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Mise en contexte

C’est avec la mort du général Franco, le 20 novembre 1975, que l’Espagne, pays le plus fermé d’Europe de l’Ouest va se transformer et s’ouvrir à la dynamique européenne tout en répondant aux aspirations régionales. Pendant près de quarante ans, la dictature franquiste prôna non seulement l’obéissance à l’église et à l’armée, mais imposa un nationalisme qui interdisait toute forme de régionalisme. De ce fait, le drapeau, la langue ainsi que les traditions ou coutumes régionales étaient formellement interdits. Même si dans les faits, dès les années 1950-1960, un retour de la langue basque se fit sentir, il faudra attendre 1978 pour une reconnaissance officielle (Siguán, 1992).

C’est pour rompre définitivement avec la dictature que la nouvelle Constitution espagnole de 1978, tout en faisant de l’unité nationale un principe suprême, va réorganiser l’Espagne sous forme d’un État d’autonomies (Colin, 1988). La Constitution offre aux Communautés autonomes de larges pouvoirs et reconnaît la légitimité des langues régionales, notamment le basque, le catalan, le galicien et l’aranais, qui sont désormais des langues officielles[1] en Espagne au même titre que l’espagnol (Vernet i Llobet, 1994).

Situé à cheval entre l’Espagne et la France, le Pays Basque, dit Euskal Herria en langue basque, comprend sept territoires (voir annexe 1) : d’une part, les trois provinces d’Alava, de Biscaye et de Guipuzcoa constituent la Communauté autonome du Pays Basque (CAPB), auxquelles s’ajoute la province de Navarre pour former en sol espagnol le Pays Basque sud. D’autre part, il comprend les trois provinces situées au nord des Pyrénées, le Labourd, la Soule et la Basse Navarre, qui constituent le Pays Basque nord ou Pays Basque français, également dit Iparralde en langue basque. Ainsi, dépourvu d’unité administrative, le territoire forme pourtant un ensemble unique, doté d’une culture et d’une identité particulière, dont la langue basque, dite euskera, est un élément essentiel (Joly, 2004).

Le Pays Basque occupe depuis toujours une place à part au sein de l’Espagne. Il a joui par le passé de nombreux privilèges notamment grâce aux fueros (fors), sortes de chartes instituées dès le ixe siècle[2], qui accordaient des droits et des libertés aux Basques. Ce territoire dispose aujourd’hui d’un très large degré d’autonomie, ce qui lui confère une place à part au sein de l’État d’autonomies. Ainsi, dans la Communauté autonome du Pays Basque et dans une partie de la Communauté Forale de Navarre coexistent depuis 1978 deux langues officielles : l’espagnol et le basque[3], langue propre à la région. Contrairement aux autres langues régionales, le basque a des origines mystérieuses (Zallo, 2006). De nombreuses hypothèses circulent quant à sa provenance, mais aucune n’a été scientifiquement prouvée, même si des rapprochements avec d’autres langues ont été faits (Morvan, 1996), on sait uniquement que le basque ne provient ni du latin, ni des langues indo-européennes. Les données génétiques indiquent que les Basques ont conservé des traits caractéristiques des populations paléolithiques qui peuplaient le sud-ouest de la France et le nord de l’Espagne quarante à cinquante mille ans auparavant, avant l’installation des populations néolithiques porteuses des langues indo-européennes (il y a environ 8 000 ans). On peut donc penser que la langue basque existait bien avant l’arrivée des Indo-européens, même si nous ignorons à quoi elle ressemblait alors (les premiers témoignages de sa présence datent d’il y a 2 000 ans et il semble que la langue se soit très peu modifiée depuis ses débuts).

La langue basque se parle donc dans la CAPB ainsi que dans une partie du territoire de la Communauté Forale de Navarre, plus précisément dans la zone dite « bascophone » de Navarre, où elle bénéficie du statut de langue officielle au même titre que l’espagnol. Elle se parle également dans le Pays Basque nord, situé à l’extrême sud-ouest de la France dans le département des Pyrénées-Atlantiques, mais où elle n’a aucune reconnaissance officielle[4] (Urteaga, 2004).

