Résumés
Résumé
Les Sénégalais émigrent vers diverses parties du monde et s’y établissent durablement. Ils continuent cependant d’entretenir des liens multiformes avec leur pays. Des familles se constituent sur plusieurs sites, en particulier sur la base de relations conjugales. Dans ces unités, les femmes, qu’elles soient mères ou épouses, sont souvent présentées sous des traits passifs. Cet article montre que les normes qui assignent des rôles secondaires aux femmes tendent sinon à s’effriter, du moins à être constamment rediscutées. À partir d’histoires familiales recueillies auprès d’émigrés sénégalais et de leurs parents rencontrés à Dakar et dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, l’article défend la thèse d’une autonomisation croissante, voire d’une émancipation des femmes à la fois au Sénégal et en terre étrangère, à la faveur notamment des migrations internationales. Le parti pris méthodologique de cet article est d’inscrire l’étude des rapports sociaux entre genres dans le contexte familial, que l’on pense souvent comme laissant peu de marge de manoeuvre aux femmes.
Abstract
Senegalese people emigrate to different parts of the world and establish themselves there in the long term ; but they continue to maintain links of many kinds with their home country. Families form in a variety of places, starting from a basis in a conjugal relationship. Women in these units, whether mothers or wives, are often presented in passive terms. This article shows that the norms assigning secondary roles to women are tending, if not to erode, at least to be constantly renegotiated. Based on family histories collected from Senegalese migrants and from their kin in Dakar and in the middle Senegal River valley, the article argues for a process of increasing autonomy or even an emancipation of women both in Senegal and overseas, thanks largely to international migration. The methodological position adopted here is to embed the study of social relations between the sexes in the context of the family, which is often thought of as leaving little room for manoeuvre for women.
Corps de l’article
Introduction
Une image d’Épinal domine l’étude des migrations internationales ouest-africaines : les femmes seraient passives, et leur histoire migratoire ne trouverait son sens que rapportée à une biographie conjugale fondamentalement construite par les hommes (Journet et Fainzang, 1988). Cette représentation perdure encore à cause du phénomène du regroupement familial, une des modalités de renouvellement de l’immigration dans les pays du Nord faisant suite au durcissement des législations en matière d’entrée et de séjour des étrangers : les épouses rejoignent leurs maris et tendent de ce fait à être perçues comme mineures dans un contexte de forte altérité sociale (Poiret, 1996). Ce modèle d’analyse connaît un durcissement qui lui confère un succès médiatique et politique depuis quelques années : non seulement les migrants ouest-africains constituent un problème dans les espaces publics européens, mais les contextes familiaux qui leur servent de cadre de socialisation voileraient des violences quotidiennes commises à l’encontre de conjointes fortement dominées (Lagrange, 2010). Parfois, cette posture analytique est remise en cause par la mise en exergue d’une certaine appropriation de l’action citoyenne, quand les femmes africaines se regroupent sous forme associative et produisent des leaders, le plus souvent sous la houlette d’organismes de solidarité nationale ou internationale, ou lorsqu’elles mettent en place des structures informelles et parallèles de mobilisation de ressources leur permettant de se soustraire de l’emprise de leurs conjoints (Semin, 2007). Si de nombreuses réalités relèvent de ce qu’on peut interpréter comme une domination masculine, il ne faut pas tomber dans une vision misérabiliste ni nier la diversité des trajectoires. Ces lectures souffrent d’abord du biais que constitue le seul recours au point de vue des femmes rencontrées. De même, considérer seulement l’immigrante rencontrée dans le cadre associatif peut rendre invisible des pans entiers de sa vie sociale, en ce que ces entretiens ont un but particulier, se font dans des contextes spécifiques et orientent la parole en fonction des objectifs affichés ou implicites de ces organisations. Il s’y ajoute que les données qui servent de base à l’analyse sont souvent de seconde main : elles sont récoltées par des professionnels du social en situation d’interaction avec des personnes demandeuses d’aide ou de soutien et qui ne sont pas nécessairement conscientes des usages qui peuvent être faits des entretiens auxquels elles participent (Lagrange, 2013). Une autre considération est aussi négligée : dans le cadre de migrations internationales, on se focalise souvent sur les territoires d’immigration, oubliant l’intérêt que peut constituer l’étude des trajectoires dans les pays d’origine (Sayad, 1999).
Cet article propose de reconsidérer la posture analytique dominante sur les rapports conjugaux entre immigrants ouest-africains, notamment quand elle exhume les principes ancestraux d’une culture patriarcale pour expliquer la domination que les hommes exercent sur des femmes en région parisienne. À travers des tableaux familiaux de migrants internationaux sénégalais vivant en France, l’étude offre davantage de clefs de lecture des relations entre conjoints, en invitant à prêter attention à l’hétérogénéité des arrangements observables. L’article montre comment les femmes aménagent des espaces d’autonomie sans un quelconque encadrement institutionnel, et même travaillent à asseoir dans certains cas un pouvoir conjugal à partir duquel elles bâtissent des stratégies économiques et élaborent d’autres pratiques matrimoniales tout en contribuant à refonder les couples auxquels elles appartiennent sur des bases empruntant aux normes de certaines conjugalités à l’oeuvre dans les contextes d’immigration. Ces changements au sein des unités familiales dispersées dans l’espace induisent de nouvelles formulations des rôles conjugaux et sociaux. Mieux, ils posent autrement la question des identités des deux conjoints. L’article est divisé en trois sections : la première est consacrée à la recension des travaux sur les mobilités féminines et à leurs effets sur les rapports de genre dans la littérature sur les migrations internationales sénégalaises ; la deuxième expose la méthodologie de l’enquête d’où sont tirées les données mobilisées dans ce texte ; la troisième décrit et analyse, à travers des tableaux de couples, les processus qui amènent des femmes à créer les conditions de leur autonomisation progressive, voire de leur émancipation, dans des univers fortement contraints.
