Corps de l’article

Introduction

Il y a maintenant près d’une vingtaine d’années que l’État québécois s’est engagé, dans sa politique d’immigration, à favoriser l’établissement des immigrants à l’extérieur de la région métropolitaine de Montréal. Cet objectif de « régionalisation » découle, d’une part, d’une conscientisation quant aux rôles multiples et accrus des immigrants dans le développement du Québec et, d’autre part, de l’interprétation de leur forte concentration dans la région de Montréal[1] comme étant un frein à leur « pleine participation » à ce développement (ministère des Relations avec le Citoyen et de l’Immigration (MRCI, 2004a).

Contrairement aux premières mesures de régionalisation développées dans les années 1970 et 1980, qui consistaient surtout à installer les réfugiés à l’extérieur de la métropole, les programmes élaborés depuis les années 1990 se veulent davantage incitatifs. L’action de l’État comprend l’élaboration de critères de sélection qui ciblent les immigrants les plus susceptibles de s’établir hors Montréal, la promotion des « régions » auprès des immigrants, la sensibilisation auprès des populations et des administrateurs locaux quant à l’apport positif de l’immigration et le financement d’initiatives locales. Autrement dit, on cherche à atteindre une plus grande dispersion de l’immigration sur le territoire québécois en améliorant la capacité du Québec hors Montréal à attirer et retenir les immigrants.

Peu d’informations nous permettent d’évaluer l’évolution de cette capacité d’attraction et de rétention depuis l’introduction d’un axe permanent de régionalisation dans la politique d’immigration du Québec. La répartition des immigrants sur le territoire est assez bien connue, car mesurée régulièrement par les recensements et par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, mais ces portraits transversaux de leur répartition spatiale masquent la dynamique sous-jacente, qui débute avec le choix du lieu d’établissement initial et évolue en fonction des migrations subséquentes (Bélanger, 1993 ; Moore et Rosenberg, 1995). Les trajectoires résidentielles des immigrants à la suite de leur arrivée au Québec nous renseignent plus directement sur les forces d’attraction et de rétention différentielles des régions québécoises, mais elles demeurent grandement méconnues.

La présente étude cherche à combler partiellement cette lacune en reconstruisant jusqu’en 2007 le parcours résidentiel de quatre cohortes d’immigrants admises au Québec en 1992, 1996, 2000 et 2004. Pour ce faire, nous avons utilisé des données tirées d’une source encore peu exploitée, le Fichier d’inscription des personnes assurées de la Régie de l’assurance maladie du Québec, qui présente des avantages indéniables par rapport aux sources utilisées dans les travaux antérieurs, notamment les recensements. L’article revient d’abord sur le contexte de l’étude en explicitant davantage les enjeux généraux et spatiaux de l’immigration au Québec. Nous précisons ensuite l’approche retenue pour évaluer la force d’attraction et de rétention des régions d’intérêt, puis nous décrivons la source de données et la méthodologie. La présentation des résultats est suivie, en guise de conclusion, d’une révision des faits saillants à la lumière des objectifs de régionalisation et des transformations de la composition des flux migratoires et de la migration interne au Québec.

Les enjeux spatiaux de l’immigration au Québec : mise en contexte de l’étude

En 1990, le premier Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, diffusé par le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (aujourd’hui ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, MICC), a entériné les enjeux généraux de l’immigration au Québec. Aboutissement d’une profonde révision, amorcée à la fin des années 1960, des rapports que le Québec entretenait avec l’immigration, ce document a fixé un langage et une vision de l’immigration qui perdure dans le discours du MICC et de divers planificateurs oeuvrant à l’échelle québécoise ou régionale. Selon la formulation et la hiérarchisation de l’Énoncé, les principaux enjeux associés à l’immigration sont : 1) le redressement démographique, 2) la prospérité économique, 3) la pérennité du fait français et 4) l’ouverture sur le monde. Sous des vocables et agencements variables, ces considérations interreliées sous-tendent encore la politique québécoise d’immigration.

Les questions démographiques et économiques conditionnent notamment les volumes et les critères de sélection des immigrants. Malgré la hausse du nombre de naissances et de la fécondité depuis quelques années, le scénario de référence des plus récentes projections démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (2009), qui couvrent la période 2006-2056, montre que l’accroissement naturel pourrait devenir négatif dès 2029. Les soldes des migrations interprovinciales étant généralement défavorables au Québec, l’immigration internationale deviendrait alors l’unique moteur de la croissance démographique. Plus spécifiquement, comme la majorité des immigrants sont âgés de 20 à 40 ans à leur arrivée, ils contribuent surtout à la croissance de la population d’âge actif et alimentent le bassin de travailleurs, d’investisseurs et de consommateurs potentiels. Par ailleurs, au Québec, la fécondité des immigrantes serait un peu plus élevée que celle des femmes nées au Canada (Street, 2009). L’immigration est donc perçue comme un apport positif au développement du Québec et les volumes d’admissions annuels sont prévus à la hausse[2]. Des chercheurs ont souligné les limites du recours à l’immigration dans le but d’assurer le renouvellement démographique et d’amoindrir le vieillissement de la population, de même que les incertitudes concernant leur apport économique réel (Séguin et Termote, 1993 ; Termote, 2002 ; Marois, 2008), mais cette vision utilitaire de l’immigration est véhiculée depuis plusieurs années.

Les deux autres enjeux relèvent de la francisation et de l’intégration et, plus généralement, des relations interculturelles entre les immigrants et la société d’accueil. Chronologiquement, ce sont les questions démolinguistiques qui ont d’abord incité l’État québécois à s’impliquer activement dans la sélection et l’intégration des immigrants en créant le ministère de l’Immigration en 1968 (Parant, 2001 ; DeVoretz et Pivnenko, 2007). À partir des années 1950, la fécondité des francophones, qui a pendant longtemps été assez élevée pour assurer à elle seule leur croissance démographique et le maintien du poids du Québec dans le Canada, s’est mise à diminuer plus rapidement que celle des anglophones (Lachapelle, 1988). Les conséquences de ce changement de comportement sur les perspectives démolinguistiques ont entraîné une prise de conscience quant à la nécessité d’intégrer les immigrants à la majorité francophone, puisque le laisser-faire avait jusque-là favorisé une plus grande proximité de ces derniers avec la communauté anglophone (Dumont, 1991 ; Piché, 2003). Les efforts entrepris en matière de francisation depuis quelques décennies ont conduit à des résultats significatifs pour les uns, mitigés ou insuffisants pour les autres, mais chose certaine, cet aspect est toujours abordé comme un enjeu central de l’immigration de par ses implications sociales et politiques.

