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Introduction

Durant ces trente dernières années, différentes explications ont été données à la transition de la fécondité en Afrique. Tambashe (1984) et Rwenge (1994) ont montré que les femmes urbaines ont toujours eu une fécondité plus faible que les femmes rurales. Pour ces chercheurs, l’environnement urbain modifie les aspirations et comportements à l’égard des enfants et provoque la réduction des naissances. D’autres chercheurs (Vimard, 1997 ; Talnan, 2005) ont montré le rôle de la crise économique dans la baisse de la fécondité. Elle aurait suscité une prise de conscience sur le fait qu’une fécondité élevée ne correspond plus aux nouveaux cadres économiques et sociaux en vigueur dans les États africains. Enfin, l’émergence de la planification familiale qui a engendré la hausse de l’utilisation de la contraception moderne dans les unions a provoqué la réduction de la fécondité (Andro, 2000 ; Anho, 2001).

Cependant, les recherches sur les différences socio-économiques de la fécondité n’ont pas été suffisamment poussées pour comprendre la transition de la fécondité au niveau des États africains. L’histoire de la transition nous enseigne pourtant que la baisse de la fécondité a toujours concerné certaines catégories sociales considérées comme précurseurs avant de toucher ensuite les autres. Ainsi, en Europe, tout comme en Amérique latine, la diminution de la fécondité a longtemps concerné les villes et les couches sociales instruites avant de se diffuser plusieurs décennies après dans les campagnes et parmi les couches pauvres et analphabètes de la société (Sharline, 1986 ; Livi-Bacci, 1986 ; Cosio Zavala, 2000).

En nous inspirant des résultats des études sur la transition de la fécondité, nous analyserons ici les variations socio-économiques de la fécondité en Côte d’Ivoire. Dans ce pays, les évolutions démographiques ont été impressionnantes. La fécondité est passée en moins de quarante ans du niveau le plus élevé de la région ouest-africaine au niveau le plus bas, après le Ghana. La baisse de la fécondité a été rapide dans les années 1990. C’est durant cette période que les différences de fécondité entre les catégories socio-économiques se seraient davantage accrues. Ainsi, nous présenterons dans ces pages les différents modèles explicatifs sur les variations de la fécondité en Côte d’Ivoire. Nous présenterons également le profil des utilisatrices de la contraception moderne qui permettra d’identifier ultérieurement les catégories sociales ayant changé leur comportement reproductif durant la phase de transition de la fécondité.

Contexte d’évolution de la fécondité

En Côte d’Ivoire, le contexte dans lequel a évolué la fécondité est caractérisé par trois phases. Tout d’abord, la période allant de 1960 à 1979 a été celle de la forte croissance économique, qui s’est doublée d’une attitude nataliste du gouvernement. Cette croissance a profité aux systèmes éducatif et sanitaire qui se sont développés grâce à la politique de valorisation des ressources humaines. La population étant considérée comme un facteur de développement, le gouvernement a entrepris des actions directes et indirectes ayant favorisé son augmentation.

Ensuite, la décennie 1980, marquée par la crise, a remis en cause le modèle de développement axé sur la croissance économique et le laisser-faire en matière de reproduction. La loi de 1981 atteste la volonté de réguler la fécondité puisqu’elle autorise désormais la libéralisation et l’accès à la contraception, et aussi l’avortement seulement quand il s’agit de sauvegarder la vie de la femme enceinte et de l’enfant. Mais la mise en place des services de planification familiale n’a pas commencé avant la fin de cette année compte tenu des discours politiques natalistes[1].

Dans les années 1990, un nouveau programme de relance économique a enfin pris en compte les défis démographiques longtemps occultés. La croissance rapide de la population étant désormais perçue comme un obstacle au développement, des programmes de planification familiale ont été mis en place afin d’accroître l’utilisation de la contraception moderne. Entre 1994 et 1999, cette dernière a augmenté d’environ 70 % chez les femmes en union.

En effet, le nombre moyen d’enfants par femme est passé de 6,3 à la fin des années 1980 à 5,2 à la fin des années 1990, soit une baisse d’un enfant en dix ans. Cette baisse de la fécondité apparaît extraordinaire, car les projections faites par l’Institut national de la statistique (INS) en 1992 indiquent que son niveau allait peu changer jusqu’à la fin des années 1990. De ce fait, elle mérite d’être profondément analysée afin de mieux comprendre les modalités des changements.

Dans cet article, nous examinerons les hypothèses selon lesquelles la transition de la fécondité a été conduite par une combinaison de facteurs économiques, sociaux et culturels variables dans le temps et dans l’espace, et que ces évolutions ont atteint diversement les couches sociales, produisant ainsi des différences socio-économiques de fécondité. En effet, les femmes qui ont épousé des styles de vie moderne, c’est-à-dire qui sont urbaines, scolarisées et travaillant dans le secteur moderne de l’économie, auraient commencé à utiliser la contraception pour réguler leurs naissances. Ce n’est pas le cas des femmes rurales, non scolarisées et exerçant une activité agricole, dont la fécondité serait essentiellement réduite par l’infécondité post-partum due à l’allaitement et à l’abstinence post-accouchement.

Données, variables et méthodologie

Les Enquêtes démographiques et de santé (EDS) ont été utilisées pour cette étude. Jusqu’à ce jour, la Côte d’Ivoire en a réalisé deux : la première en 1994 (EDS I) et la seconde en 1998-1999 (EDS II). Ces enquêtes ont recueilli des données sur les caractéristiques socio-économiques, la fécondité, la mortalité, la contraception, la nuptialité, les comportements post-accouchement… chez les femmes âgées de 15 à 49 ans. Elles permettent ainsi de réaliser des études approfondies sur les niveaux et tendances de la fécondité.

