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Introduction

Les nouveaux immigrants tendent à s’établir dans les principaux ports d’entrée du pays et dans des régions où résident déjà un nombre important d’immigrants. Entre 2001 et 2006, plus des deux tiers (69 %) des immigrants arrivés au pays résidaient dans seulement trois régions métropolitaines : Montréal, Toronto et Vancouver (Chui et collab., 2007). Et même si un plus grand nombre d’immigrants se sont récemment dirigés vers des provinces auparavant moins prisées, la rétention des immigrants dans ces régions demeure souvent difficile (Atlantic Settlement Conference, 2008). S’il est généralement reconnu que l’immigration peut, dans une certaine mesure, contribuer à combler certains besoins de main-d’oeuvre et à ralentir légèrement le vieillissement démographique, il est également clair que ces bienfaits ne sont pas répartis également à l’échelle du pays. C’est pourquoi les divers niveaux de gouvernement usent de stratégies diverses visant à favoriser l’établissement des immigrants hors des grands pôles traditionnels d’attraction, ce qu’il est convenu d’appeler la régionalisation de l’immigration (Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], 2001).

La dynamique d’établissement des nouveaux immigrants ne s’arrête toutefois pas au choix d’un lieu initial de résidence. En effet, les mouvements migratoires subséquents contribuent à modifier la répartition spatiale des nouveaux immigrants. Ce sont ces mouvements, les migrations secondaires, qui constituent le sujet de cette étude. Dans un contexte où des efforts sont déployés en vue de favoriser une régionalisation accrue de l’immigration, il est important de comprendre pourquoi des immigrants décident de s’établir hors des grands centres et pourquoi, dans certains cas, ils n’y restent pas.

Jusqu’ici, les études sur le sujet ont permis d’identifier un certain nombre de facteurs associés aux migrations et au choix d’une destination, qu’il s’agisse de caractéristiques individuelles telles que l’âge et le groupe ethnique, ou de caractéristiques des régions, comme leur composition ethnoculturelle ou leur situation vis-à-vis des possibilités d’emplois. On en sait toutefois encore bien peu sur ce qui motive les nouveaux arrivants à changer de lieu de résidence, ou, plus exactement, sur les raisons qu’ils évoquent pour expliquer leurs migrations. Utilisant les données de l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC), une base de données permettant de retracer le parcours migratoire des nouveaux immigrants au cours de leurs quatre premières années au Canada, cette étude se propose d’explorer la question du point de vue des motivations individuelles. Elle vise plus précisément à fournir un portrait général des raisons invoquées par les immigrants pour justifier leurs migrations, et à mieux comprendre par quels mécanismes les migrations secondaires agissent sur la répartition des immigrants sur le territoire.

Précisément, l’étude vise à répondre aux questions suivantes : les migrations secondaires favorisent-elles une plus grande dispersion des nouveaux immigrants, ou au contraire, accroissent-elles leur concentration dans les grands centres ? Quelles sont les raisons associées au choix d’un lieu de résidence ? Pour quelles raisons les nouveaux immigrants migrent-ils ? Quelles sont les caractéristiques des immigrants qui quittent les grands centres pour des régions traditionnellement moins prisées et quelles sont leurs motivations pour le faire ? Des réponses à ces questions sont susceptibles d’améliorer notre compréhension de la dynamique des migrations secondaires des nouveaux immigrants au pays, ainsi que de la façon dont ces migrations influent sur la répartition géographique de ces derniers.

Brève revue de la littérature

Propension à migrer et répartition géographique des nouveaux immigrants

Les nouveaux immigrants ont généralement une plus forte propension à migrer que les Canadiens dans leur ensemble (Newbold, 1996 ; Nogle, 1994 ; Bélanger, 1993). Grenier (2003) constate que les immigrants sont plus mobiles que les Canadiens vivant dans leur province de naissance, mais moins que ceux qui n’y résident plus. Quant à l’impact des migrations secondaires sur la répartition des immigrants, les études montrent qu’il est généralement de faible ampleur. Hou (2005) remarque que les migrations secondaires des immigrants entrés au Canada dans les années 1990 n’ont eu qu’un effet limité sur la répartition de cette population et qu’elles n’ont pas contribué à accroître sa concentration à Toronto et à Vancouver, contrairement à celles des immigrants admis dans les années 1970 ou 1980. Edmonston (2002) observe que les migrations secondaires ne contribuent pas à une répartition plus uniforme des nouveaux immigrants dans les provinces canadiennes au cours des cinq années suivant l’établissement. Newbold (2007) constate, à partir des données de l’ELIC, que les migrations secondaires ayant lieu au cours des six premiers mois suivant l’arrivée au pays ne modifient que très faiblement la répartition initiale des nouveaux immigrants sur le territoire. St-Amour et Ledent (2010) constatent quant à eux que la présence des nouveaux immigrants en dehors de Montréal est surtout tributaire du choix du lieu de résidence à l’arrivée, et non des migrations subséquentes. Enfin, Beshiri et He (2009) observent que de toutes les provinces, seul l’Ontario a vu ses régions rurales et ses petites villes enregistrer des gains migratoires nets auprès des immigrants récents entre 2001 et 2006.

Les motivations des migrations secondaires

Très peu d’études portent sur le processus de décision de migrer, notamment du fait de la rareté des données sur les motivations. En ce qui concerne spécifiquement les nouveaux immigrants au Canada, Simich et collab. (2001) et Krahn et collab. (2003), ont proposé deux études qui, même si elles ne sont centrées que sur l’expérience des réfugiés, s’avèrent instructives. Simich et collab. (2001) examinent les raisons pour lesquelles des réfugiés ont migré vers l’Ontario en provenance de leur province d’établissement initial. Ils montrent que certains événements ayant lieu avant même leur arrivée au Canada influent sur les migrations secondaires. Le fait que les préférences des immigrants quant au lieu de destination n’aient pas toujours été respectées par les agents d’immigration est une des raisons mentionnées le plus souvent. Le manque d’information au moment d’établir ces préférences entre aussi en ligne de compte. En outre, un thème récurrent dans cette étude est la recherche d’un meilleur soutien social, un motif invoqué par une large proportion de réfugiés. Dans d’autres cas, on a migré pour se retrouver en pays de connaissance, c’est-à-dire à un endroit possédant certaines caractéristiques quant à sa composition ethnique et sa taille. Enfin, un bon nombre de réfugiés ont affirmé avoir migré pour trouver du travail. Les auteurs notent que, souvent, les réfugiés choisissent des destinations où ils estiment meilleures leurs chances de développer un réseau social qui pourra les aider à cet égard.