Mobilités féminines et genre dans la littérature sur les migrations sénégalaises
Le Sénégal contemporain se caractérise par une forte émigration. D’après les statistiques, près de 2 millions de Sénégalais vivraient à l’étranger (Tall, 2005). Les travaux se sont d’abord intéressés aux causes de cette émigration, qui s’oriente principalement vers le reste de l’Afrique et l’Europe, et depuis plus d’un quart de siècle vers l’Amérique du Nord et l’Asie (Tall, 2008). Les motifs sont essentiellement une recherche de numéraire, faisant suite à la destruction des systèmes de production à la fin des années 1960 et au début des années 1970 après les grandes sécheresses qui n’ont pas épargné le pays, en particulier ses zones agraires (Lavigne-Delville, 1991). Devant l’impossibilité de valoriser leurs terres, les Sénégalais cherchent à s’employer (Crousse, Mathieu et Seck, 1991). Les aînés partent chercher de l’argent, se font relayer par les cadets au bout de quelques années, puis retournent s’occuper des concessions majoritairement composées de femmes et d’enfants. La focalisation excessive sur les migrations consécutives à la dégradation environnementale relègue au second plan des mobilités plus anciennes, en particulier celles des Sénégalais enrôlés de force pendant les deux guerres mondiales et qui se reconvertissent comme marins et navigateurs à partir des principaux ports français que sont Marseille et Le Havre (Diop, 1996). Les recherches mettent ensuite en évidence d’autres logiques relatives aux régions d’origine des migrants et aux réseaux dans lesquels ils s’insèrent. En dehors des groupes ethniques qui se déploient à travers le monde à partir de la moyenne vallée du fleuve Sénégal ou encore de la Casamance, on découvre une émigration sur une base confessionnelle et confrérique musulmane : les paysans mourides du centre-ouest du Sénégal, frappés de plein fouet par la détérioration des termes de l’échange qui met à terre la culture de l’arachide, s’investissent dans le commerce urbain à Dakar, puis ils structurent des filières leur permettant d’écouler des marchandises dans plusieurs pays d’Europe du Sud, notamment l’Italie et l’Espagne, et aux États-Unis (Ebin, 1990 ; Schmitt di Friedberg, 1995). À la fin des années 1980 et au début des années 1990, plusieurs faits sont notés par les scientifiques : l’émigration internationale sénégalaise concerne toutes les couches de la société, toutes les régions — il est vrai de façon inégale — et se caractérise par la variété des destinations : ne sont plus privilégiés seulement les pays ayant des liens historiques, politiques et linguistiques avec le Sénégal, mais des terres nouvelles sont explorées et investies (Tandian, 2008). Au début des années 2000, les recherches portent aussi sur les étudiants et les qualifiés qui quittent le Sénégal ou ré-émigrent à partir de pays où ils ont obtenu des diplômes (comme la France), notamment vers le Canada et les États-Unis où s’ouvrent des opportunités de s’employer comme cadres ou universitaires (Fall, 2010 ; Guèye, 2001). La décennie 2000 correspond aussi à un intérêt des chercheurs pour le transnationalisme sénégalais : ils montrent de quelle manière, à travers l’engagement associatif et religieux ou encore les transferts d’argent, les immigrants installés aux États-Unis, en France, au Canada, en Italie, au Maghreb et au Moyen-Orient contribuent à la vie économique, politique et culturelle de leur pays (Dia, 2010 ; Kane, 2011). Dans les pays d’installation, les travaux s’intéressent aussi aux conditions d’existence des Sénégalais : leur place sur le marché du travail, leur logement, leur vie familiale et leur rapport à l’école ou à la violence. C’est alors en général leur appartenance aux franges plus vulnérables des classes populaires qui est mise de l’avant.
Le foisonnement de la littérature sur les migrations internationales sénégalaises, en dépit de la variété des thématiques abordées et de la diversité d’origine nationale des chercheurs impliqués, souffre d’un défaut majeur : la quasi-invisibilité des femmes. Dans les rares études qui leur sont consacrées, c’est en tant qu’épouses d’immigrants/émigrés et mères de famille ou encore femmes assurant la reproduction sociale qu’elles apparaissent (Pian, 2010). C’est un constat qui n’est d’ailleurs pas propre aux études sur les Sénégalais : à l’échelle du monde, en dépit des évidences statistiques rappelées par les organismes onusiens, les recherches sur les migrations ont jusqu’aux années 1980 négligé le rôle des femmes dans les dynamiques migratoires (Green, 2002 ; Morokvasic, 2008). Les Sénégalaises immigrantes dans les pays européens ou épouses restées au pays sont décrites comme passives et dépendantes de leurs maris et des subsides que ces derniers veulent bien leur accorder (Elia, 2006). C’est particulièrement dans les décennies 1990 et 2000 qu’on peut noter une évolution dans le regard porté sur les rapports sociaux de sexe noués dans une configuration migratoire. On montre que les femmes migrantes peuvent se mouvoir dans des contextes de très fortes contraintes et que, bien que dominées, elles ont des ressources pour défendre leurs intérêts et asseoir des rapports plus équilibrés à l’intérieur comme à l’extérieur des familles et des ménages. Par exemple, Quiminal (2000), analysant les relations qu’entretiennent territoire et identité en situation migratoire, défend la thèse d’une dynamique d’action autonome de la part de femmes africaines de France, dont des Sénégalaises, qui, contrairement aux hommes qui montent des associations tournées vers leur village d’origine sur la base d’initiatives dites de développement, procèdent à l’appropriation symbolique et pratique d’espaces urbains en France même. Dans la même lancée, d’autres travaux montrent qu’en raison de l’évolution des conjonctures économique et sociale au Sénégal, les femmes ne sont plus forcément dans l’accompagnement de leurs maris émigrés mais elles-mêmes actrices de leur propre mobilité jusques et y compris dans des situations réputées dures. Ainsi, au Maroc, en transit vers l’Europe, piégées dans un contexte de clandestinité, elles se retrouvent à inventer un quotidien dans le royaume chérifien et, en dehors même des réseaux de parenté, elles y développent des activités commerçantes gage de leur indépendance (Pian, 2005). Des femmes devenues chefs de ménage à Dakar partent à l’étranger de leur propre chef ou organisent le départ de leurs fils en le finançant au moyen de leurs revenus tirés d’une variété d’activités ou en contractant des prêts à cet effet. Certaines femmes immigrantes participent à la production urbaine au Sénégal en investissant dans l’immobilier et en envoyant de l’argent à leurs familles (Schmitz, 2008). Cet article s’inscrit dans le sillage de ces travaux, mais en ré-inscrivant la question des rapports sociaux de pouvoir entre les sexes dans un cadre peu investi par les scientifiques : celui de la famille transnationale (Razy et Baby-Collin, 2011).