Il reste à savoir si cette légitimation officielle de la langue basque dans la Constitution espagnole de 1978 a été suivie dans les faits par une pratique croissante de la langue, ou n’est restée que purement théorique. Une analyse de l’évolution de la connaissance globale du basque dans l’ensemble de la population va nous permettre de voir que la langue basque connaît un regain chez les jeunes générations (Service central des publications du Gouvernement basque, 1995). On s’interrogera alors sur l’importance des rôles respectifs de l’école et de la famille dans la transmission de cette langue. Nous effectuerons ensuite — à des fins illustratives — des projections de la population et de la connaissance de la langue basque dans la population, selon des hypothèses politiques (école) et sociales (famille) favorables à l’apprentissage de la langue. Nous verrons alors que les mouvements de la population (naturels et migratoires) tiennent dans ce contexte un rôle non négligeable dans la transmission du basque.

De par son statut de langue officielle, le basque est dispensé dans les établissements d’enseignement publics au sein de la CAPB ainsi que dans la partie bascophone de Navarre. Par contre, dans le Pays Basque français où il n’est pas considéré comme une langue officielle par l’État français, l’enseignement se fait uniquement au sein des ikastolas qui sont des centres privés d’enseignement du basque (ils ne reçoivent aucune subvention des institutions françaises). Ainsi, les données disponibles se limitent à la partie espagnole du Pays Basque (voir encadré), c’est pourquoi notre étude portera exclusivement sur la transmission de la langue basque au sein de la CAPB[5].

Les sources de données

Les données démographiques, telles que les effectifs de population de la Communauté autonome du Pays Basque, les indices conjoncturels de fécondité, l’espérance de vie à la naissance, notamment, proviennent de l’Institut national de statistiques espagnol (INE) et de l’Institut basque de statistiques (EUSTAT).

Les données relatives à la linguistique nous ont été transmises par EUSTAT et résultent d’un côté, des questions démolinguistiques posées lors des recensements (Censo de Población y Viviendas) de 1991 et 2001 et de l’autre, de la statistique de la population et des logements (Estadística de Población y Viviendas) effectuée entre chaque recensement, c’est-à-dire en 1986, 1996 et 2006. Cette statistique se base sur le registre de population d’EUSTAT et combine différentes sources administratives. Cette actualisation des données entre chaque recensement est le fruit de la collaboration avec de nombreuses administrations qui fournissent des fichiers administratifs : des départements du gouvernement basque (département de l’éducation, département de la culture, département du logement…), des départements du gouvernement central (trésorerie générale de la sécurité sociale, service public de l’emploi…) et des conseils provinciaux (le cadastre et les ministères du Trésor et des Finances).

Trois questions sont posées lors du recensement. La première question concerne le niveau de connaissance du basque. Les personnes interrogées peuvent répondre : bien, avec difficulté ou mal aux quatre sous-questions suivantes : comprenez-vous le basque ? Parlez-vous le basque ? Lisez-vous le basque ? Écrivez-vous le basque ?

Sur la base des réponses à ces quatre sous-questions, EUSTAT a créé une typologie du niveau de la connaissance du basque. Cette typologie, utilisée dans cet article, permet de distinguer :

  • les euskaldunes[6] qui comprennent, parlent, lisent et écrivent bien le basque, et qui ont donc une bonne connaissance du basque ;

  • les quasi-euskaldunes[7] qui comprennent bien le basque ou avec difficulté, le parle bien ou avec difficulté, savent le lire et l’écrire bien ou avec difficulté, et qui ont donc une connaissance moyenne du basque ;

  • les erdaldunes[8] qui ne comprennent pas et ne parlent pas le basque.

Dans cet article, nous considérons que les euskaldunes et les quasi-euskaldunes connaissent le basque, par opposition aux erdaldunes qui ne connaissent pas la langue.

