Introduction

La démographie linguistique : un chantier de recherche qui s’internationalise[Notice]

  • Richard Marcoux et
  • Moussa Bougma

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  • Richard Marcoux
    Professeur titulaire et directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF) à l’Université Laval

  • Moussa Bougma
    Maître-assistant en démographie à l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) de l’Université Ouaga I Professeur Joseph Ki-Zerbo

Il y a maintenant plus de trente ans, feu Robert Maheu pilotait un excellent numéro des Cahiers québécois de démographie avec pour titre un simple mot : « Démolinguistique ». Ce numéro, paru en 1985, révélait bien l’immense chantier de recherche dans lequel s’inscrivaient déjà plusieurs démographes du Québec. Il n’est pas étonnant de constater que cette « branche de la démographie » puisse occuper une place aussi importante au Québec. Les débats entourant l’avenir de la langue française y sont récurrents et traversent, avec des intensités variables, l’histoire complexe du Québec et du Canada depuis près de deux siècles (Piché, 2011). Les affrontements se sont assurément exacerbés au cours des soixante dernières années, suivant la mise en place de différentes commissions fédérale et provinciale qui ont, pour la plupart, conduit à l’adoption de lois et de réglementations sur les langues. Les démographes du Québec ont souvent été « appelés à la barre » afin de contribuer à ces débats, situant leurs conclusions dans un spectre assez large concernant l’évolution future des francophones au Québec et au Canada ; certains oscillant même entre les visions optimistes et pessimistes au cours de leur carrière, comme l’a si bien illustré Marc Termote (2015) concernant l’évolution du discours démolinguistique de Jacques Henripin. Tous ces débats ont conduit différentes agences gouvernementales à collecter de plus en plus d’informations sur les langues, faisant du Québec un lieu particulièrement privilégié et intellectuellement stimulant pour l’étude des dynamiques linguistiques. Ainsi, avant le milieu des années soixante, les questionnaires des recensements canadiens s’intéressaient uniquement aux langues maternelles et à la maîtrise des deux langues officielles au Canada (Houle et Cambron-Prémont, 2015). Dès 1971, Statistique Canada ajoute de nouvelles questions dans le questionnaire du recensement, notamment sur la langue parlée à la maison. Depuis le recensement de 2001, on compte jusqu’à sept principales questions distinctes de nature linguistique dans les différents questionnaires, y compris sur les langues de travail (Lachapelle, 2008). Outre les recensements, de nombreuses enquêtes spécifiques sur les langues ont été menées sous la direction de l’agence canadienne de statistique, mais également par l’Office québécois de la langue française (OQLF) et d’autres organismes. Une variable sur la langue est d’ailleurs toujours présente dans les enquêtes d’opinion menées par les maisons de sondage au Québec : on ne peut imaginer la publication des intentions de votes sans tenir compte des distinctions entre francophones et anglophones. En somme, le Canada et le Québec sont un peu présentés comme l’eldorado des données démolinguistiques. L’important inventaire des sources permettant d’identifier les francophones dans le monde, réalisé par Bruno Maurer (2015), illustre bien la quantité et la qualité des données accessibles aux chercheurs qui s’intéressent à la langue française au Québec et au Canada. La vaste revue de littérature internationale produite sous le titre « Compter les langues » donne une place centrale au Canada et au Québec dans la production de connaissance dans le domaine de la démolinguistique. (Humbert, Coray et Duchêne, 2018) On peut d’ailleurs s’attendre à un élargissement encore plus grand des intérêts pour les langues. À la suite des excuses officielles du gouvernement canadien, présentées en 2008 aux peuples autochtones pour les mauvais traitements et sévices subis dans les pensionnats, on observe un intérêt grandissant concernant la survie des langues des populations amérindiennes et des Inuits (Guimond et Sénécal, 2009 ; Sioui Durand, 2018). Il s’agit assurément d’un axe de recherche amené à se développer, d’autant plus que le gouvernement du Québec a fait de la vitalité des langues autochtones un engagement particulier de sa toute récente politique culturelle (Gouvernement du Québec, 2018). Bref, suivant ces derniers exemples, …

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