Méthodologie d’enquête
Cet article est construit sur la base d’un travail ethnographique au long cours mené sur les migrations internationales sénégalaises, avec une attention particulière portée aux émigrés issus de la moyenne vallée du fleuve. L’enquête commence en 2003 et se poursuit jusqu’à présent avec des missions de terrain à Dakar et au nord du Sénégal, à la faveur de ma participation à plusieurs projets et programmes de recherche menés depuis la France sur la thématique des migrations. Son point de départ est un mémoire de maîtrise en sociologie soutenu en 2003 à l’université Paris Descartes et qui portait sur les étudiants sénégalais inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur de la région parisienne. Dans ce cadre, j’ai élargi le questionnement à l’arrière-plan familial, ce qui m’a permis de dresser des portraits qui amènent à relativiser une perception courante des étudiants africains en France : j’ai pu montrer qu’en dehors de leur statut d’étudiant, ils présentent de fortes similitudes avec des Sénégalais travaillant comme ouvriers ou employés et habitant en banlieue parisienne, alors que la littérature scientifique consacrée aux étudiants a tendance à les envisager comme une avant-garde intellectuelle, politique et syndicale (Guimont, 1998). En fait, ma préoccupation était alors d’attirer l’attention sur un changement dans la composition sociologique des étudiants africains, notamment sénégalais : les études à l’étranger n’étaient plus seulement affaire de familles d’élites mais, à la faveur de la démocratisation scolaire, les origines sociales se diversifiaient, et le recrutement se faisait y compris dans les villages et les régions périphériques, un phénomène facilité par des politiques d’entrée et de séjour en France relativement souples pour les étudiants par rapport aux autres catégories administratives de migrants. J’ai par la suite entamé une thèse de doctorat en 2005 en déplaçant le questionnement : plutôt que de percevoir les Sénégalais à travers leurs activités scolaires ou professionnelles, j’ai voulu voir comment, à partir du pays, des groupes familiaux et des individus déployaient des stratégies de mobilité sociale à travers l’école et la migration, les deux pouvant se recouper dans bien des cas. À la suite de ce travail, finalisé en 2009, diverses opportunités sont venues enrichir les situations d’enquête et par conséquent le matériau : un projet de recherche de trois ans sur les envois d’argent des immigrants de la vallée du fleuve Sénégal (2006-2009), la réalisation d’une étude à la demande d’une ONG française sur les associations d’immigrants sénégalais (2008), la participation à deux projets de recherche européens sur l’accès aux soins des immigrants entre 2009 et 2010 et enfin la participation à deux projets de recherche sur financement de l’Agence nationale de la recherche en France (ANR) — l’un portant sur migration et religion (2010), l’autre sur les imaginaires migratoires (2011) — qui m’ont permis d’effectuer des missions au Sénégal auprès de familles comptant des émigrés en leur sein.
Dans toutes les études réalisées, je suis parti d’associations ou de regroupements constitués en France et qui répondent à diverses préoccupations : associations d’étudiants sénégalais, associations villageoises pour le développement, mutuelles de femmes, sections françaises d’organisations religieuses sénégalaises transnationalisées, associations humanitaires créées ou composées majoritairement d’immigrants. Pour récolter des données pour le volet familial de mes enquêtes, j’ai souvent demandé aux individus affiliés à ces associations et rencontrés en région parisienne de me faire autant que possible les portraits de leurs familles, les parcours scolaires ou autres de leurs membres, leurs activités au moment des enquêtes, ce qu’ils considéraient comme étant les grands événements et moments de leur vie familiale. Ces portraits sont ponctués par des récits autour de la vie de mes interlocuteurs. Au terme de ces entretiens, je demandais à mes enquêtés de me mettre en contact avec les membres de leurs familles établis au Sénégal, notamment à Dakar et dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. À Dakar, j’ai insisté sur l’histoire familiale dans un cadre urbain ; dans les villages, j’ai cherché en priorité à faire des entretiens avec les personnes les plus âgées, en particulier celles qui étaient désignées comme étant détentrices de la mémoire familiale, pour reconstituer des arbres de famille et saisir ainsi la mobilité sociale et spatiale sur plusieurs générations. Par la suite, je me suis entretenu avec les membres des familles qui ont accepté de répondre à mes questions. Sur tous les sites, j’ai pu reconstituer beaucoup de tableaux de familles à partir d’individus et d’événements collectifs : réunions, baptêmes, mariages, célébration d’anniversaires, commémorations religieuses, matchs de football, jumelages entre communes françaises et sénégalaises.
La confiance aidant, certains m’ont prêté des journaux de bord qu’ils tenaient sur leur vie et sur des événements importants dont ils ont été témoins. J’ai moi-même constitué des journaux de terrain en fonction de mes phases actives d’enquête, et surtout lors de mes missions de recherche. J’ai pu accéder aussi à des documents audiovisuels sur plusieurs cérémonies. Les histoires familiales présentées dans cet article sont extraites de ce matériau divers, collecté à différents moments entre 2003 et 2013. J’ai comparé chaque fois les éléments concordants des récits qui m’étaient faits en France et au Sénégal. Les entretiens ont été menés soit en français, soit en wolof ou en pulaar, deux langues de communication majeures du Sénégal. Que faut-il entendre par famille dans le cas des Sénégalais étudiés dans cet article, notamment les émigrés de la moyenne vallée ? L’organisation sociale dans cette partie du Sénégal admet plusieurs niveaux de groupes d’appartenance familiale. Le premier est celui du foyre[1], qui regroupe un couple et ses enfants mineurs, voire des enfants majeurs et leur descendance. Plus largement, le galle, que l’on traduit souvent par la concession, rassemble les pooye (pluriel de foyre) d’une même lignée. Le système de parenté est habituellement patrilinéaire et la résidence virilocale. Cependant, il a toujours existé des exceptions et des adaptations à la règle. Il peut arriver par exemple qu’une femme mariée reste au sein du foyre de ses parents. Les pooye et galleeji (pluriel de galle) ont des frontières mouvantes, peuvent croître ou décroître en fonction du contexte matériel, des migrations et des stratégies. La parenté crée des obligations envers le foyre d’origine, donc envers les parents et la fratrie, et envers celui de destination[2], par conséquent les conjoints et les enfants. Néanmoins une multitude de variables peuvent renforcer ou au contraire atténuer ces sentiments d’obligation. Les migrations internationales jouent du flou des normes, autorisant des recompositions familiales. Les familles des migrants ne sont pas de ce fait des entités fixes que l’on peut réduire aux membres du seul ménage observé en France par exemple. Ce sont plutôt des « maisonnées » multi-situées pour reprendre un outil de l’anthropologie de la parenté (Weber, 2002). Le foyre correspond bien à l’esprit de la « maisonnée », c’est-à-dire un groupe domestique de consommation et de production : dans le cas des migrants, il comprend en général des ascendants, des frères et soeurs des migrants ainsi que leurs alliés et descendants. Ici, la ressource à mettre en commun, au moins théoriquement, est l’argent tiré de la migration. C’est parce que les revenus issus de cette nouvelle configuration économique ne sont pas extensibles à l’infini que les relations au sein des « maisonnées multi-situées » font l’objet d’arrangements sophistiqués, d’élaborations continues et sont source de changements profonds qui amènent au constat d’un éclatement normatif. Il en va de même des rapports sociaux de sexe dans le couple.
Tableaux conjugaux au sein de familles transnationales
Cette section propose des portraits de familles qui se sont formées d’abord dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, puis se sont dispersées dans l’espace national, puis international, pour cause d’émigration. Ces histoires familiales, en particulier conjugales, rendent compte des dynamiques en cours qui permettent aux femmes de négocier leur autonomie, voire de construire dans certains cas un pouvoir au sein des unités familiales où les hommes sont restés longtemps dominants.