Dans une étude réalisée à partir des données d’une enquête auprès de réfugiés qui se sont établis en Alberta entre 1992 et 1997, Krahn et collab. (2003) se sont intéressés à la rétention des immigrants dans des villes de moyenne ou de faible taille. Ils observent que plus de la moitié (54 %) des immigrants ayant quitté leur ville de destination l’ont fait pour des raisons en rapport avec les opportunités d’emploi ou de scolarisation. Vient en deuxième lieu (21 %) la recherche de caractéristiques locales non liées à l’emploi ou à la scolarité telles que le climat, le coût du logement ou la taille de la communauté. Un certain nombre de réfugiés (14 %) ont mentionné avoir voulu être plus près de leur famille ou de leurs amis. Enfin, d’autres (11 %) ont mentionné que les services étaient inadéquats dans la ville d’origine. Dans l’ensemble, les réponses obtenues permettent aux auteurs de conclure que les facteurs d’attraction de la ville de destination, dans ce cas les opportunités d’emploi et d’éducation et la présence de parents ou d’amis, ont plus de poids dans la décision de migrer que les facteurs de répulsion de la ville d’origine, dans ce cas les caractéristiques locales et l’inadéquation des services. Les auteurs observent également une corrélation positive entre la taille des villes et le taux de rétention.

D’autres études portent sur les déterminants structurels de la migration ou du choix d’une destination. Même si les considérations subjectives des individus n’y sont pas abordées directement, les résultats servent souvent à inférer des motivations aux migrants sur la base de ces déterminants (Shaw, 1975). Ainsi, les études portant spécifiquement sur les migrations secondaires des immigrants au Canada tendent à illustrer deux motivations principales : le désir de résider à un endroit où préexiste une « masse critique » de personnes de la même origine ou partageant la même culture et/ou la même langue, ainsi que la recherche de meilleures conditions en lien avec la situation économique de l’individu ou de la famille.

Selon McDonald (2004), la présence de personnes d’une ethnicité, d’une culture ou d’une langue semblables peut constituer une source d’appui financier, moral et d’information. Il observe que dans le choix d’une destination initiale, les nouveaux immigrants sont généralement sensibles à la présence de membres partageant leur ethnicité. Moore et Rosenberg (1991) et Edmonston (2002) constatent que la présence de personnes partageant la même origine ethnique est un facteur favorisant la rétention. Moore et Rosenberg (1991) trouvent de plus que la présence de personnes de la même communauté ethnique dans les régions de destination est un facteur plus important pour expliquer la migration interne que la réaction aux conditions économiques.

Les effets associés à la taille de la communauté déjà établie peuvent toutefois dissimuler d’autres effets possiblement corrélés, tels que la présence d’amis ou de membres de la famille. Les réseaux sociaux peuvent influer sur la migration de plus d’une façon (Ritchey, 1976) : à l’origine, ils sont susceptibles de freiner la migration (hypothèse de l’affinité) tandis qu’en d’autres lieux ils peuvent favoriser la migration en constituant des sources d’information sur les opportunités présentes ailleurs (hypothèse de l’information) ou des sources d’aide pouvant faciliter l’intégration (hypothèse de la facilitation). Nogle (1994), par exemple, constate qu’il y a un lien entre les migrations secondaires et la raison de l’immigration au Canada, observant que ceux ayant immigré pour rejoindre de la famille ou des amis sont moins enclins à effectuer des migrations secondaires.

Par ailleurs, Hou (2005) observe qu’après correction des effets fixes du lieu, le choix d’un lieu d’établissement n’est pas lié à la taille relative ou absolue d’une collectivité d’immigrants déjà établie. Selon lui, la taille de ces collectivités immigrantes déjà établies mesure plutôt mal les effets d’affinité de groupe, celle-ci étant fortement corrélée à la taille de la population en général et, sans doute, à la présence de services et d’opportunités économiques. Hou ajoute que cela ne signifie pas que les réseaux sociaux n’ont pas d’impact, mais plutôt que celui-ci est indépendant de la taille de la collectivité immigrante déjà établie.

Enfin, certaines études s’intéressent aux facteurs liés à la recherche d’une meilleure situation économique. Nogle (1994) note que le fait d’être sans emploi influe positivement sur le nombre de migrations secondaires des nouveaux immigrants au cours de leurs trois premières années au Canada. Newbold (1996) constate que la force de rétention d’une ville va de pair avec la taille de sa population et le revenu moyen observé. Il observe de plus que les immigrants sont généralement sensibles, comme le sont les Canadiens de naissance, aux opportunités économiques offertes par des régions ayant de forts taux d’emplois et offrant des salaires élevés, et que ces critères priment sur ceux reliés à l’ethnicité. Enfin, Ostrovsky et collab. (2008) ont montré que les immigrants récents (au Canada depuis cinq ans ou moins) ont migré en plus forte proportion que les immigrants de plus longue date ou les Canadiens de naissance vers l’Alberta entre 2001 et 2005, période au cours de laquelle cette province a connu une croissance économique fulgurante.