Le lieu de résidence, le niveau de scolarisation, l’activité économique, la religion et l’ethnie sont les variables retenues pour l’étude. Les recherches sur la transition ont montré qu’elles constituent selon les pays et les stades de développement, des facteurs importants dans la différentiation des comportements reproductifs (Tapinos, 1985). Puisque leurs modalités sont nombreuses, ces variables ont été regroupées en trois modalités dont l’une est la référence, l’autre l’intermédiaire et la dernière à risque.

Ce faisant, les femmes de la capitale économique (Abidjanaises) ont été séparées de leurs consoeurs qui résident en milieu rural (femmes rurales) et de celles qui vivent dans les autres villes, c’est-à-dire toutes les localités qui comptent plus de 4000 habitants avec au moins 50 % des chefs de ménage ayant une activité non agricole.

Les femmes ayant fait au moins sept années d’étude ont le niveau secondaire ou supérieur. Elles vivent majoritairement dans les milieux urbains. Par contre, leurs consoeurs quine sont jamais allées à l’école résident surtout dans les milieux ruraux dont les normes traditionnelles nous renseignent sur leurs attitudes face à la procréation. Les femmes ayant fait au plus six années d’étude ont le niveau primaire.

Les travailleuses que, par commodité, nous avons qualifiées de « modernes » représentent un groupe diversifié oeuvrant dans plusieurs branches d’activités : commerce, industrie, services, transport, administration, etc. Elles sont scolarisées, participent au marché du travail et résident majoritairement en milieu urbain contrairement aux travailleuses agricoles qui vivent essentiellement des revenus des travaux liés à la terre. Les chômeuses sont les femmes en âge de travailler ayant déclaré n’avoir exercé aucune activité au cours des six mois précédents le passage de l’enquêteur. Leur situation résulte soit de la perte d’emploi, soit des difficultés à en trouver du fait de la crise qui a réduit les perspectives d’embauche.

Les chrétiennes, c’est-à-dire les femmes de confessions religieuses attachées au christianisme, tels les catholiques, les protestantes, les évangéliques, etc., ont été séparées des musulmanes et des femmes de religion traditionnelle. Ces dernières regroupent toutes les femmes qui ont déclaré ne pratiquer soit aucune religion, soit une religion traditionnelle. Leur comportement reflète les valeurs transmises par la tradition.

L’intégration de la variable ethnie dans le modèle explicatif permet de vérifier si certains groupes ethniques sont plus avancés que d’autres dans la transition de la fécondité, et si cela résulte de leurs pratiques culturelles. À la différence des autres variables, l’ethnie a conservé ses modalités représentatives des cinq grands groupes vivant en Côte d’Ivoire. Ce sont : les Akans, les Krous, les Mandés du sud, les Mandés du Nord et les Voltaïques.

Pour analyser les différences de comportements reproductifs, l’association entre les variables a été testée statistiquement. Étant donné que les variables explicatives sont pour la plupart nominales, le coefficient V de Cramer qui varie entre 0 (pas d’association) et 1 (association parfaite) a été utilisé. Il estime la stabilité statistique de l’association entre les variables explicatives et la variable dépendante. La méthode de régression logistique qui considère les données au niveau des observations individuelles a été aussi appliquée pour identifier les facteurs pertinents dans le changement des comportements reproductifs. Elle isole l’effet de chaque variable explicative sur la variable dépendante (toutes choses égales par ailleurs) en générant toutes les prévisions, résidus, statistiques d’influence et tests de qualité d’ajustement. Il s’agit d’une méthode statistique permettant de connaître l’effet net des relations entre les variables explicatives et la variable dépendante.

Dans l’ensemble, les deux EDS utilisées pour cette étude sont de bonne qualité quant aux déclarations d’âges et de naissances (Zah Bi, 2007). Cependant, elles ne fournissent pas d’informations sur l’avortement qui a pourtant progressé dans les villes au cours de ces dernières années (Guillaume et al., 2003). La prise en compte de cette variable aurait peut-être amélioré le modèle explicatif des variations de fécondité. De plus, les caractéristiques socio-économiques des enquêtés peuvent changer d’une enquête à une autre. Puisqu’il est impossible de voir les changements survenus dans leur vie, nous avons considéré les informations données au moment des enquêtes. Nous avons supposé que les caractéristiques n’ont pas beaucoup changé et que les changements n’ont pas affecté leurs comportements reproductifs.

Résultats

L’application des différentes méthodes statistiques a permis d’observer les variations socio-économiques de la fécondité, de proposer les modèles explicatifs de ces variations et de déterminer les groupes de femmes qui ont changé leur comportement reproductif.

Variables différentielles de la fécondité légitime

En Côte d’Ivoire, l’âge légal au mariage est de dix-huit ans pour les filles. Le mariage est célébré sous différentes formes à cause de l’attachement des Ivoiriennes à la tradition. Du point de vue statistique, toutes les personnes dont l’union a été célébrée à l’état civil, religieusement et coutumièrement, de même que celles vivant en concubinage sont considérées comme mariées (INS, 1992).

