Résumés
Résumé
L’industrialisation qui marque la ville de Québec à la fin du xixe siècle est associée à une généralisation de la fréquentation scolaire, mais aussi à une mise au travail plus précoce des enfants. Ainsi, plutôt que d’accompagner une expansion de la scolarisation, l’industrialisation aurait nui à l’allongement de la fréquentation scolaire en générant des emplois qui exigent peu de qualifications, dont certains pouvaient même être exercés par des enfants. Par ailleurs, le paysage culturel diversifié de Québec au xixe siècle permet de vérifier le « mythe » de la sous-scolarisation des Canadiens français. En bref, ces derniers se distinguent des Irlandais catholiques et de l’ensemble des Protestants par des taux de fréquentation scolaire plus faibles et une mise au travail des enfants plus courante. Or, l’analyse statistique ne nous permet pas d’attribuer cette faible fréquentation scolaire uniquement à la culture canadienne-française. Les enfants d’origine canadienne-française des classes sociales supérieures ont des taux élevés de fréquentation scolaire. Bien plus, une fois contrôlé l’ensemble des variables, l’effet de la classe sociale l’emporte sur l’effet de l’appartenance culturelle, résultat qui fait écho à la thèse de la reproduction sociale.
Abstract
The industrialization that marked Québec City at the end of the 19th century is linked with school attendance becoming more widespread but also with children’s earlier entry onto the labour market. Therefore, rather than go hand-in-hand with expanded educational opportunities, industrialization actually stunted the longevity of school attendance by generating jobs that called for few qualifications and that could be held by children. Moreover, Québec City’s diversified cultural landscape in the 19th century allows us to test the “myth” of French Canadians’ low education levels. In sum, when compared to the Irish Catholics and all Protestant groups, this population showed lower rates of school attendance and more common child labour. However, a statistical analysis does not make it possible to attribute this low school attendance to French Canadian culture alone. Children of French Canadian origin from higher social classes showed high rates of school attendance. More importantly, once controlled for all variables, the effect of social class prevails over that of ethnic group, a result that confirms the social reproduction hypothesis.
Corps de l’article
Introduction
La ville de Québec à la fin du xixe siècle constitue un espace-temps propice à l’étude de la fréquentation scolaire, et ce, à plusieurs égards. D’abord, notons que la culture savante, autant que la culture populaire, est imprégnée de l’idée que les Canadiens français étaient peu portés vers l’instruction. Le portrait particulièrement sombre de l’instruction au Bas-Canada qu’ont dépeint le rapport de Lord Durham (1840) et l’Histoire du Canada de Garneau (1845) est régulièrement repris dans la littérature savante du xxe siècle. Mais de trop rares travaux de recherche ont tenté de comparer la fréquentation scolaire des Canadiens français à celle des autres groupes ethno-religieux qui occupaient le territoire du Québec à l’époque, comme si le « mythe » de la sous-scolarisation des Canadiens français avait rendu superflue une telle entreprise. Or, la forte immigration que connaît la ville de Québec au xixe siècle rend possible cette comparaison : plusieurs Anglais et Écossais se sont établis à Québec avec la Conquête britannique, la fin des guerres napolitaines, la révolution industrielle et la crise en milieux agricoles (Rudin, 1986 : 43-62) tandis que les ravages de la famine en Irlande dans les années 1840 ont forcé nombre d’Irlandais à quitter leur terre natale pour s’installer à Québec (Grace, 2001). Les enfants d’origine canadienne-française de Québec étaient-ils si peu nombreux à fréquenter l’école en comparaison de leurs homologues d’origine irlandaise, anglaise et écossaise? Si tel est le cas, était-ce en raison de traits culturels qui les portaient moins vers la scolarisation, ou à cause de leur classe sociale qui les orientait vers des emplois moins qualifiés?
Par ailleurs, étudier la fréquentation scolaire au sein de la ville de Québec dans la deuxième moitié du xixe siècle nous permet de revisiter la thèse fonctionnaliste voulant que l’industrialisation s’accompagne d’une expansion de la scolarisation (Guest et Tolnay, 1985). Après avoir traversé une profonde crise économique dans les années 1860, la ville de Québec délaisse ses deux principaux secteurs d’activités (soit l’industrie du bois et la construction navale) pour se concentrer sur l’industrie de la chaussure et du textile, entrant progressivement dans l’ère industrielle. En ciblant deux moments clés de l’histoire de Québec, soit 1871 (qui marque le début de la reprise économique) et 1901 (qui caractérise le passage à l’industrialisation), il est donc possible d’évaluer l’effet de l’industrialisation de Québec sur la fréquentation scolaire. L’industrialisation de Québec a-t-elle rendu nécessaire le passage sur les bancs d’école pour occuper un emploi ou, au contraire, a-t-elle conduit à une mécanisation du travail, le rendant exécutable par une main-d’oeuvre non qualifiée, voire une main-d’oeuvre infantile?
