Résidents permanents, Canada, Québec et Ontario
Source : Statistique Canada, Division de la démographie, Section des estimations démographiques

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Tableau 2

Âge effectif (médian) de la retraite, Canada, Québec et Ontario

Âge effectif (médian) de la retraite, Canada, Québec et Ontario
Source : Statistique Canada, Enquête sur la population active (2006)

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Distribution des travailleurs par niveau de qualification

Le tableau 3 présente la distribution des travailleurs au Canada, au Québec et en Ontario selon trois niveaux de qualification : hautement, moyennement et faiblement qualifiés (la liste des professions par niveau de qualification ainsi que la définition de ces qualifications sont présentées à l’annexe B.7)[5]. Le tableau 3 inclut également les personnes inactives en âge de travailler. La distribution est calculée à partir des données provenant du Recensement de 2001 de Statistique Canada. Selon ces données, la part des travailleurs moyennement et faiblement qualifiés n’est pas très différente entre le Québec, l’Ontario et le Canada. Par contre, lorsque l’on compare la part des travailleurs hautement qualifiés et des inactifs, les différences sont appréciables. En effet, la part des travailleurs hautement qualifiés au Québec est de 23,7 % par rapport à 31,5 % en Ontario et 26,7 % au Canada. Quant à la part des inactifs, elle est de près de dix points de pourcentage plus élevée au Québec qu’en Ontario et d’environ cinq points de pourcentage par rapport au Canada.

Tableau 3

Part des travailleurs selon les qualifications, Canada, Québec et Ontario

Part des travailleurs selon les qualifications, Canada, Québec et Ontario
Source : Statistique Canada, Recensement 2001

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Selon Roy (2004), la part plus élevée des inactifs au Québec s’explique du fait que la part des bénéficiaires de l’aide sociale dans la population est également plus élevée (voir la figure 3). Au début des années 90, la proportion des bénéficiaires de l’aide sociale se situait au Québec au même niveau que la moyenne canadienne (10 % en 1993), alors que l’Ontario avait un taux d’aide sociale nettement plus élevé. Bien que cette proportion ait diminué partout au Canada depuis le début des années 90, la tendance s’est nettement inversée entre le Québec et l’Ontario. En effet, à partir de 1994, l’écart entre cette proportion au Québec et au Canada a augmenté de manière substantielle, tandis que l’écart entre l’Ontario et le Canada a diminué pour atteindre zéro en 2000. En 2003, l’écart entre le Québec et le Canada était de 1,8 point de pourcentage.

Figure 3

Évolution de la proportion des bénéficiaires de l’aide sociale, Canada, Québec et Ontario (nombre de prestataires en proportion de la population)

Évolution de la proportion des bénéficiaires de l’aide sociale, Canada, Québec et Ontario (nombre de prestataires en proportion de la population)

Source : Roy (2004).

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Vieillissement démographique

La figure 4 présente une projection du rapport de dépendance des personnes âgées (rapport du nombre des personnes de 65 ans et plus au nombre des personnes âgées de 15 à 64 ans) correspondant à notre scénario de référence. Cette projection est effectuée à l’aide du modèle démographique MEDS. La liste des équations du modèle est présentée dans l’annexe A. En outre, une description complète du modèle est disponible dans Denton et al. (2005; 2006).

Selon la projection démographique présentée dans le scénario de référence, suite à la hausse modérée et graduelle de la population âgée entre 1971 et 2007, il est prévu que le rapport de dépendance augmentera à un rythme plus rapide au cours des prochaines décennies au Canada. Le Québec devrait connaître une hausse plus marquée que l’Ontario et le reste du Canada : le rapport passant de 0,19 en 2003, soit à peu près le même taux qu’en Ontario et au Canada, à 0,46 en 2046, alors qu’il sera de 0,37 en Ontario et 0,4 pour l’ensemble du Canada.

