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La politique d’immigration vise l’établissement permanent d’une partie importante des candidats, notamment par la sélection économique. L’évaluation de la contribution ultérieure du système scolaire à l’intégration des jeunes est donc essentielle. L’insertion sur le marché du travail est la priorité des immigrants adultes, mais le succès même du projet migratoire repose souvent, à plus long terme, sur la qualité de la relation que leurs enfants sont à même d’établir avec le système scolaire et sur les bénéfices qu’ils en retirent. De plus, étant donné la composition socioéconomique relativement équilibrée des flux migratoires au Canada, toute différence entre les résultats ou les parcours auxquels on pourrait s’attendre chez les jeunes d’origine immigrée [1] et ceux qu’ils atteignent effectivement, doit être examinée avec beaucoup d’attention. Pour la première génération d’immigrants, il est essentiel d’évaluer l’impact spécifique des déficits prémigratoires et des faiblesses de leur accueil au sein du système scolaire. Pour tous, il faut identifier les facteurs qui influencent une expérience éducative plus ou moins positive.

Ce n’est pas tâche facile. Au Canada, l’éducation est sous la juridiction exclusive de dix autorités provinciales dont les structures, politiques et programmes éducatifs diffèrent, ainsi que la manière dont elles colligent leurs données administratives, que celles-ci concernent la population scolaire dans son ensemble ou celle des immigrés. De plus, même si les provinces échangent de l’information et coopèrent au sein du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada, aucune étude comparative et systématique n’a encore porté sur leurs approches ou leurs résultats en matière d’éducation des jeunes d’origine immigrée. Il existe, certes, des données à caractère national, colligées sur une base régulière (telles celles de Statistique Canada) ou ponctuelle (par exemple, l’International Education Achievement) qui permettent de combler partiellement le déficit des connaissances concernant cet enjeu, mais elles présentent diverses limites.

Tout d’abord, ces données concernent généralement les résultats finaux (degré de diplomation, accès au collège ou à l’université, nombre d’années d’études accomplies), ce qui donne peu d’informations sur les cheminements scolaires des élèves et les obstacles spécifiques qu’ils rencontrent à travers leur scolarité obligatoire. Lorsque des données existent sur ce dernier enjeu, elles sont très largement basées sur les perceptions des parents ou des enseignants et non sur les résultats réels aux examens. De plus, ces banques de données, notamment celles à caractère international, ne distinguent pas toujours entre les élèves de première et de deuxième génération. Il est donc difficile d’évaluer la contribution spécifique de la scolarité canadienne à leur succès ou à leur échec face aux atouts ou déficits prémigratoires de leurs familles.

Pour cette raison, un groupe de chercheurs du projet Metropolis [2] a voulu explorer, avec l’aide d’un partenaire fédéral intéressé à cette question (Citoyenneté et Immigration Canada), l’apport potentiel et l’utilisation effective des banques de données provinciales en ce qui concerne la performance et le cheminement scolaires des jeunes d’origine immigrée. Le projet, qui a été mené de novembre 2003 à mars 2004, avait trois objectifs :

  1. réaliser un bilan critique, en ce qui concerne tant la pertinence que la comparabilité, de l’état des données déjà disponibles dans trois provinces canadiennes dans les banques de données administratives relevant des ministères de l’Éducation ou des conseils ou commissions scolaires;

  2. comparer les conclusions des études menées à partir de ces données, en ce qui concerne tant le bilan global de la situation que les facteurs de variation qui l’influencent;

  3. déterminer les lacunes qui existent en ce qui concerne à la fois la connaissance et la compréhension de cet enjeu, afin de commencer à définir les paramètres d’un projet pancanadien plus large.

Étant donné les limites de temps et de ressources, un certain nombre de choix ont été faits. L’analyse porte uniquement sur le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique. La complexité des défis méthodologiques liés à la comparabilité des données et le fait qu’au Canada la majorité des immigrants s’installe dans ces trois provinces justifient cette décision. Mais nous avons l’intention d’inclure davantage de provinces lors d’étapes ultérieures, notamment l’Alberta, où une étude équivalente doit commencer sous peu. Étant donné son angle spécifique, le projet se limite également aux données recueillies par les ministères de l’Éducation ou les conseils ou commissions scolaires et, à l’intérieur de ces données, à la période qui correspond à la scolarisation universelle et obligatoire, soit le primaire et le secondaire. Des enjeux essentiels comme la transition vers le marché du travail ou l’accès aux études supérieures ont donc dû être négligés. Nous souhaitons combler cette limite lors d’études ultérieures.