Caractéristique incontournable de l’immigration au Québec, sa forte concentration dans la région métropolitaine de Montréal a rapidement fait apparaître la dimension territoriale des enjeux abordés précédemment. Dans les années 1980, en même temps que se précisait l’approche québécoise en matière d’immigration et d’intégration, la métropolisation des immigrants s’est accentuée en réaction aux transformations de l’économie et de la composition des flux migratoires (Dumont, 1991 ; Hou, 2005). Entre autres changements économiques, la tertiarisation de l’économie aurait favorisé le développement de Montréal et multiplié les emplois précaires et atypiques dans cette région, susceptibles d’être comblés par une main-d’oeuvre immigrante. Parallèlement, les pays d’origine se sont grandement diversifiés à la suite de l’abolition des critères de sélection raciaux à la fin des années 1960. Les distances culturelles se sont ainsi creusées avec les individus nés au Québec, ce qui a pu freiner la mobilité spatiale interne des immigrants. De plus, en valorisant grandement la scolarité et la connaissance du français, les nouveaux critères de sélection favorisent une immigration d’origine urbaine, tandis que les premières vagues d’origine européenne provenaient davantage de milieux ruraux.

La conséquence la plus évidente de la concentration territoriale de l’immigration est l’inégale répartition des apports démographiques et économiques qui lui sont attribués. Cette inégalité a été soulignée dès les années 1970 par des acteurs impliqués dans le domaine du développement régional, notamment l’Office de planification et de développement du Québec qui a exprimé la nécessité que les bénéfices envisagés profitent non plus seulement à la grande région de Montréal, mais également aux régions anticipant une pénurie de main-d’oeuvre et un essoufflement économique. La régionalisation de l’immigration est ainsi apparue dès le départ comme une stratégie de développement régional plus équilibré (Jay-Rayon, 1992). Incitées par le MICC, de plus en plus de municipalités et diverses entités régionales hors Montréal intègrent l’immigration dans leurs plans de développement. Les principaux acteurs régionaux avec qui le MICC a conclu des partenariats à cet égard sont situés dans les régions administratives de la Capitale-Nationale, de l’Estrie, de la Mauricie, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de l’Outaouais, du Centre-du-Québec, de Laval, des Laurentides et de Lanaudière[3]. La plupart de celles-ci sont des régions dites centrales ou ayant un centre urbain important et ont été ciblées dès le départ par le MICC, qui considère que leur potentiel d’attraction et de rétention est supérieur.

Entre autres implications de la concentration des immigrants à Montréal, il fut (et est encore) considéré qu’elle était un obstacle à leur francisation et créait un clivage socioculturel porteur de tensions sociales entre une région montréalaise de plus en plus multiethnique et le reste du Québec plus homogène (MICC, 1990 ; Simard, 1996). Ainsi, la régionalisation apparaît également comme une stratégie d’intégration et de gestion des impacts sociaux et politiques de l’immigration. Plus récemment, des arguments liés au bien-être et à l’intégration économique des immigrants se sont greffés au discours des promoteurs de la régionalisation (MICC, 2007). Ils s’appuient sur les études de chercheurs qui ont comparé la situation économique des immigrants résidant dans les grandes métropoles et dans les plus petites villes et qui ont démontré notamment que l’écart de revenu avec les non-immigrants est moins grand, sinon inexistant, à l’extérieur des grandes régions métropolitaines (Goyette, 2004 ; Jedwab, 2006 ; Bernard, 2008).

Il y a maintenant près d’une vingtaine d’années que les enjeux régionaux de l’immigration sont reconnus par l’État et qu’un programme de régionalisation incitatif est implanté au Québec. Bien que de nouveaux partenariats régionaux se développent presque chaque année, son cadre institutionnel est déjà bien établi et nous connaissons des exemples de son application concrète dans certaines régions. Il est toutefois encore difficile d’évaluer si le Québec hors Montréal est devenu plus attractif et s’il retient mieux qu’auparavant les immigrants. Par la reconstruction des trajectoires résidentielles de quatre cohortes d’immigrants admises au Québec depuis le début des années 1990, cette étude cherche à contribuer à une telle évaluation.

L’attraction et la rétention des immigrants hors Montréal : état de la question

La force d’attraction et de rétention qu’un territoire donné exerce sur les immigrants se manifeste de deux façons au cours du processus d’établissement de ces derniers. Le choix du premier lieu d’établissement dans le pays d’accueil reflète d’abord la force d’attraction initiale des différentes régions. Les ajustements résidentiels subséquents, souvent qualifiés de migrations secondaires, traduisent ensuite à la fois la force de rétention du lieu d’établissement initial et le potentiel d’attraction des lieux de résidence alternatifs. Une amélioration de la capacité d’attraction et de rétention du Québec hors Montréal pourrait donc se traduire par une proportion plus élevée de nouveaux arrivants qui s’y établissent initialement et qui y demeurent par la suite, de même que par une proportion accrue d’immigrants établis au départ à Montréal, mais qui se dirigent ultérieurement vers le reste du Québec.

Dans le contexte québécois, la migration secondaire peut prendre deux formes : les immigrants peuvent opter pour une autre région de résidence au Québec (migration secondaire interne) ou choisir de partir vers une autre province canadienne ou un autre pays (migration secondaire externe). Ce deuxième type de mouvement a fait l’objet de nombreux travaux. D’une part, l’attraction exercée par les autres provinces sur les immigrants établis au Québec a été mesurée dans plusieurs études qui traitent de la migration interprovinciale des immigrants (Newbold, 1996 ; Renaud et Goyette, 2000 ; Edmonston, 2002 ; Grenier, 2004 ; DeVoretz et Pivnenko, 2007). D’autre part, le MICC publie régulièrement des taux de présence au Québec selon la cohorte d’arrivée qui, bien qu’affectés par la mortalité, renseignent sur l’ampleur de l’ensemble des sorties hors Québec[4]. La rétention des immigrants au Québec est évidemment une préoccupation importante, liée à l’approche même de l’immigration comme outil de développement. Cependant, la faiblesse relative du Québec à retenir ses immigrants, comparativement à d’autres provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique, est abondamment documentée et ne sera donc pas abordée ici.