Figure 4

Rapport de dépendance des personnes âgées de 65 ans et plus (rapport du nombre des personnes de 65 ans et plus au nombre des personnes âgées de 15 à 64 ans)

Rapport de dépendance des personnes âgées de 65 ans et plus (rapport du nombre des personnes de 65 ans et plus au nombre des personnes âgées de 15 à 64 ans)
Source : RHDCC, Direction de la recherche en politiques, scénario de référence

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En résumé, les hypothèses par province sur l’indice synthétique de fécondité, l’espérance de vie, la part annuelle des nouveaux immigrants et les émigrants en pourcentage de la population totale sont présentées dans le tableau 4. L’indice synthétique de fécondité est maintenu constant dans le futur, reflétant les données les plus récentes. Toutefois, nous supposons que l’espérance de vie continue à augmenter, mais à un rythme décroissant. Par rapport au scénario de référence (voir le tableau 4 et la figure 4), il est supposé que l’immigration au Canada continue de représenter 0,75 % de la population chaque année. Le Québec reçoit 14 % des nouveaux immigrants, ce qui correspond à la tendance moyenne observée entre 2001 et 2003. Enfin, les hypothèses concernant la migration interprovinciale sont reprises du Conference Board du Canada[6] pour le compte du Système de projection des professions au Canada (SPPC) du Ministère des ressources humaines et du développement des compétences du Canada (RHDCC).

Tableau 4

Principales hypothèses démographiques

Principales hypothèses démographiques
Source : RHDCC, Direction de la recherche en politiques, scénario de référence

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Approche méthodologique : modèle appliqué d’équilibre général à cycle de vie

Vieillissement démographique et effets en interaction sur l’économie

Bien que le vieillissement démographique représente un changement structurel bien anticipé, ses conséquences socio-économiques et financières demeurent difficiles à prévoir. Tout d’abord, le changement démographique est long et graduel. Deuxièmement, les effets économiques sont nombreux, impliquant des changements dans la quantité de la main-d’oeuvre, sa composition par âge et son expérience. Les effets économiques impliquent également des changements dans la productivité du travail, l’épargne nationale, le taux d’investissement et les mouvements internationaux de capitaux. Troisièmement, les enjeux financiers pour les gouvernements sont importants et risquent d’interagir avec les effets économiques. Par exemple, si les pressions démographiques forcent les gouvernements à hausser les taux d’imposition ou à réduire les services gouvernementaux, le comportement des agents économiques (ménages, firmes, travailleurs, consommateurs) risque de changer. Finalement, les changements économiques et financiers vont influencer le prix des facteurs de production comme les taux de salaire, le rendement du capital des entreprises, les taux d’intérêt ainsi que les prix à la production et à la consommation.

Étant donné la complexité de l’impact démographique et des effets en interaction avec l’économie, le marché du travail et les marchés financiers, de même que les implications sur les choix de consommation et d’épargne des ménages au cours du cycle de vie, l’utilisation de modèles économiques avec une structure théorique appropriée de type modèle à cycle de vie s’avère nécessaire pour prendre en compte ces multiples effets. Cette section présente une description sommaire du modèle. Une description plus technique est également disponible dans l’annexe B.

Structure du modèle

La méthodologie employée ici et appropriée à ce contexte est le modèle appliqué d’équilibre général à cycle de vie. Celui utilisé pour l’analyse s’inscrit dans la tradition des modèles théoriques de Diamond (1965) et de leurs applications à des fins d’analyse quantitative par Auerbach et Kotlikoff (1987). Notre modèle comprend de plus une structure à générations imbriquées, telle que proposée par Allais (1947) et Samuelson (1958) et a été calibré à l’aide de données canadiennes.

Il existe plusieurs types de modèles appliqués d’équilibre général. Toutefois, seuls les modèles à cycle de vie ou à générations imbriquées ont la propriété de pouvoir prendre en compte l’effet des changements économiques provenant de chocs démographiques profonds et qui se répercutent entre les générations d’individus et sur les comportements économiques des ménages.