Notre recherche a donc porté sur l’occupation des enfants de la ville de Québec en 1871 et en 1901 dans le but d’examiner les déterminants de la fréquentation scolaire. À cet égard, trois principaux modèles d’interprétation émergent de la littérature consultée : le modèle économique, le modèle culturel et la thèse de la reproduction sociale. D’après le modèle économique, la fréquentation scolaire est une résultante de la structure de l’emploi. En ce sens, si le Canada français accuse un retard sur le Canada anglais en matière de scolarisation, c’est en raison de l’économie québécoise qui, longtemps basée sur l’industrie légère et l’agriculture, aurait maintenu l’inutilité de la scolarisation pour occuper un emploi (Hamel, 1981). Dans cette perspective, des auteurs soutiennent que le travail des enfants était souvent nécessaire à la survie des familles dans les villes du Québec en voie d’industrialisation, que ce soit par le biais d’un emploi rémunéré (Coop, 1974 et Rouillard, 1974) ou par la participation aux tâches domestiques (Marcoux, 2003), ce qui n’est pas sans nuire à la fréquentation scolaire.
D’après le modèle culturel, chaque groupe socioculturel investit dans la scolarisation en fonction de la valeur qu’il lui accorde. Dans cette perspective, la culture canadienne-française et l’idéologie catholique sont mises en cause pour expliquer la sous-scolarisation des Canadiens français. Léon Gérin (1897 et 1898), un des pionniers de la sociologie québécoise, soutient l’influence de la tradition culturelle pour expliquer la présence de taux d’alphabétisation plus faibles au Canada français. Selon lui, les Canadiens français se caractérisent par une tradition communautaire – impliquant une dépendance et une apathie civique – qui les aurait peu portés vers l’instruction. En revanche, les Canadiens anglais se distinguent par une tradition particulariste – marquée par l’initiative, la débrouillardise et l’esprit d’entreprise – qui les rendait favorables à l’instruction. Pour sa part, Fahmy-Eid (1978) fait valoir que l’idéologie conservatrice du clergé catholique au milieu du xixe siècle attribuait à l’instruction un caractère distinct en fonction de la classe sociale. La volonté de la Providence en matière de classe sociale devait être respectée afin d’éviter tout « déplacement social ». Autrement dit, un enfant né au bas de l’échelle sociale devait y rester. L’auteur conclut que cette idéologie aurait contribué « à ralentir sinon à arrêter les tentatives visant à rendre l’éducation plus accessible aux classes populaires » (Fahmy-Eid, 1978 : 160-161). D’après Greer (1978), cette position des catholiques conservateurs serait liée au fait que le catholicisme favorise l’éducation religieuse par l’intermédiaire du clergé par opposition aux religions protestantes qui prônent l’appropriation individuelle des lectures saintes, valorisant du même coup l’alphabétisation. Une telle emprise de la religion sur la scolarisation fait d’ailleurs écho à la thèse weberrienne sur l’éthique protestante (Weber, 1964).
Quant à la thèse de la reproduction sociale, elle soutient que les parents des classes laborieuses ne seraient pas portés à scolariser leurs enfants puisque les emplois qu’ils seront appelés à occuper n’en exigent pas. Une reproduction à l’identique tendrait ainsi à se perpétuer de génération en génération, en dépit de l’ouverture de l’école aux enfants de toutes les classes sociales. Dans cette perspective, des historiens comme Bernier et Boily (1986), Ouellet (1997) et Verrette (2002) évoquent la concentration des Canadiens français dans la classe laborieuse pour rendre compte de leur faible propension aux études. De fait, ce n’est pas tant la culture canadienne-française qui est pour eux en cause, mais le fait que les Canadiens français étaient surreprésentés dans les catégories d’emplois les moins exigeantes en termes de critère d’embauche, par opposition aux anglophones qui exerçaient plus fréquemment des professions de fonctionnaires et de commerçants qui nécessitent une plus longue scolarisation.
À partir des données des recensements canadiens de l’époque[2], notre recherche tente d’évaluer la prégnance de chacun de ces modèles dans la ville de Québec au tournant du xxe siècle. Comme le soulignent Marcoux (2003), Charland (2000) et Ouellet (1984), le recensement constitue une source de données fiable pour étudier l’évolution de la fréquentation scolaire des enfants. De fait, notre attention s’est posée sur la fréquentation scolaire, c’est-à-dire la proportion d’enfants qui fréquentaient l’école en 1871 et en 1901. Cet indicateur désigne le fait que les enfants allaient ou non à l’école au cours de chacune des deux années étudiées et, comme d’autres l’ont précisé avant nous (Briand et al., 1980; Dufour, 1988), il ne nous informe pas de la régularité[3] de la présence en classe, ni de la durée effective des études.
Par ailleurs, l’identification des Canadiens français dans les recensements de l’époque est possible grâce au croisement de deux variables disponibles : l’origine ethnique (l’origine française par opposition à l’origine irlandaise, anglaise ou écossaise) et la religion (la religion catholique par opposition à la religion protestante). C’est pour cette raison que les Canadiens français seront identifiés dans ce texte par l’expression « Français catholiques ». Les autres groupes ethno-religieux étudiés sont les Irlandais catholiques et l’ensemble des Protestants. Si différents puissent-ils être, les Protestants de différentes origines (principalement écossaise et anglaise) n’ont pu être étudiés distinctement puisqu’ils étaient trop peu nombreux pour constituer des catégories significatives.
Dans le cadre de cet article, nous présentons les principaux résultats de cette recherche en trois temps. Dans un premier temps est décrite l’évolution de l’occupation des enfants entre 1871 et 1901, soit la fréquentation de l’école et l’occupation d’un emploi salarié, de manière à vérifier l’impact de l’industrialisation. Dans un deuxième temps sont exposés les modèles de scolarisation des trois principaux groupes ethno-religieux de Québec, en vue de cerner les particularités des Français catholiques. Enfin, dans un troisième temps, nous évaluons les déterminants de la fréquentation scolaire par le biais de diverses analyses statistiques.