Nous avons analysé les variations socio-économiques de la fécondité légitime parce que le mariage est pratiquement le lieu exclusif de la procréation. Le modèle de Jolly et Gribble (1996) qui estime les naissances hors mariage a été appliqué aux données des EDS. Il conforte l’analyse sur la fécondité légitime, car près de neuf naissances sur dix ont lieu dans le mariage[2]. Le tableau 1 présente l’indice synthétique de fécondité légitime (ISFL) ou nombre moyen d’enfants par femme en union pour chaque modalité des variables socio-économiques. La modalité la moins féconde de chaque variable a été choisie comme référence (R) afin de mieux apprécier les différences de fécondité. En la comparant aux autres modalités, il en ressort une variation significative de la fécondité en Côte d’Ivoire selon le lieu de résidence, la scolarisation, l’activité économique, la religion et l’ethnie.

Tableau 1

Variation de la fécondité légitime selon les caractéristiques socio-économiques

Variation de la fécondité légitime selon les caractéristiques socio-économiques

Note : Les variations sont statistiquement significatives à 95 %.

ISFL = Indice synthétique de fécondité légitime. Somme des taux légitimes par âge.

R = Catégorie de référence.

Source : calculs de l’auteur à partir des EDS 1994 et 1998-1999

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Les variations socio-économiques de la fécondité sont dues à l’âge au premier mariage, à la contraception et à l’infécondité post-partum résultant de l’allaitement et de l’abstinence post-accouchement. Ces trois variables ont réduit à elles seules la fécondité potentielle de l’ordre de 61 % en 1999[3]. Pour renforcer le modèle explicatif des variations de fécondité, l’âge à la première maternité et le nombre d’enfants désirés ont été intégrés. Les cinq déterminants de la fécondité sont présentés dans le tableau 2 selon les modalités des variables socio-économiques.

Tableau 2

Déterminants des comportements procréateurs des femmes en union selon les variables socio-économiques

Déterminants des comportements procréateurs des femmes en union selon les variables socio-économiques
Source : calculs de l’auteur à partir des EDS I et II, 1994 et 1998-1999

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Fécondité selon le lieu de résidence

Les Abidjanaises sont les plus avancées dans la transition de la fécondité. Elles sont à tous les âges moins fécondes que les femmes des autres localités. De 1990 à 1994, les écarts de l’ISFL entre elles et les femmes rurales étaient de 1,7 enfant avant de passer à 2,2 enfants sur la période 1995-1999. Ces écarts étaient inférieurs à un enfant entre les femmes des autres villes et les femmes rurales (tableau 1).

Au cours de la décennie 1990, les femmes rurales n’ont pas réduit leur fécondité. En considérant l’ensemble de l’allaitement (avec l’eau comprise) en 1994, elles ont allaité en moyenne 21,3 mois contre 18,7 mois pour les femmes urbaines et, en 1999, respectivement 21,6 et 17,6 mois. Elles s’abstiennent aussi plus longtemps d’avoir des rapports sexuels après l’accouchement. En 1999, la moitié de ces femmes se sont abstenues pendant environ dix-neuf mois contre seulement dix mois pour les femmes des autres villes, soit neuf mois d’écart. Cet écart était de trois mois en 1994. Ces pratiques d’allaitement et d’abstinence prolongées sont généralement considérées comme ayant des effets contraceptifs.

Chez les urbaines en général et les Abidjanaises en particulier, on observe la baisse des pratiques d’allaitement et d’abstinence post-accouchement. Ceci est dû en premier lieu au faible niveau de fécondité des Abidjanaises qui résulte du report de leur premier mariage, lequel intervient à 19 ans en moyenne contre 18 et 17 ans respectivement pour les femmes des autres villes et rurales (tableau 2). En second lieu, les ruptures d’union, qui peuvent favoriser une diminution du nombre d’enfants, ont été plus importantes à Abidjan (18,9 %) que dans les autres villes (12,7 %) et le milieu rural (10,9 %). Les femmes se remarient par contre plus facilement au village qu’en ville (Annexe I). Enfin, les femmes urbaines ont recours à la contraception moderne trois fois plus que les femmes rurales et étaient, en 1999, 46,2 % à l’avoir utilisée à un moment donné de leur vie, ce qui leur a permis d’éviter des grossesses ou de tomber rapidement enceintes après un accouchement (tableau 2).

Fécondité selon le niveau de scolarisation

Le nombre moyen d’enfants par femme diminue quand le niveau de scolarisation augmente. Les femmes non scolarisées présentent des modèles de fécondité élevée. L’intensité de leur fécondité légitime, qui est de 6,7 enfants, est proche de celle des femmes rurales. Et comme pour ces dernières, elle n’a pas varié au cours de la décennie 1990.

Les femmes ayant fait au plus six années d’études ont d’abord eu, pour la période 1990-1994, un comportement proche des femmes non scolarisées avant de se démarquer ensuite au cours de la période 1995-1999. Elles sont touchées par la diffusion de la contraception, car près d’une femme sur deux a déjà utilisé au moins une méthode pour éviter les naissances (tableau 2). D’après Anoh (2001), elles changent rapidement leur comportement de fécondité lorsqu’elles résident dans des localités où existent des centres de santé délivrant des services de planification familiale.

Les femmes ayant fait au moins sept années d’études se démarquent des autres par leur niveau de fécondité relativement plus faible. Sur la période 1990-1994, elles montraient déjà une fécondité contrôlée et, entre 1995 et 1999, elles ont eu trois enfants en moins que leurs consoeurs non scolarisées (tableau 1). Cette intensité, qui est la plus faible après comparaison de toutes les catégories sociales, dépend, d’une part, de leur premier mariage qui intervient en moyenne autour de 20 ans contre 17 ans pour les femmes non scolarisées (tableau 2). De plus, les ruptures d’union sont plus importantes chez elles que chez ces dernières : 19,7 % contre 10,3 % (Annexe I). D’autre part, ces femmes souhaitent contrôler leurs naissances puisqu’elles sont généralement favorables à la planification familiale. Elles s’informent sur la contraception et 74,4 % avaient déjà utilisé au moins une méthode moderne en 1994. Les écarts entre elles et leurs consoeurs ayant fait au plus six années d’étude et celles non scolarisées sont respectivement de 28,6 % et 61,7 % (tableau 2).