Cadre conceptuel et description des données

Définition des concepts

Les nouveaux immigrants sont très mobiles peu après leur arrivée, et une grande partie de cette mobilité est constituée de mouvements à l’intérieur d’une même localité (Renaud et collab., 2006 ; Newbold, 2007). Souvent, ces mouvements sont associés à la transition d’une résidence temporaire vers un logement plus permanent, ou au désir de trouver un logement plus adéquat. Notre étude vise toutefois des mouvements impliquant davantage qu’un déménagement au sein d’une même région et susceptibles de modifier la répartition géographique des immigrants à l’échelle du pays. Afin de distinguer les mouvements locaux de ceux de plus grande importance, il importe de différencier deux concepts : le déménagement et la migration. Un déménagement est un changement d’adresse, alors qu’une migration se définit comme tout déménagement impliquant un changement de région métropolitaine de recensement (RMR), d’agglomération de recensement (AR), le passage d’une région non métropolitaine (hors RMR et hors AR) à une région métropolitaine, ou l’inverse[1],[2],[3]. Pour des raisons pratiques, l’étude se limite la plupart du temps à la première migration secondaire. Environ 18 % des migrants de l’ELIC ont effectué plus d’une migration.

Ajoutons que les migrations ici à l’étude sont des migrations que nous qualifions d’internes, c’est-à-dire confinées aux limites des frontières nationales, et de secondaires, en ce sens qu’elles font suite à un premier mouvement migratoire, plus important celui-là, soit l’immigration au Canada. Ainsi, dans le texte, les immigrants représentent l’ensemble des personnes nées à l’extérieur du Canada alors que le terme de migrants sera réservé à ceux ayant effectué une migration secondaire. La grande majorité des nouveaux immigrants se sont établis dans une RMR à l’arrivée, ce qui signifie qu’ils doivent quitter cette RMR pour être définis comme migrants. Un tel mouvement représente le plus souvent davantage qu’un simple ajustement locatif et implique généralement une volonté de changer d’environnement ou la recherche de quelque chose de précis. De même, un changement de région implique aussi normalement un changement d’emploi, ou dans le statut d’emploi (Plane et Rogerson, 1994). Dans ce contexte, le concept de RMR est utile car il correspond à des sphères d’activités sociales et économiques définies (Shaw, 1985)[4]. Par ailleurs, le fait de migrer n’implique pas nécessairement de devoir franchir une grande distance. Il y a des cas où la migration peut se faire entre deux RMR ou AR adjacentes. Par exemple, un mouvement de Toronto vers Oshawa constitue une migration même si seulement un peu plus d’une cinquantaine de kilomètres de route séparent ces deux RMR.

Un autre concept employé dans cet article est celui de région à faible densité d’immigrants, utile pour représenter les lieux qui reçoivent généralement des proportions assez faibles d’immigrants[5]. Ces régions à faible densité comprennent les AR et les RMR au sein desquelles la part des immigrants récents, définis comme ceux étant arrivés au Canada depuis moins de dix ans, représentait moins de 3 % de la population d’après les données du recensement de 2001, ainsi que l’ensemble des municipalités situées en dehors d’une région métropolitaine (où 0,8 % étaient des immigrants récents). En 2001, les immigrants récents représentaient 6,1 % de la population totale canadienne. Toutefois, dans la majorité des régions, cette proportion était beaucoup plus faible, ce qui s’explique par la grande concentration des immigrants dans un petit nombre de RMR et d’AR. Le niveau de 3 % a été choisi en grande partie pour des raisons pratiques : il exclut les RMR et les AR qui constituent des grands pôles d’attraction des nouveaux immigrants, mais en même temps inclut un nombre assez important de régions pour permettre des estimations fiables à partir de l’ELIC. Dans l’ensemble, en 2001, la population des régions à faible densité était composée de 1,1 % d’immigrants récents. Les régions à faible densité ne comprenaient que 8,7 % de tous les immigrants récents du Canada.

Les motivations de la migration

Il est utile à ce point-ci de se doter de balises facilitant l’analyse des considérations subjectives ayant motivé les migrations. Wolpert (1965) esquisse un cadre théorique mettant l’accent sur le processus de décision et sur la subjectivité des individus. Reconnaissant la faiblesse prédictive des modèles basés exclusivement sur des variables de composition de la population et de caractéristiques des lieux, variables qui évoluent continuellement dans le temps, il précise qu’il importe d’identifier ce qui demeure constant dans les comportements migratoires.

Selon Wolpert, les lieux d’origine et de destination n’ont de signification que dans la manière dont ils sont perçus par le migrant lui-même. Les individus évaluent le lieu où ils vivent en termes de rapport coût-bénéfice essentiellement en fonction de leur niveau de satisfaction ou d’insatisfaction vis-à-vis ce lieu, ce que Wolpert appelle l’utilité du lieu (place utility). Cette utilité est comparée à l’utilité attendue ou espérée que peuvent offrir d’autres lieux et les individus ont tendance à migrer vers les endroits qui promettent la plus forte valeur d’utilité. Cette évaluation est évidemment subjective et dépend de la variabilité de l’environnement ainsi que des personnes elles-mêmes. En outre, elle ne se borne pas à des coûts et des bénéfices économiques, mais peut inclure des considérations non pécuniaires, comme le désir de rester près de sa famille ou de ses amis (DaVanzo, 1981).

Dans ce contexte, la décision de migrer et le choix d’une destination sont deux étapes séquentielles mais distinctes (Ritchey, 1976). L’individu se lance dans la recherche et l’évaluation de lieux potentiels de destination seulement si le niveau d’insatisfaction atteint ou dépasse une certaine limite, laquelle varie selon les individus. Des changements dans l’utilité du lieu de résidence ou dans les besoins de l’individu, notamment en rapport avec sa position dans le cycle de vie, peuvent causer une insatisfaction menant au désir de migrer. Le processus d’évaluation met également en relief l’importance cruciale de l’information dans le processus de décision de migrer. Ce processus se déroule dans une sphère que Wolpert appelle espace d’action (action space), et qui désigne l’environnement subjectif perçu par l’individu. Cet environnement n’est constitué que d’un échantillon des conditions objectives réelles, déterminé par les besoins et la capacité de l’individu à obtenir de l’information.