Beaucoup plus rares ont été les travaux sur la migration secondaire interne des immigrants. Celle-ci est pourtant une dimension importante de la comparaison de la force d’attraction et de rétention des différentes régions québécoises. Quelques études nous permettent d’avancer qu’au cours des années 1970 et 1980, un important déséquilibre existait entre Montréal et le reste du Québec relativement à leur capacité respective à attirer et retenir les immigrants. À partir des données du recensement de 1981, une étude du Bureau de la statistique du Québec réalisée par Gauthier (1988) a démontré que la probabilité d’avoir quitté une région administrative pour une autre entre 1976 et 1981 était globalement plus faible chez les immigrants (1,5 %) que chez les personnes nées au Québec (4,5 %). Par contre, cette probabilité dépassait 10 % chez les immigrants qui résidaient dans une région autre que l’Estrie, l’Outaouais et Montréal en 1976. Dans cette dernière région, elle était de moins de 1 %. Les taux nets de migration interrégionale précisent que les entrées compensaient les sorties seulement à Montréal (0,4 %) et en Outaouais (2,7 %), ce qui signifie que non seulement ces deux régions affichaient la meilleure capacité de rétention, mais exerçaient également une importante attraction sur les immigrants des autres régions.

Séguin et Termote (1993) sont allés un peu plus loin en utilisant de façon quasi longitudinale les données des recensements de 1981 et de 1986 relatives à la cohorte d’arrivée et au lieu de résidence cinq ans auparavant. Ils ont ainsi reconstruit partiellement les trajectoires résidentielles de cohortes quinquennales d’immigrants entre 1976 et 1981, puis entre 1981 et 1986. Leurs résultats montrent qu’au cours de ces deux périodes, la région métropolitaine de Montréal avait attiré une part considérable des immigrants récemment établis dans le reste du Québec, mais que la capacité de ce dernier à attirer en retour des immigrants établis à Montréal était quasiment nulle et s’était même réduite d’une période à l’autre. Les auteurs étaient des plus sceptiques quant à la possibilité de voir cette tendance se renverser.

À notre connaissance, ces travaux n’ont pas été repris sur la base de données plus récentes, de sorte qu’il est difficile d’évaluer si le bilan migratoire du Québec hors Montréal s’est amélioré par la suite ou si le déséquilibre avec Montréal s’est encore creusé. Quelques études qualitatives sur des expériences locales d’intégration sont d’une grande utilité pour identifier les conditions favorables à une meilleure rétention (Vatz Laaroussi, 2005 ; Projet Metropolis, 2003 ; Allen et Troestler, 2007), mais n’apportent pas de vision d’ensemble sur le phénomène qui nous intéresse. En ce qui concerne les statistiques disponibles sur la répartition régionale des immigrants, nous avons mentionné que, malgré leur pertinence, elles nous en disent finalement bien peu sur la capacité d’attraction et de rétention des différentes régions. Par exemple, en 2006, 13 % des immigrants présents au Québec résidaient à l’extérieur de la région métropolitaine de recensement de Montréal, mais cette part était un peu plus élevée chez les immigrants récents : elle s’établissait à près de 15 % chez ceux admis entre 2001 et 2006 et à environ 12 % chez ceux admis avant 1991. Ces statistiques signifient-elles que les immigrants récents ont été plus susceptibles de s’établir initialement hors Montréal ? L’écart entre cohortes récentes et anciennes traduit-il plutôt une concentration qui s’accroît avec la durée d’établissement sous l’effet des départs vers Montréal des immigrants établis initialement dans le reste du Québec ? En l’absence d’information sur le parcours résidentiel des immigrants, il est plutôt hasardeux de répondre à ces questions.

Les données de recensement sur la mobilité sont les plus fréquemment utilisées dans les travaux sur la migration secondaire des immigrants, comme dans ceux de Gauthier et de Séguin et Termote déjà cités. Afin d’analyser les comportements résidentiels des immigrants pour la période plus récente, une approche véritablement longitudinale nous semble toutefois préférable. Les enquêtes longitudinales ou rétrospectives et, dans quelques rares pays, les répertoires de population sont notamment plus appropriés pour saisir la dynamique résidentielle au cours des premiers mois et années d’établissement. Des travaux réalisés dans une perspective longitudinale ont ainsi pu démontrer que les ajustements résidentiels se font très rapidement à la suite de l’arrivée des immigrants dans le pays d’accueil (Nogle, 1994 ; Renaud et Goyette, 2000, Renaud et al., 2001) ; ils participeraient au processus d’adaptation et compenseraient pour l’incomplétude des informations reçues avant l’arrivée sur les opportunités d’emploi, l’environnement social et le logement dans les différentes villes ou régions. Un suivi de la localisation résidentielle des immigrants dès leur arrivée permet également d’évaluer la force de rétention spécifique du premier lieu de résidence et l’effet de la migration secondaire sur l’évolution de la répartition de l’immigration. Une approche longitudinale présente donc de nombreux avantages pour l’évaluation de la force d’attraction et de rétention du Québec hors Montréal depuis l’élaboration des programmes de régionalisation.

Source de données et méthodologie

Présentation du FIPA et du fichier longitudinal spécifique à l’étude

Le Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) est le fichier administratif qui tient à jour la liste des bénéficiaires admissibles aux différents programmes de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Le FIPA est une source de données démographiques fort intéressante, car il s’agit d’un fichier exhaustif[5], qualité d’autant plus précieuse lorsqu’on s’intéresse à une population peu nombreuse comme les immigrants hors Montréal. Le fichier est de plus continuellement mis à jour, tant en ce qui a trait à l’admissibilité d’un bénéficiaire qu’à son lieu de résidence. L’information visant à actualiser l’adresse de résidence ou à mettre fin à l’admissibilité provient des bénéficiaires eux-mêmes ou de différents organismes, tant québécois que d’autres provinces canadiennes. Au 1er octobre de chaque année, un extrait du FIPA, épuré de toute identification explicite et portant sur la population apparaissant dans le fichier au 1er juillet, est acheminé à l’Institut de la statistique du Québec, qui l’utilise notamment pour la production des statistiques sur la migration interne.

L’extrait transmis à l’Institut contient le sexe, la date de naissance et le code postal à six caractères, ainsi qu’un code de régime et un statut de fiche qui permettent de déterminer si la personne inscrite peut être considérée comme présente au Québec en date du 1er juillet. Dans le cas contraire, le code de régime ou le statut de fiche nous indique si l’admissibilité a été retirée à la suite d’un décès survenu au Québec, l’expiration de la carte d’assurance maladie ou un départ à l’extérieur de la province. Ces deux variables nous renseignent également sur le type de régime auquel appartiennent les bénéficiaires, à savoir s’ils sont admissibles à titre de citoyens canadiens, d’immigrants reçus ou de résidents non permanents.