La fécondité varie avec le niveau de scolarisation parce que les comportements reproductifs ont davantage évolué chez les femmes ayant passé au moins sept années à l’école. Leurs consoeurs ayant fait au plus six années d’études ont commencé à changer leur comportement, mais sont encore quelque peu influencées par la tradition. Le tableau 1 montre des différences croissantes au cours du temps entre la fécondité des femmes non scolarisées qui gardent une fécondité élevée (6,7 enfants par femme au cours des deux périodes) et celles ayant au plus six années d’étude. En fait, les femmes qui changent réellement leurs comportements sont celles qui ont fréquenté l’école pendant plusieurs années.

Fécondité selon l’activité économique

Au cours de la décennie 1990, le nombre moyen d’enfants chez les femmes exerçant une activité agricole n’a pas varié, restant élevé de l’ordre de 7,1 enfants. Il est le plus important du pays, car il dépasse celui des femmes rurales et non scolarisées. Pourtant, elles ont allaité leurs enfants sur une longue période retardant la conception d’une nouvelle grossesse d’environ treize mois (tableau 2). Ces femmes n’utilisent pratiquement pas la contraception moderne et se marient très tôt : 62,2 % étaient unies avant l’âge de dix-huit ans (Annexe I). La durée d’infécondité post-partum reste le facteur important dans la réduction de leur fécondité.

Les femmes travaillant dans le secteur moderne de l’économie ont diminué leur fécondité au cours de la période 1990-1999 passant de 6,1 à 5,5 enfants par femme (tableau 1). Elles se marient après dix-huit ans en moyenne et sur les 40 % qui ont déjà utilisé la contraception moderne (tableau 2), 14 % l’utilisaient au moment de l’EDS II (Annexe II). Les femmes cadres sont en amont du processus et ont en moyenne trois enfants par famille. Sur le graphique 1, leurs taux de fécondité les plus bas attestent qu’elles avaient commencé à contrôler leurs naissances avant la décennie 1990. Les commerçantes sont aussi concernées par les baisses et devancent les femmes ayant une activité agricole. Au-delà de trente-cinq ans, leur courbe est proche de celle de leurs consoeurs cadres.

Graphique 1

Taux de fécondité générale par groupes d’âge et par types d’activités (période 1995-1999)

Taux de fécondité générale par groupes d’âge et par types d’activités (période 1995-1999)
Source : EDS II, 1998-1999

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Sur la période 1995-1999, les taux de fécondité des femmes au chômage dans les groupes d’âge 30-34, 35-39 et 40-44 étaient proches de ceux de leurs consoeurs exerçant une activité agricole. À partir de trente ans, il existerait un sentiment de rattrapage de la fécondité. Ce comportement s’oppose à celui des moins de 25 ans qui paraissent moins fécondes puisque leur fécondité dans les groupes d’âge 15-19 (107 ‰) et 20-24 (223 ‰) est moins élevée que celle de toutes les femmes travaillant dans le secteur moderne de l’économie (respectivement 171 ‰ et 234 ‰). Leur attitude résulterait de la volonté d’avoir un emploi d’abord avant d’avoir des enfants.

L’analyse de la fécondité sur les périodes 1990-1994 et 1995-1999 selon l’activité exercée montre l’influence de l’âge au mariage chez les moins de trente ans. Quel que soit le type d’activité, leur fécondité a baissé sur la période 1995-1999 parce que l’âge au premier mariage a augmenté, ce qui n’est pas le cas chez les trente ans et plus qui ont augmenté leur fécondité sur la même période. Chez les femmes exerçant une activité agricole, cette baisse au jeune âge a été compensée par la hausse à l’âge adulte, ce qui a maintenu leur fécondité à un niveau élevé (tableau 1) contrairement à leurs consoeurs exerçant une activité moderne.

Fécondité selon la religion

En Côte d’Ivoire la fécondité varie significativement entre les religions. Les chrétiennes ont réduit leurs naissances au cours des années 1990 et ont accru leurs différences avec les femmes des autres confessions (tableau 1). Comparées à ces dernières, elles ont eu à tous les âges moins d’enfants, tant sur la période 1990-1994 que sur la période 1995-1999. Elles sont 43,5 % à avoir déjà utilisé la contraception, se marient 1,3 an plus tard que les femmes de religion musulmane (tableau 2) et connaissent plus les ruptures d’unions (Annexe I).

Contrairement aux chrétiennes, les musulmanes n’ont pas réduit leurs naissances durant la période 1995-1999. L’intensité de la fécondité, sensiblement égale à celle des femmes non scolarisées, prouve qu’elles font partie des groupes de femmes à fécondité élevée. Elles se marient à 17,3 ans en moyenne contre 18,1 ans pour les femmes de religion traditionnelle (tableau 2) et sont peu concernées par les changements de nuptialité avec seulement 6,6 % ayant rompu leur union (Annexe I). La contraception n’étant pas répandue, c’est l’infécondité post-partum qui empêche leur fécondité d’atteindre le niveau potentiel.