Afin d’assurer la comparabilité des démarches dans les trois provinces, mais également le respect des spécificités locales, nous avons développé un cadre commun flexible qui a été suivi par les trois équipes de recherche. Celui-ci comprenait une série de dix sous-questions concernant l’évaluation critique des banques de données disponibles, et une série de sept sous-questions concernant les conclusions émanant des études réalisées à partir de ces bases publiées depuis 1994. Le rapport final [3] comprend trois études de cas approfondies ainsi que des annexes très détaillées sur les banques de données analysées et les études recensées. Dans cette note de recherche, nous nous en tiendrons toutefois à l’analyse comparative des forces et des faiblesses des banques de données et des tendances qui se dégagent de leur traitement, tout en identifiant quelques questions de politique que l’ensemble des trois banques ou l’une ou l’autre pourrait aider à éclairer.

Comparabilité des banques de données administratives : forces et faiblesses respectives

L’analyse comparative de la manière dont les autorités provinciales — et, dans certains cas, les autorités locales — colligent les données relatives à la performance et au cheminement scolaires, tant d’une manière générale qu’en ce qui concerne spécifiquement notre objet de recherche, révèle des différences importantes, sur l’ensemble desquelles il n’est évidemment pas possible de s’étendre ici [4]. Pour l’essentiel, cinq dimensions nous paraissent particulièrement cruciales.

La (les) variable(s) — plus ou moins pertinente(s) et exhaustive(s) — à partir desquelles il est possible de définir le groupe cible des élèves d’origine immigrée

Les banques de données du MEQ sont les plus exhaustives puisqu’elles permettent de définir les élèves d’origine immigrée à partir de leur langue maternelle, du fait d’avoir reçu ou non du soutien en français, de leur lieu de naissance ainsi que de celui de leurs parents. La situation ontarienne est nettement plus limitée, puisqu’on doit se limiter dans ce contexte au fait d’avoir reçu du soutien en anglais et à une variable de lieu de naissance au pays ou à l’étranger. Toutefois, si l’on recentre les analyses sur la seule zone géographique du Toronto métropolitain, toutes les analyses qu’on pourrait réaliser au Québec (et [ou] à Montréal pour des motifs de comparabilité) sont également possibles (banque du Toronto District Board). Finalement, les banques de données disponibles en Colombie-Britannique permettent des analyses pour l’ensemble de la province aussi exhaustives qu’au Québec en ce qui concerne les sous-groupes linguistiques potentiels. Cependant, la définition du groupe cible à partir du seul critère de la langue maternelle ou du fait d’avoir reçu du soutien en anglais en limite la pertinence.

L’exhaustivité et la fiabilité des données relatives à la performance scolaire

En ce qui concerne les résultats aux examens, les banques de données de l’Ontario et de la Colombie-Britannique permettent une évaluation plus exhaustive, puisqu’elles incluent diverses données sur le primaire. Celles du Québec sont limitées aux seules deux dernières années du secondaire. En ce qui concerne les indicateurs des niveaux de scolarité atteints, ceux-ci paraissent assez similaires d’un contexte à l’autre. Par ailleurs, les limites de fiabilité interne des résultats aux examens dans diverses matières ne semblent avoir été évaluées qu’au Québec, mais rien n’indique que la situation est nécessairement plus positive à cet égard en Ontario et en Colombie-Britannique.

La plus ou moins grande facilité à suivre le cheminement des cohortes d’élèves à travers divers niveaux du système scolaire

Les banques de données du Québec sont celles qui présentent le plus de facilités et de possibilités d’exploitation, à la fois rétrospectives et prospectives (persévérance, abandon et durée des études). En effet, grâce au code permanent, on peut suivre les cohortes d’élèves depuis 1979, au primaire, au secondaire et au collégial, et depuis le début des années 2000 jusqu’à l’université. De tels suivis longitudinaux ne sont pas impossibles en Ontario et en Colombie-Britannique. Toutefois, ils y paraissent plus complexes et potentiellement moins fiables à cause de la difficulté de jumeler des banques de données et indicateurs multiples, et de l’interruption potentielle des données fiables à certaines périodes.

L’étendue des variables individuelles et familiales dont l’impact pourrait être testé

Au-delà du genre, de l’âge à l’arrivée et, dans les limites cernées plus haut, de la langue maternelle, qui sont communs aux trois banques de données, chacune d’entre elles présente des forces et des faiblesses. Les données québécoises, ainsi que les données du Toronto District School Board (TDSB) permettraient d’explorer tout particulièrement l’impact des pays d’origine de l’élève ou des parents, ainsi que celui du type de famille. Ce sont des analyses que les banques de données de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ne permettent pas. À ces variables, les banques de données de Toronto ajoutent le statut socio-économique. Dans les autres contextes, celui-ci ne pourrait être évalué que par des approximations de type institutionnel ou écologique (index de défavorisation des écoles ou des milieux d’origine) et non pas individuel. Finalement, aucune des bases de données ne couvre adéquatement le statut d’immigration.