1 L’évolution de la fréquentation scolaire au tournant du xxe siècle et l’effet de l’industrialisation
Si aujourd’hui la fréquentation de l’école est la principale activité des enfants, la situation était tout autre dans un passé relativement récent. Avant l’entrée en vigueur d’une loi sur l’obligation scolaire, la fréquentation de l’école relevait de la volonté des parents. Or, le Québec s’est doté d’une telle loi en 1943, bien après le Danemark (1840), la France (1882), l’Ontario (1891) et l’ensemble des autres provinces du Canada (1931). La lutte ayant conduit à la fréquentation scolaire obligatoire des enfants de 6 à 14 ans aura duré près de 70 ans au Québec (Audet, 1971).
Entre-temps, le Québec s’est toutefois doté de lois pour interdire le travail des enfants (Hamel, 1984). En 1885, l’âge minimum pour travailler au sein d’une entreprise de 20 employés et plus est fixé à 12 ans chez les garçons[4] et à 14 ans chez les filles. En 1888, des inspecteurs sont nommés pour faire respecter cette directive. Or, ils ne seront que trois à couvrir l’ensemble de la province du Québec. Il est possible de croire que ces lois pouvaient être contournées, comme en témoigne d’ailleurs le rapport de l’inspecteur de manufactures de Québec en 1900, P. J. Jobin (RCTP, 1900 : 145, cité dans Larocque, 1970 : 87). Il faut aussi prendre en considération que le travail juvénile ne se limitait pas aux grandes entreprises : la participation à l’entreprise familiale et la contribution aux tâches domestiques, qui incombaient souvent aux enfants, restaient libres de toute législation (Marcoux, 2003).
Tout compte fait, l’analyse des données de recensement permet de dégager deux principaux constats au regard de l’occupation des enfants pour la période allant de 1871 à 1901 : la généralisation de la fréquentation scolaire et l’expansion du travail juvénile.
1.1 La fréquentation scolaire se généralise entre 1871 et 1901
Les données de recensement de la ville de Québec démontrent que la fréquentation scolaire est courte dans la deuxième moitié du xixe siècle (graphique 1). Elle se concentre généralement de 7 à 13 ans et, à ces âges, peu d’écarts s’observent entre garçons et filles. Quoi qu’il en soit, la fréquentation scolaire se généralise entre 1871 et 1901. En 1901, presque tous les enfants âgés de 8 à 11 ans fréquentent l’école alors que cette proportion dépassait à peine les 80 % en 1871. Les différences de genre deviennent marquantes à partir de 13-14 ans alors que les filles quittent l’école plus massivement. Le système scolaire de l’époque est forcément en cause puisque des filières distinctes selon le genre sont maintenues dans le réseau catholique : mis à part l’école normale qui visait à former des instituteurs et des institutrices, les seuls enseignements professionnels possibles pour les filles catholiques sont desservis par des écoles ménagères et des instituts familiaux, mais aucun ne leur donnait accès à l’université (Dufour, 1997).
S’il y a généralisation de la fréquentation scolaire entre 1871 et 1901, on ne peut toutefois parler d’allongement de la scolarisation. La proportion d’enfants de 12 à 17 ans qui fréquentent l’école n’augmente que légèrement entre les deux moments étudiés, et davantage chez les garçons que chez les filles. En 1901, la fréquentation scolaire demeure incertaine chez les enfants de 12 ans et elle reste le lot d’une minorité chez ceux de 16 ans et plus. C’est donc de 12 à 15 ans qu’un enfant est le plus à risque de délaisser les bancs d’école, et ce, tant en 1871 qu’en 1901.
L’industrialisation que connaît la ville de Québec à la fin du xixe siècle n’a donc pas entravé la généralisation de la fréquentation scolaire de 8 à 11 ans. Il est donc possible de croire que les lois limitant le travail des enfants dans les grandes entreprises ont pu avoir une certaine influence positive sur la fréquentation scolaire des enfants âgés de moins de 12 ans. En revanche, l’industrialisation de Québec a fort probablement limité l’allongement de la fréquentation scolaire aux âges avancés, c’est-à-dire après 12 ans. Les industries légères qui occupaient une place importante de l’économie de la ville devaient générer une forte demande pour une main-d’oeuvre non qualifiée. Ce faisant, le passage à l’école n’était pas essentiel pour occuper un emploi.
1.2 L’expansion du travail juvénile
Dans le contexte où de nombreux emplois dans la ville de Québec exigent peu de qualifications, peut-on penser que les enfants qui désertaient les bancs d’école de 12 à 15 ans étaient mis au travail? De fait, l’analyse des données de recensement révèle que l’occupation d’un emploi salarié chez les enfants de Québec est plus courante en 1901 qu’en 1871 (graphique 2). Cette augmentation du travail juvénile apparaît plus marquée chez les filles, du fait qu’elles n’occupaient que rarement un emploi en 1871. À l’âge de 14 ans, la proportion de filles qui occupent un emploi s’estime à 8 % en 1871 et à 18 % trente ans plus tard. Cet écart entre 1871 et 1901 se prolonge d’âge en âge, pour atteindre environ 20 points de pourcentage vers 16 ans. L’occupation d’un emploi est aussi en hausse chez les garçons. Par exemple, la mise au travail des garçons de 14 ans double entre 1871 et 1901, passant de 16 % à 31 %. L’industrialisation de Québec à la fin du xixe siècle a donc entraîné une ouverture du marché du travail aux enfants en général, et à la gent féminine en particulier.