Ce que fait l’argent de la migration : une femme chef de lignage
Lamine et ses trois frères sont des migrants internationaux sénégalais. Lamine et son successeur immédiat dans la fratrie vivent en France, le troisième est à Bergame en Italie et le quatrième frère réside à Alméria, en Espagne. L’unique femme de la fratrie, Naha, vit au village, dans le bâtiment construit par ses frères. Naha est mère de quatre fils qui vivent aussi en Europe : deux à Bergame et deux à Alméria. Elle réside dans la maison avec son mari et leurs deux filles. Vivent également dans la maison la mère de Lamine et une épouse du troisième frère avec leurs deux enfants. Tous les frères de Lamine et ses neveux contribuent à la vie de la famille, à égalité, à la fin du mois. Malgré les protestations des frères cadets et des neveux, c’est Lamine, en tant qu’aîné dans la migration, qui fait appel à tous pour l’alimentation de la famille. Les oncles et les neveux contribuent chacun à hauteur de 150 euros. Ainsi, c’est la somme globale de 1200 euros qui est collectée mensuellement dans trois pays (la France, l’Espagne et l’Italie), ce qui représente une somme considérable dans le contexte local. L’envoi est ritualisé. Lamine, en organisateur, n’attend pas toujours que les autres frères et neveux lui fassent parvenir l’argent : il envoie la somme et se fait rembourser dans les jours suivants par les autres contributeurs. C’est le fruit d’une décision commune que de mettre entre ses mains la charge de l’acheminement vers le Sénégal. On peut y voir une façon de souder les liens entre les membres de la famille en migration, mais aussi de rassurer ceux qui sont au village en leur montrant que les cadets en migration restent unis derrière l’aîné, au service du collectif. Lamine loue la sagesse de tous : les contributions lui parviennent toujours dans les meilleurs délais[3]. Les 1 200 euros mensuels ne vont pas directement dans la maison familiale : 600 euros sont directement versés à un des grands commerçants du village où la famille s’approvisionne.
C’est le beau-frère de Lamine, Barka, qui sert de courroie de transmission entre la famille au village et le boutiquier. Il charge les marchandises dans la voiture achetée par le segment émigré de la famille et il achemine ainsi les provisions dans la villa. Le reste de l’argent mensuel est scindé en deux parts : 400 euros sont confiés au beau-frère pour les achats connexes à l’alimentation quotidienne (pain, oseille, menthe, poissons, viandes, etc.) et pour faire face à des imprévus journaliers et 200 euros sont mis à la disposition exclusive de la soeur, qui est libre de l’usage qu’elle en fait sans avoir de comptes à rendre à personne. Lamine justifie l’allocation de cette somme à leur soeur par son rôle de représentation du groupe : « Nous sommes visibles dans le village grâce à elle. C’est elle qui nous y représente. Il faut qu’elle soit à l’aise ! C’est important […] ». L’essentiel des envois de cette fratrie est par conséquent destiné à l’alimentation. Les émigrés qui la composent s’assurent que des vivres soient disponibles à la fin de chaque mois pour tout le groupe au pays. Certes, une partie de l’argent est affectée au beau-frère, mais elle est destinée aux petites dépenses qui ne sont pas absolument nécessaires à la reproduction familiale. Ici, la pré-affectation est redoublée par les normes de la société pulaar régissant les rapports entre beaux-frères (keyniraabe) et cousins germains (bibbe baaba), devant lesquels il est essentiel de garder la face. Du fait de la volonté des migrants recourant à la médiation d’un tiers commerçant et du comportement du beau-frère, qu’expliquent tout à la fois l’éthique de la face et les liens de filiation et d’alliance, l’argent est utilisé aux fins de reproduction d’un groupe défini, évitant ainsi tout malentendu entre les protagonistes.
Néanmoins, si l’ensemble des migrants apparentés s’investit pour la satisfaction des besoins alimentaires des membres du groupe restés au village, des modulations sont enregistrées dans l’engagement financier, à titre individuel, de l’ensemble des naniibe[4]. En effet, l’on remarque que la deuxième part scindée entre la soeur (Naha) et le beau-frère (Barka) ne bénéficie pas à la femme du troisième membre de la fratrie pourtant présente dans le même bâtiment que le couple précité. C’est que les frères ont trouvé un modus vivendi. Deux ont leur ménage en France (Lamine et Tijani), tandis que la femme du quatrième frère est une dakaroise. L’accord conclu est que chacun d’eux s’occupe de son propre suudu[5], où qu’il se trouve. Ainsi, le frère qui se trouve en Italie envoie de l’argent spécifiquement destiné à sa femme qui se trouve dans le galle originel au village. Il en va de même du membre de la fratrie installé à Alméria (Fadel) dont l’épouse vit à Dakar chez son kaw (oncle) et essiraado (beau-père).
Dans la fratrie de Lamine, il y a donc cette idée de cause commune (Gollac, 2003, p. 281) autour des vivres et de la reproduction du groupe domestique, mais dans le même temps s’affirme quelque chose comme un espace d’action autonome centré autour de l’entité conjugale. L’envoi spécifiquement destiné à cette entité n’est donc pas identique d’un frère à l’autre. En contexte migratoire, les choses se présentent autrement pour les deux frères qui ont leurs épouses en France. La présence des épouses en France annule la question de l’envoi et repose autrement le fonctionnement économique du ménage.
Néanmoins, les transferts ne concernent pas tous la reproduction alimentaire. Les envois de type alimentaire ne sont pas réputés publics et ils ne peuvent pas être évalués précisément par tous au sein du village d’origine. Certes, le bouche-à-oreille, notamment par la médiation du boutiquier, noeud important de la chaîne des rumeurs au sein du village d’origine, fait que ces transferts sont plus ou moins connus, qu’il s’agisse des montants à destination du foyre dans son ensemble ou des envois spécifiques à des individus. Mais, dans le cadre de la compétition entre « maisonnées multi-situées » et de la manipulation des symboles qui en est le corollaire, s’affirment d’autres types de transferts. Leur caractéristique principale est leur publicité. C’est ainsi que ces transferts, plus ponctuels, donnent à voir autre chose : la mise en scène de la lignée dans le versant local du village, qui n’en a pas moins de répercussions sur l’ensemble des sites d’installation des migrants originaires du village. En effet, la seule femme de la fratrie dans la famille, Naha, la seule aussi qui soit au village, et qui reçoit 200 euros mensuels des migrants dont elle peut disposer à sa guise, redistribue beaucoup au sein du village d’origine, surtout auprès des familles les plus démunies, celles qui sont sans naniibe. Un ensemble de personnes bénéficie donc indirectement de la réussite de la famille grâce à Naha : on peut parler de parentèle dans la mesure où il s’agit d’individus sélectionnés par des relations affinitaires et de clientèle puisque le réseau vient conforter l’assise locale de la « maisonnée multi-située ». C’est au cours d’une cérémonie religieuse tenue dans le village d’origine que je recueille l’information :
Naha, la soeur de Lamine, est revêtue d’un splendide boubou bleu en ganila (tissu cher importé du Mali). Elle arbore une jolie chaîne en or qui forme un ensemble avec des boucles d’oreille et des bracelets, ainsi qu’une montre. Assise au milieu de son salon, elle trône, fièrement entourée de plusieurs femmes du village. Formant un regroupement à part, les femmes portent des témoignages à tour de rôle sur la personne de Naha. Toutes soulignent sa générosité à l’égard de tout le monde. Une de ses voisines, Mariéta, est plus précise : « Seydi Sumaare [c’est le patronyme de Naha] ! Albarka[6] temedde [billets de 500 FCFA] ! albarka wuteeji [boubous] ! albarka kalaaji [écharpes] ! albarka guude [pagnes] ! albarka wargaaji [thé] ! albarka marooji [riz] ! Il n’y a pas une personne dans ce village qui puisse dire qu’elle n’a jamais rien eu de toi Seydi Sumaare. Si cette personne existe, qu’elle lève la main… (Mariéta marque une pause, promène son regard partout… personne ne fait signe… puis elle continue) : « même les baabiraabe jaama[7] le savent… tous ont droit à quelque chose… be be ujunaaji [billets de 5 000 FCFA] ! ! » […] En fait, c’est un peu le jour de Naha, puisqu’elle est l’instigatrice de la ziarra pour son grand-père paternel. C’est une sorte d’accomplissement pour elle […].