Les femmes de religion traditionnelle ont comme leurs consoeurs ayant une activité agricole, le niveau de fécondité le plus élevé du pays. Ces deux catégories sociales présentent des comportements reproductifs similaires : faible utilisation de la contraception, mariage précoce et longue période d’allaitement. Les taux de fécondité par groupes d’âge indiquent que les moins de trente ans ont baissé leur fécondité sur la période 1995-1999, mais cela a été compensé par les hausses aux âges supérieurs. D’où le maintien de l’intensité de la fécondité qui est en réalité supérieure à leur attente en matière de formation des familles.

Fécondité selon l’appartenance ethnique

Le groupe ethnique Krou est le moins fécond au niveau national. Il a l’ISFL le plus bas suivi respectivement de celui des groupes ethniques Akan et Mandé du sud (tableau 1). L’analyse des taux de fécondité par groupes d’âge indique que les groupes les moins féconds ont les taux de fécondité les plus bas à 15-19 ans, preuve de l’influence de la hausse de l’âge au mariage sur le niveau de fécondité. Les groupes Akan et Krou, qui sont les plus concernés par cette baisse de la fécondité, se marient à 19 ans en moyenne, alors que l’âge moyen au mariage des Ivoiriennes est de 18 ans (tableau 2).

Les plus féconds sont les Mandés du nord et les Voltaïques où moins de deux femmes sur dix ont déjà utilisé la contraception à un moment donné de leur vie (tableau 2) et où près de six femmes sur dix étaient unies avant l’âge de dix-huit ans (Annexe I). Des études sociologiques réalisées par Ahondjo en 1990 et Kouamé en 2001 confirment ces normes traditionnelles de nuptialité et de fécondité précoces. L’âge moyen au mariage, qui est inférieur à l’âge moyen à la maternité, prouve que les femmes appartenant à ces deux groupes ethniques ont généralement leurs premières maternités dans le mariage. Une fois l’union consacrée, la probabilité de la rompre est faible (Annexe I).

En somme, les Ivoiriennes qui ont commencé à réduire leurs naissances dans les unions sont urbaines, scolarisées, chrétiennes et travaillent dans le secteur moderne de l’économie. Leurs caractéristiques sont conformes à l’idée d’une transition induite par la modernité. Par ailleurs, les analyses ont révélé que les jeunes filles âgées de moins de 25 ans ont réduit leur fécondité légitime au cours de la décennie 1990, quel que soit leur statut socio-économique. C’est pourquoi nous avons intégré l’âge dans les modèles explicatifs des variations de la fécondité.

Modèle explicatif des variations de la fécondité

Après avoir observé les différences socio-économiques de la fécondité, l’analyse multivariée est nécessaire pour valider l’hypothèse de la modernisation des comportements reproductifs. La variable « nombre d’enfants nés vivants durant les soixante mois précédant l’enquête » étant quantitative, elle a été recodée en variable numérique dichotomique. Trois modèles complémentaires de régression ont été réalisés : le premier estime l’effet net de chaque variable sur la fécondité après contrôle de l’âge, le second tient compte du premier et intègre toutes les autres variables socio-économiques, le troisième permet de voir le rôle de l’âge au mariage et de la contraception dans la différentiation de la fécondité. Ainsi, après contrôle de l’âge (modèle 1) et des variables socio-économiques (modèle 2), ces deux déterminants de la fécondité ont été introduits ensemble (modèle 3).

Les modèles sous-estiment les effets de structure qui induisent parfois une mauvaise interprétation des résultats. Ils isolent l’effet propre de chaque variable explicative sur la fécondité. Le logiciel utilisé (SPSS) fournit plusieurs tests de qualité du modèle, tel le R-deux de Nagelkerk et le pourcentage global qui donne la signification des modèles. Ainsi, les modèles sont vrais dans plus de 73 % des cas, ce qui atteste de leur solidité vu le nombre de facteurs influençant la fécondité.

Les contrastes logistiques ont été utilisés pour expliquer les différences de fécondité. Comme la fonction logit est monotone et croissante, les coefficients b varient dans le même sens. Par conséquent, son accroissement entraîne une augmentation de la probabilité d’occurrence. Les odds ratios qui correspondent au nombre de fois d’appartenance à un groupe lorsque la valeur du prédicateur augmente de 1 ont été aussi commentés. Ces informations présentées dans le tableau 3 mettent en évidence l’hétérogénéité de la fécondité.

Tableau 3

Coefficients de régression logistique de l’impact des variables socio-économiques sur la fécondité

Coefficients de régression logistique de l’impact des variables socio-économiques sur la fécondité

Note : régression logistique.

Modèle 1 : Groupe d’âge de la femme + une seule variable socio-économique à la fois ; Modèle 2 : Modèle 1 + les autres variables socio-économiques ; Modèle 3 : Modèle 2 + les déterminants proches (âge au mariage et contraception). ( ) = Catégorie de référence. ***, **, *, - = significatif à 1, 5, 10 % et non significatif à 10 %.

Source : EDS II, 1998-99

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L’environnement urbain influence négativement la fécondité

Les Abidjanaises ont moins d’enfants que les autres femmes même après contrôle de l’âge, la religion, la scolarisation, l’activité et l’ethnie ou encore des déterminants proches que sont l’âge au mariage et la contraception. Dans le modèle 1, elles ont respectivement 2 et 1,4 fois moins de chance d’avoir un enfant que leurs consoeurs rurales et des autres villes. Pour ces dernières, la signification de la relation qui diminue dans les modèles 2 et 3 suppose qu’elles ont certains comportements proches de ceux des Abidjanaises. Par exemple, en 1998-1999, ce sont elles qui utilisaient le plus les moyens contraceptifs au niveau national (Annexe II). Elles auraient davantage bénéficié des effets sensibles des programmes de planification familiale.