En bref, l’expansion du travail juvénile entre 1871 et 1901 ne se traduit pas par une baisse des taux de fréquentation scolaire. Il ne semble donc pas exister de vase communicant entre la fréquentation scolaire et l’occupation d’un emploi puisque la fréquentation de l’école se généralise au même moment où le travail juvénile se multiplie. En fait, c’est « l’absence d’occupation enregistrée » qui est en baisse, c’est-à-dire les enfants pour qui aucune occupation n’est colligée au recensement. Cependant, nous ne pouvons présumer que ces enfants à la fois absents de l’école et du marché du travail étaient pour autant inactifs. Pour Marcoux (2003) et Hamel (1981), ces enfants participaient fort probablement aux travaux domestiques. Malheureusement, les recensements de l’époque ne recueillaient pas de telles données qui nous permettraient de vérifier cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, il faut retenir que la thèse fonctionnaliste n’est pas complètement confirmée en ce qui concerne la ville de Québec à la fin du xixe siècle : si l’industrialisation de Québec en 1901 s’est accompagnée d’une généralisation de la fréquentation scolaire de 9 à 11 ans, elle a fort probablement nui à son allongement en générant des opportunités d’emplois aux enfants, dans certains cas dès l’âge de 12 ans. Ces résultats viennent corroborer ceux de Zelizer (1985) et de Walters et O’Connell (1988) en ce qui touche les États-Unis au tournant du xxe siècle.
2 Les traits distinctifs des Canadiens français
À l’époque, le système scolaire québécois se compose de deux réseaux : l’un catholique, l’autre protestant. C’est donc en fonction de la religion – et non de la langue – que les enfants étaient regroupés. Les Irlandais catholiques de langue anglaise se joignaient donc aux Canadiens français dans le réseau catholique plutôt qu’aux autres enfants anglophones du réseau protestant. Ainsi, des écoles catholiques disposaient de classes de langue anglaise expressément pour les Irlandais. Des écoles irlandaises pouvaient également être mises sur pied là où les Irlandais étaient suffisamment nombreux pour s’organiser, comme à Québec au xixe siècle (Rivet, 1969). Les voies d’accès aux études supérieures paraissent plus restreintes au sein du réseau catholique, et ce, en particulier pour les filles (Dufour, 1997). Par opposition, les high schools du réseau protestant donnaient directement accès à l’université (Charland, 2000).
Certains travaux, dont ceux de Dufour (1988), soutiennent que la fréquentation scolaire est fonction de l’offre institutionnelle, c’est-à-dire de la disponibilité des écoles. Dans cette perspective, peut-on penser que l’organisation scolaire qui prévalait au Québec à la fin du xixe siècle a nui aux Canadiens français, dans la mesure où ceux-ci avaient plus difficilement accès aux études supérieures? Les Canadiens français se distinguaient-ils des autres groupes qui habitaient la ville de Québec, y compris des Irlandais catholiques avec qui ils partageaient le réseau scolaire catholique? C’est en comparant la fréquentation scolaire des principaux groupes en présence que nous pourrons répondre à ces questions et vérifier si le « mythe » de la sous-scolarisation des Canadiens français est ou non fondé.
Tout compte fait, les données de recensement révèlent que les Français catholiques se démarquent des Irlandais catholiques et de l’ensemble des Protestants, sur trois aspects en particulier.
2.1 Des taux de fréquentation scolaire plus faibles
En règle générale, les Français catholiques se distinguent par des taux de fréquentation scolaire plus faibles que les Irlandais catholiques et les Protestants, tant en 1871 (tableau 1) qu’en 1901 (tableau 2). Même si l’écart entre les groupes s’amenuise en 1901, à cause de la généralisation de la fréquentation scolaire de 8 à 11 ans, il demeure notable, surtout aux âges avancés. Chez les enfants de 14 ans par exemple, les taux de fréquentation scolaire sont respectivement de 57 % et 48 % chez les garçons et chez les filles d’origine catholique-française alors que ces pourcentages se chiffrent, respectivement, à 63 % et à 78 % chez les Irlandais catholiques et à 84 % et 74 % chez les Protestants. Dans l’ensemble, les Protestants se démarquent des autres groupes ethno-religieux par des taux de fréquentation scolaire plus élevés. Il faut toutefois noter que les Irlandaises catholiques fréquentent autant l’école que leurs homologues de religion protestante.
Ces observations peuvent être mises en lumière par la thèse de Dufour (1988) sur l’influence des ressources éducatives. D’abord, il est possible d’expliquer les taux élevés de fréquentation scolaire des Protestants aux âges avancés par la présence des high schools qui rendaient les études supérieures facilement accessibles à ce groupe. Toutefois, au sein du même réseau scolaire, les Irlandais catholiques affichent des taux de fréquentation scolaire supérieurs aux Français catholiques. C’est donc dire que d’autres paramètres que l’offre institutionnelle doivent expliquer l’écart entre les Irlandais et les Français de religion catholique.