Potentiel encore peu exploité du FIPA, à l’exception des études de Girard (2006a et 2006b), la juxtaposition de tous les extraits annuels permet la création d’un fichier longitudinal couvrant une vingtaine d’années, ce qui rend possible le suivi à long terme de diverses trajectoires migratoires à l’intérieur du Québec. Pour notre étude, nous avons créé un fichier longitudinal réduit à la population immigrante et couvrant les années 1988 à 2007. Nous avons ensuite défini des cohortes en fonction de la première année d’apparition dans le fichier en tant que résidents permanents, année marquant le début du suivi des trajectoires résidentielles. Les résidents temporaires titulaires d’un permis d’étude, de travail ou de tout autre type d’autorisation de séjour ont été exclus de l’étude, du moins jusqu’à l’obtention du statut de résident permanent. Les immigrants en provenance d’une autre province canadienne ont aussi été exclus puisque nous ne pouvions déterminer la durée de leur présence au Canada, laquelle aurait pu influencer leurs comportements résidentiels une fois établis au Québec. Nous avons finalement retiré les quelques individus qui présentaient des séquences incohérentes[6].

Bien que le FIPA ne contienne que très peu d’informations sur les caractéristiques sociodémographiques des individus, son exhaustivité, sa longue période de couverture et sa mise à jour fréquente sont des avantages indéniables comparativement aux données de recensement ou d’enquête pour l’étude de la migration secondaire interne des immigrants. Nous avons par exemple mentionné que les recensements nous renseignent seulement sur le lieu de résidence un an ou cinq ans avant le recensement, tandis que nous pouvons effectuer un suivi à plus long terme et sur une base annuelle. Par ailleurs, le sous-dénombrement différentiel des immigrants au moment des recensements est non négligeable et la mobilité résidentielle de ceux qui arrivent au Canada et qui en partent au cours des cinq années séparant deux recensements ne peut y être consignée. En ce qui nous concerne, les immigrants qui quittent le Québec avant même de s’être inscrits à l’assurance maladie échappent à l’analyse, mais la nature des services offerts par la RAMQ, de même que l’enregistrement continu des individus dans le FIPA font en sorte que même ceux qui séjournent brièvement au Québec ont de fortes chances d’apparaître dans notre fichier d’analyse[7].

Méthodologie

En comparant la région de résidence de chaque année d’observation subséquente à celle de la première année d’établissement, nous avons étudié des mouvements de type migration de vie (lifetime migration). Ce concept réfère normalement à la comparaison entre le lieu de résidence au moment de l’enquête ou du recensement et le lieu de naissance (Siegel et Swanson, 2004 : 500). Dans notre étude, le point de départ du suivi est plutôt l’année d’établissement au Québec ; nous analysons donc ce que nous définissons comme des migrations de vie au pays. Ces mouvements sont à la base d’une série d’indicateurs inspirés des travaux de Girard (2006a), dont le calcul selon le nombre d’années écoulées depuis l’établissement initial éclaire l’évolution au fil du temps et des cohortes de différentes dimensions liées à la capacité d’attraction et de rétention des différentes régions, soit l’ampleur, le rythme et la destination des mouvements migratoires internes.

Nous avons suivi annuellement jusqu’en juillet 2007 la localisation résidentielle de quatre cohortes d’immigrants établis au Québec à quatre années d’intervalle : 1992, 1996, 2000 et 2004[8]. Les immigrants de la cohorte 1992 ont été admis entre le 1er juillet 1991 et le 30 juin 1992 et ont été observés sur une période de quinze ans à partir du 1er juillet 1992, soit en moyenne six mois après leur admission aux programmes de la RAMQ en tant que résident permanent[9]. Les autres cohortes ont été suivies respectivement durant onze, sept et trois ans. Le tableau 1 présente l’effectif initial de chaque cohorte, qui varie entre 30 000 en 44 000 individus. Le tableau montre également la distribution spatiale des quatre cohortes au début de la période d’observation. Le découpage territorial retenu distingue la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal du reste du Québec, puis décline le Québec hors Montréal en trois régions-types d’établissement :

  • les métropoles régionales désignent les RMR de Québec, de Gatineau et de Sherbrooke, qui sont les plus grands centres urbains et principaux lieux d’établissement des immigrants hors Montréal ;

  • les agglomérations secondaires regroupent les 24 agglomérations de recensement[10], auxquelles sont ajoutées les RMR de Trois-Rivières et de Saguenay qui leur ressemblent en ce qui concerne l’importance de l’immigration ;

  • le Québec hors agglomérations comprend tout le reste du territoire.

Tableau 1

Effectif et répartition des cohortes selon la région d’établissement initiale

Effectif et répartition des cohortes selon la région d’établissement initiale
1

Région de résidence en moyenne six mois après l’admission aux programmes de la RAMQ en tant que résident permanent. Selon la géographie au 1er janvier 2006.

Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Dans chaque cohorte, le nombre d’immigrants toujours présents au Québec (survivants) diminue à mesure que s’allonge la durée d’établissement, au rythme des décès et des départs hors Québec. Seuls les survivants sont considérés dans le calcul de nos différents indicateurs annuels, car la prise en compte des décès et de la migration externe rend difficile l’analyse de l’effet de la migration interne sur la répartition spatiale des immigrants au Québec. Par ailleurs, si nos données sont fiables en ce qui concerne la mesure de la migration interne au Québec, elles le sont moins en ce qui a trait à la mesure des départs hors Québec[11]. Précisons que l’ampleur de l’attrition globale est légèrement différente selon que les immigrants se sont établis initialement dans la RMR de Montréal ou ailleurs au Québec. Néanmoins, cela n’a qu’une incidence assez faible sur la répartition des immigrants entre Montréal et le reste du Québec, ainsi que sur la valeur de nos indicateurs d’attraction et de rétention[12].

Appliqués aux seuls survivants, nos indicateurs sont basés sur les concepts suivants :

  • Non-migrants : survivants résidant encore dans la région d’établissement initiale.

  • Sortants : survivants résidant hors de la région d’établissement initiale.

  • Entrants : survivants résidant dans une région donnée, mais établis initialement dans une autre région.

  • Présents : survivants résidant dans une région donnée, sans égard à la région d’établissement initiale.

  • Indice de migration nette : pour une région donnée, différence entre les entrants et les sortants, rapportée aux survivants établis initialement dans cette région.