extrait de journal de terrain, 2003-2013
On voit par conséquent que le village se mobilise aussi en guise de reconnaissance envers la soeur qui y représente la fratrie. L’argent qu’elle reçoit et dont elle peut user selon sa volonté est redistribué aux voisins et à certaines personnalités du village. C’est là une façon de renforcer les relations avec ceux qui sont restés. Certes, la réussite de ses frères et de ses enfants peut se lire à travers les envois à la famille et les réalisations au village. Mais elle doit aussi se donner à voir, aux yeux de la soeur, aux autres résidents. D’ailleurs, sa maison est l’une des plus fréquentées par les jeunes, qui viennent y manger ou y prendre le thé. En conséquence, quand elle organise un événement, et par extension quand sa lignée est concernée, tout le monde se mobilise parce qu’elle en a la daraja et la maqama[8]. La redistribution effectuée par la soeur construit ainsi un réseau qui dépasse le strict cercle de parenté, et ce tissu relationnel élaboré par des investissements multiformes contribue à légitimer et à donner du prestige à ses initiatives ainsi qu’à son groupe d’appartenance. De ce fait, la soeur acquiert de l’influence au sein du village et devient une personne sollicitée, car elle détient un pouvoir monétaire dans un contexte de rareté : en investissant au-delà des cercles de proches, elle se pose ipso facto en bienfaitrice et se constitue une clientèle dans un contexte où les alliances pèsent dans la distribution des statuts et de la reconnaissance. C’est dans le village d’origine, où les normes relatives aux rapports sociaux de pouvoir entre les sexes sont censées agir le plus sur le comportement des individus, que Naha affirme son autorité et son charisme à la fois dans son union conjugale et dans la sphère publique locale. Outre sa personnalité, deux éléments jouent dans ce déplacement des rôles : les revenus issus de l’émigration internationale et la complicité active des frères établis à l’étranger qui la poussent à endosser les habits de chef de lignage répondant de tous. Les transformations économiques agissent ainsi sur l’architecture du pouvoir au sein de la parenté et de l’organisation générale du village.
Des usages de la monogamie et de la polygamie en terre étrangère
Mbourel est arrivé en France en 1976, grâce au parrainage de son ami d’enfance Malick. Aujourd’hui, Mbourel est l’un des Bilal[9] d’une mosquée de la banlieue parisienne. Cette mosquée est située au rez-de-chaussée d’un foyer pour travailleurs, dans lequel il réside. À son arrivée en France, il se rend dans les Vosges rejoindre un autre ami qui s’y est établi en pionnier. Grâce à ce dernier, il est recruté dans une grande entreprise spécialisée dans l’automobile. Il se marie à la fin des années 1970 avec une femme citadine dont les parents sont originaires de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. La famille de son épouse vient d’un autre village que le sien, situé sur la rive gauche sénégalaise. Mbourel procède à un regroupement familial en 1981. L’épouse, titulaire d’un brevet des collèges du Sénégal, entame un cycle de formation en France. Elle devient employée dans une mairie locale, toujours dans l’est de la France. Six enfants naissent de ce mariage. En 1993, Mbourel part au Sénégal en vacances, sans sa famille. De Dakar, il appelle son épouse pour lui signifier qu’il va prendre une deuxième femme. Nonobstant les protestations de sa première épouse, le mariage est scellé. Cette nouvelle conjointe, née également à Dakar, a des parents natifs du même village que Mbourel. En cette année 1993, elle a 23 ans et vient de passer le baccalauréat au Sénégal, dans une série littéraire. De retour en France, Mbourel retrouve son domicile familial dans les Vosges. Des tensions éclatent dans le couple. L’épouse demande alors le divorce[10]. Mbourel appelle à la rescousse les membres de la parenté, notamment son ami d’enfance Malick. Avec deux amis, Malick prend la voiture un week-end d’octobre 1993 et se rend dans les Vosges pour faire la médiation entre les membres du couple dont ils sont des proches. Ils arrivent un samedi en milieu de journée et restent jusqu’au lendemain matin. Penda, instruite, moderne, toujours employée à la mairie, cède dans un premier temps devant l’insistance des amis. Mais elle ne pardonne pas à son mari, d’autant plus qu’il ne l’a pas prévenue et qu’elle s’est sentie mise devant le fait accompli. Un an après le second mariage, en 1994, la deuxième épouse bachelière demande une pré-inscription à l’université de Metz, qu’elle obtient. Elle doit venir en France et en fait part à Mbourel, qui se trouve désappointé. Il n’a pas anticipé cette venue, et il essaie de la dissuader en la menaçant de divorce si elle ne renonce pas au projet. Mbourel, apparenté avec cette deuxième femme, fait jouer à nouveau les médiations familiales, mais la conjointe tient à ses études et dit qu’elle se rendra en France, que Mbourel le veuille ou non. Déterminée, elle mène son projet jusqu’à son terme et arrive à Metz au mois de novembre 1994. Mbourel doit faire face à la situation car, malgré ses protestations, il ne demande pas le divorce, ce qui envenime ses relations avec la première épouse qui, veillant à ses propres revenus, souligne qu’elle ne versera rien à la seconde épouse, et qu’elle n’acceptera pas qu’un seul centime du ménage soit attribué à l’étudiante de Metz. Dès lors, c’est avec son seul salaire d’ouvrier qu’il doit à la fois assurer les dépenses quotidiennes du ménage formé avec la première épouse et en même temps prendre en charge le séjour étudiant de la seconde. Penda, la première épouse, dit s’occuper surtout de l’avenir de ses six enfants. Elle ouvre un compte à part, dans un établissement bancaire différent, pour être sûre qu’elle aura la haute main sur ses propres revenus. Elle exige à la fin de chaque mois qu’il finance intégralement tout ce qui est relatif à la vie du ménage : une partie de l’argent sert pour les courses, une autre pour les factures, une dernière pour le suivi de l’éducation des enfants. À partir de cette date, Penda explique qu’elle supprime tous les investissements en commun. Elle a son propre programme et ses propres projets qu’elle formule en dehors du couple. Elle entre alors dans une logique de construction personnelle centrée sur ses enfants. Au fur et mesure que les enfants grandissent, certains atteignant la majorité, les tensions se font plus vives dans le couple. Les enfants ne supportent pas en effet que leur père soit marié à une jeune étudiante : ils se rangent du côté de leur mère et multiplient les actes de défiance à l’égard de Mbourel. La fille