La deuxième question porte sur la langue maternelle : quelle est la première langue que vous avez apprise avant l’âge de trois ans ? Les réponses possibles sont : le basque, l’espagnol, les deux, ou une autre.

La troisième et dernière question concerne la langue parlée à la maison : quelle est la langue que vous parlez le plus à la maison ? Les réponses possibles sont : le basque, l’espagnol, les deux, ou une autre.

Dans cet article, nous ne nous intéressons qu’aux questions relatives à la connaissance du basque et à la langue maternelle et non à celle de la langue le plus parlée à la maison, car nous étudions uniquement la dynamique de transmission de la langue.

La connaissance de la langue basque dans la Communauté autonome du Pays Basque

Préalablement à l’étude de la connaissance de la langue basque, il est nécessaire de faire le point sur l’évolution démographique de la population qui explique partiellement la situation de la langue dans la CAPB.

L’évolution démographique de la population dans la CAPB

Depuis plus d’un siècle, la CAPB a connu une évolution positive de sa population, et ce, jusqu’au milieu des années 1980 — où elle atteint son niveau le plus élevé avec près de 2 150 000 habitants, contre un effectif d’environ 280 000 en 1840 et 1 000 000 au milieu des années 1940 — puis elle s’est mise à décroître pour atteindre en 2000, avec environ 2 070 000 résidents, l’effectif qui était le sien à la fin des années 1970 (voir graphique 1). Si la population a cru de 15 % entre 1971 et 1984, elle a néanmoins diminué de 3,5 % entre 1984 et 2000. Depuis, la population connaît une nouvelle hausse.

Graphique 1

Évolution de la population de la CAPB de 1971 à 2007 (en milliers)

Évolution de la population de la CAPB de 1971 à 2007 (en milliers)
Source : Institut national de statistiques espagnol (I.N.E.). Traitement : Béatrice Valdes (B.V.) et Jérôme Tourbeaux (J.T.)

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Parallèlement à cette évolution, la structure par âge de la population de la CAPB s’est profondément modifiée : la part des plus jeunes s’est considérablement réduite au profit des adultes et des personnes les plus âgées. En effet, si entre les recensements de 1971 et 1981 la répartition par âge de la population est restée relativement stable, entre 1981 et 2006, la part des 0-19 ans a diminué de moitié, passant de 34 à 17 %. Au contraire, au cours de cette même période, le poids des adultes de 20-59 ans et des plus de 60 ans a augmenté, représentant respectivement 53 et 13 % de la population en 1981, contre 59 et 24 % en 2006.

Cette évolution de la population est le fruit de la combinaison de trois phénomènes, en l’occurrence, la mortalité, les migrations et la fécondité.

  • La baisse de la mortalité : l’espérance de vie au sein de la CAPB est en constante augmentation, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. En 2005, avec 77,2 ans pour les hommes et 84,3 ans pour les femmes, elle atteint des niveaux voisins à ceux observés dans les pays développés (EUSTAT, 2005), d’où le vieillissement de la population constaté précédemment. Cet allongement de la vie a profité autant aux hommes qu’aux femmes, car les deux sexes ont quasiment gagné sept années de vie depuis 1975.

  • La chute de la fécondité : l’indice conjoncturel de fécondité (ICF) de la CAPB dépassait le seuil de remplacement des générations (un peu plus de 2 enfants par femme) en 1975 avec près de 2,8 enfants par femme, mais la diminution de la fécondité fut telle que, dès 1979, l’ICF passa en-dessous dudit seuil. Entre 1975 et 1984, le nombre moyen d’enfants par femme a diminué de moitié dans la CAPB. Cette baisse s’est poursuivie jusqu’en 1994 pour atteindre 0,91 enfant par femme. Depuis, on observe une timide reprise de l’indice. Toutefois en 2005, on comptait seulement 1,2 enfant par femme, ce qui est inférieur à ce que l’on a pu observer dans les autres pays développés. Cette faible fécondité pourrait en partie s’expliquer par le fait que, selon une enquête de 2002, seulement 2,4 % des couples de la CAPB vivent ensemble sans être mariés. Or, dans une région où le christianisme — et donc les moeurs sous-jacentes — reste fortement ancré, les naissances hors mariage sont encore peu fréquentes (Muñoz-Pérez, 2003).