Les résultats sont présentés en trois temps. Nous présentons d’abord la répartition spatiale des quatre cohortes au moment du premier établissement et son évolution en fonction de la durée d’établissement. Ceci nous permet de distinguer l’effet respectif du choix du premier lieu de résidence et de la migration secondaire interne sur la présence d’immigrants hors Montréal. Nous nous intéressons ensuite aux échanges migratoires entre Montréal et le reste du Québec à la suite du premier établissement, de manière à mesurer la force de rétention du reste du Québec face à Montréal et sa capacité à attirer des immigrants de la métropole. Les migrations entre Montréal et chacune des trois régions d’établissement du reste du Québec sont finalement analysées afin de comparer leur contribution respective aux résultats obtenus pour l’ensemble du Québec hors Montréal.

Résultats

Évolution de la répartition régionale des cohortes selon la durée d’établissement

Le choix du premier lieu de résidence au Québec est le premier élément qui influence l’ampleur de la présence d’immigrants hors Montréal. À cet égard, la figure 1 montre que les immigrants des cohortes les plus récentes sont proportionnellement plus nombreux à s’installer dans le reste du Québec que ceux arrivés au début des années 1990. Tandis qu’un peu moins de 8 % des immigrants admis en 1992 se sont établis initialement hors Montréal, cette part se situe entre 12 % et 16 % depuis 1995. Elle est respectivement de 14 %, 13 % et 15 % pour les cohortes 1996, 2000 et 2004. Bien que le rôle de la grande région de Montréal comme principale porte d’entrée de l’immigration au Québec demeure incontestable, cet accroissement de la présence « initiale » dans le reste du Québec est non négligeable.

Figure 1

Part des immigrants établie initialement hors Montréal, par région, 1992-2007

Part des immigrants établie initialement hors Montréal, par région, 1992-2007
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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L’accroissement de la présence d’immigrants hors Montréal au début de la période d’observation touche d’abord les métropoles régionales, qui ont vu leur part de l’immigration totale passée de 5 % en 1992 à environ 10 % depuis 2003. La préférence pour les métropoles régionales des immigrants qui s’installent initialement dans le reste du Québec est marquée et se maintient d’une cohorte à l’autre ; environ les deux tiers d’entre eux s’y établissent. La RMR de Québec en reçoit le plus grand nombre, suivie de Gatineau et de Sherbrooke. Les agglomérations secondaires exercent une attraction initiale beaucoup plus modeste, mais qui s’améliore progressivement. Alors qu’elles ont accueilli 1 % des immigrants en 1992, cette part s’élève à 4 % en 2007, ce qui représente près du quart des immigrants qui se sont établis hors Montréal. Le Québec hors agglomérations est le seul à ne pas bénéficier d’une plus grande part des nouveaux arrivants en fin de période. Son poids est demeuré plutôt stable depuis 1992, représentant 2 % des entrées annuelles, et il est devenu inférieur à celui des agglomérations secondaires au début des années 2000.

Les changements relatifs à sa force d’attraction initiale sont importants pour le Québec hors Montréal, car le choix du premier lieu de résidence a une incidence beaucoup plus marquée que les ajustements résidentiels subséquents sur la répartition des immigrants. En effet, la part des immigrants qui résident hors Montréal change très peu à mesure que s’allonge la durée d’établissement, comme l’illustre la figure 2 pour les quatre cohortes sélectionnées. Tant les métropoles régionales que les agglomérations secondaires et le Québec hors agglomérations parviennent à conserver sensiblement les mêmes proportions d’immigrants tout au long de la période d’observation (données non illustrées). Le fait que davantage d’immigrants s’y installent au départ est ainsi particulièrement profitable au Québec hors Montréal, et plus particulièrement aux métropoles régionales et aux agglomérations secondaires. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que la migration secondaire interne est inexistante, seulement que les soldes migratoires qui en résultent ne sont pas assez déséquilibrés pour modifier significativement les proportions d’immigrants qui se retrouvent dans le reste du Québec à la suite du premier établissement.

Figure 2

Part des cohortes présentes hors Montréal selon la durée d’établissement

Part des cohortes présentes hors Montréal selon la durée d’établissement
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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La capacité du Québec hors Montréal à retenir les immigrants et à en attirer des nouveaux à la suite du premier établissement

Bien que leur effet sur la répartition spatiale des cohortes soit mineur, d’importants changements sont survenus récemment en matière de migration secondaire interne. La figure 3 présente les indices de migration nette résultant des échanges entre Montréal et le reste du Québec. Un indice supérieur à 0 signifie que le reste du Québec compte plus d’entrants que de sortants au terme d’une année donnée. On voit que les échanges migratoires entre les deux régions ont été défavorables au Québec hors Montréal chez les cohortes 1992 et 1996, surtout au cours des premières années d’établissement, mais que les pertes nettes ont commencé à se résorber en fin de période, soit depuis le début de la décennie 2000. Chez les cohortes 2000 et 2004, les entrants ont plutôt été assez nombreux pour entraîner un solde légèrement positif dès la première année. La part des entrants surpasse celle des sortants d’un peu plus d’un point de pourcentage après trois ans ; quatre ans plus tard, l’écart est de près de 5 % pour les immigrants admis en 2000. Les gains sont de faible ampleur, mais le contraste par rapport aux deux cohortes plus anciennes n’en est pas moins marquant[13].

Figure 3

Indice de migration nette, par cohorte et durée d’établissement, Québec hors Montréal

Indice de migration nette, par cohorte et durée d’établissement, Québec hors Montréal
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Ces changements sont-ils attribuables à une amélioration de la force de rétention du Québec hors Montréal, ou plutôt de sa capacité à se montrer plus attractif auprès des immigrants de Montréal ? La figure 4 illustre d’abord l’évolution et l’ampleur de sa force de rétention. Elle montre la part des immigrants qui y résident initialement, mais qui se retrouvent à Montréal à mesure que s’allonge la durée d’établissement. Il en ressort que les trois dernières cohortes affichent des proportions de sortants inférieures à celles de la cohorte 1992. Après sept ans d’établissement, près du quart (24 %) des survivants de la cohorte 1992 résident à Montréal, comparativement à 16 % de ceux des cohortes 1996 et 2000. Ces résultats dénotent une certaine amélioration de la capacité de rétention du Québec hors Montréal au cours des années 1990, qui marquerait une coupure avec l’affaiblissement observé par Séguin et Termote (1993) entre 1976 et 1986.