Selon Roseman (1983), il est pertinent de distinguer la décision de migrer de la sélection d’un lieu de destination. Alors que la décision de migrer est liée le plus souvent au cycle de vie des individus, ce sont surtout les caractéristiques des lieux, telles que les opportunités économiques ou les services qui y sont présents, qui influent sur le choix d’une destination. De nombreuses études montrent que la famille et les amis constituent une source importante d’information quant aux destinations potentielles (Ritchey, 1976). Par ailleurs, Lansing et Mueller (1967) trouvent que les migrants n’ont généralement considéré qu’un très petit nombre de destinations potentielles.

Avantages et limites de l’étude de motivations

Les motifs invoqués pour migrer ont le mérite de constituer l’interprétation la plus simple et la plus directe du phénomène (De Jong et Fawcett, 1981). Il est possible, sur la base de ces motifs, de distinguer plusieurs types de migrations, ce que les études portant sur les déterminants ne permettent généralement pas (Lansing et Mueller, 1967). En outre, l’étude des raisons invoquées pour migrer permet généralement de faire ressortir un éventail de motivations beaucoup plus vaste que l’étude des déterminants (voir par exemple Lansing et Mueller, 1967 et Williams et Sofranko, 1979).

Il convient toutefois de préciser certaines limites que pose l’analyse des comportements migratoires basée sur des raisons fournies après coup par les migrants. Divers filtres de nature socio-psychologique séparent les conditions objectives vécues par l’individu et les raisons subjectives qu’il donne pour expliquer son départ. Ces raisons constituent une réflexion a posteriori des actions passées, avec le risque de présenter une interprétation simplifiée des nombreux motifs impliqués dans le processus de décision (De Jong et Fawcett, 1981 ; Williams et Sofranko, 1979). Taylor (1969) évoque les travaux de Pareto et de Festinger pour illustrer que l’explication fournie après coup peut être le fruit d’un processus de rationalisation par lequel un individu réinterprète ses actes et leur donne un sens. De plus, les individus peuvent ne pas connaître les motivations les ayant poussés à migrer (Sell, 1983). Enfin, les migrants peuvent être tentés de formuler des réponses qui sont socialement acceptables (Lansing et Mueller, 1967) et le vocabulaire utilisé peut refléter des normes variables dans le temps et selon les situations (Sell, 1983).

Description des données utilisées

L’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC) a été conçue dans le but d’étudier le processus par lequel les nouveaux immigrants s’adaptent à la vie au Canada, les facteurs qui aident les immigrants à s’intégrer à leur nouvelle société ainsi que les obstacles qui se présentent sur leur chemin. Elle constitue une source importante d’information sur une vaste gamme de sujets tels que le logement, l’éducation, l’emploi, la santé, les réseaux sociaux, les compétences linguistiques, le revenu, la reconnaissance des titres de compétences et l’expérience subjective des immigrants quant à leur établissement au pays. Les données de l’ELIC contiennent notamment de l’information sur tous les endroits où les immigrants ont vécu depuis leur arrivée, incluant les dates et les motifs des déménagements, le cas échéant. Cette information nous permet d’examiner les migrations secondaires suivant l’établissement initial et de mesurer le pouvoir de rétention de la toute première destination au Canada, ce qui n’est pas nécessairement possible à partir de données provenant de sources administratives ou de recensements.

La population cible de l’ELIC comprend tous les immigrants âgés de 15 ans ou plus arrivés de l’étranger entre octobre 2000 et septembre 2001 et ayant effectué leur demande d’immigration depuis l’étranger. Les immigrants âgés de moins de 15 ans, ceux ayant effectué leur demande d’immigration au Canada et ceux ayant demandé le statut de réfugié une fois au pays sont exclus de l’enquête. Les répondants de l’ELIC ont été interviewés à trois reprises, soit six mois, deux ans et quatre ans après leur arrivée au Canada. Il est à noter que la cohorte de l’ELIC comprend les immigrants de la population cible qui résident toujours au Canada au moment d’une vague d’entrevues donnée. Cette précision est importante car les immigrants ayant quitté le Canada entre deux vagues d’interviews en sont exclus. La cohorte diminue donc à chaque vague : environ 164 200 immigrants lors de la première interview, 160 800 immigrants lors de la deuxième et 157 600 lors de la troisième.

En plus des immigrants ayant quitté le pays, les refus de réponse et l’impossibilité de retracer certains répondants contribuent à l’érosion de l’échantillon d’une vague de collecte à une autre. La taille de l’échantillon est ainsi passée de 12 040 répondants lors de la première vague à respectivement 9 322 et 7 716 répondants lors des deuxième et troisième vagues. Dans la mesure où les migrants peuvent être plus difficiles à retracer, la migration peut jouer un rôle dans le risque de déperdition. Même si les poids de sondage sont ajustés à chaque vague pour tenir compte de la non-réponse, un biais potentiel n’est pas impossible, notamment sous la forme d’une sous-estimation du nombre de migrants.

Les données utilisées dans cette étude sont celles de la troisième vague de l’enquête. Parmi les 7 716 répondants ayant participé aux trois interviews, 1 123 individus ont effectué au moins une migration secondaire, ce qui représente environ 21 700 immigrants. Comme l’ELIC est une enquête utilisant un plan d’échantillonnage complexe, des méthodes de réplication (qui font usage de poids de sondage bootstrap) sont utilisées afin de calculer les variances échantillonnales associées aux estimations.

Présentation des résultats

Portrait général des migrations secondaires

Selon les données de l’ELIC, environ 21 700 nouveaux immigrants ont effectué au moins une migration secondaire au cours de leurs quatre premières années au Canada, ce qui représente près de 14 % de l’ensemble des nouveaux immigrants. La figure 1 montre les proportions cumulatives d’immigrants qui ont effectué une migration secondaire au cours de leurs quatre premières années au pays selon la catégorie d’immigration.