  • La question migratoire : alors qu’entre les années 1960 et le début des années 1980, le solde migratoire de la CAPB était positif, le nombre d’émigrés a fini par supplanter celui des immigrés jusqu’en 2000. Depuis, le solde migratoire de la CAPB est redevenu positif (EUSTAT, 2004). Cependant, si la migration a effectivement été défavorable pour ce dernier en termes d’effectifs de population, elle n’a quasiment eu aucun effet sur sa composition par âge (voir graphique 2).

Graphique 2

Pyramide des âges (en %) de la CAPB

Pyramide des âges (en %) de la CAPB
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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En effet, s’il n’y avait pas eu de migration depuis 1981, on compterait près de 2 150 000 habitants en 2001 contre les 2 070 000 recensés. En revanche, la structure par âge aurait été peu modifiée, soit à peine plus de jeunes (18 %) et d’adultes (61 %), et un peu moins de vieux (21 %). Il en résulte qu’en 2001, 73 % de la population de la CAPB y est née. Sous l’effet de l’immigration, c’est parmi les personnes de plus de quarante ans que l’on retrouve la part la plus importante de résidents nés ailleurs que dans la CAPB (voir graphique 3). Pour les personnes qui ont entre 55 et 65 ans, notons qu’un peu moins de la moitié de ces résidents sont natifs de la Communauté, alors que plus de 90 % des moins de 25 ans y sont nés.

Graphique 3

Proportion (%) de résidents de la CAPB en 2001, qui y sont nés

Proportion (%) de résidents de la CAPB en 2001, qui y sont nés
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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La connaissance de la langue basque

Depuis 1986 la population de la CAPB, après avoir connu un léger déclin jusqu’au milieu des années 1990 (- 0,4 % et - 0,25 % annuellement entre 1986 et 1991 et entre 1991 et 1996), s’est stabilisée (- 0,03 % annuellement jusqu’en 2006), toutefois, la part des individus qui connaissent le basque parmi cette population n’a cessé de progresser, avec une hausse annuelle d’environ + 2 % depuis le milieu des années 1980.

Il en découle que la part de la population connaissant le basque est en constante augmentation au fil du temps. Si 42 % de la population de la CAPB prétend connaître cette langue en 1986, c’est le cas de plus de la moitié (51 %) dès 1996 et de 59,5 % en 2006, soit 1 127 000 locuteurs contre 878 000 en 1986. La proportion de ceux connaissant le basque a donc augmenté à tous les âges, sauf chez les plus de soixante ans pour lesquels le phénomène s’inverse (voir graphique 4). En outre, chaque enquête a révélé que les jeunes — les 5-20 ans notamment — sont ceux qui connaissent le plus le basque. Ainsi, en 2006, plus de 90 % des 10-14 ans connaissaient le basque alors que ce n’était le cas que de 65 % d’entre eux en 1986.

Graphique 4

Proportion (%) de la population de la CAPB connaissant le basque, selon le groupe d’âge

Proportion (%) de la population de la CAPB connaissant le basque, selon le groupe d’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Le niveau de connaissance du basque

Le degré de connaissance du basque sur lequel porte notre analyse est fondé sur le critère du « niveau de connaissance du basque » prédéfini dans l’enquête sociolinguistique, à partir de laquelle a été conçue notre étude (voir la section sources de données).

Au sein de la population de la CAPB, on recense une plus forte proportion d’individus ayant une bonne connaissance du basque (environ 60 % pour chaque enquête) par rapport à ceux en ayant une mauvaise. Cependant, la part des individus ayant une bonne connaissance du basque (dits euskaldunes) parmi ceux connaissant le basque varie non seulement selon l’âge, mais également au fil des enquêtes (voir graphique 5).