Figure 4

Part des sortants parmi les immigrants établis initialement hors Montréal, par cohorte et durée d’établissement

Part des sortants parmi les immigrants établis initialement hors Montréal, par cohorte et durée d’établissement
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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La figure souligne toutefois que ce n’est qu’à moyen terme que le renforcement de la rétention est substantiel. En effet, l’écart entre les cohortes demeure réduit jusqu’à la troisième année d’établissement, quand un peu plus de 10 % des survivants des quatre cohortes se retrouvent à Montréal. La pente des courbes précise que c’est au cours de la première année que la propension à quitter pour Montréal est la plus élevée et force est de constater que les départs « quasi instantanés » demeurent importants chez les quatre cohortes. À la fin de la première année d’observation, on remarque même une légère augmentation des proportions de sortants au sein de la cohorte 2004 par rapport à celle de 1996 et de 2000.

En contrepartie, les immigrants établis initialement à Montréal apparaissent encore très peu attirés par le reste du Québec (figure 5). Parmi ces immigrants, ceux qui résident dans une autre région ne représentent jamais plus de 3 % des survivants, ce qui traduit la persistance d’un écart considérable quant à la force de rétention et d’attraction des deux régions. Par contre, même s’il reste relativement faible, le poids des immigrants qui quittent Montréal s’accroît nettement d’une cohorte à l’autre. Après trois ans, moins de 1 % des survivants de la cohorte 1992 résident dans une autre région, mais cette part est plus du double chez ceux de la cohorte 2004, soit 2,3 %. Les proportions demeurent modestes, mais leur augmentation reflète une progression notable de la force d’attraction que le reste du Québec exerce sur les immigrants nouvellement établis à Montréal, qui est surtout marquée entre les cohortes 1996 et 2000.

Figure 5

Part des sortants parmi les immigrants établis initialement à Montréal, par cohorte et durée d’établissement

Part des sortants parmi les immigrants établis initialement à Montréal, par cohorte et durée d’établissement
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Deux distinctions entre les trajectoires résidentielles des immigrants établis initialement à Montréal et celles des immigrants établis dans le reste du Québec permettent d’expliquer l’évolution des indices de migration nette présentés à la figure 3. Premièrement, le fait que les indices soient positifs dès la première année d’établissement au sein des cohortes 2000 et 2004 est attribuable à l’accroissement de la propension des immigrants à quitter Montréal, qui compense l’absence d’amélioration de la rétention de ces deux cohortes dans le reste du Québec. Deuxièmement, le rythme des changements de région de résidence en fonction de la durée d’établissement est légèrement différent selon que les immigrants quittent Montréal ou le reste du Québec. Dans le cas des immigrants établis initialement hors Montréal, les départs sont nombreux la première année, puis leur ampleur tend à diminuer. Quant à la propension à quitter Montréal pour le reste du Québec, elle demeure assez stable tout au long de la période d’observation. De ce fait, après quelques années d’établissement, on enregistre un plus grand nombre de nouvelles sorties depuis Montréal vers le reste du Québec qu’en sens inverse, le reste du Québec parvenant ainsi à récupérer à long terme une partie des sortants dont les départs ont été concentrés au cours des trois premières années d’établissement. Cette situation se traduit à la figure 3 par un redressement des indices de migration nette des cohortes 1992 et 1996.

Les immigrants qui quittent Montréal pour une autre région jouent donc un rôle compensateur important dans le reste du Québec. Toutefois, insistons sur le fait qu’il demeure précaire sans un renforcement réel de la rétention des immigrants établis dans les plus petits centres. En effet, les gains migratoires du Québec hors Montréal sont de faible ampleur, trop faible pour élever significativement la part de l’ensemble des immigrants qui y résident à mesure que s’allonge la durée d’établissement. De plus, en raison d’un léger affaiblissement de la rétention des immigrants les plus récents dans le reste du Québec (figure 4), les gains se sont réduits au sein de la cohorte 2004 comparativement à celle de 2000 (figure 3).

Rétention et attraction des immigrants selon le type de région hors Montréal

De par l’ampleur et l’évolution des échanges avec Montréal, les métropoles régionales, les agglomérations secondaires et le Québec hors agglomérations présentent trois profils migratoires distincts et contribuent différemment aux résultats présentés dans la section précédente. Afin d’évaluer leur contribution respective, nous ne considérons dans cette section que les déplacements à destination ou en provenance de Montréal. Les déplacements réalisés à l’intérieur du Québec hors Montréal sont généralement moins nombreux et, surtout, n’ont pas la même signification face aux objectifs de régionalisation.

La figure 6 compare l’évolution, d’une cohorte à l’autre, de la capacité de rétention des trois régions face à la force d’attraction de Montréal. Elle présente, pour chacune des régions, les proportions de survivants qui résident à Montréal en fonction de la durée d’établissement. On voit que les métropoles régionales ont perdu davantage d’immigrants au sein de la cohorte 2004 que de celle de 2000. Les proportions de sortants sont même redevenues équivalentes à celles affichées par la cohorte 1992, soit 7 % après trois ans et 12 % après sept ans. Comme les métropoles régionales accueillent initialement beaucoup plus d’immigrants que les deux autres régions, cet affaiblissement de la rétention des immigrants les plus récents se répercute sur les résultats obtenus pour l’ensemble du Québec hors Montréal. Soulignons que ce sont les immigrants de la RMR de Sherbrooke qui ont le plus tendance à quitter pour Montréal, contrairement à ceux de Gatineau qui s’y retrouvent en très faible proportion (données non illustrées). L’accroissement de la part des sortants parmi les immigrants de 2004 s’observe cependant tant à Sherbrooke qu’à Gatineau, tandis que Québec enregistre plutôt une légère diminution, étant la seule à maintenir sa force de rétention auprès des immigrants les plus récents.

Figure 6

Part des survivants résidant à Montréal selon la région d’établissement initiale, par cohorte et durée d’établissement

Part des survivants résidant à Montréal selon la région d’établissement initiale, par cohorte et durée d’établissement
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Le Québec hors agglomérations présente un profil semblable à celui des métropoles régionales, marqué par des proportions de sortants équivalentes au sein des cohortes 1992 et 2004. Les agglomérations secondaires se distinguent quant à elles clairement des deux autres régions avec des proportions de sortants qui diminuent nettement d’une cohorte à l’autre. L’amélioration de la rétention de cette région est considérable, la part des survivants qui résident à Montréal après trois ans d’établissement étant passée de 21 % parmi les immigrants de 1992 à 12 % parmi ceux de 2004. Cette dernière proportion est la même que celle observée dans les métropoles régionales, ce qui pourrait signifier que face à la force d’attraction de Montréal, la capacité de rétention des agglomérations secondaires serait devenue équivalente à celle des plus grands centres urbains. Il est par ailleurs à noter que c’est la réduction de la propension à quitter pour Montréal des immigrants établis initialement dans les agglomérations secondaires qui explique que les proportions de sortants de l’ensemble du Québec hors Montréal demeurent un peu moins élevées au sein de la cohorte 2004 que de celle de 1992.