2.2 Une mise au travail des enfants plus fréquente
Les taux d’occupation d’un emploi salarié les plus élevés sont trouvés chez les Français catholiques, et ce, tant chez les garçons que chez les filles en 1871 (graphique 3) et en 1901 (graphique 4). D’ailleurs, les différences entre les groupes ethno-religieux se creusent entre les deux moments étudiés. En 1901, 32 % des garçons d’origine catholique-française âgés de 14 ans occupent un emploi, contre 29 % des Irlandais catholiques et 8 % des Protestants. Chez les filles au même âge, l’écart est encore plus prononcé : moins de 5 % des Irlandaises catholiques et des Protestantes sont trouvées sur le marché du travail, comparativement à 21 % chez les Françaises catholiques. En somme, le travail juvénile en 1901 touche l’ensemble des garçons catholiques ainsi que les filles d’origine catholique-française.
2.3 Une différenciation sexuelle distincte
Par ailleurs, il ressort des données de recensement que les Français catholiques tendent à investir dans la scolarisation des garçons. En effet, à compter de 12 ans, les taux de fréquentation scolaire sont toujours plus élevés chez les garçons que chez les filles. Par comparaison, les Irlandais catholiques investissent dans la scolarisation des filles : les taux de fréquentation scolaire des filles sont plus élevés que ceux des garçons, ces derniers étant mis au travail à un âge précoce. En revanche, les différences de genre sont minces chez les Protestants.
Bref, les données de recensement révèlent que chaque groupe ethno-religieux adopte un modèle particulier de scolarisation. Les Français catholiques se distinguent par des taux de fréquentation scolaire plus faibles. Les différences entre garçons et filles, à l’avantage des premiers, sont marquées. En 1901, la mise au travail des garçons se fait tôt et elle devient fréquente chez les filles. Quant aux Irlandais catholiques, ils se caractérisent par un investissement dans la scolarisation des filles. La mise au travail des garçons est certes précoce en 1901, mais elle est rare chez les filles. Les Protestants se démarquent quant à eux par des taux de fréquentation scolaire plus élevés et des taux d’occupation d’un emploi salarié plus faibles, et ce, autant chez les garçons que chez les filles. Cette triangulation des modèles de scolarisation en fonction du groupe ethno-religieux fait écho aux travaux de Olson et Thornton (1992 et 2001) en ce qui touche les comportements démographiques (essentiellement la fécondité et la nuptialité) au sein de la ville de Montréal au xixe siècle.
De fait, force est d’admettre que les Français catholiques étaient moins portés vers l’instruction que les Irlandais catholiques et que les Protestants, ce qui tend à confirmer l’idée d’une sous-scolarisation des Canadiens français. Les modèles d‘interprétation qui se dégagent de la littérature peuvent servir à éclairer ce phénomène. C’est l’objectif que nous poursuivons à la section suivante.
3 Les déterminants de la fréquentation scolaire : entre l’appartenance culturelle et la classe sociale
À quoi attribuer les faibles taux de fréquentation scolaire des Français catholiques? Est-ce en raison de traits culturels qui les portaient moins vers la scolarisation, en conformité avec le modèle culturel? Ou serait-ce à cause de leur concentration au bas de l’échelle sociale, à l’instar de ce que soutient la thèse de la reproduction sociale? Plusieurs variables de recensement ont servi à évaluer la prégnance de ces modèles[5] d’interprétation pour la ville de Québec en 1871 et en 1901. Pour rendre compte de l’appartenance culturelle des enfants, nous considérons l’origine ethnique, la religion et la langue maternelle, et ce, à partir des caractéristiques du chef de famille, généralement de sexe masculin[6]. Quant à la classe sociale, ce sont l’occupation du chef de famille[7] et la présence de domestiques dans la famille qui nous permettent d’en rendre compte. Ces choix méthodologiques sont confortés par la littérature (Katz, 1972; Katz et Davey, 1978; Hobsbawm, 1969).
Trois types d’analyses statistiques nous permettent de saisir l’effet de chacune de ces variables sur la fréquentation scolaire, soit une analyse bivariée (section 3.1), une analyse multivariée (section 3.2) et une analyse de régression multiple (section 3.3). Seuls les enfants de 12 à 15 ans sont ici retenus, puisque la fréquentation scolaire est à ces âges particulièrement critique. En dépit de cette restriction, le bassin d’enfants demeure assez volumineux pour être significatif.
3.1 Les caractéristiques qui influencent la fréquentation scolaire
D’importantes variations dans les taux de fréquentation scolaire s’observent en fonction des variables reliées à l’appartenance culturelle des enfants. À la lumière des données présentées au tableau 3, il apparaît d’abord que les enfants catholiques de 12 à 15 ans fréquentent l’école dans une proportion plus faible que leurs homologues protestants. Ce constat prévaut autant pour 1871 que pour 1901. En 1871, la fréquentation scolaire est le lot de 54 % des enfants catholiques contre 73 % des enfants protestants, soit un écart de 19 points de pourcentage. Cet écart diminue légèrement en 1901, pour se fixer à 15 points de pourcentage, et ce, en raison des gains marqués par les Catholiques entre 1871 et 1901. Ces résultats sont similaires à ceux observés en Ontario pour la même période (Katz, 1972) et confortent l’idée que le catholicisme favorise moins l’instruction que le protestantisme (dont Charland, 2000 : 40-41), comme le propose la thèse weberrienne sur l’éthique protestante.