Graphique 5

Proportion (%) d’euskaldunes parmi la population de la CAPB connaissant le basque, selon le groupe d’âge

Proportion (%) d’euskaldunes parmi la population de la CAPB connaissant le basque, selon le groupe d’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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On peut ainsi distinguer deux groupes selon l’âge. Pour les moins de vingt ans, plus l’enquête est récente, plus le niveau de connaissance du basque est élevé : en 2006, plus de 80 % des 5-14 ans parlant le basque ont une excellente connaissance de la langue contre moins de la moitié en 1986. À partir de vingt ans, c’est l’inverse, la proportion d’euskaldunes diminue au fil des enquêtes. Nous devons également souligner que parmi cette population, quelle que soit l’enquête, ce sont les plus âgés qui connaissent le mieux le basque.

Étant donné la faiblesse de la fécondité et donc du déclin de la population originelle, on aurait pu s’attendre à un recul progressif de l’apprentissage de la langue basque dans la CAPB qui constitue l’un des principaux supports du sentiment d’appartenance à la Communauté — il n’en est rien, bien au contraire. Il nous faut désormais appréhender les facteurs d’une telle évolution, c’est-à-dire comprendre pourquoi le niveau global de connaissance du basque atteint de tels sommets chez les jeunes. Pour ce faire, nous allons tenter d’analyser les rôles respectifs de l’école et de la famille dans cet apprentissage. Compte tenu de la forte diminution de la proportion d’adultes ayant une connaissance du basque, alors que celle des jeunes augmente, on peut s’interroger sur le rôle de la famille dans la diffusion des langues suite à l’introduction des langues régionales dans l’enseignement en 1982.

L’apprentissage de la langue

Le rôle de l’école

La reconnaissance du caractère officiel de la langue basque par la Constitution espagnole de 1978 a été complétée par une loi du 24 novembre 1982[9] qui reconnaît à chaque élève le droit de recevoir un enseignement en basque ou en espagnol, tout au long de l’enseignement non universitaire, en prenant comme référence les modèles d’enseignement bilingues A, B, D ou le modèle d’enseignement X.

La part de ces différents modèles, qui concernent tous les élèves allant du primaire (environ 2 ans) jusqu’au baccalauréat (environ 18 ans), a fortement évolué au fil du temps (voir graphique 6) :

  • le modèle A suivant lequel tout l’enseignement se fait en espagnol, l’euskara représentant ici une discipline au choix parmi d’autres, a vu sa part fortement chuter du fait du rejet de l’enseignement majoritairement espagnol (passant de 72 à 28 % de 1986 à 2006) ;

  • le modèle B dans lequel l’enseignement est parfaitement bilingue, puisque les enseignements sont présentés tantôt en espagnol, tantôt en basque pour moitié, trouve son public (passant de 10 à 21 % entre 1986 et 2006) ;

  • le modèle D selon lequel tout l’enseignement se fait en basque, la langue castillane (espagnol) représentant ici une discipline au choix parmi d’autres, est en très forte augmentation (passant de 15 à 50 % entre 1986 et 2006) ;

  • enfin, le modèle X, seul modèle qui ne soit pas bilingue puisque l’enseignement se fait exclusivement en espagnol, est quasi inexistant (passant de 2 à 0,5 % entre 1986 et 2006).

Graphique 6

Part (%) de chaque modèle d’enseignement dans la CAPB

Part (%) de chaque modèle d’enseignement dans la CAPB
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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L’enseignement non universitaire dans la CAPB est donc passé d’un modèle franchement ancré dans la langue de Cervantès (74 % en 1986) à un modèle privilégiant la langue basque (71 % en 2006).

Notons enfin un déclin de la part de cette population scolarisée chez l’ensemble des résidents de la CAPB parallèlement à l’évolution constatée, étant donné que la population scolaire passe de 25 à 14 % de la population totale entre 1986 et 2006.

Ainsi, alors que la population totale de la CAPB s’est stabilisée depuis le milieu des années 1990, la population scolaire est, elle, en plein déclin, à cause de la diminution de la part des moins de vingt ans. Or, cette dernière parle de plus en plus le basque, à l’instar de l’ensemble de la population de la Communauté.

