Corps de l’article

L’emprisonnement avec sursis est considéré comme une peine hybride (Roberts, 2004) puisqu’elle poursuit à la fois le contrôle du comportement du contrevenant et sa réinsertion sociale[3]. Habituellement, les agents des services correctionnels (ASC) sont chargés d’effectuer les contrôles associés au sursis (appels téléphoniques, visites à domicile, etc.), alors que les agents de probation sont responsables de la réinsertion sociale des sursitaires. Or, la profession d’agent de probation a subi de nombreux bouleversements au cours des trente dernières années, si bien qu’en dépit de la pérennité de l’idéal de réhabilitation au Canada (O’Malley, 2004) et au Québec (Lalande, 2012), les agents de probation doivent désormais accorder au moins un poids égal à la protection de la société au moyen de la surveillance des personnes contrevenantes (F.-Dufour, 2011). Même s’il s’agit d’une profonde modification dans la conception de la personne contrevenante, des stratégies d’intervention et même des objectifs à atteindre, on observe étrangement une quasi-absence d’études portant sur les interventions prodiguées par les agents de probation au Québec (Lalande, 2012 ; Quirion et Vacheret, 2010). On note également une pauvreté d’études portant sur le rôle de l’agent de probation dans le ou les processus de désistement du crime des contrevenants (Barry, 2013 ; Farrall, 2002, 2004 ; Farrall et Maruna, 2004 ; McCulloch, 2005 ; McNeill, Farrall, Lightwoler et Maruna, 2012 ; Rex, 1999, 2001). Finalement, on « demande rarement [aux personnes contrevenantes] si les interventions qui leur sont destinées ont été favorables à leur désistement du crime » (Barry, 2013, p. 47). L’objectif de cet article est de combler ces besoins en illustrant le point de vue de 22 sursitaires envers les interventions prodiguées par les agents de probation pendant leur processus de désistement du crime.

Revue de la littérature

En 2011-2012, 413 951 personnes ont été admises aux services correctionnels provinciaux, territoriaux et fédéraux canadiens. De ce nombre, 259 635 ont été incarcérées et 154 316 ont été confiées aux services de surveillance communautaire (Perreault, 2014). Au Québec, en 2010-2011, il y avait 14 822 personnes suivies dans la communauté : 10 932 en probation, 545 libérées sous conditions et 3 314 en sursis. L’emprisonnement avec sursis est une peine qui se situe entre l’incarcération et l’ordonnance de probation sur un continuum de sévérité des sanctions pénales (Lurigio et Petersilia, 1992 ; Roberts, 2001, 2004). Adoptée en 1996, cette peine dont le suivi relève des provinces et des territoires (moins de deux ans), permet à une personne coupable d’une infraction et condamnée à un emprisonnement d’y surseoir sous réserve de l’observation des conditions imposées. Ces conditions peuvent, notamment, obliger le sursitaire à se soumettre à un traitement psychosocial ou encore à demeurer à son domicile à des heures prescrites (couvre-feu et assignation à domicile). Très peu d’études ont porté sur le sursis (F.-Dufour, Brassard et Guay, 2009 ; Lehalle, Landreville et Charest, 2009 ; Martin, Hanrahan et Bowers, 2009 ; Padgett, Bales et Blomberg, 2006 ; Stanz et Tewksbury, 2000). Le peu d’études disponibles, souvent produites sous forme d’enquêtes statistiques, montre néanmoins que cette peine est efficace selon l’indice de mesure de la récidive (voir F.-Dufour et al., 2009). Une étude a également montré que les sursitaires québécois qui reçoivent un traitement psychosocial ont des taux de récidive plus bas que ceux qui n’en ont pas reçu (F.-Dufour et al., 2009). Or, il faut interpréter avec prudence ces résultats, car les études évaluatives qui relèvent les « succès » des interventions prodiguées aux contrevenants (what works)[4] ont souvent des effets éphémères et ne « marchent » que pour certains types de contrevenants (voir Stanley, 2009). De plus, elles peuvent imputer aux interventions prodiguées les effets cumulés d’un long cheminement ou encore, conclure que « ça ne marche pas » alors qu’un processus de désistement est amorcé sans que cela soit perceptible sur le plan expérimental (Maruna, LeBel, Mitchell et Naples, 2004). Pour contourner cet écueil, plutôt que d’évaluer les effets individuels des traitements sur la récidive, un courant d’études relativement récent (Farrington, et al., 2006) tente plutôt de saisir comment les contrevenants cessent de commettre des délits pour ensuite adapter les interventions afin de soutenir, voire accélérer, ce ou ces processus de désistement du crime (Maruna, LeBel et al., 2004).