La résidence en milieu urbain suscite la modernisation progressive des comportements reproductifs. Sur la période 1990-1994, les femmes non scolarisées résidant à Abidjan ont eu moins d’enfants, notamment aux jeunes âges, que les femmes scolarisées résidant en milieu rural (graphique 2). En général, le niveau de vie élevé, les contraintes du logement et la mobilité sociale poussent les citadins à réduire leurs naissances. C’est pourquoi les femmes urbaines sont en transition, alors que les comportements de fécondité de leurs consoeurs rurales ne témoignent pas d’un changement réel. D’après Talnan (2005), les conditions du développement socio-économique et du changement culturel qui sont à la base de la baisse de la fécondité ne sont pas encore réunies dans le milieu rural.

Graphique 2

Taux de fécondité légitime des scolarisées et non-scolarisées selon le lieu de résidence en 1990-1994

Taux de fécondité légitime des scolarisées et non-scolarisées selon le lieu de résidence en 1990-1994
Source : EDS I, 1994

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La fécondité est relativement faible chez les femmes scolarisées

En règle générale, plus la femme est instruite, plus elle est susceptible d’avoir une famille réduite ; la scolarisation étant positivement associée à l’âge au mariage et à l’utilisation de la contraception. Les différences de fécondité entre les femmes scolarisées et non scolarisées sont restées significatives après contrôle de l’âge (modèle 1), des variables socio-économiques (modèle 2) et des déterminants proches (modèle 3). Par contre, elles ne sont pas significatives dans les modèles 2 et 3 entre les femmes ayant fait au moins sept années d’étude et celles ayant passé au plus six années à l’école. En effet, l’impact de la scolarisation sur la fécondité indique que les femmes non scolarisées n’ont pas réduit leur fécondité au cours de la décennie 1990. Elles sont favorables à l’allaitement au sein, se marient précocement et n’utilisent pas la contraception. Dans ces conditions, la pratique de l’allaitement prolongé et intensif reste un facteur important dans la réduction de leur fécondité. Les femmes scolarisées ont par contre réduit leur fécondité parce qu’elles utilisent les méthodes contraceptives pour réguler leurs naissances. Cependant, elles sont les plus exposées au risque de grossesse après l’accouchement, car elles délaissent les pratiques traditionnelles d’allaitement prolongé.

La fécondité reste élevée chez les femmes exerçant une activité agricole

Les différents modèles de régression montrent que les femmes qui exercent une activité moderne n’ont pas de comportement reproductif différent de celui des femmes au chômage. En revanche, elles ont un comportement différent de leurs consoeurs qui exercent une activité agricole. Ces différences sont statistiquement significatives dans les trois modèles. Elles résultent des mutations en cours, notamment de la hausse de l’âge au mariage et de l’émergence de la contraception moderne (tableau 2).

Les chrétiennes sont moins fécondes que les musulmanes

Quel que soit le modèle, le nombre moyen d’enfants est moins élevé chez les chrétiennes que chez les musulmanes. La nuptialité et la contraception influencent faiblement la fécondité de ces dernières puisque, dans le tableau 3, les coefficients de régression n’ont pas significativement varié en passant du modèle 2 (0,37) au modèle 3 (0,38). Elles se comportent différemment des chrétiennes qui ne manifestent pas en réalité de différences significatives avec les femmes de religion traditionnelle. S’il existe un écart de fécondité entre ces deux derniers groupes, c’est parce qu’ils ont des caractéristiques socio-économiques différentes. En contrôlant ces caractéristiques (modèle 2) et les déterminants proches (modèle 3), les différences de fécondité disparaissent, toutes choses égales par ailleurs. En effet, contrairement aux femmes de religion musulmane, la pratique de la religion chrétienne n’implique pas a fortiori une plus faible fécondité par rapport aux femmes de religion traditionnelle.

Les groupes Voltaïque et Mandé du nord sont les plus féconds

Les groupes ethniques Voltaïque et Mandé du nord sont les plus féconds au niveau national. Ils se comportent différemment du groupe ethnique de référence (Krou), quel que soit le modèle. Les coefficients de régression étant significatifs pour les trois modèles, les différences de fécondité résultent de l’âge, des variables socio-économiques et des déterminants proches. Les résultats concernant les autres groupes ethniques ne montrent pas de différences significatives. Les Akans et les Krous ont des comportements similaires. Si on contrôle seulement l’âge, ces deux groupes sont moins féconds que le groupe Mandé du sud. Mais lorsqu’on contrôle les caractéristiques socio-économiques et les déterminants proches, ces différences s’estompent. Ainsi, l’influence de l’ethnie sur la fécondité n’est pas directe et passe par les caractéristiques socio-économiques. Les groupes qui ont une fécondité élevée présentent des caractéristiques qui suscitent ce niveau. C’est le cas des groupes Mandé du nord et Voltaïque, en majorité musulmans. Ils sont généralement identifiés comme des groupes sous-scolarisés, au sein desquels les filles sont particulièrement affectées. Par contre, les Akans, les Krous et les Mandés du sud connaissent des taux de scolarisation bien meilleurs.