Le rôle de la famille

Pour analyser le rôle de la famille dans l’apprentissage de la langue basque, nous avons retenu comme critère de différenciation la langue maternelle de chaque individu, c’est-à-dire la première langue apprise dans la petite enfance, jusqu’à l’âge de trois ans. On distingue de cette façon les personnes ayant appris dans leur petite enfance soit uniquement la langue basque, soit exclusivement l’espagnol, soit celles qui ont appris de façon simultanée le basque et l’espagnol ou celles qui n’ont appris ni le basque ni l’espagnol.

Il apparaît que la répartition de la population selon la langue maternelle demeure stable entre 1986 et 2006, avec une prépondérance de la part des individus ayant appris exclusivement l’espagnol dans leur petite enfance (autour de 75 %), suivis de ceux ayant appris uniquement le basque (20 %), puis de bilingues (4 %). Le reste, c’est-à-dire les personnes ayant appris une autre langue que le basque ou l’espagnol, est marginal (moins de 2 %).

Or, on a vu que de 40 à 55 % de la population de la CAPB, selon l’année, connaît le basque pour la même période. Certains individus (de 15 à 30 % environ) l’ont donc appris après l’âge de trois ans, probablement en dehors de la famille, c’est-à-dire à l’école.

En analysant âge par âge la distribution de la population selon la langue maternelle, on note que chez les moins de 20 ans, la part du basque en tant que langue maternelle augmente au fil des enquêtes, notamment chez les plus jeunes, passant de 16 à 22,5 % de 1986 à 2006 pour les enfants de moins de 15 ans[10] (voir graphique 7). C’est l’inverse pour les plus de 50 ans, chez qui la part du basque en tant que langue maternelle diminue.

Graphique 7

Proportion (%) de la population de la CAPB ayant pour langue maternelle le basque, selon l’âge

Proportion (%) de la population de la CAPB ayant pour langue maternelle le basque, selon l’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Du coup, à l’inverse de cette évolution de la part du basque comme langue maternelle, on observe une diminution de l’espagnol comme première langue apprise avant l’âge de trois ans pour les plus jeunes et une hausse de cette part pour les plus âgés (voir graphique 8).

Graphique 8

Proportion (%) de la population de la CAPB ayant pour langue maternelle l’espagnol, selon l’âge

Proportion (%) de la population de la CAPB ayant pour langue maternelle l’espagnol, selon l’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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L’origine des bascophones

Tout d’abord, s’agissant de l’origine des individus selon leur langue maternelle, la part des résidents de la CAPB qui n’y sont pas nés et qui ont comme langue maternelle le basque est marginale (environ 1 %, quelle que soit la période). La grande majorité de ces derniers — plus de 90 % — ont appris l’espagnol en bas âge (voir tableau 1). C’est également le cas pour les personnes nées dans la Communauté, mais à un niveau moindre (les 2/3). En revanche, la part de bascophones est plus élevée avec 1/3 de cette population ayant appris le basque avant l’âge de trois ans (voir tableau 1-bis).

Tableau 1

Part (%) des résidents de la CAPB n’y étant pas nés, selon leur langue maternelle

Part (%) des résidents de la CAPB n’y étant pas nés, selon leur langue maternelle
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Tableau 1-bis

Part (%) des résidents de la CAPB y étant nés, selon leur langue maternelle

Part (%) des résidents de la CAPB y étant nés, selon leur langue maternelle
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Pourtant, en ce qui concerne l’origine des individus selon leur niveau de connaissance du basque, il est notable que la part de la population de la CAPB qui n’y est pas née et n’ayant aucune affinité avec le basque soit toujours inférieure (moins de 90 %) à celle qui déclare avoir eu uniquement le castillan comme langue maternelle (plus de 90 %). Cela signifie que l’apprentissage du basque s’est opéré après l’âge de trois ans, soit à l’école ou dans une école de langues. En outre, la part d’erdaldunes (variant de 89 à 71 % en 20 ans) parmi cette population a tendance à se réduire plus rapidement que celle ayant uniquement l’espagnol comme langue maternelle (voir tableau 2).