Des écarts sont aussi trouvés en fonction du groupe ethnique du chef de famille. Hormis la catégorie qui regroupe les enfants d’autres origines, les enfants dont le chef de famille est d’origine française sont ceux qui fréquentent le moins l’école. En 1871, ce sont 51 % d’entre eux qui fréquentent l’école, contre plus ou moins 70 % chez leurs homologues dont le chef est d’origine anglaise, écossaise ou irlandaise. En 1901, un écart est toujours observable, quoique légèrement plus faible : 62 % des enfants d’origine française de 12 à 15 ans fréquentent l’école alors que cette proportion varie entre 73 % et 79 % chez les enfants d’origine anglaise, écossaise ou irlandaise. Alors qu’en 1871, ce sont les enfants d’origine anglaise qui sont avantagés, il en va autrement en 1901 puisque ce sont ceux d’origine écossaise qui se classent au premier rang. Une situation similaire s’observait en Ontario à la même époque : les enfants dont les parents sont nés en Écosse affichaient les plus hauts taux de fréquentation scolaire, suivis de près par ceux dont les parents sont nés en Angleterre (Katz, 1972 : 446). Ces résultats peuvent s’expliquer par l’importance que revêt l’éducation en Écosse. La gratuité scolaire y prévalant depuis 1695, il semble qu’un « élève pouvait en Écosse mieux que dans tout autre pays peut-être au xixe, apprendre à lire à l’école de son village et poursuivre ses études, éventuellement jusqu’à l’université » (Mair, 1980 : 18).
Les informations relatives à la langue maternelle du chef de famille ne sont disponibles que pour 1901. Il ressort de leur analyse que la fréquentation scolaire des enfants de 12 à 15 ans est plus fréquente chez ceux dont le chef de famille est anglophone (78 %) que chez ceux dont le chef de famille est francophone (62 %), soit un écart de 16 points de pourcentage. Ces résultats peuvent trouver des éléments de réponse dans le fait que la connaissance de l’anglais permettait d’accéder à des emplois au haut de l’échelle sociale, quoique nous ne puissions ici le confirmer.
Si les variables reliées à l’appartenance culturelle influencent la fréquentation scolaire, elles sont loin d’être les seules : il en est tout autant des variables relatives à la classe sociale. De fait, des différences s’observent en fonction de l’occupation du chef de famille et de la présence de domestiques dans la famille (tableau 3). Des taux de fréquentation scolaire plus élevés sont trouvés chez les enfants dont le chef de famille oeuvre dans le secteur des services (c’est-à-dire à titre de professionnels, d’administrateurs, de superviseurs, etc.), suivis par ceux dont le chef de famille est un employé non manuel (commis de magasin par exemple) ou un petit entrepreneur. En revanche, des taux de fréquentation scolaire plus faibles caractérisent les enfants dont le chef de famille a un emploi manuel semi ou non qualifié. Cette relation entre la fréquentation scolaire et la catégorie d’emplois du chef de famille s’observe tout autant en 1871 qu’en 1901. En outre, elle n’est pas propre au Québec puisqu’elle caractérise l’Ontario au xixe siècle (Katz, 1972; Katz et Davey, 1978).
La présence de domestiques au sein des familles, dont l’information n’est disponible que dans le recensement de 1901, n’est pas une situation fréquente à Québec : en 1901, seuls 10,5 % des enfants de 12 à 15 ans sont d’une famille qui bénéficie d’une telle aide. Or, cette minorité d’enfants paraît nettement avantagée sur le plan de la fréquentation scolaire. Leurs taux de fréquentation scolaire sont supérieurs à 90 %, contre 61 % pour leurs homologues dont la famille n’a pas de domestique. En revanche, aucune différence ne s’observe selon que la famille engage un ou plusieurs domestiques : l’une ou l’autre des situations est liée à des taux de fréquentation scolaire élevés. Ces résultats sont similaires à ceux observés en Ontario (Katz, 1972).
Bref, les variables relatives à la culture influencent la fréquentation scolaire : celle-ci est plus faible chez les enfants dont le chef de famille est catholique, d’origine française et dont la langue maternelle est le français. Or, il en va tout autant des variables relatives à la classe sociale : les taux de fréquentation scolaire sont plus élevés chez les enfants dont le chef de famille oeuvre dans les couches supérieures de la structure économique et dont la famille engage au moins un domestique.
3.2 L’effet combiné de l’appartenance culturelle et de la classe sociale
Les variables qui influencent la fréquentation scolaire sont certes nombreuses. Celles-ci ont toutefois tendance à se chevaucher. Par exemple, les Français catholiques ont tendance à se concentrer dans la classe des travailleurs manuels semi ou non qualifiés. En vue de départager l’effet des différentes variables, un regard sur les taux de fréquentation scolaire en fonction, à la fois, du groupe ethno-religieux et de l’occupation du chef de famille s’impose. Les données, présentées au tableau 4, permettent de vérifier, d’une part, si l’effet de la classe sociale se manifeste chez tous les groupes ethno-religieux et, d’autre part, si les Français catholiques affichent toujours des taux de fréquentation scolaire inférieurs, peu importe leur classe sociale.