aînée part ainsi vivre en résidence universitaire, à Nancy. À partir de là, elle ne parle plus à son père et insiste auprès de sa mère pour qu’elle mette un terme à ce lien conjugal qu’elle juge insupportable[11]. Pendant ce temps, entre Mbourel et Penda, les incidents se multiplient, notamment autour des obligations financières du premier. Les scènes de ménage sont ainsi courantes. Penda et Mbourel finissent par divorcer. Elle reste avec ses enfants dans l’appartement commun et exige que Mbourel en parte. La même année, en 2001, la deuxième épouse, non reconnue comme telle par la loi française et par conséquent ne résidant en France que par son statut d’étudiante, demande le divorce après avoir obtenu sa maîtrise. En 2002, elle se remarie en France avec un franco-marocain rencontré dans une entreprise où elle était employée à temps partiel pendant ses études. Mbourel, dépassé par les événements, sombre dans la dépression pendant de longs mois. Son ami Malick le recueille pendant deux ans chez lui. Désargenté et sans bien, délaissé par ses deux femmes, isolé de ses enfants, ne se rendant plus au pays, il finit par résider dans un foyer de la banlieue parisienne où un ami connu en migration, qui passe la moitié de l’année au Sénégal, lui prête sa chambre. Ayant perdu son travail du fait de sa longue dépression, Mbourel s’occupe à présent de deux manières : il gère une petite table dans le foyer sur laquelle il expose des produits divers proposés à la vente aux résidents (bonbons, colas, djellabas, chaussures, fruits) et il participe intensivement à la vie religieuse du foyer par l’appel à la prière et l’organisation de séances collectives de récitation du coran. Aujourd’hui, en dehors des visites ponctuelles de ses amis ou de la compagnie de celui qui l’héberge, Mbourel s’est éloigné des compatriotes originaires du même village. On ne le voit plus, même lors des événements marquants : sous couvert d’une plaisanterie admise entre pairs d’âge, Malick dit qu’il ne faut jamais souhaiter voir Mbourel chez soi, parce que c’est signe que bone[12] nous est arrivé.
Mbourel ressent une honte sociale d’autant plus vive que son déclassement intervient dans un contexte de migration, et la rumeur collective ne lui offre aucune excuse. En effet, il s’est inscrit dans la migration internationale en faisant fonctionner une relation clientéliste entre son lignage et celui de Malick, qui l’a ainsi patronné pour venir en France, alors que rien n’indiquait que par lui-même il y parviendrait. Ensuite, il est entré en France dans un contexte relativement favorable d’un point de vue administratif, ce qui lui a permis de vivre librement sur le territoire. Il a obtenu facilement un emploi dans l’est de la France, grâce à l’appui d’un ami, fortement impliqué au niveau local, y compris sur le plan syndical. De ce fait, il a pu se loger dans de bonnes conditions. Enfin, il a épousé, en premières noces, une femme instruite, qui a travaillé et était capable d’accompagner scolairement les enfants.
Près d’une vingtaine d’années passées en France donnent à la vie de Mbourel toutes les apparences de la stabilité. Une pente descendante s’amorce quand, de retour en vacances au pays, il se marie une seconde fois. Au fond, cette évolution de sa biographie conjugale est tributaire d’une lutte en sourdine entre deux légitimités concurrentes. Des segments de son lignage se déployant à la fois dans son village d’origine et dans la banlieue dakaroise (lignage dont il est le premier représentant en France et par conséquent premier membre dans l’économie de la migration) ne comprennent pas l’alliance contractée en dehors de l’aire matrimoniale spécifiquement villageoise : sa femme est en effet originaire d’un autre village, situé à plus de 150 km dans la vallée en amont, dans l’actuelle région de Matam. Certes, elle appartient au même groupe statutaire, celui des Subaalbe, critère pourtant important de validation d’une union. Cependant, dans les représentations locales, quand un membre du lignage accède à un certain statut, acquiert une ressource recherchée, comme celle qui provient de la migration, il est impératif de le maintenir au sein du groupe au moyen de l’alliance. Pour la parenté de Mbourel, une femme de Matam, instruite de surcroît, est incontrôlable, et cela d’autant plus que la migration est susceptible de lui offrir davantage d’autonomie, fût-elle cubbalo[13]. Elle risque, de ce fait, d’éloigner du lignage les revenus tirés du travail de Mbourel. Pour eux, la seule façon de rétablir l’équilibre, ou à tout le moins d’atténuer le déséquilibre qui risque de s’opérer au profit de la parenté exclusive de la première femme, est de faire pression sur Mbourel pour qu’il prenne une deuxième épouse au sein de son lignage. Pour que cette alternative fonctionne, il faut, en plus du lien de parenté, que la seconde épouse soit aussi citadine, plus jeune que la première et plus instruite. Réintroduire Mbourel dans le lignage passe par cette seconde alliance, créditée d’une grande efficacité. Néanmoins, la stratégie oublie l’importance de la pièce maîtresse du dispositif, à savoir la seconde épouse elle-même. Son attitude, conciliante au départ, ne permet pas aux différents protagonistes d’anticiper la stratégie personnelle de la jeune femme : son projet de poursuivre ses études en France. Pour le lignage, il s’agit simplement de nouer le lien et d’inciter Mbourel à investir en ville : construire ou acheter une maison à Dakar, y loger sa deuxième femme de manière à ce qu’elle constitue une porte d’entrée vers l’argent de Mbourel. De cette manière, il réaffirmerait, par un geste fort, son appartenance au lignage. Pas plus que la réaction de la jeune femme, le divorce d’avec la première épouse n’est envisagé : on présume que, étant venue en France par la seule volonté de son mari et déjà mère de six enfants, il lui sera difficile de demander le divorce, et encore plus de chasser son époux du domicile conjugal et d’organiser son isolement en rangeant ultérieurement ses enfants de son côté. La stratégie de recadrage d’un membre du groupe qui s’autonomise et l’inscription dans une dynamique de reconnaissance vis-à-vis de la lignée reposent sur la minoration des attitudes des deux femmes. La conjonction des deux réactions féminines finit par prendre en tenailles le mari. Quand elles se produisent, le mari essaie de les évacuer ou d’en amoindrir la portée en ayant recours à un instrument de résolution des conflits conjugaux dans le contexte de la société pulaar : la communication indirecte, qui passe par la médiation solennelle de parents et d’amis. Cette médiation échoue, à Dakar comme dans les Vosges.