Tableau 2

Part (%) des résidents de la CAPB n’y étant pas nés, selon leur niveau de connaissance du basque

Part (%) des résidents de la CAPB n’y étant pas nés, selon leur niveau de connaissance du basque
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Cette évolution est encore plus remarquable pour les résidents nés dans la Communauté (voir tableau 2-bis). En effet, non seulement la proportion des individus qui ont une excellente connaissance de la langue vernaculaire est toujours supérieure à ceux qui l’ont comme langue maternelle, mais aussi, la part d’erdaldunes est en nette diminution (45 % en 1986 contre 29 en 2006), tandis que la part de ceux qui ont seulement appris l’espagnol dans leur petite enfance parmi cette population reste stable (les 2/3).

Tableau 2-bis

Part (%) des résidents de la CAPB y étant nés, selon leur niveau de connaissance du basque

Part (%) des résidents de la CAPB y étant nés, selon leur niveau de connaissance du basque
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Ainsi, la connaissance du basque — et le niveau de maîtrise de la langue — progresse au fil des enquêtes parmi les « étrangers », c’est-à-dire par les non-natifs de la Communauté et les natifs de la CAPB. L’école est en partie responsable de cette évolution. On peut donc s’interroger sur le devenir de l’apprentissage de la langue basque et de l’efficacité, à terme, de l’action conjointe de l’institution scolaire et de la famille.

Le futur de l’apprentissage de la langue basque

Nous allons effectuer des projections sur le devenir de la population de la CAPB et, plus particulièrement, de la population connaissant le basque dans cette Communauté à l’horizon de 2050, puis de 2100. Nous travaillerons en deux temps, tout d’abord en considérant que la population de la CAPB est une population fermée, puis en tenant compte des mouvements migratoires.

Pour ce faire, on considère que la population (y compris immigrante) connaît la même mortalité qu’en 2006 et la même fécondité (1,2 enfant par femme). En outre, on retient comme hypothèses — favorables à l’apprentissage de la langue — que tous les parents qui connaissent le basque le transmettent à leurs enfants, mais aussi que tous les enfants nés dans la Communauté, l’apprennent à l’école. Les enfants de parents basques ou immigrés non bascophones qui ont appris le basque à l’école, l’enseignent donc à leur tour à leurs enfants.

Enfin, nous n’intégrons pas dans notre modèle le fait que les adultes puissent apprendre le basque malgré l’existence de structures qui le permettent. En effet, actuellement un nombre restreint d’individus s’aventurent dans cette entreprise, à cause notamment de la complexité de la langue. Rappelons que le basque est un isolat linguistique sans qu’aucun lien de parenté n’ait pu être établi de façon convaincante avec d’autres groupes linguistiques.

Le devenir de la langue basque dans une population fermée

Si l’enseignement de la langue basque se faisait à la fois par le truchement de la famille et de l’école, la population connaissant le basque diminuerait entre 2006 et 2100 du fait de la réduction de la population totale. En effet, avec un tel ICF dans une population fermée, il ne resterait qu’un peu plus de 600 000 habitants en 2100 (voir graphique 9). Cependant, la totalité de la population devrait connaître le basque, et ce, à tous les âges compte tenu de nos hypothèses (voir graphique 9-bis). Avec ce scénario, dès 2050, la quasi-totalité de la population maîtriserait la langue, à l’exception des plus vieux dont certains n’étaient pas bascophones en 2006. Toutefois, leurs enfants auront appris le basque au cours de leur scolarité. En revanche, avec un ICF supérieur, la population pourrait se stabiliser, voire croître, avec un taux de connaissance du basque équivalent. Dans ce cas, le nombre de bascophones augmenterait.