Le modèle intègre six régions du Canada, la région de l’Atlantique (comprenant les provinces de Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick), le Québec, l’Ontario, la région des Prairies (comprenant les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan), l’Alberta et la Colombie Britannique. Chaque région dans le modèle produit un bien de production non parfaitement substituable et commerce avec les autres régions. La structure de production[7] comprend le capital physique (la valeur de la machinerie et de l’équipement des entreprises ainsi que la valeur des infrastructures utilisées pour la production) et le travail effectif (le nombre de travailleurs, les heures travaillées et une mesure de qualité de la main-d’oeuvre). Le capital physique est un bien composite des six biens régionaux, de sorte que l’investissement génère une demande indirecte pour les biens finaux. Les titres de propriété sur le capital et les obligations gouvernementales sont les deux types d’actifs présents dans l’économie. Les hypothèses de substitution et de mobilité parfaite des capitaux garantissent un taux d’intérêt unique entre les régions.

Dans chacune des régions et à chaque période, il y a quinze générations imbriquées d’individus d’âge adulte. Chaque cohorte comprend également un individu représentatif né au Canada et un individu représentatif né à l’étranger. Chaque Canadien d’origine et chaque immigrant se distinguent également par leurs caractéristiques sur le marché de travail, selon le niveau de qualification (travailleur hautement, moyennement, faiblement qualifié ou individu inactif) ou si l’individu est à la retraite.

Le secteur gouvernemental est représenté par un gouvernement national et six gouvernements régionaux. Chaque niveau de gouvernement collecte des impôts sur le revenu du travail, du capital et sur les dépenses de consommation. Les dépenses gouvernementales se divisent en trois composantes : la santé, l’éducation et les autres dépenses gouvernementales. Le gouvernement national effectue des transferts aux gouvernements régionaux et les deux niveaux de gouvernement redistribuent des parts de ces transferts aux individus. Le système de pension public comprend deux volets. Le premier, le Régime de sécurité de la vieillesse est un programme de transfert national aux retraités et est financé à partir de l’ensemble des impôts. Le second volet comprend la Régie des rentes du Québec (RRQ) et le Régime des pensions du Canada (RPC) pour le reste du Canada; ils sont financés par des cotisations payées par les employeurs et les employés.

État stationnaire et choc démographique

Pour chacune des économies régionales, nous générons à l’aide du modèle deux états stationnaires, le premier état stationnaire suppose qu’il n’y a pas de changement démographique. En effet, puisque le modèle est dynamique, l’équilibre initial est en fait un état stationnaire qui se répète à chaque période et où la population de 2001 demeure inchangée. Dans ce scénario d’équilibre initial, nous supposons également que l’âge effectif de la retraite va demeurer inchangé au cours de la période de simulation par rapport au niveau observé en 2001 dans chacune des régions. Les paramètres sont présentés en annexe. Nous appliquons ensuite l’hypothèse du choc du vieillissement démographique correspondant à notre scénario de référence, à partir des hypothèses exposées précédemment et comparons les deux résultats. Par la suite, nous appliquons d’autres scénarios alternatifs en modifiant une ou des hypothèses pour fin d’analyse de politiques.

Résultats de la simulation

Cette section se penche sur l’ensemble des résultats de la simulation obtenus à l’aide du modèle régional appliqué à cycle de vie. Dans un premier temps, nous présentons les résultats du scénario de référence de l’impact économique du vieillissement démographique au Québec en comparaison avec les résultats obtenus pour l’Ontario et le Canada. Dans un deuxième temps, nous présentons l’impact de trois scénarios alternatifs de politique pour le Québec visant à amoindrir les effets négatifs de ce vieillissement.

Scénario de référence

L’impact économique du vieillissement démographique est présenté dans le tableau 5 pour le Québec, l’Ontario et le Canada, tandis que la figure 5 qui suit indique les résultats comparés sur le PIB réel par habitant. Tout d’abord, selon les simulations, l’impact à long terme du vieillissement sur le PIB réel par habitant est négatif et nettement plus accentué au Québec, en comparaison avec les résultats de l’Ontario et du Canada. Suivant ce résultat, la baisse du PIB réel par habitant, par rapport à une situation sans vieillissement démographique, serait de près de 7 % dès 2026, 12,3 % en 2034 et 22,7 % en 2050. Cela correspond à une baisse de la croissance moyenne de 0.5 point de pourcentage entre 2002 et 2050.