De ce fait, Mbourel se retrouve pendant plusieurs années face à un double budget : les frais liés à une partie des études supérieures de la seconde épouse et l’entretien du domicile conjugal. Devant l’impossibilité de tenir les deux bouts de la chaîne conjugale, il est pris en étau : non seulement sa marge de manoeuvre se rétrécit dans le cadre conjugal du fait de l’accès à la majorité d’une partie de ses enfants qui prennent fait et cause pour leur mère et encouragent cette dernière dans le sens d’une rupture, mais aussi la deuxième épouse poursuit une évolution autonome en France, sur la base du constat que ce statut de seconde épouse ne lui garantit rien sur le plan administratif. De fait, et en dépit des protestations de sa propre parenté et des amis de Mbourel, elle divorce et se marie dans le cadre légal fourni par le droit français. Ce faisant, le mari perd sur tous les tableaux : aussi bien avec la première qu’avec la seconde épouse. Il assiste, impuissant, au spectacle de son isolement conjugal et plonge dans une grande dépression au cours de laquelle il trouve refuge auprès de son ami d’enfance, Malick, son bienfaiteur. De ce fait, privé d’espace conjugal où déployer son autorité de mari ou de père, ruiné par la situation créée par son second mariage, il se marginalise dans la réalité francilienne de sa « maisonnée multi-située » en se contentant de procéder au service minimum en matière de sociabilité. Il se coupe aussi de son pays d’origine, où il ne se rend plus. La puissance de la koyera[14] subie le met au ban des siens. Ce portrait révèle surtout la capacité d’initiative des deux femmes : la première comme la seconde épouse, toutes les deux instruites et ouvertes aux évolutions des contextes à la fois français et sénégalais dans lesquels elles se meuvent et qui accordent une plus grande liberté dans les choix de vie, imposent un autre rapport de force au mari, mais aussi aux différents membres de l’entourage (familial et amical). Toutes les deux développent même des pratiques novatrices dans leur milieu : le renvoi du mari du domicile conjugal pour l’une, le divorce rapidement suivi de l’alliance avec un homme qui ne partage pas la même origine nationale et rencontré dans un espace ouvert (l’environnement professionnel) pour l’autre.
Divergence des aspirations et renversement du rapport de pouvoir en contexte migratoire
Baabi est né en 1966 dans un village de la moyenne vallée du fleuve Sénégal où, très tôt, son père le met à l’école coranique. Il y reste à peine deux ans. Deuxième garçon d’une fratrie de sept enfants, son père l’inscrit à 11 ans dans une école distante de 18 km et, comme elle est loin du galle paternel, il se fait héberger par une cousine de sa mère pendant la phase élémentaire de sa scolarité. Son certificat de fin d’études primaires en poche, il migre vers la banlieue de Dakar, à Pikine, où il poursuit un cycle moyen qu’il ne va pas achever : hébergé par un oncle illettré, vendeur de chapelets près d’une mosquée, il éprouve des difficultés pour l’achat du matériel éducatif nécessaire, de même que pour payer le transport jusqu’à son collège distant du domicile de son tuteur. Dans ce ménage dakarois, la nourriture quotidienne n’est pas toujours assurée. Après de mauvais résultats scolaires, il décide d’arrêter les études de son propre chef en 1985. Il fréquente un groupe de jeunes originaires du même village, qui travaillent comme cireurs dans le centre-ville de Dakar, aux alentours du célèbre marché Sandaga. Vers 1989, il réunit une somme qui lui permet d’ouvrir un petit magasin pour vendre des tissus. Mais il nourrit comme beaucoup de jeunes le projet d’émigrer, si possible en Europe. Au début de l’année 1993, il va voir un grand commerçant qui l’approvisionne en marchandises, spécialisé dans l’import-export. Cette connaissance a l’habitude de voyager constamment en Europe du Sud, notamment en Italie et en Espagne. Baabi lui fait part de son projet d’émigrer, en France de préférence. Au terme d’une négociation de plusieurs mois, le commerçant propose de voyager avec lui en le présentant aux services consulaires espagnols comme son assistant. En fait, Baabi paie deux millions CFA (environ 3 000 euros actuels) au commerçant, qui lui trouve un visa et un billet d’avion. Depuis l’Espagne, il arrive en France au premier trimestre 1995 et il y retrouve des amis d’enfance qui l’hébergent et l’aident à trouver du travail. Il obtient un titre de séjour en 1996, se rend au pays et épouse une cousine dakaroise étudiante à l’université de Dakar. Deux ans plus tard, il procède au regroupement familial et se fait rejoindre par sa femme, qui s’inscrit en administration économique et sociale à l’université de Paris 1. Elle arrête au bout d’un an faute de moyens et enchaîne les petits contrats, puis suit une formation en hôtellerie. Elle est recrutée dans un grand hôtel parisien. En 2001, Baabi fait part à sa femme de son projet de construire une maison au village pour sa famille. Il demande à son épouse de prendre en charge une partie des frais de leur appartement à Plaisir-Grignon, dans les Yvelines, où ils vivent. D’après Baabi, depuis l’arrivée de son épouse en 1998, c’est lui qui paie le loyer, les factures ainsi qu’une bonne partie des courses. Demander à sa femme de s’impliquer dans le budget de la maisonnée en région francilienne lui permet de libérer de l’argent pour démarrer l’édification d’une maison au village. Un différend naît alors dans le couple : l’épouse refuse de participer et, mieux, elle repousse la proposition du mari d’un projet de conception d’un enfant, exigeant des moyens de contraception. Le mari s’en ouvre à quelques amis, qui lui suggèrent de s’en séparer au plus vite, sentant poindre un déséquilibre conjugal. Il écarte cette option, disant qu’il ne peut pas avoir autant dépensé pour elle et la laisser « s’échapper ». Il continue de vivre avec elle, mais n’est pas à l’aise. En 2003, son épouse aide à faire venir en France son jeune frère, étudiant à l’époque dans une école privée de télécommunications. Trois ans plus tard, c’est-à-dire en 2007, la soeur et le frère font venir en région parisienne une soeur, bachelière au Sénégal. Cette double arrivée des membres de la fratrie de l’épouse envenime les relations au sein du couple. Des scènes de violence sont même évoquées à deux reprises. Baabi est convaincu que son épouse ne s’implique pas dans leur vie de couple et s’occupe uniquement de son segment familial utérin. Il est d’autant plus furieux de la situation qu’il subit la pression du village de sa famille où des frères et soeurs sans emploi lui demandent constamment de l’aide. Il reçoit plusieurs courriers des membres de son galle paternel, qui insistent pour qu’il divorce de sa femme. En 2011, c’est l’épouse elle-même qui demande le divorce et l’enjoint de quitter le domicile conjugal, ce qu’il fait la mort dans l’âme et en dépit de multiples médiations de membres de la parenté en région parisienne. Ils n’ont pas eu d’enfants. Baabi vit à présent dans un foyer à Paris et son épouse s’est remariée en 2012 avec un compatriote sénégalais, professeur d’histoire en région parisienne et divorcé d’une femme française.