Pour la ville de Québec, tant en 1871 qu’en 1901, les taux de fréquentation scolaire augmentent à mesure que l’on gravit l’échelle sociale, et ce peu importe le groupe ethno-religieux. Les enfants dont le chef de famille occupe un emploi dans le secteur des services sont ceux qui fréquentent l’école en proportion plus élevée de 12 à 15 ans. Ceux qui la fréquentent le moins sont ceux dont le chef de famille est un travailleur manuel semi ou non qualifié. Il est donc faux de croire à une sous-scolarisation systématique des Français catholiques, puisque ceux appartenant aux classes sociales supérieures envoient davantage leurs enfants à l’école. En conformité avec la thèse de la reproduction sociale, l’influence de la classe sociale est donc manifeste, y compris chez les Français catholiques.
Or, à l’intérieur d’une même classe sociale, les Français catholiques affichent toujours des taux de fréquentation scolaire inférieurs aux Irlandais catholiques et aux Protestants. Par exemple, chez les enfants de 12 à 15 ans dont le chef de famille oeuvre dans le secteur des services en 1871, le taux de fréquentation scolaire s’établit à 77 % chez les Français catholiques contre 86 % et 87 % respectivement pour les Irlandais catholiques et les Protestants. Le même constat s’observe au bas de l’échelle sociale. Chez les enfants de travailleurs manuels semi ou non qualifiés, toujours en 1871, ceux d’origine catholique-française sont 41 % à fréquenter l’école alors que cette proportion grimpe à 62 % pour les Irlandais catholiques et à 64 % pour les Protestants. Globalement, les mêmes constats sont observables pour 1901.
Bref, nous ne pouvons tenir la culture canadienne-française comme unique responsable de la faible fréquentation scolaire des Français catholiques. Les données de recensement de la ville de Québec démontrent un effet combiné des deux variables sur la fréquentation scolaire : l’effet de la classe sociale se manifeste pour chacun des groupes ethno-religieux et l’effet de l’appartenance culturelle se manifeste dans chacune des couches sociales.
3.3 La prédominance de la thèse de la reproduction sociale
Devant ces résultats mitigés, le recours à l’analyse de régression multiple devient nécessaire. Si chacune des variables indépendantes paraît influer sur la fréquentation scolaire, qu’en est-il lorsque l’on contrôle l’ensemble des variables? Les relations constatées jusqu’ici seront-elles maintenues, atténuées ou exacerbées? Quelles variables auront un effet prédominant sur la fréquentation scolaire?
L’analyse de régression multiple a été réalisée pour les deux années étudiées, 1871 et 1901. Toutefois, les résultats qui s’en dégagent s’accordent suffisamment pour que nous puissions, par souci d’économie, nous limiter dans cet article à présenter ceux de 1901[8]. Le tableau 5 présente donc les résultats des neuf modèles de régression multiple[9]. D’un modèle à l’autre, nous pouvons observer si l’ajout d’une variable diminue ou augmente l’effet des autres variables sur la fréquentation scolaire. Au neuvième modèle, les neuf variables indépendantes prises en compte sont contrôlées, ce qui permet d’identifier les variables les plus déterminantes de la fréquentation scolaire. Il ressort de cette analyse que l’effet de trois[10] variables apparaît déterminant de la fréquentation scolaire des enfants âgés de 12 à 15 ans.
La présence de domestiques. Toutes choses étant égales par ailleurs, le fait que l’enfant vive au sein d’une famille qui a recours à l’aide d’un domestique plutôt que dans une famille sans domestique augmente significativement ses chances de fréquenter l’école (1,897).
L’occupation du chef de famille. Toutes choses étant égales par ailleurs, le fait que le chef de famille occupe une fonction dans le secteur des services (1,322), une fonction de petit entrepreneur (1,033) ou un emploi non manuel (0,924) plutôt qu’un emploi semi ou non qualifié augmente significativement ses chances de fréquenter l’école.
La langue maternelle du chef de famille. Toutes choses étant égales par ailleurs, le fait que la langue maternelle du chef de famille soit l’anglais (0,867) plutôt que le français augmente significativement ses chances de fréquenter l’école.
En revanche, l’effet de la religion et du groupe ethnique du chef de famille sur la fréquentation scolaire n’est plus significatif lorsque l’on contrôle l’ensemble des variables. Par conséquent, la thèse de la reproduction sociale semble l’emporter sur le modèle culturel.
Conclusion
En somme, l’étude de la fréquentation scolaire au sein de la ville de Québec au tournant du xxe siècle a permis de relever un certain nombre de constats. D’abord, une généralisation progressive de la fréquentation scolaire caractérise Québec entre 1871 et 1901. Toutefois, cette période n’est pas marquée d’une expansion de la fréquentation scolaire aux âges avancés, probablement parce que l’industrialisation de la ville à la fin du xixe siècle a généré des emplois exigeant peu de qualifications.