Dans l’ensemble, les Ivoiriennes ayant commencé à réduire leurs naissances sont celles qui présentent le plus de caractéristiques modernes. Elles se démarquent des autres femmes par leur faible fécondité légitime qui se reflète dans la taille de leurs familles. Elles pratiquent peu l’allaitement au sein, repoussent leur premier mariage et comptent sur les méthodes contraceptives pour espacer ou éviter les naissances. Quels sont alors les déterminants de l’utilisation de la contraception moderne ?

Déterminants de l’utilisation de la contraception moderne

Les résultats antérieurs ont montré la baisse rapide de la fécondité légitime dans les années 1990 chez les femmes ayant des caractéristiques modernes. Durant cette période le gouvernement a mis en place des programmes de planification familiale afin de réduire le rythme de croissance naturelle de la population, désormais perçu comme un obstacle au développement[4]. Cette nouvelle politique a permis à la population d’avoir une connaissance générale des méthodes de régulation des naissances. Toutefois, les espérances relatives à l’incidence de la contraception n’ont pas donné les résultats escomptés, et sa pratique dans le cadre de la planification familiale touche actuellement une minorité de la population. Seulement 4,4 % des femmes en union utilisaient la contraception en 1994 contre 7,1 % à la fin des années 1999, soit une progression de 70 % en cinq ans seulement. Quel est le profil de ces utilisatrices ?

Profil des utilisatrices de la contraception

Dans cette section il est question de déterminer les groupes de femmes qui utilisent désormais la contraception moderne dans les unions pour éviter les naissances. Deux groupes de variables ont été retenus à cet effet. Le premier concerne les caractéristiques socio-économiques qui ont servi à l’étude des variations de la fécondité. Ce sont le milieu de résidence, la scolarisation, l’activité économique et la religion. L’ethnie n’a pas été prise en compte parce qu’elle n’est pas statistiquement associée à la contraception.

L’autre groupe de variables a été créé en tenant compte de la littérature existante sur la contraception. Celle-ci évoque les rapports sociaux de sexe dans l’utilisation de la contraception. Ainsi, le désir de fécondité, la discussion du couple sur la planification familiale, l’avis personnel et celui du partenaire sur le sujet sont les variables retenues. La variable, désir de fécondité du partenaire, n’a pas été retenue, car elle n’est pas statistiquement associée à la contraception.

Pour renforcer le modèle et tester surtout l’influence de l’information sur les comportements contraceptifs, une autre variable a été créée à partir des modes de diffusion de l’information qui sont : l’accès à la presse écrite, l’écoute de la radio et le suivi de la télévision. Nous avons donc, d’un côté, les individus qui ne sont pas informés, c’est-à-dire qui n’écoutent pas la radio, ne regardent pas la télévision et ne lisent pas les journaux. De l’autre et à l’opposé, nous avons les individus informés, c’est-à-dire qui ont accès à ces médias.

Au total, les neuf variables avec leurs dix-huit modalités[5] ont été simultanément intégrées dans des modèles de régression de sorte à éliminer, à chaque étape, celles qui ne sont pas significatives. Le modèle final présenté dans le tableau 4 donne le profil des utilisatrices de la contraception moderne. Il les définit comme des femmes qui exercent une activité économique moderne, s’informent sur la planification familiale et lui sont favorables, de même que leur partenaire. Ce modèle est vrai à 90 % et explique 34 % de la variance de la variable dépendance, c’est-à-dire la contraception.

Tableau 4

Coefficient b et signification des risques d’utiliser la contraception pour les modalités de référence en rapport avec les modalités à risque

Coefficient b et signification des risques d’utiliser la contraception pour les modalités de référence en rapport avec les modalités à risque

Note : les variables ont été toutes introduites dès le départ.

***, **, * - = significatif à 1, 5, 10 % et non significatif à 10 %.

Source : EDS II, 1994

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Le profil indique que l’activité est une caractéristique incontournable dans l’utilisation de la contraception. Le type d’activité exercée par les femmes conditionne leur comportement face à la contraception. En effet, elles s’intéressent à la contraception en fonction d’un calcul micro-économique sur les coûts des enfants. La crise économique qui a durci les conditions d’existence dans les villes aurait provoqué leur recours plus fréquent à la contraception pour espacer les naissances.

Par rapport aux études antérieures qui évoquent la primauté de l’avis du partenaire[6], ce profil montre une amélioration des attitudes des Ivoiriennes face à la contraception. Lorsqu’elles approuvent la planification familiale, elles entreprennent des démarches pour utiliser la contraception, quel que soit l’avis du partenaire. Elles étaient 8 % à utiliser les méthodes modernes, voire 20 % si on intègre les méthodes traditionnelles, contre l’avis de leurs partenaires (graphique 3). La diversité des méthodes de planification familiale et le contact avec les centres de santé permettent aux femmes ivoiriennes de prendre plus facilement leurs décisions et d’assumer leurs responsabilités. Néanmoins, l’utilisation de la contraception relève le plus souvent de la volonté des deux partenaires qui font le choix de la planification familiale pour réaliser leur projet de fécondité. L’avis du partenaire (homme) sur cette question montre l’intérêt de la discussion au sein du couple, démarche qui, en faisant jouer les rapports de sexe, est susceptible d’amener des changements et de favoriser la convergence de points de vue.

Graphique 3

Avis sur la planification familiale et utilisation de la contraception en 1998-1999 (% de femmes en union)

Avis sur la planification familiale et utilisation de la contraception en 1998-1999 (% de femmes en union)
Source : EDS II, 1998-99

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Les résultats sur le profil des utilisatrices sont importants parce qu’ils rendent compte du contrôle des naissances chez les femmes modernes qui avaient été précédemment identifiées comme les moins fécondes. Elles ont une faible fécondité parce qu’elles le désirent réellement et devraient davantage utiliser la contraception pour réaliser le projet de fécondité souhaité. Mais pourquoi certaines d’entre elles n’utilisent pas la contraception, bien que leur propre avis et celui de leur partenaire soient favorables à la planification familiale ? Le graphique 3 ci-dessous indique que 61 % des femmes sont dans cette situation.