La définition du désistement du crime

La plus grande difficulté associée à l’étude du désistement demeure l’impossibilité d’affirmer avec certitude que la carrière criminelle d’un contrevenant est terminée autrement que de façon posthume (Bushway, Piquero, Mazerolle, Broidy et Cauffman, 2001). Considérant néanmoins que les études sur le désistement sont jugées prometteuses pour l’administration de la justice criminelle et pénale (Maguire, 2007), ainsi que pour la pratique des intervenants sociopénaux (McNeill et al., 2012), l’opérationnalisation la plus utilisée de ce phénomène distingue deux phases : le désistement primaire et le désistement secondaire. Le désistement primaire débute dès que les comportements criminels cessent (voir Maruna, Immarigeon et LeBel, 2004, p. 19). Plusieurs études ont été réalisées dans cette phase primaire du désistement (Burnett, 1992 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2010 ; King, 2013a, 2013b ; Maruna, 2001 ; Rex, 1999). Si elles permettent d’apprécier certains changements cognitifs, identitaires ou structurels qui se produisent à l’amorce du désistement, la portée de ces études est minimale, puisque la majorité des contrevenants expriment vouloir « s’en sortir » en cours de suivi (Burnett, 1992), alors que c’est souvent moins du quart d’entre eux qui y parviennent (Burnett et Maruna, 2004). C’est dans la phase secondaire du désistement que l’on observe que l’identité sociale de contrevenant est définitivement abandonnée et que l’individu vient à se percevoir et à être perçu comme une « personne changée » (Maruna, Immarigeon et al., 2004, p. 19). Or, il y a une quasi-absence d’étude portant sur la perception des interventions des agents de probation chez les désisteurs secondaires (Barry, 2013). Dans la présente étude, sont considérés désisteurs secondaires les individus qui n’ont pas été reconnus coupables et n’ont pas admis avoir commis de délits depuis leur sursis, qui ont constaté des changements sur le plan identitaire et qui considèrent très improbable le fait de commettre à nouveau des délits[5].

Les explications théoriques du désistement

Les premières études du désistement se centraient soit sur la maturation naturelle des contrevenants (Gottfredson et Hirschi, 1990), soit sur leur accès aux ressources structurelles par le mariage ou l’obtention d’un emploi (Laub, Nagin et Sampson, 1998 ; Laub et Sampson, 2001, 2003), ou encore, sur la prise de décision d’arrêt des comportements criminels (Cusson et Pinsonneault, 1986 ; Maruna, 2001)[6]. Considérant qu’aucune de ces théories ne parvenait à faire consensus, les théories récentes sont intégratives et accordent une égale importance aux facteurs individuels et structurels dans le désistement.

Giordano, Cernkovich et Rudolph (2002), par exemple, proposent une séquence temporelle du désistement qui s’opère en quatre temps : 1) le contrevenant doit être ouvert au changement ; 2) il doit ensuite reconnaître et saisir les grappins à changement (hooks for change) qui sont présents dans son environnement (tel qu’un emploi ou un conjoint prosocial) ; 3) il doit développer une nouvelle représentation de lui-même (a replacement self) ; et 4) finalement, il doit envisager la déviance comme étant désormais inacceptable (voir Giordano et al., 2002, p. 1027-1053). Le problème de l’argumentaire de Giordano et ses collaborateurs, c’est qu’ils ont, de leur propre aveu, « sursimplifié » (Giordano et al., 2002, p. 1055) la relation entre le changement cognitif et les actes des acteurs, alors que leur théorie repose justement sur l’idée que le changement cognitif précède le désistement. D’ailleurs, on reproche souvent à ce modèle théorique d’être incapable d’expliquer ce qui motive le contrevenant à s’ouvrir au changement (Farrall, Sharpe, Hunter et Calverley, 2011). Partant de ce constat, Paternoster et Bushway (2009) avancent qu’au premier stade de ce processus de changement, le contrevenant doit envisager deux scénarios : le « soi possible » et « le soi craint » (feared self). Le soi possible correspond à la personne qu’il deviendra s’il choisit de modifier sa vie, alors que le soi craint renvoie à la personne qu’il sera s’il persiste dans le crime. Le contrevenant ayant soigneusement soupesé les deux possibilités aurait ensuite la motivation de tendre vers le soi possible. Or, une étude publiée presque au même moment (LeBel, Burnett, Maruna et Bushway, 2008) montre que les contrevenants se projettent plutôt uniquement dans l’un ou l’autre de ces scénarios. Ceux qui s’identifient au soi possible « triomphent des obstacles et tirent le meilleur de chaque situation » alors que ceux qui s’identifient au soi craint « se laissent envahir par le défaitisme devant les mêmes obstacles et situations » (LeBel et al., 2008, p. 155). En résumé, les théories « intégratives » qui mettent de l’avant le rôle précurseur de l’acteur dans son processus de désistement ont de la difficulté à expliquer ce qui motive ce dernier à s’ouvrir soudainement au changement. À l’inverse, la théorie intégrative de Farrall et collaborateurs (2011) accorde énormément d’importance au rôle prépondérant de la structure dans le désistement. Si ces auteurs reconnaissent que l’acteur peut faire une évaluation rationnelle des coûts et bénéfices associés à sa carrière criminelle, ils avancent qu’il n’y parviendra que s’il modifie d’abord sa perception des structures sociales. Ce n’est qu’en modifiant la valeur qu’il accorde aux structures (définies ici en termes de ressources matérielles, de normes et d’idéaux) qu’il parviendra à modifier son identité personnelle « en relation avec ces structures sociales » (Farrall et al., 2011, p. 231).