Figure 1

Proportions cumulatives de migrants secondaires au cours des quatre premières années au Canada, selon le temps écoulé depuis l’arrivée dans le pays, par catégorie d’immigration

Proportions cumulatives de migrants secondaires au cours des quatre premières années au Canada, selon le temps écoulé depuis l’arrivée dans le pays, par catégorie d’immigration
Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Les nouveaux immigrants sont très mobiles au cours des premières semaines. C’est particulièrement le cas des réfugiés : près de 18 % des immigrants de cette catégorie ont migré et ceux-ci ont pris en moyenne 58 semaines pour le faire, comparativement à 73 pour l’ensemble des migrants. Il faut savoir que dans le cas des réfugiés, la sélection d’une destination est généralement le fruit d’un processus de jumelage impliquant notamment les agents d’immigration à l’étranger et un centre de jumelage situé à Ottawa. Bien que les réfugiés puissent exprimer leurs préférences, le fait est qu’ils n’ont souvent qu’une connaissance limitée du Canada (CIC, 2001). Beaucoup de réfugiés n’ont ainsi pas choisi leur ville de destination, ou n’ont pas vu leurs préférences être respectées (Simich et collab., 2001). Les données de l’ELIC montrent que près d’un réfugié sur quatre (23 %) a affirmé ne pas avoir choisi sa destination.

Les immigrants de la catégorie économique ont migré dans une proportion approchant celle des réfugiés. Environ 16 % d’entre eux ont migré, et ce, en moyenne 73 semaines après l’arrivée au pays. Les immigrants de la catégorie de la réunification des familles sont pour leur part beaucoup moins mobiles. Ceux ayant migré ont attendu en moyenne 84 semaines avant de le faire.

Le tableau 1 montre la répartition des nouveaux immigrants à leur arrivée au pays ainsi que quatre ans après. Les données de l’ELIC montrent que les RMR de Toronto et de Vancouver ont vu leur part des nouveaux immigrants décroître au cours de la période en raison de pertes migra-toires. Il est à noter que ces résultats sont à l’image des mouvements observés récemment pour ces RMR en ce qui concerne l’ensemble des Canadiens : leur croissance démographique provient de l’immigration, mais non des migrations internes (Dion et Coulombe, 2008). La RMR de Calgary a, pour sa part, enregistré des gains migratoires importants. En fait, les données de l’ELIC confirment que les nouveaux immigrants n’ont pas été insensibles à l’intense période de croissance économique connue par l’Alberta au cours de la période à l’étude. Selon les données de l’ELIC, environ 3 000 nouveaux immigrants ont quitté leur province d’établissement initial au cours de cette période pour aller vivre en Alberta, ce qui représente environ un dixième de toutes les migrations secondaires des nouveaux immigrants au Canada. Cette proportion varie selon la catégorie d’immigration : 19 % parmi les réfugiés, 15 % parmi les membres de la catégorie de la réunification des familles et seulement 8 % parmi les immigrants économiques. Une explication plausible du phénomène serait que les emplois offerts en Alberta correspondent peu aux aspirations et aux compétences des immigrants de cette catégorie[6]. Les regroupements de régions des autres RMR et des régions hors RMR ont aussi enregistré des soldes migratoires positifs après quatre ans. Quant aux régions à faible densité, la proportion d’immigrants est demeurée sensiblement la même après quatre ans.

Tableau 1

Lieu de résidence des nouveaux immigrants au moment de leur établissement et quatre ans après leur arrivée au Canada

Lieu de résidence des nouveaux immigrants au moment de leur établissement et quatre ans après leur arrivée au Canada

* Différence statistiquement significative avec la répartition initiale à p < 0,05.

** Différence statistiquement significative avec la répartition initiale à p < 0,01.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Les migrations secondaires modifient donc assez peu la répartition initiale des nouveaux immigrants au Canada au cours de leurs quatre premières années et ne favorisent pas significativement l’entrée de nouveaux immigrants vers les régions à faible densité. Toutefois, ce résultat général masque la dynamique particulière des migrations internes dans ces régions. En fait, les migrants secondaires sont plus nombreux, toute proportion gardée, à provenir de régions à faible densité que d’autres régions. Par contre, l’impact sur ces régions est compensé par le fait que les migrants secondaires sont aussi plus enclins à s’établir dans ces régions que ne le sont l’ensemble des nouveaux immigrants à leur arrivée au Canada. Ainsi, alors que 6,6 % des nouveaux immigrants avaient choisi une région à faible densité comme destination initiale, 24,4 % ont opté pour une telle région lors d’une migration secondaire.

Raisons du choix d’une ville de destination dans les premiers six mois

Dans le questionnaire de la première vague de l’ELIC, on demande aux nouveaux immigrants les raisons principales pour avoir choisi la ville dans laquelle ils résident au moment de l’entrevue. Ces raisons reflètent la plupart du temps le choix de la destination initiale. Toutefois, certains immigrants avaient déjà quitté leur ville de résidence initiale avant l’entrevue (environ six mois après leur arrivée) et dans ce cas, les raisons reflètent plutôt le choix d’une ville de destination lors d’une migration secondaire. La figure 2 présente les différentes raisons pour le choix d’une ville, séparément pour les migrants et les non-migrants. Comme le nombre de migrations est faible dans les six premiers mois seulement, il n’est pas possible de désagréger davantage ces données, par région de résidence par exemple. Néanmoins, leur examen donne un aperçu des préoccupations des migrants dans le choix d’une destination. Il est à noter que les données de la figure 2 excluent les immigrants de la catégorie de la réunification des familles. En effet, étant donné les raisons pour lesquelles ils sont venus au Canada, c’est-à-dire rejoindre des membres de la famille, le choix d’un lieu de résidence ne se pose pas réellement pour les immigrants de cette catégorie, dans la mesure où ils décident généralement de résider là où leurs proches habitent[7].

Figure 2

Raisons pour avoir choisi une ville de résidence, selon qu’il s’agisse de la destination initiale ou d’une destination secondaire, six mois après l’arrivée au Canada

Raisons pour avoir choisi une ville de résidence, selon qu’il s’agisse de la destination initiale ou d’une destination secondaire, six mois après l’arrivée au Canada

* Différence statistiquement significative par rapport à la proportion observée parmi les immigrants n’ayant pas migré à p < 0,05.