L’amélioration de la capacité à attirer des immigrants de Montréal apparaît généralisée, comme l’illustre la figure 7 avec les proportions d’immigrants qui ont quitté Montréal pour les trois régions du reste du Québec. Celles-ci s’élèvent d’une cohorte à l’autre dans toutes les régions, mais les métropoles régionales ont connu la progression la plus marquée. Elles étaient déjà la destination principale des sortants de Montréal des cohortes 1992 et 1996, mais elles ont accueilli jusqu’à la moitié de ceux des cohortes 2000 et 2004. Les RMR de Québec, Gatineau et Sherbrooke sont toutes trois devenues plus attractives, mais l’amélioration est plus importante à Québec, qui s’est positionnée comme première destination chez les cohortes 2000 et 2004, tandis que Gatineau occupait ce rang chez les précédentes. Les proportions d’immigrants qui se réinstallent dans les autres régions sont encore très faibles malgré leur tendance à la hausse. Mentionnons toutefois que les agglomérations secondaires ont attiré davantage d’entrants que le Québec hors agglomérations au sein des cohortes 2000 et 2004, ce qui marque un changement par rapport aux cohortes plus anciennes.

Figure 7

Part des survivants établis initialement à Montréal et réinstallés dans le reste du Québec selon la nouvelle région de résidence, par cohorte et durée d’établissement

Part des survivants établis initialement à Montréal et réinstallés dans le reste du Québec selon la nouvelle région de résidence, par cohorte et durée d’établissement
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Les distinctions relatives à la rétention et à l’attraction se traduisent par des indices de migration nette dont l’évolution diffère d’une région à l’autre (figure 8). Comptant sur une force de rétention et d’attraction en progression, les agglomérations secondaires ont connu une amélioration générale de leur bilan migratoire au cours du dernier intervalle, qui couvre les années 2003 à 2007. Cette amélioration se traduit par une réduction des pertes chez les cohortes 1992 et 1996, l’apparition de gains chez celle de 2000 et un indice positif dès la première année chez celle de 2004. Les gains enregistrés au sein de cette dernière cohorte ont grandement contribué à maintenir des indices de migration nette positifs dans l’ensemble du Québec hors Montréal, puisque les deux autres régions ont vu leurs indices s’affaiblir par rapport à ceux atteints au sein de la cohorte 2000.

Figure 8

Indice de migration nette avec Montréal, par cohorte et durée d’établissement, régions hors Montréal

Indice de migration nette avec Montréal, par cohorte et durée d’établissement, régions hors Montréal
Source : exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec

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Le Québec hors agglomérations maintient des indices positifs chez les quatre cohortes, mais il est favorisé en cela par des sorties qui, en termes absolus, sont peu nombreuses et donc plus faciles à compenser. D’ailleurs, bien que les indices demeurent positifs, les échanges avec Montréal ne semblent pas lui être devenus plus profitables au cours de la période. Il faut dire que sa capacité de rétention ne s’est pas renforcée, tandis que sa capacité à attirer des immigrants de Montréal demeure très faible.

Les métropoles régionales, qui influencent grandement les résultats pour l’ensemble du Québec hors Montréal, ont attiré davantage d’immigrants qu’elles n’en ont perdus au sein de la cohorte 2000, mais elles renouent avec les déficits avec la cohorte 2004. Comme les deux autres régions maintiennent des indices positifs, le retour des déficits fait figure de contre-performance et s’explique principalement par le fait que les immigrants de 2004 ont été plus susceptibles de partir vers Montréal que ceux de la cohorte 2000. Si la rétention apparaît comme la principale faiblesse des métropoles régionales, leur force d’attraction s’est toutefois grandement améliorée. De ce fait, les pertes ne représentent que 1 % des survivants de la cohorte 2004, leur ampleur étant beaucoup moins importante qu’au sein des cohortes 1992 et 1996. Des données non illustrées démontrent que les pertes sont concentrées dans les RMR de Québec et de Sherbrooke, alors que Gatineau se démarque avec des surplus chez les quatre cohortes.

Synthèse et conclusion

La description des trajectoires résidentielles internes des immigrants est d’un grand intérêt à la lumière des objectifs de régionalisation et face à la volonté de plusieurs régions et municipalités d’accueillir davantage d’immigrants qui s’y installeront en permanence. Elle permet premièrement de mieux comprendre la dynamique résidentielle des immigrants et son incidence sur la répartition spatiale de l’immigration et, deuxièmement, de voir comment a évolué la force d’attraction et de rétention de différentes régions au fil du temps et des cohortes. Il aurait été étonnant d’observer des bouleversements majeurs dans les préférences résidentielles des immigrants, puisque celles-ci relèvent de tendances lourdes, notamment de la dynamique des chaînes migratoires, des mécanismes d’insertion des immigrants sur le marché du travail et de la répartition géographique des services qui leur sont destinés. Nos résultats soulèvent toutefois quelques changements qui, bien que possiblement en deçà des attentes de certains acteurs, suggèrent que le contexte serait devenu un peu plus propice à l’établissement des immigrants hors Montréal.

Nous avons vu dans la première section des résultats que le choix du premier lieu de résidence conditionne en grande partie la présence d’immigrants hors Montréal, étant donné que la part de ceux qui y résident change peu en fonction de la durée d’établissement. Soulignons que la majorité des immigrants demeurent encore dans leur première région d’établissement à la fin de notre période d’observation, autant ceux qui se sont établis initialement à Montréal que dans le reste du Québec, ce qui contribue à la stabilité de la répartition spatiale des cohortes au fil du temps. Le fait que les immigrants nouvellement arrivés au Québec s’installent plus souvent qu’auparavant à l’extérieur de Montréal est donc un changement appréciable.