La baisse du PIB réel par habitant est beaucoup plus modeste en Ontario et au Canada, 5,5 % et 10,7 % respectivement en 2050. Le principal facteur qui explique la baisse du PIB par habitant est l’impact négatif du vieillissement sur la quantité de main-d’oeuvre qui diminue par rapport à un scénario sans changement démographique. En effet, la main-d’oeuvre effective (mesure qui prend également en compte la productivité de la main-d’oeuvre selon l’expérience et le niveau de qualification) diminue de 15,9 % en 2026 et de 43,8 % en 2050 au Québec. En comparaison, la main-d’oeuvre effective augmente en Ontario jusqu’à 2026, puis diminue par la suite d’environ 30,8 % en 2050. L’autre facteur qui contribue également à la baisse du PIB par habitant est la baisse du taux d’investissement qui diminue de 4,7 points de pourcentage en 2026 et de 10,6 points de pourcentage en 2050 au Québec. L’amplitude de la baisse est un peu moindre en Ontario, mais similaire à plus long terme.

Plusieurs raisons expliquent la baisse plus rapide de la main-d’oeuvre effective au Québec par rapport à l’Ontario. Tout d’abord, si l’on revoit la figure 4 en première partie, le rapport de dépendance des personnes âgées augmente beaucoup plus rapidement au Québec qu’en Ontario. En effet, ­l’Ontario profite d’un plus grand afflux d’immigrants provenant du reste du Canada et de l’étranger lui permettant d’amoindrir les changements démographiques. Ensuite, l’âge effectif de la retraite est maintenu à 59,7 ans au Québec au cours de la simulation par rapport à 61,5 ans en Ontario, ce qui implique un taux de retraite plus élevé au Québec. Enfin, la part de la main-d’oeuvre hautement qualifiée au Québec est plus faible et une part beaucoup plus grande de la population d’âge adulte est inactive par rapport à l’Ontario et au reste du Canada (voir le tableau 3 en première partie). Tous ces facteurs mis ensemble contribuent à une plus forte baisse du PIB réel par habitant au Québec.

Figure 5

Impact du vieillissement démographique sur le PIB par habitant, ­Québec, Ontario, Canada

Impact du vieillissement démographique sur le PIB par habitant, ­Québec, Ontario, Canada

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs

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Tableau 5

Scénario de référence de l’impact économique du vieillissement ­démographique, Québec, Ontario et Canada

Scénario de référence de l’impact économique du vieillissement ­démographique, Québec, Ontario et Canada

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs

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Le choc démographique causé par le vieillissement de la population mène également à une hausse du rapport capital-travail. Bien que le taux d’investissement diminue, la baisse de la main-d’oeuvre effective est beaucoup plus forte que la baisse du stock de capital physique des entreprises. En conséquence, le vieillissement démographique entraîne une hausse de l’intensité du capital, c’est-à-dire que pour chaque unité de main-d’oeuvre, il existe plus de capital physique disponible. La hausse de l’intensité du capital entraîne par la suite une augmentation de la productivité du travail, ce qui permet d’amenuiser dans une certaine mesure les effets négatifs du vieillissement de la main-d’oeuvre. Enfin, compte tenu que cette dernière devient beaucoup plus rare, le taux de salaire augmente de façon significative au Québec. Le taux de salaire augmente également en Ontario, mais à un rythme beaucoup plus modeste.

Dans le scénario initial, nous formulons l’hypothèse selon laquelle les gouvernements maintiennent la dette publique par habitant inchangée, par rapport à un scénario sans vieillissement, et ajustent leur taux effectif d’imposition des revenus d’emploi. Ainsi, le taux d’imposition augmente de 0,9 point de pourcentage en 2026 et de 4,2 points de pourcentage en 2050 au Québec afin d’éviter une hausse de la dette par habitant. En comparaison, la hausse du taux d’imposition n’est que de 2,1 points de pourcentage en Ontario en 2050. Le Canada profite lui d’une assiette fiscale plus grande et d’une économie diversifiée faisant que le taux d’imposition effectif des revenus d’emploi n’augmente que de 1,8 point de pourcentage en 2050.