** Différence statistiquement significative par rapport à la proportion observée parmi les immigrants n’ayant pas migré à p < 0,01.

E À utiliser avec prudence (coefficient de variation élevé).

Note : Exclut les immigrants de la catégorie d’immigration de la réunification des familles. Le graphique présente seulement les raisons pour lesquelles les fréquences sont assez importantes pour être publiées. Les réponses multiples étant permises, la somme des pourcentages peut excéder 100.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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On observe, au premier abord, un contraste important selon s’il s’agit de l’établissement initial ou d’une migration secondaire. Les motifs économiques prennent davantage d’importance lors d’une migration, alors que les motifs axés sur la famille ou les amis sont prépondérants lors de l’établissement initial. Près de deux migrants sur cinq ont mentionné avoir choisi une ville en fonction des possibilités d’emploi qu’elle offre. Néanmoins, cette proportion n’est pas supérieure à celle des migrants ayant choisi une ville sur la base de la présence de liens sociaux, qu’il s’agisse d’amis ou de membres de la famille. D’autres facteurs pris en considération par les migrants ont été les perspectives d’étude (14 %), le mode de vie (10 %), le logement (7 %), la présence de gens partageant le pays d’origine ou l’origine ethnique (5 %) et le climat (4 %).

La proportion relativement faible de migrants ayant affirmé avoir choisi une ville de destination pour se rapprocher de gens de leur pays ou du même groupe ethnique tend à relativiser les hypothèses centrées sur l’ethnicité. Si la taille de la communauté ethnique apparaît comme un facteur d’attraction important dans les études sur les déterminants, c’est peut-être parce qu’elle est corrélée à la présence de membres de la famille et d’amis. Il faut toutefois préciser que certaines limites sont susceptibles de restreindre la portée de ces résultats. D’abord, il n’est pas impossible que certains répondants aient senti une gêne à affirmer qu’ils ont choisi un endroit en fonction de la présence de membres de leur communauté, craignant d’être jugés négativement sur la base de leurs réponses. Ensuite, il faut rappeler que ces résultats ne s’appliquent qu’aux migrations ayant eu lieu dans les six premiers mois seulement après l’arrivée au Canada. L’examen des motifs relatifs à la sélection d’un lieu de destination au cours des quatre premières années, si possible, aurait peut-être donné des résultats différents.

Motifs invoqués pour avoir migré au cours des quatre premières années au Canada

Une autre question de l’ELIC permettant d’accéder aux motivations des migrants est : « Quelles étaient les principales raisons de votre déménagement de cette adresse ? » Cette question, présente dans le questionnaire de chacune des vagues de collecte de l’ELIC, est posée pour chacun des déménagements. La figure 3 montre les réponses obtenues pour les déménagements constituant des migrations secondaires.

Figure 3

Raisons mentionnées le plus souvent pour avoir migré au cours des quatre premières années au Canada

Raisons mentionnées le plus souvent pour avoir migré au cours des quatre premières années au Canada

E À utiliser avec prudence (coefficient de variation élevé).

Note : Les raisons ne couvrent que la première migration. Les réponses multiples étant permises, la somme des pourcentages peut excéder 100.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Les deux principaux motifs mentionnés par les répondants sont : « être plus près du travail et des études » (37 %) et « trouver un emploi ou de meilleures perspectives d’emploi » (25 %). De toute évidence, ces catégories de réponse souffrent d’un manque de précision. En ce qui concerne la première raison, on ne peut distinguer si l’objectif était de se rapprocher du travail ou des études. S’il est raisonnable de croire que la majorité d’entre eux ont migré pour se rapprocher du lieu de travail, les données de l’ELIC montrent que nombreux sont les nouveaux immigrants ayant poursuivi des études au Canada : après quatre ans au Canada, la moitié d’entre eux avaient suivi au moins un cours autre que de la formation linguistique. Quant à ce qui distingue ceux ayant migré pour se rapprocher du travail de ceux ayant migré pour trouver un emploi ou de meilleures perspectives d’emploi, il est probable que ce ne soit que l’ordre dans lequel les événements sont survenus, mais cela demeure hypothétique. Dans le premier cas, le fait d’avoir trouvé un emploi devancerait alors la migration, alors que dans le second, la migration vise à trouver un emploi.

Du reste, ces deux motifs diffèrent grandement entre eux quant aux distances parcourues. À partir des coordonnées géographiques des adresses d’origine et de destination des migrants, on peut mesurer la distance qui sépare les deux points en ligne droite, c’est-à-dire en faisant abstraction des routes. Bien qu’imparfaite, cette mesure est un indicateur de la distance parcourue lors de la migration[8]. Les immigrants ayant migré pour être plus près du travail et des études ont franchi une distance moyenne de 719 kilomètres (tableau 2). En comparaison, les immigrants ayant migré pour trouver un emploi ou de meilleures perspectives d’emploi ont franchi de plus grandes distances, ayant parcouru en moyenne 1 091 kilomètres.

Tableau 2

Distances parcourues selon les motifs invoqués pour migrer

Distances parcourues selon les motifs invoqués pour migrer

* Différence statistiquement significative par rapport à la proportion observée parmi la totalité des migrants à p < 0,05.

** Différence statistiquement significative par rapport à la proportion observée parmi la totalité des migrants à p < 0,01.

E À utiliser avec prudence (coefficient de variation élevé)

F Trop peu fiable pour être publié.