Graphique 9

Évolution de la population totale de la CAPB et de celle connaissant la langue basque (en milliers)

Évolution de la population totale de la CAPB et de celle connaissant la langue basque (en milliers)

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Graphique 9-bis

Part (%) de la population totale de la CAPB connaissant la langue basque, selon le groupe d’âge

Part (%) de la population totale de la CAPB connaissant la langue basque, selon le groupe d’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Le devenir de la langue basque dans une population ouverte

Pour travailler sous l’hypothèse d’une population ouverte, c’est-à-dire en tenant compte des mouvements migratoires, on utilise la répartition par âge des mouvements migratoires enregistrée lors du recensement de 2001 lorsque l’on a interrogé les habitants de la Communauté sur leur lieu de résidence au recensement précédent, soit en 1991. Il s’agit d’une courbe « classique » de migration, puisque ce sont essentiellement les jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans au recensement, accompagnés de leurs enfants, qui ont migré le plus entre 1991 et 2001 (voir annexe 2).

Ainsi, la prise en compte des mouvements migratoires supposerait, si l’on applique la mortalité et la fécondité de 2006, une stabilisation de la population de la CAPB, mais pas de celle connaissant le basque.

En effet, sous l’effet d’une forte immigration la population bascophone déclinerait si son acquisition se faisait uniquement par transmission intergénérationnelle ou par apprentissage à l’école (voir graphiques 10 et 10-bis). Cela tient au fait que peu d’immigrants connaissent le basque à leur arrivée dans la CAPB et que la grande majorité d’entre eux arrivent après l’âge de quinze ans. Ils n’ont donc pas l’occasion d’acquérir la maîtrise du basque à l’école.

Graphique 10

Évolution de la population totale de la CAPB et de celle connaissant la langue basque (en milliers)

Évolution de la population totale de la CAPB et de celle connaissant la langue basque (en milliers)

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Graphique 10-bis

Part (%) de la population totale de la CAPB connaissant la langue basque, selon le groupe d’âge

Part (%) de la population totale de la CAPB connaissant la langue basque, selon le groupe d’âge
Source : EUSTAT. Traitement : B.V. et J.T.

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Conclusion

Cette étude nous a tout d’abord permis de mettre en évidence que la connaissance du basque au sein de la CAPB augmente depuis que les données de recensement de la population ainsi que la statistique de la population et des logements permettent d’en effectuer des mesures, c’est-à-dire depuis 1986. Ce degré de compréhension semble s’améliorer avec le temps pour les natifs de la Communauté, mais aussi dans une moindre mesure pour les non-natifs. Cependant, pour ces derniers, la difficulté de la langue limite son apprentissage.

Ensuite, il faut noter que les pouvoirs publics se sont partiellement substitués à la famille dans la transmission de ce patrimoine culturel qu’est la langue régionale en rendant son apprentissage obligatoire à l’école. C’est la raison pour laquelle la proportion de non-natifs qui maîtrisent la langue augmente, notamment chez ceux ayant effectué la totalité de leur scolarité dans les écoles de la Communauté. Il en va évidemment de même pour les natifs de la CAPB, que leurs parents maîtrisent ou non la langue.

En fait, dans un contexte de vieillissement de la population et de risque de la voir diminuer à terme, la CAPB devra certainement faciliter la venue de nouveaux résidents afin de conserver une structure par âge favorable d’un point de vue économique (population active). La Communauté fait donc le pari d’intégrer des populations exogènes en leur facilitant l’accès à sa culture, en obligeant leurs enfants à s’en imprégner par l’apprentissage de la langue basque au sein de l’institution scolaire. À terme, ces « nouveaux » locuteurs pourront transmettre à leurs enfants, conjointement avec l’école, une langue qui était étrangère à leurs propres parents. Ils deviendront alors à leur tour les porteurs de l’identité de la Communauté.

Cependant, une trop forte immigration limiterait l’acquisition du basque, que ce soit par transmission intergénérationnelle ou par l’école, et conduirait à la diminution des bascophones, à moins que les immigrants motivés par un puissant désir d’intégration éprouvent le désir ou le besoin de l’apprendre.