Changements de politique

Nous examinons à présent divers scénarios de politiques visant à amoindrir l’impact économique du vieillissement démographique au Québec au cours des prochaines décennies.

Prolongation de la vie active

Selon les données présentées dans le tableau 2 en première partie, le Québec affiche le plus bas âge effectif de retraite par rapport au reste du Canada. Si cette tendance se maintient, le départ anticipé à la retraite impliquerait une réduction de l’offre de travail et de la production, ce qui pose d’ores et déjà d’importants défis en matière de politique. Dans le contexte démographique prévu pour les prochaines décennies, de plus en plus de gens vont atteindre le groupe d’âge des 55-64 ans. Ainsi, le choc négatif sur la quantité de main-d’oeuvre attribuable à la retraite anticipée s’intensifiera dans le futur.

Pour traiter cette question, nous avons utilisé le modèle d’équilibre général afin d’évaluer l’impact de la prolongation de l’âge de la vie active pour le Québec. Deux scénarios sont envisagés. Le premier scénario estime l’effet marginal du report de l’âge effectif de la retraite de 59.7 ans vers la moyenne canadienne initiale, soit 61.2 ans. Le second scénario présume que l’âge effectif de la retraite augmente graduellement jusqu’à 65 ans d’ici 2014 et demeure inchangé par la suite. Le tableau 6 présente un sommaire des résultats en comparaison avec le scénario initial.

Tout d’abord, l’effet marginal du prolongement de la vie active vers la moyenne canadienne initiale permet d’amoindrir, dans une certaine mesure, la baisse de la main-d’oeuvre effective par rapport au scénario initial. Ceci contribue à réduire la baisse du PIB réel par habitant d’environ quatre points de pourcentage, en moyenne, au cours des prochaines décennies. La prolongation de la vie active vers la moyenne canadienne initiale conduit également à une hausse plus faible du rapport capital-travail. L’impact de la hausse de la quantité de travailleurs plus âgés entraîne une hausse un peu plus modeste du taux de salaire par rapport au scénario initial. De plus, le report de la retraite réduit quelque peu les pressions sur les finances publiques, permettant ainsi de ralentir la hausse du taux d’imposition effectif des revenus d’emploi.

Tableau 6

Prolongation de l’âge de la vie active au Québec

Prolongation de l’âge de la vie active au Québec

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs

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L’impact du prolongement de la vie active jusqu’à 65 ans contribue à une hausse substantielle de la quantité de main-d’oeuvre par rapport au scénario initial. Par exemple, la main-d’oeuvre effective augmente de 6,7 % et 5,4 % en 2010 et 2018 comparativement à une légère hausse de 0,3 % en 2010 et à une baisse de 5,3 % en 2018 dans le scénario initial. Toutefois, à plus long terme, le prolongement de la vie active ne permet pas d’éviter une baisse de la main-d’oeuvre effective par rapport à un scénario sans vieillissement.

L’impact de ce scénario optimiste a pour conséquence de hausser le PIB réel par habitant de manière importante par rapport au scénario initial ou face à une situation sans vieillissement démographique (figure 6). Le PIB réel par habitant augmente de 7 % entre 2002 et 2018 et demeure plus élevé qu’à l’état stationnaire sans vieillissement jusqu’en 2038 environ. Cependant, à plus long terme, la baisse du PIB ne peut être évitée. De plus, le PIB réel par habitant diminue de près de 16 % entre 2018 et 2050.

Figure 6

Impact de la prolongation de l’âge de la vie active au Québec sur le PIB réel par habitant

Impact de la prolongation de l’âge de la vie active au Québec sur le PIB réel par habitant

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs.