Note : Les motifs ne reflètent que la première migration. Un migrant peut avoir migré pour plus d’un motif.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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La troisième raison mentionnée le plus souvent par les migrants secondaires pour avoir migré est : « avoir un endroit à soi » (11 %). Ces migrants ont généralement parcouru de courtes distances, soit 305 kilomètres en moyenne. Il s’agit par ailleurs de migrations s’étant effectuées rapidement après l’arrivée au pays, les deux tiers ayant eu lieu moins de 20 semaines après (figure 4). Le désir de se rapprocher de membres de la famille ou d’amis est la quatrième raison mentionnée par les migrants (9 %). Ces migrants ont généralement parcouru des distances relativement importantes, plus des deux tiers ayant franchi plus de 290 kilomètres. D’autres raisons invoquées par les migrants ont été : « trouver de meilleures écoles » (5 %), « avoir plus d’espace » (5 %), « avoir plus d’indépendance » (4 %), « trouver un endroit plus économique » (4 %), « trouver un endroit de meilleure qualité » (3 %) et « trouver un meilleur quartier » (3 %).

Figure 4

Proportions cumulatives de migrants selon le nombre de semaines séparant la première migration de l’arrivée au Canada et selon les motifs invoqués pour migrer

Proportions cumulatives de migrants selon le nombre de semaines séparant la première migration de l’arrivée au Canada et selon les motifs invoqués pour migrer

Note : Un migrant peut avoir migré pour plus d’un motif.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Motivations selon l’origine et la destination

Le choix d’un nouveau lieu de résidence constitue une réponse à l’insatisfaction vécue sur le lieu de résidence d’origine. Les motifs invoqués pour migrer témoignent de ces insatisfactions, et sont susceptibles de varier selon les régions d’origine. De même, comme le motif de la migration reflète l’utilité espérée du lieu de destination, il peut également avoir une incidence sur son choix. Il est donc pertinent d’analyser comment les diverses motivations sont associées aux lieux.

Le tableau 3 montre la proportion des migrants selon les motifs de migration les plus fréquents pour un nombre choisi de régions d’origine et de destination. Par rapport à l’ensemble des migrants, ceux provenant de Toronto ou d’Hamilton ont été proportionnellement plus nombreux à migrer pour être plus près du travail ou des études. Comme ces migrations se sont généralement effectuées sur de courtes distances, il est probable qu’un grand nombre aient eu pour destination des régions entourant ces deux RMR. Les migrants cherchant à se rapprocher du travail et des études ont généralement préféré, toutes proportions gardées, s’établir à Ottawa ou dans une RMR autre que Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary ou Hamilton.

Tableau 3

Raisons invoquées pour avoir déménagé lors d’une première migration au cours des quatre premières années au Canada, par lieu d’origine et lieu de destination

Raisons invoquées pour avoir déménagé lors d’une première migration au cours des quatre premières années au Canada, par lieu d’origine et lieu de destination

* Différence statistiquement significative par rapport à la proportion totale à p < 0,05.

** Différence statistiquement significative par rapport à la proportion totale à p < 0,01.

E Interpréter avec prudence (coefficient de variation élevé).

F Trop peu fiable pour être publié.

a Un migrant peut avoir migré pour plus d’un motif.

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Le portrait diffère passablement en ce qui concerne les migrants ayant cherché un emploi ou de meilleures perspectives d’emploi. Dans ce cas, les migrants sont surreprésentés parmi les sortants des « autres » RMR et des régions à faible densité ainsi que parmi ceux ayant migré à Calgary, Toronto ou Vancouver. En outre, des proportions assez faibles de ces migrants ont opté pour une région hors des grands centres ou des grands pôles d’attraction. Ces résultats suggèrent que les régions à faible densité exercent des forces d’attraction et de rétention assez faibles en ce qui concerne spécifiquement les possibilités d’emploi qu’elles offrent.

Des grands centres vers les régions à faible densité

Un type de migration est particulièrement intéressant du point de vue des initiatives visant à favoriser une répartition géographique plus uniforme de l’immigration : la migration des pôles traditionnels d’attraction vers les régions à faible densité. Au cours de leurs quatre premières années au Canada, 17 800 migrants ont quitté une RMR hors des régions à faible densité. Parmi eux, près du quart (4 400) ont choisi de s’établir dans une région à faible densité.

Qui sont ces migrants et pourquoi ont-ils préféré une région à faible densité ? La question est pertinente puisque l’évaluation subjective des lieux est susceptible de varier selon les individus, leurs motivations, ou leur région d’origine. Des modèles de régressions permettant d’explorer l’association entre une série de variables indépendantes, dans ce cas-ci les caractéristiques des migrants et les motifs, et une variable dépendante, le choix de la destination, sont appropriés pour répondre à cette question (voir l’encadré Spécifications des modèles de régression pour plus de détails).

Le tableau 4 présente les résultats de trois modèles distincts. Le premier modèle n’inclut que les caractéristiques des migrants secondaires. On observe que le fait d’être un homme seul ou d’être titulaire d’un diplôme de baccalauréat ou supérieur réduit les probabilités de choisir une région à faible densité. Il en est de même du fait d’être originaire d’Asie du Sud ou d’Asie de l’Est et du Sud-Est. L’effet de l’origine ethnique peut refléter des différences entre les groupes, par exemple dans les normes culturelles ou la structure d’établissement résidentiel (Trovato et Halli, 1983). À l’inverse, deux facteurs augmentent les probabilités qu’ont les migrants de s’établir dans une région à faible densité : être âgé de 35 à 44 ans et savoir très bien parler l’une des deux langues officielles.

Tableau 4

Résultats de régression logistique : facteurs associés à la probabilité de migrer d’une région à forte densité vers une région à faible densité au cours des quatre premières années au Canada (1re migration seulement)

Résultats de régression logistique : facteurs associés à la probabilité de migrer d’une région à forte densité vers une région à faible densité au cours des quatre premières années au Canada (1re migration seulement)

a La catégorie « Autres » inclut l’Amérique centrale, l’Amérique latine, les Caraïbes, les Îles du Pacifique, les origines autres ainsi que les origines multiples.

b Un migrant peut avoir migré pour plus d’un motif.

ns Résultat non significatif (p > 0,05).