Par ailleurs, cette recherche tend à confirmer la sous-scolarisation des Canadiens français. Ceux-ci, identifiés ici par leur appartenance ethno-religieuse, se distinguent par des taux de fréquentation scolaire plus faibles ainsi qu’une mise au travail des enfants plus courante que chez les Irlandais catholiques et l’ensemble des Protestants. Or, à la lumière des résultats de l’analyse statistique, nous ne pouvons tenir la culture canadienne-française comme unique responsable de cette faible fréquentation de l’école. Sans nier l’influence de l’appartenance culturelle, les variables relatives à la classe sociale ont un effet plus prononcé sur la fréquentation scolaire. Bien plus, ni l’origine ethnique ni la religion n’a un effet significatif sur la fréquentation scolaire une fois contrôlées toutes les variables. Ces résultats tendent à confirmer la thèse de la reproduction sociale plutôt que le modèle culturel : c’est la classe sociale plus que toute autre variable qui explique les faibles taux de fréquentation scolaire observables chez les enfants d’origine catholique-française au sein de la ville de Québec en 1871 et en 1901. Autrement dit, l’appartenance à une classe sociale devait se reproduire d’une génération à l’autre.
En revanche, l’analyse des données révèle que le fait que la langue maternelle du chef de famille soit l’anglais influence positivement la probabilité de fréquenter l’école. Devant ce constat, il est possible de croire que la connaissance de l’anglais pouvait donner accès à des opportunités d’emploi au haut de l’échelle sociale. Cette hypothèse, si elle était vérifiée, irait plutôt à l’encontre de la thèse de la reproduction sociale dans la mesure où l’appartenance à une classe sociale ne se reproduirait pas forcément d’une génération à l’autre, la connaissance de l’anglais pouvant être un facteur de mobilité sociale ascendante. Dans cette perspective, les enfants des classes sociales inférieures qui connaissaient l’anglais auraient fréquenté l’école dans l’objectif de gravir l’échelle sociale. Cette hypothèse mériterait certes d’être étudiée ultérieurement, à la lumière notamment des possibilités de mobilité sociale au sein de la ville de Québec au xixe siècle.
Parties annexes
Notes
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[1]
Cet article reprend en partie notre mémoire de maîtrise, La scolarisation différentielle en milieu urbain en voie d’industrialisation : Le cas de la ville de Québec au tournant du xxe siècle, 2005. Nous tenons à remercier les deux évaluateurs des Cahiers québécois de démographie pour leurs judicieux commentaires concernant la rédaction de ce texte.
-
[2]
Ces données ont été saisies sur support informatique dans le cadre du programme de recherche « Population et histoire sociale de la ville de Québec » (PHSVQ) du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ-Université Laval).
-
[3]
Le nombre de mois durant lesquels l’enfant a fréquenté l’école au cours de l’année n’est colligé que dans le recensement de 1901. Il se dégage de cette variable que la fréquentation scolaire est généralement de dix mois. Seule une minorité des enfants de 7 à 16 ans qui fréquentent l’école le font moins de dix mois par année, tout au plus 8 ou 9 % selon l’âge et le genre. Voir Julien (2005 : 104-106) pour plus de détails.
-
[4]
En 1903, l’âge minimum s’élève à 13 ans pour les garçons.
-
[5]
Nous avons également tenté d’étudier l’effet des conditions socio-économiques des familles sur l’occupation des enfants, suivant la perspective de Horan et Hargis (1991). Pour ce faire, deux variables ont été utilisées, soit le nombre de revenus et le nombre d’enfants par famille, et ce, à défaut d’informations fiables concernant le salaire du chef de famille (Fleury, 1998). Or, nous avons fait le choix de ne pas discuter ici ces résultats, puisqu’ils sont peu concluants. La note 10 de ce texte en fournit d’ailleurs un exemple.
-
[6]
Dans plusieurs unités familiales, l’identification de la mère s’est avérée difficile, en particulier pour le recensement de 1871 en l’absence d’information sur la relation de l’individu avec le chef de famille. On sait par ailleurs que peu de mariages mixtes étaient conclus entre les communautés culturelles de Québec (Goulet, 2002).
-
[7]
Il s’agit plus précisément de l’occupation selon le schème des classes de Erikson, Goldthrope et Portocarero (1979) qui est généralement utilisée pour définir la position sociale dans les études sur la mobilité sociale intergénérationnelle (De Sève, 1993). Construite à partir de l’énoncé du métier, cette variable permet notamment de distinguer les travailleurs manuels et non manuels ainsi que les professions qualifiées et non qualifiées.
-
[8]
L’analyse de régression multiple pour 1871 est présentée dans Julien (2005 : 139-141).
-
[9]
Les données du tableau 5 s’interprètent selon les règles suivantes. Un coefficient positif correspond à une relation positive, contrairement à un coefficient négatif qui correspond à une relation négative. Plus le chiffre du coefficient est élevé, qu’il soit positif ou négatif, plus la relation entre les variables est forte. Enfin, les résultats significatifs sont indiqués par les astérisques qui suivent le coefficient : le niveau de confiance peut être de 99 % (trois astérisques), de 95 % (deux astérisques) ou de 90 % (un astérisque). Par exemple, un coefficient de 1,897*** signifie une forte relation positive, significative à un niveau de confiance de 99 %.
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[10]
Le nombre de revenus dans la famille est aussi apparu déterminant : toutes choses étant égales par ailleurs, le fait que la famille ait recours à plusieurs revenus diminue significativement les chances de fréquenter l’école comparativement au fait que la famille ne bénéficie que d’un revenu. Or, ce résultat s’explique par la double identification des enfants qui ne fréquentent pas l’école : ceux-ci ne fréquentent pas l’école puisqu’ils sont mis au travail afin de rapporter un revenu supplémentaire à la famille.
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