Facteurs expliquant la faible prévalence contraceptive

En Côte d’Ivoire comme dans l’ensemble des pays africains, il existe des sous-populations qui ne contrôlent pas encore leur natalité et ont pour cela une fécondité élevée. Soit ces populations veulent beaucoup d’enfants et ne souhaitent pas utiliser la contraception, soit c’est le contraire, elles n’en désirent pas beaucoup mais n’ont pas accès aux méthodes contraceptives. Pour mieux comprendre cette situation, les femmes qui n’utilisent pas la contraception mais souhaitent différer leurs prochaines naissances ont été prises en compte. Le tableau 4 présente les différentes raisons qu’elles ont évoquées les empêchant d’utiliser la contraception.

Tableau 4

Différentes raisons empêchant l’utilisation de la contraception (femmes exposées au risque de procréer et voulant différer leurs prochaines naissances)

Différentes raisons empêchant l’utilisation de la contraception (femmes exposées au risque de procréer et voulant différer leurs prochaines naissances)
Source : EDS II, 1998-1999

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L’inaccessibilité reste l’obstacle principal à l’utilisation de la contraception (53,4 %) avec pour raison majeure le manque d’informations évoqué par plus de 46 % des femmes. Ensuite, viennent les barrières culturelles (43,5 %) d’où se dégagent les craintes pour la santé qui représentent près de 20 % des opinions. Ces craintes proviennent surtout des préjugés liés à l’utilisation de la contraception moderne : le stérilet donne le cancer, entraîne la stérilité et occasionne les infections de l’utérus ; les injectables perturbent les cycles menstruels et font grossir ; le préservatif donne des douleurs au bas-ventre, il est gênant pour les rapports sexuels et diminue les sensations (Anho, 2001).

Dans l’ensemble, l’inaccessibilité, le manque d’informations et les craintes pour la santé représentent près des trois quarts des raisons invoquées par les femmes pour ne pas utiliser de méthodes contraceptives. Ainsi, la raison principale qui explique l’absence de la contraception chez les femmes, qui pourtant souhaitent différer leur prochaine naissance, est d’ordre structurel. Elles sont peu informées et ne disposent pas dans leur environnement immédiat des services de planification familiale. D’après le ministère du Plan (2002), l’accès à ces services est estimé à 30 % du fait de l’insuffisance des centres de santé, surtout en milieu rural où il n’existe qu’une maternité pour plus de quatorze mille femmes en âge de procréer et dont seulement 14 % sont situées à une distance de moins de cinq kilomètres.

Conclusion

Cet article a permis d’observer les différences de fécondité chez les Ivoiriennes en fonction de leur situation socio-économique. Au cours de la décennie 1990, les variations mettent en évidence deux modèles de fécondité. Le modèle traditionnel est caractérisé par une fécondité légitime élevée et stable. Il concerne les femmes rurales, non scolarisées, musulmanes et qui exercent une activité agricole. Leur fécondité est élevée parce que l’allaitement et l’abstinence post-partum sont les seuls moyens traditionnels permettant de la réguler. Le mariage est précoce et l’utilisation de la contraception moderne n’existe quasiment pas.

Le modèle de transition est caractérisé par la baisse de la fécondité légitime. Il concerne principalement les femmes ayant commencé à réduire leur fécondité au milieu des années 1990. Comme ces femmes viennent d’amorcer leur transition, elles ont encore quelques comportements identiques aux femmes du modèle traditionnel. C’est ainsi qu’elles pratiquent longtemps l’allaitement maternel, mais ajoutent très tôt de l’eau à l’alimentation de leur enfant. Elles se marient par contre un peu plus tard (à 18 ans) parce qu’elles ont fait au moins les études primaires.

De plus, on doit noter que certaines femmes en transition avaient précocement commencé à réguler leur fécondité et l’ont davantage fait durant la décennie 1990. Elles se démarquent des autres femmes par leur faible fécondité légitime qui reflète leur souhait pour une famille de taille réduite. Elles pratiquent peu l’allaitement au sein et utilisent la contraception pour espacer leurs naissances. Le premier mariage est retardé parce qu’elles étudient plus longtemps à l’école.

Les deux modèles sont conformes à l’idée d’une transition induite par la modernité et accélérée par la crise économique. Ils révèlent l’hétérogénéité des comportements reproductifs puisque, après contrôle des effets des variables socio-économiques et des déterminants proches, les différences de fécondité continuent d’exister entre les femmes : urbaines et rurales, scolarisées et non scolarisées, exerçant une activité moderne et agricole, chrétiennes et musulmanes.

La progression rapide de la contraception dans les années 1990 est pour une part responsable des variations de la fécondité. Les femmes qui ont les caractéristiques modernes, sont celles qui exercent une activité professionnelle, s’informent sur la planification familiale et lui sont favorables, de même que leurs partenaires, et utilisent la contraception pour espacer leurs naissances. Par contre, celles qui ne le font pas manquent surtout d’informations du fait de l’inaccessibilité des centres de planification familiale. Puisque ces femmes manifestent la volonté d’espacer les naissances, elles pourraient changer de comportement si elles étaient mieux informées, démarche qui leur permettrait de bénéficier de leurs droits reproductifs.