Note de lecture

C. Beauchemin, L. Kabbanji, P. Sakho et B. Schoumaker (dir.), Migrations africaines : le codéveloppement en questions. Essai de démographie politique, Paris, Armand Colin, 2013, 337 p.[Notice]

  • Victor Piché

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  • Victor Piché
    Département de démographie, Université de Montréal
    Chaire Oppenheimer en droit international public, Université McGill

Comme l’affirme Catherine Wihtol de Winden dans la préface, ce « livre apporte une contribution essentielle à la connaissance des migrations africaines par la richesse et la diversité des approches, qui vont à l’encontre des stéréotypes, en montrant que les migrations africaines sont d’abord des migrations à l’intérieur du continent ». En effet, les travaux sur les migrations africaines vues à travers le prisme européen se préoccupent peu de ce qui se passe réellement dans les pays de départ, ici le Sénégal et la République démocratique du Congo (RDC), et encore moins sur les retombées économiques et sociales des migrations vers l’Europe. Le livre de Cris Beauchemin, Lama Kabbanji, Papa Sakho et Bruno Schoumaker tente, avec succès à notre avis, d’inverser la perspective eurocentrique. Il s’agit d’un livre collectif comprenant 9 auteurs : outre les quatre directeurs de la publication, notons les contributions de Marie-Laurence Flahaux, David Lessault, Mobhe Agbada Mangalu, Cora Mezger et Andonirina Rakotonarivo. Malgré qu’il s’agisse d’un livre à plusieurs auteurs, il y a un fil conducteur unique qui réussit à donner une vue d’ensemble fort intégrée. Dans l’introduction, Cris Beauchemin et Bruno Schoumaker notent l’existence d’une distorsion extraordinaire entre, d’une part, la perception commune véhiculée par les médias et les discours politiques et, d’autre part, les faits statistiques. D’où leur interrogation centrale : à quel point est-il pertinent et raisonnable d’attendre des migrants qu’ils jouent un rôle essentiel dans le développement de leur pays ? Pour répondre à cette question, les auteurs se basent sur les enquêtes MAFE (Migrations entre l’Afrique et l’Europe), dont les objectifs visent à décrire les tendances, les facteurs et les changements dans le domaine économique et dans la famille (chapitre 1). Ce vaste programme d’enquêtes repose sur trois principes méthodologiques : les données doivent être transnationales (ici les pays d’origine), longitudinales (enquêtes rétrospectives et analyses biographiques) et multithématiques. C’est la dimension transnationale qui constitue la véritable originalité de ces enquêtes. De plus, s’inspirant de la méthodologie développée par les travaux de Douglas Massey sur les migrations mexicaines aux États Unis, l’approche multi-site a été privilégiée. Ainsi, les enquêtes ont été réalisées au Sénégal (Dakar) et en RDC (Kinshasa) pour l’Afrique et en Europe (France, Espagne, Italie, Belgique et Royaume-Uni). Il s’agit donc d’un vaste projet impliquant des échantillons de migrants, de non-migrants, de migrants de retour et de migrants encore présents dans le pays d’accueil. Une fois le contexte méthodologique bien campé, les sept chapitres qui suivent abordent essentiellement la question des liens entre migration et développement. Dans un premier temps, Lama Kabbanji (chapitre 2) suggère un tour d’horizon sur les politiques menées en Afrique subsaharienne, particulièrement en ce qui concerne la notion de codéveloppement qui est au coeur de l’ensemble du livre. Selon elle, le codéveloppement, qui au début faisait référence aux pratiques de solidarité entre les migrants et leur pays d’origine, est devenu par la suite un outil de maîtrise des flux migratoires promu par les pays européens. L’étude de cas du Sénégal présentée dans ce chapitre illustre bien la problématique reliée aux divers accords de partenariat. À la base des accords bilatéraux entre pays africains et pays européens relatifs à une cogestion des flux migratoires, on retrouve cette préoccupation (je dirais obsession), avec l’ampleur sans précédent (selon les pays européens) des flux de migrants clandestins entre l’Afrique et l’Europe (voir par exemple le préambule de l’Accord entre la France et le Sénégal signé en 2006). Même si officiellement l’Approche globale préconisée par l’Union européenne (UE) comprend trois composantes, à savoir la lutte contre la migration irrégulière, la promotion du lien entre migration et développement et la gestion de …