Source : Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, vague 3

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Le deuxième modèle présenté introduit les motivations à l’origine de la migration, ce qui accroît de façon significative la valeur prédictive. Une seule motivation montre une association significative : le fait d’avoir migré pour trouver un emploi ou de meilleures possibilités d’emploi diminue les probabilités de choisir une région à faible densité[10]. La région d’origine est introduite dans le troisième modèle, ce qui augmente encore significativement la valeur prédictive. Les migrants en provenance de Montréal ont une probabilité plus forte de migrer en direction d’une région à faible densité.

La connaissance du pays et de nouveaux lieux potentiels de destination est susceptible d’augmenter avec le temps (Simich et collab., 2001). Il est ainsi légitime de croire que la probabilité de choisir une destination située dans une région à faible densité augmente avec le temps écoulé depuis l’arrivée dans le pays. Toutefois, l’ajout de cette variable (dans un quatrième modèle) n’améliore pas la valeur prédictive du modèle. En d’autres mots, la probabilité qu’ont les migrants de choisir une région à faible densité ne varie pas selon le temps écoulé entre l’arrivée dans le pays et la migration, du moins au cours des quatre premières années de séjour.

Discussion et conclusion

Cette étude avait pour principalement pour but d’évaluer l’impact des migrations secondaires sur la répartition géographique des nouveaux immigrants, de mieux connaître les motivations des nouveaux immigrants à changer de lieu de résidence au cours de leurs premières années au Canada et de comprendre comment ces motivations étaient associées aux lieux d’origine et de destination. Au cours des quatre premières années de séjour, les migrations secondaires favorisent dans l’ensemble une redistribution plus large des immigrants sur le territoire canadien, mais ceci de façon très modeste. La probabilité de quitter une région traditionnellement moins prisée par les immigrants est plus importante que celle de quitter un grand centre. Par contre, les destinations choisies sont plus variées lors d’une migration secondaire.

Les motivations de nature économique expliquent une grande partie de la mobilité des nouveaux immigrants. L’arrivée dans un nouveau pays tend à situer tous les nouveaux arrivants dans une position similaire. En effet, même si certains ont une longueur d’avance, étant déjà venus au Canada, ayant des amis ou de la famille au pays, ou ayant déjà un emploi qui les attend, la plupart doivent affronter les mêmes défis : se trouver d’abord un logement, intégrer le marché du travail, ou poursuivre des études[11]. Dans ce contexte, un certain ajustement résidentiel est alors à prévoir peu de temps après l’arrivée au pays si le lieu de travail ou d’études est assez éloigné du lieu de résidence initial, d’où la forte proportion de migrants ayant déclaré vouloir se rapprocher du lieu de travail ou d’études. Les migrations motivées par la recherche d’un emploi ou de meilleures perspectives d’emploi s’inscrivent également dans un cheminement logique d’intégration. Insatisfaits des possibilités offertes sur le lieu de résidence initial, les nouveaux immigrants cherchent simplement des opportunités ailleurs.

Les résultats reflètent également l’importance du rôle des réseaux sociaux dans la migration interne, surtout en ce qui concerne le choix d’une destination. Près d’un dixième des migrants ont cherché à se rapprocher de la famille et près de deux migrants sur cinq (37 %) ont choisi une destination en fonction de la présence de membres de la famille ou d’amis. Cela peut surprendre dans la mesure où la majorité des nouveaux immigrants se sont établis dès l’arrivée près de leur famille ou de leurs amis. Mais il n’est pas impossible que les immigrants aient, dans bien des cas, des connaissances dans plus d’une ville. Les parents et les amis constituent des sources d’information quant aux destinations potentielles (hypothèse de l’information). Dans la mesure où les nouveaux immigrants ont une connaissance relativement limitée du pays au cours des premières années, cette information peut prendre une importance considérable. De plus, il est probable que plusieurs migrants prévoient que les membres de la famille ou les amis pourront faciliter leur intégration à un nouveau milieu (hypothèse de la facilitation). Les données de l’ELIC illustrent bien le rôle important joué par la famille et les amis. Par exemple, c’est le plus souvent par l’entremise d’amis que les nouveaux immigrants ont réussi à trouver un emploi : 44 % des nouveaux immigrants ayant travaillé au cours de leurs quatre premières années au Canada ont trouvé un emploi (ou plus) de cette façon (résultats non montrés). En outre, quelles que soient les difficultés rencontrées par les nouveaux immigrants au cours des six premiers mois, leur source d’aide privilégiée a toujours été la famille et les amis (Chui et collab., 2003).

L’examen des motifs de migration permet de constater qu’il y a non seulement plusieurs types de migration, mais aussi qu’à chacun de ces types correspondent des trajectoires particulières. Certains résultats s’avèrent particulièrement instructifs à l’égard des initiatives visant à favoriser la régionalisation de l’immigration. Les migrants des régions à faible densité sont proportionnellement plus nombreux à partir pour trouver un emploi ou de meilleures possibilités d’emplois que ceux en provenance d’autres régions. De plus, cette motivation tend à orienter les migrants en provenance des grands centres loin des régions à faible densité. De toute évidence, les difficultés que connaissent les immigrants à intégrer le marché du travail sont susceptibles de miner les efforts visant une meilleure répartition de l’immigration.

Avant de conclure, il importe de situer les résultats de cette étude dans le contexte socio-économique qui prévalait au moment où s’est déroulé l’ELIC. En effet, les résultats d’une étude montrent qu’une proportion importante des immigrants admis au pays entre 2000 et 2004 avaient une formation en sciences informatiques et en génie (Statistique Canada, 2008). Or le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) a connu une baisse importante de l’emploi entre 2000 et 2005. Cette baisse de l’emploi a eu pour effet une de diminuer les gains des immigrants récents formés dans le domaine. Mais il est également possible qu’elle ait forcé un grand nombre d’entre eux à migrer pour trouver des alternatives ailleurs dans un marché contingenté, ce qui aurait eu pour conséquence d’accroître le nombre d’immigrants ayant voulu migrer pour des raisons liées au travail. Comme l’ELIC ne suit qu’une seule cohorte d’immigrants, il n’est pas possible de mesurer l’effet spécifique du contexte sur la migration, ce qui constitue une limite importante de l’étude.