L’étendue des variables institutionnelles dont l’impact pourrait être testé

Les trois banques de données permettraient, théoriquement, de comparer la performance et le cheminement scolaires — dans les limites de validité de la définition du groupe cible — en fonction du type d’école (privée ou publique), de la langue d’enseignement (français ou anglais), de la zone géographique (métropole ou régions), du degré de concentration des clientèles d’origine immigrée ainsi que du degré de défavorisation des écoles. Dans ce dernier cas, cependant, les limites de comparabilité des indices utilisés dans chacun des contextes auraient besoin d’être davantage explorées. Par ailleurs, il faut signaler l’intérêt des données disponibles dans l’Education Quality Indicators Program (EQUIP) ontarien, pour l’exploration d’autres variables individuelles, familiales ou institutionnelles à caractère plus complexe. À cet égard, notons, tout particulièrement, l’expérience préalable à la scolarité et le climat de l’école ainsi que les relations avec les parents. Même si cette base de données est marquée par sa définition limitée du groupe cible, elle pourrait donner lieu à des analyses qu’aucune autre des bases ne permet. C’est pourquoi il faut déplorer que son avenir soit actuellement compromis.

Tendances communes et divergences des états de situation

Les études recensées [5] diffèrent largement d’une province à l’autre, en ce qui concerne tant leur nombre (deux en Colombie-Britannique, sept en Ontario, dix au Québec) que leur nature (définition du groupe cible, indicateurs choisis, variables testées). Elles partagent toutefois un point commun, l’importance des chercheurs gouvernementaux parmi leurs auteurs. Cela semble révéler une sous-utilisation des banques de données administratives par les chercheurs universitaires, que cette tendance relève d’un manque d’intérêt à leur égard ou d’obstacles institutionnels à leur accès. Il est donc délicat d’énoncer des constats quant à la performance et au cheminement scolaires des jeunes d’origine immigrée à partir de ces seules études. Cependant, de manière exploratoire et non exhaustive, on peut faire ressortir les points suivants.

Tout d’abord, dans les trois contextes, il semble évident que plus la définition du groupe cible est large, plus ses résultats, tant du point de vue de la performance que du point de vue du cheminement scolaire, sont similaires à ceux du groupe de comparaison, que celui-ci soit l’ensemble des élèves ou les élèves n’appartenant pas au groupe cible. Cette tendance explique sans doute que le constat soit plus positif au Québec que dans les autres provinces. En effet, au Québec, la plupart des études reposent sur la langue maternelle et (ou) le fait d’être né à l’étranger ou né de parents nés à l’étranger, et non sur le seul fait d’avoir reçu du soutien en français. En Ontario et en Colombie-Britannique, à une exception près, les analyses se limitent aux élèves ayant reçu du soutien en anglais. Or, on peut penser que ce dernier indicateur coïncide avec la présence d’immigrants plus récemment arrivés. D’autres facteurs auraient également besoin d’être testés, notamment la différence de performance globale des trois systèmes scolaires, le Québec, notamment son secteur francophone, se caractérisant par son faible taux de diplomation.

Dans les trois contextes, également, on note l’extrême variabilité qui caractérise l’expérience du groupe cible, quelle que soit la façon dont il est défini. Des différences de performance et de cheminement existent presque toujours, entre groupes de langue maternelle différente ou entre groupes définis ou non comme membres des minorités visibles. En elles-mêmes, ces distinctions ne nous apprennent rien. Il faut, en effet, les analyser en relation avec le statut socio-économique (ce que font mieux les études de l’Ontario et de la Colombie-Britannique que celles du Québec) ou avec les variables culturelles, individuelles et familiales qui pourraient caractériser chacun de ces groupes (ce qu’aucune étude ne couvre actuellement). Diverses variables institutionnelles, notamment les perceptions et attentes du corps enseignant à l’égard de différents groupes d’élèves, devraient également être explorées davantage (ce que les données torontoises couvrent en partie, mais à partir de la seule perception des élèves concernés).

Par ailleurs, les trois états de situation corroborent l’hypothèse d’une certaine spécialisation de la sous- et de la sur-performance entre les disciplines à forte composante linguistique et culturelle (langue maternelle, histoire) et les disciplines scientifiques (mathématiques, sciences physiques). La sur-performance des filles semble également confirmée dans les deux contextes (Ontario, Colombie-Britannique) où cette variable a été utilisée. Cette tendance relève-t-elle simplement de la sur-performance générale des filles au sein des trois systèmes scolaires ou d’une spécificité encore plus forte des filles d’origine immigrée ? C’est une question qu’il faudrait explorer.