Bien que son effet net sur la répartition spatiale des quatre cohortes à l’étude soit de faible ampleur, la migration secondaire interne nous en dit également long sur le potentiel d’accueil des régions. L’aspect le plus important soulevé à cet égard dans la deuxième section des résultats est sans aucun doute l’accroissement des proportions d’immigrants qui quittent Montréal pour se réinstaller dans un plus petit centre, que ce soit dans les métropoles régionales, les agglomérations secondaires ou le Québec hors agglomérations. Ces mouvements demeurent relativement peu fréquents, mais le fait que le reste du Québec représente une alternative pour une part grandissante des immigrants nouvellement arrivés dans la grande métropole pourrait révéler une progression de la perception des possibilités offertes par les plus petites municipalités. Les résultats sont plus mitigés en ce qui a trait à la rétention des immigrants hors Montréal, qui n’aurait pas progressé chez les trois dernières cohortes. Si la rétention des immigrants de 2004 demeure supérieure à celle de la cohorte 1992, elle s’est légèrement affaiblie par rapport à celle des cohortes 1996 et 2000. De façon générale, la rétention demeure surtout problématique au cours des toutes premières années d’établissement.

Les programmes de régionalisation misent sur les centres urbains principaux que sont Québec, Gatineau et Sherbrooke, jugés mieux outillés que les plus petites villes pour offrir aux immigrants les conditions de vie susceptibles de mener à un établissement durable. Nous aurions donc pu nous attendre à ce que ceux-ci présentent la meilleure rétention et soient responsables de la récente amélioration de la force d’attraction du Québec hors Montréal. La dernière section de résultats a confirmé en partie cette hypothèse, puisque les métropoles régionales se montrent effectivement plus attractives que les agglomérations secondaires ou le Québec hors agglomérations. Si elles accueillent davantage de nouveaux arrivants et d’entrants de Montréal que les deux autres régions, elles ne perdent toutefois pas moins d’immigrants au profit de Montréal. Par ailleurs, leur rétention ne montre pas de signes d’amélioration tangibles, puisque les immigrants les plus récents et ceux admis au début des années 1990 affichent des proportions de sortants semblables.

Les résultats font surtout ressortir un renforcement inattendu de la force d’attraction et de rétention des agglomérations secondaires, dont la contribution de plus en plus positive au bilan global du Québec hors Montréal est à souligner. Les immigrants sont proportionnellement de plus en plus nombreux à s’y établir à leur arrivée au Québec et ont de moins en moins tendance à en partir. Les immigrants de Montréal s’y réinstallent aussi plus fréquemment qu’auparavant. Le fait qu’elles enregistrent des indices de migration nette positifs au sein de la cohorte 2004 contrebalance le retour des déficits dans les métropoles régionales et explique les légers gains affichés dans l’ensemble du Québec hors Montréal. Si elles continuent d’améliorer leur « performance », les agglomérations secondaires pourraient être considérées comme des acteurs plus importants dans le maintien, voire l’accroissement de la présence d’immigrants hors Montréal.

Les changements observés en matière d’attraction et de rétention des immigrants hors Montréal s’inscrivent dans un contexte où l’on cherche à accroître la présence d’immigrants dans le reste du Québec, mais surviennent aussi parallèlement à des modifications dans la composition des flux migratoires et à des transformations dans les tendances de migrations internes au Québec, évolutions qui ne sont peut-être pas sans lien avec nos résultats. Par exemple, selon les données du MICC, la part des nouveaux arrivants qui maîtrisent le français s’est grandement accrue au cours des dernières années : elle est passée de 36 % en 1992 à 55 % en 2004 (et a atteint 64 % en 2009). Nous savons par ailleurs que les immigrants qui parlent le français sont surreprésentés parmi ceux qui résident à l’extérieur de Montréal (MRCI, 2004b) où le français est très souvent l’unique langue de l’activité économique et des contacts sociaux. Il est possible que l’accroissement de l’immigration francophone ait favorisé l’établissement initial dans le reste du Québec d’une plus grande part d’immigrants récents en comparaison de ce qu’on observait chez les immigrants admis au début des années 1990. Il est aussi probable que les immigrants qui quittent Montréal pour une autre région (souvent assez rapidement après leur arrivée) parlent le français comme première ou seconde langue, leurs capacités linguistiques pouvant faciliter et accélérer leur accès à l’information sur, notamment, les occasions d’emploi dans le reste du Québec.

En ce qui concerne plus généralement l’évolution de la migration interne au Québec, la comparaison des données des recensements de 2001 et de 2006 montre que le solde migratoire du reste du Québec avec la RMR de Montréal, qui avait été largement négatif entre 1996 et 2001 (– 31 270 personnes), est devenu fortement positif entre 2001 et 2006 (29 195). Ce revirement s’explique autant par un accroissement du nombre d’individus qui ont quitté Montréal pour le reste du Québec d’une période à l’autre que par une réduction du nombre de migrants en sens inverse. Cette nouvelle réalité migratoire apparaît plus propice à des changements dans les comportements résidentiels des immigrants. On peut en effet penser que l’établissement durable des nouveaux arrivants et des immigrants de Montréal dans le reste du Québec peut difficilement se faire à contre-courant des tendances migratoires générales. Ces considérations ont d’ailleurs déjà amené des chercheurs à s’interroger et à réviser la relation établie initialement entre la régionalisation de l’immigration et le développement régional. Plutôt que de voir la régionalisation comme un facteur de dynamisation des régions à faible densité d’immigration, ces auteurs stipulent que seule une stratégie de développement régional globale, axée notamment sur l’emploi et la qualité de vie, mènera durablement à une plus grande dispersion des immigrants sur le territoire (Citoyenneté et Immigration Canada, 2001 ; Simard ; 1996).

Afin de mieux comprendre et avant de conclure à des modifications durables de la force d’attraction et de rétention que le Québec hors Montréal exerce sur les immigrants, il nous faudra étendre l’étude à de nouvelles cohortes et allonger la période d’observation des cohortes suivies jusqu’à maintenant. Là réside justement la richesse des données utilisées, puisque l’ajout annuel de nouvelles informations permet de poursuivre l’analyse des tendances les plus intéressantes. Les résultats peuvent également être enrichis par la prise en compte de l’âge (St-Amour, 2010) ou du sexe des immigrants. Nous restons toutefois confrontés au fait que, outre ces deux variables de base, le FIPA ne permet pas de dessiner le profil des immigrants qui s’établissent hors Montréal ou d’identifier directement les facteurs socioéconomiques associés aux nouvelles tendances observées. En présentant une nouvelle mesure de la force d’attraction et de rétention du Québec hors Montréal, notre étude veut toutefois marquer un pas supplémentaire vers une évaluation plus complète de cette force et, partant de là, de l’identification des divers éléments qui lui sont favorables.