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Augmentation de la part des immigrants

Bien que le Québec reçoive le plus grand nombre d’immigrants après l’Ontario, la proportion reçue demeure nettement en dessous de sa taille relative par rapport à la population canadienne. Par exemple, en 2001, le Québec a accueilli 14 % des nouveaux immigrants alors que son poids dans la population canadienne atteignait 24 %. En comparaison, l’Ontario a reçu 55 % des nouveaux immigrants au cours de la même année tandis que sa population représentait 38 % de la population canadienne.

Dans ce nouveau scénario, nous supposons qu’à partir de 2006 le Québec reçoit une proportion plus importante d’immigrants correspondant à sa taille relative (24 %) dans la population canadienne, la composition des quali­fications des nouveaux immigrants demeure quant à elle inchangée. Nous supposons également que le nombre total d’immigrants venant s’établir dans le reste du Canada demeure inchangé par rapport au scénario initial.

Ainsi, comme on peut le constater dans le tableau 7, l’augmentation du nombre d’immigrants au Québec, selon ce scénario, entraîne une hausse graduelle de la main-d’oeuvre effective par rapport au scénario initial. Cette hausse est toutefois nettement insuffisante pour éviter une baisse substantielle de la quantité de main-d’oeuvre par rapport à un scénario sans vieillissement. Néanmoins, la main-d’oeuvre effective est plus élevée de 7 % en 2034 et de 11 % en 2050 par rapport au scénario initial. L’augmentation de la main-d’oeuvre provenant de la hausse de l’immigration permet de diminuer l’impact du vieillissement démographique sur le PIB par habitant de trois points de pourcentage en 2050.

Si la hausse de l’immigration permet d’amoindrir quelque peu la baisse de la main-d’oeuvre et de hausser la capacité productive, l’impact sur les finances publiques demeure cependant négatif. En effet, comparé au scénario initial, le taux effectif d’imposition des revenus d’emploi augmente plus rapidement afin de maintenir le rapport dette par habitant inchangé. Ce résultat s’explique de la façon suivante. Étant donné que l’on pose l’hypothèse que la composition des qualifications des nouveaux immigrants ne change pas par rapport au niveau de 2001, la hausse de l’immigration est aussi accompagnée d’une augmentation du nombre et de la proportion des inactifs, ce qui a pour conséquence d’accroître les dépenses de transfert aux individus. Ainsi, dans le but d’éviter une détérioration de la situation financière du gouvernement ou de contribuer à améliorer la situation financière, ce résultat laisse supposer qu’une hausse du nombre d’immigrants doit aussi être accompagnée d’une politique de sélection de travailleurs immigrants qualifiés et d’une politique soutenue d’intégration des immigrants[8]. Sans ces deux compléments, une hausse de l’immigration risque d’entraîner une détérioration des finances publiques québécoises.

Tableau 7

Augmentation de la part des immigrants et diminution de la part des inactifs

Augmentation de la part des immigrants et diminution de la part des inactifs

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs

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Réduction de la proportion des inactifs

Dans ce scénario, nous examinons l’hypothèse selon laquelle le Québec vise à éliminer l’écart du taux d’aide sociale existant avec le Canada d’ici 2050. Nous supposons également que les inactifs qui intègrent le marché du travail au Québec se trouvent un emploi faiblement qualifié. Ainsi, la hausse de l’offre de travail provient d’une hausse des emplois faiblement qualifiés.

L’impact de ce scénario est présenté dans le tableau 7, ci-dessus. Comme on peut le constater, ce scénario entraîne une baisse plus graduelle de la quantité de main-d’oeuvre par rapport au scénario initial. La réduction de l’aide sociale mène aussi à une hausse du taux d’épargne, de l’investissement et du rapport capital/travail. En fait, à plus long terme, la hausse de l’intensité du capital est nettement plus grande que dans tous les autres scénarios.