L’histoire de ce couple qui finit par éclater montre clairement un changement non anodin dans les migrations internationales sénégalaises, et que l’on peut difficilement passer sous silence : les profils des conjoints évoluent et des projets différentiels naissent dans les unités qui se constituent à l’étranger. Clairement, le niveau d’instruction de l’épouse et sa socialisation dakaroise ont pesé dans la façon dont elle a négocié les rapports au sein de son ménage francilien : non seulement elle poursuit ses études, mais elle parvient à se payer une formation professionnelle, travaille et construit son autonomie. Jouant sur plusieurs normes, qu’elle négocie au gré de ses intérêts, elle laisse l’essentiel des charges aux frais de son mari, conformément à une représentation largement dominante au Sénégal suivant laquelle il revient à l’époux d’entretenir l’épouse, et en même temps elle s’inscrit également dans une logique de solidarité totale avec sa fratrie au pays — dont elle aide à matérialiser le projet de mobilité sociale — et ne veut pas se laisser piéger par la conception d’enfants qui rendrait compliquée toute option de divorce. La centration sur le segment utérin de sa parenté sonne comme un contrepied au désir initial du conjoint de construire une maison pour ses propres parents. L’affirmation de son autonomie, voire de sa domination, est nette quand elle fait venir ses frères et soeurs, demande le divorce et se remarie en fonction de critères qui lui sont propres avec un compatriote immigrant. On voit surtout comment elle retourne en sa faveur dans un premier temps les normes conjugales dominantes au Sénégal — entretien de la femme par le mari, procréation — auxquelles elle donne l’impression d’adhérer, avant de construire, méthodiquement, un rapport de force qui lui redonne une prise entière sur ses projets familiaux et son choix de vie conjugale dans un second temps. Par opposition, Baabi subit un échec : en vingt ans de présence en France, il a perdu sa femme, son appartement et se retrouve au foyer qu’il avait quitté. Pire, il fait l’objet d’une quarantaine familiale, les membres de sa fratrie lui reprochant son incapacité à leur manifester une solidarité financière après tout ce temps passé en France.
Conclusion
Dans un contexte de fortes mobilités et d’interconnexion dense entre plusieurs parties du monde, il faut rappeler les limites de la notion de culture comme modalité d’objectivation des dynamiques familiales si on conçoit la culture d’un groupe comme une entité homogène (Cuche, 2001). Il faut définir et inscrire les univers de sens dans des dynamiques globales. Ainsi, l’étude des migrations internationales sénégalaises sur la longue durée renforcée par une immersion ethnographique décennale sur plusieurs sites amène à mettre à distance le refrain amplifié par l’actualité médiatique au sujet d’une culture patriarcale, islamique et gérontocratique qui façonnerait définitivement les conjugalités au sein desquelles évoluent les Sahéliens de France, et notamment les Sénégalais, dont plusieurs sont issus de la moyenne vallée du fleuve Sénégal.
Ce texte montre, au moyen de tableaux de famille, de quelle manière les relations au sein des couples se trouvent modifiées et dans certains cas bouleversées. C’est d’abord le processus de formation du couple qui se renouvelle : il se fonde de plus en plus sur le modèle de l’élection, rejetant la définition d’un cadre matrimonial spécifique entre apparentés et, dans les cas où les contraintes d’alliance se manifestent, des recompositions ultérieures permettent à l’un des protagonistes de faire valoir des choix individualisés. Aussi la contraction d’un lien de mariage dans un contexte migratoire montre-t-elle l’importance des ressources financières que les mobilités génèrent pour les « maisonnées multi-situées » et la façon dont les personnes qui gagnent cet argent — homme ou femme — sont perçues et se construisent au sein de ces unités conjugales. La migration ne conduit pas forcément à la demande d’entretien par les femmes, ni même à l’acceptation du principe par les hommes en général : ce sont des intérêts spécifiques instruits par des situations particulières qui déterminent les conduites des uns et des autres. Enfin, pour comprendre les rapports de pouvoir dans les couples, il est nécessaire d’articuler la dimension du genre avec la prise en compte des ressources de chacun des conjoints, liées à leurs caractéristiques personnelles (niveau d’étude par exemple) et familiales (capital social de la famille d’origine) : l’ancienneté des migrations internationales a accru la diversité des ressources initiales des individus et des familles. On peut ainsi observer une mosaïque d’arrangements conjugaux dans une pluralité de contextes autorisant une reformulation, voire une élaboration continue des normes.
Parties annexes
Notes
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[1]
C’est le vocabulaire de la parenté en pulaar, langue dominante dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal.
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[2]
Par analogie avec ce que la sociologie de la famille appelle famille d’origine (le ménage des parents d’égo) et la famille de destination (le ménage d’égo et son conjoint).
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[3]
Entretien avec Lamine.
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[4]
Naniibe est le pluriel de nanido.
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[5]
Suudu, c’est la chambre. S’occuper du suudu veut dire simplement s’occuper de sa femme.
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[6]
C’est un mot dérivé de baraka. Il signifie : « gloire à toi ! » Mariéta répète le mot en le faisant suivre des gestes posés par Naha envers certains membres du village.
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[7]
Expression formée de deux termes : baabiraabe, « les papas », et jaama, « mosquée ». Dans les représentations locales l’expression veut simplement dire « les notables ». Il y a une pointe d’humour dans le propos de Mariéta pour signifier que Naha se concilie les hommes, fussent-ils notables. De cette manière, elle tourne en dérision le pouvoir masculin.
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[8]
Les termes sont utilisés par Mariéta, sa voisine. Ils sont très utilisés en milieu haalpulaar mais ils sont d’origine arabe. Daraja signifie « statut » ou « grade » et maqama « station spirituelle », mais ici le terme renvoie à sa condition de bienfaitrice.
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[9]
Bilal est l’une des figures fondatrices de l’islam. Compagnon du prophète Mohamed, originaire d’Abyssinie (actuelle Ethiopie), c’est l’un des premiers à prononcer l’appel à la prière chez les musulmans, donc l’un des premiers muezzins. Par extension, on donne son nom à quelqu’un qui fait l’appel à la prière. Ainsi en est-il de Mbourel depuis qu’il a cette charge à la mosquée.
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[10]
D’après l’entretien avec Penda, la première épouse, dans l’est de la France. Penda est née en 1959 à Dakar. Elle s’est exprimée avec beaucoup d’aisance pendant notre entretien. Elle a répondu d’autant plus aisément qu’elle dit connaître les sociologues : sa fille aînée, après avoir fait des études de sciences sociales, est aujourd’hui chargée de mission dans une grande ONG de solidarité internationale.
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[11]
C’est Penda qui fournit ces précisions au cours du même entretien.
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[12]
Bone, c’est le malheur : c’est-à-dire un événement douloureux, par exemple un décès ou un grave accident, à l’occasion duquel l’absence d’un individu est très remarquée et mal vue. Malick le dit au cours d’une réunion de l’association villageoise, alors que des membres lui demandent des nouvelles de Mbourel (observations d’une réunion).
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[13]
Dans la langue pulaar, Cubbalo est le singulier de Subalbe, un groupe spécialisé dans les activités de pêche et de gestion des eaux fluviales.
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[14]
La koyera, c’est le summum de l’humiliation qui signifie que l’on perd définitivement la face devant les autres.
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