En ce qui concerne les facteurs qui influencent la performance et le cheminement scolaires, la plupart des études explorent des dimensions spécifiques : par exemple, une exposition antérieure à la langue d’accueil ou un séjour prolongé dans une classe d’ESL en Colombie-Britannique, la localisation (Montréal ou région), la langue d’enseignement et le taux de concentration ethnique de l’école au Québec, ou encore les aspirations différentes des étudiants selon leur origine ethnique à Toronto. Il est donc impossible d’en tirer des conclusions généralisables à cette étape-ci de l’analyse.

Toutefois, deux facteurs, auxquels on reconnaît une influence certaine, sont systématiquement explorés dans chacun des trois contextes, soit l’âge à l’arrivée et le statut socio-économique. Dans le premier cas, les conclusions à cet égard sont univoques  the sooner the student enters the school system, the better »). Dans le second cas, les angles d’analyse sont un peu différents. En Ontario et en Colombie-Britannique, on a établi, ce qui peut sembler une vérité de La Palice, que les élèves d’origine immigrée à statut socio-économique inférieur réussissent moins bien que ceux dont le statut socio-économique est supérieur. Au Québec, on s’est plutôt intéressé à la comparaison des élèves de milieu socio-économiquement défavorisé selon qu’ils appartiennent ou non au groupe cible des élèves d’origine immigrée. Il apparaît que la pauvreté de vieille souche aurait davantage de conséquences négatives pour les élèves qui en sont victimes que la pauvreté immigrante, plus conjoncturelle. Cette conclusion, paradoxale à première vue mais compréhensible quand on y réfléchit, mériterait d’être explorée dans les deux autres contextes.

Conclusion

Suite au bilan de la comparabilité des banques de données et des tendances émergeant de leur utilisation par les chercheurs ou les décideurs, l’équipe de recherche et les partenaires gouvernementaux associés au projet ont débattu de la pertinence d’adopter une approche du plus petit commun dénominateur pour amorcer des analyses comparatives absolument similaires au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique.

Dans ce cadre, toute recherche commune serait limitée à la performance aux examens ministériels de la fin du secondaire ainsi qu’aux niveaux de scolarité atteints par les élèves ayant reçu du soutien en français ou en anglais langue seconde, sans distinction de langue maternelle; on pourrait comparer ces élèves avec un groupe contrôle grossièrement défini comme « les élèves ne recevant pas de soutien en anglais ou en français langue seconde ». Il est évident que cette approche serait très frustrante, pour des raisons différentes pour chacune des provinces, étant donné leurs forces respectives.

Une autre approche a aussi été envisagée, qui consisterait à s’en tenir aux trois métropoles. Cela permettrait d’effectuer des analyses plus sophistiquées, étant donné la richesse des données du Toronto Board of Education. Cependant, cette seconde hypothèse empêcherait de considérer les différences liées à la zone géographique, alors que la question de l’intégration des immigrants en région est de plus en plus une priorité gouvernementale. Puisqu’il s’agit d’un conseil scolaire public de langue anglaise, on ne pourrait pas non plus cerner l’impact de la fréquentation d’une école française ou anglaise (question cruciale dans le contexte québécois et appelée à le devenir ailleurs) ou d’une école privée ou publique, autre important sujet de débat dans le contexte actuel de privatisation de l’éducation. À cette étape, bien que le débat soit ouvert, l’équipe ne considère pas qu’il soit pertinent de poursuivre l’une ou l’autre de ces voies et privilégie plutôt la définition d’études ciblées qui pourraient toucher une ou plusieurs provinces, selon les forces et les limites de leurs données administratives.

Nous avons donc identifié un ensemble de questions, pertinentes au plan des politiques et des programmes, qui pourraient être éclairées par l’une ou l’autre des banques disponibles. Celles-ci touchent des sujets divers, tels les sous-groupes d’origine immigrée qui devraient recevoir un soutien prioritaire, les moments charnières où se joue leur scolarité, le lien entre la durée du soutien en langue seconde et la performance des élèves allophones ainsi que la différence des défis vécus dans les écoles de langue française et les écoles de langue anglaise, et dans les métropoles et en région. Ces questions seront bientôt débattues avec la communauté des chercheurs, des décideurs et des intervenants intéressés à une meilleure évaluation de la performance et du cheminement scolaires des jeunes d’origine immigrée au Canada ainsi qu’à une compréhension plus approfondie des facteurs qui les influencent. Éventuellement, cet échange permettra de préciser le créneau d’une recherche pancanadienne de plus grande envergure sur cet enjeu.