L’impact sur le PIB par habitant est de même très appréciable. En effet, le PIB par habitant augmente entre 2006 et 2022, puis diminue à un rythme plus lent que dans le scénario initial. En 2050, la baisse du PIB par habitant est de 8,6 % par rapport à 22,7 % dans le scénario initial (voir aussi la figure 7). La baisse du nombre des inactifs conduit également à une baisse significative des dépenses de transfert et à une augmentation des recettes de taxation pour les gouvernements du Québec et du Canada. Ainsi, la hausse du taux effectif d’imposition des revenus d’emploi, due aux pressions du vieillissement, est beaucoup plus lente que dans le scénario initial et aide à stimuler l’épargne.

Figure 7

Impact d’une augmentation du nombre d’immigrants et d’une réduction des inactifs sur le PIB réel par habitant

Impact d’une augmentation du nombre d’immigrants et d’une réduction des inactifs sur le PIB réel par habitant

Changement en pourcentage par rapport à un scénario sans vieillissement démographique

Source : résultats de la simulation, calculs des auteurs

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Finalement, la hausse de la quantité de main-d’oeuvre réduit de manière importante les pressions sur le marché du travail menant à une hausse plus modérée du taux de salaire. Dans ce contexte, l’impact négatif sur les salaires, qui touche essentiellement les travailleurs situés au bas de l’échelle des qualifications, contribue à augmenter l’écart salarial entre les travailleurs hautement qualifiés et les plus faiblement qualifiés.

Conclusion

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact économique potentiel du vieillissement démographique au Québec et d’examiner des scénarios de politiques visant à amoindrir ses effets sur le PIB par habitant.

En résumé, selon les hypothèses démographiques courantes, le Québec devrait connaître un vieillissement plus rapide de sa population et une hausse beaucoup plus marquée de la part de sa population plus âgée au cours des prochaines décennies par rapport à la moyenne canadienne. Par ailleurs, nous avons constaté, selon les tendances récentes, que les travailleurs et travailleuses au Québec prenaient leur retraite plus tôt et qu’une proportion plus importante d’individus d’âge adulte restaient inactifs par rapport au reste du Canada.

Selon nos résultats d’analyse, si toutes ces conditions demeurent, le choc démographique appréhendé pourrait entraîner une baisse du PIB par habitant au moins deux fois plus grande au Québec qu’au Canada et quatre fois plus grande qu’en Ontario. Ainsi, cette baisse pourrait atteindre 22,7 % entre 2002 et 2050 par rapport à un scénario sans vieillissement démographique. Cela équivaudrait à une baisse de la croissance moyenne d’environ 0,5 point de pourcentage au cours de la même période.

Parmi les options de politiques envisagées, deux scénarios paraissent encourageants : soit, inciter les travailleurs âgés à demeurer plus longtemps sur le marché du travail ou accroître la participation des individus vivant de l’aide sociale au marché du travail. En effet, selon les résultats du modèle, combiner les objectifs visant à hausser l’âge effectif de la retraite vers la moyenne nationale et à réduire le taux d’aide sociale pour atteindre le taux canadien au moyen de politiques de réinsertion au travail pourrait amoindrir l’effet du vieillissement démographique sur le PIB par habitant. Ces deux scénarios ne paraissent pas irréalistes puisque ces objectifs ont déjà été atteints dans le reste du Canada.

D’un autre côté, nous avons démontré que le scénario portant sur l’augmentation du nombre d’immigrants peut contribuer dans une certaine mesure à soutenir la croissance, mais les bénéfices paraissent nettement plus faibles. De plus, il existe des limites à attirer des travailleurs immigrants qualifiés dans une conjoncture où le Québec sera de plus en plus en concurrence avec le reste du Canada et les autres pays industrialisés pour atteindre cet objectif.

En définitive, quoique les conséquences à long terme du vieillissement démographique sur la croissance du niveau de vie paraissent beaucoup plus sérieuses au Québec que dans le reste du Canada, il n’en demeure pas moins que des options de politiques existent et qu’il n’est pas trop tard pour renverser certaines tendances observées concernant l’offre de main-d’oeuvre des travailleurs âgés et le taux d’activité en général.