Bref, même les théories « intégratives » laissent le sentiment de se trouver à nouveau devant le dilemme « poule ou oeuf » (LeBel et al., 2008, p. 132) des facteurs subjectifs ou structurels associés au désistement. Une étude récente (F.-Dufour, 2013) montre que le principal problème de ces théories intégratives est d’avoir assumé qu’il n’existe qu’un seul processus conduisant au désistement, alors qu’il est connu que les « carrières criminelles » ne sont pas identiques (Farrington, 2007 ; Moffit, 1993 ; Thornberry et al., 2012). Lorsque l’on tient compte de divers facteurs structurels (position sociale involontaire, coûts des opportunités, accès aux ressources, nature du réseau social) et de divers facteurs agentiels (identité personnelle, identités sociales, projets de vie, valeurs constitutives), on observe plutôt trois processus pouvant conduire au désistement du crime. Comme ils ont été expliqués ailleurs (voir F.-Dufour, 2013 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; F.-Dufour et al., 2015), seules les principales caractéristiques sont reprises ici afin de permettre au lecteur d’apprécier les perceptions respectives des trois types de désisteurs exprimées dans cet article.

Les types de désisteurs

Les convertis ont des carrières criminelles que certains qualifient de « chroniques » ou « chroniques modérées » (Bushway, Thornberry et Krohn, 2003 ; Sampson et Laub, 2005). Représentant environ seulement 30 % des trajectoires possibles, les carrières criminelles des convertis débutent au début de l’adolescence et se maintiennent au-delà de la trentaine. Elles sont caractérisées par la variété et la fréquence des infractions commises. Pour les convertis rencontrés, ce type de carrière est également associé à une forte identification à l’identité sociale de contrevenant et correspond même à l’identité personnelle de certains (« j’étais un bandit » Xavier). Pour les convertis, le processus de désistement se fait en trois temps. D’abord, l’assignation à domicile vient rompre les liens avec les pairs contrevenants (« tes chums, y viennent plus te voir… t’es rendu plate » – Walter). Puis, ils saisissent un grappin à changement (Giordano et al., 2002) pour se soustraire de leur assignation à domicile (« j’ai fait mon certificat en toxico pendant cette période-là. Ça me faisait une sortie (rires) » Walter). Or, s’ils sont d’abord saisis de façon instrumentale, les grappins à changement vont entraîner des modifications sur le plan identitaire des convertis qui les amèneront, ultimement, à abandonner leur identité sociale de contrevenant au terme d’un processus qui s’étend sur quatre ans en moyenne (« je ne suis pas un saint (rire), mais non, je ne suis plus un délinquant non plus » – John). On peut donc conclure que ce type de processus est « structurel » au sens entendu par Farrall et collaborateurs (2011), car c’est l’ouverture dans la structure qui va amener le contrevenant à revoir ses priorités et enfin, à abonner la criminalité.

À l’inverse, les repentants ont un processus de désistement que l’on pourrait qualifier « d’agentiel ». Les repentants ont des carrières dites tardives (late-bloomers) (Krohn, Gibson et Thornberry, 2013), car elles débutent à l’âge adulte. S’ils ont un engagement relativement prolongé dans leur carrière criminelle[7], ils sont, aux yeux de tous, d’honnêtes citoyens. Pour eux, l’arrestation est un moment critique, car la mise à jour de leurs activités illicites provoque presque invariablement un congédiement et des ruptures familiales. Les repentants se décrivent ensuite comme avides de conseils pendant leur sursis (« j’étais comme une éponge » – Lucien) et vont tout mettre en oeuvre pour reprendre les identités sociales qu’ils avaient avant l’arrestation (employé, père, conjoint, etc.). À la fin de leur processus, ils se déclarent semblables à ce qu’ils étaient avant, mais sans les délits (« je suis le même, mais enligné sur d’autres choses » – Denis).

Finalement, les rescapés ont un processus mixte où seuls les efforts combinés de l’acteur et de la structure sociale conduisent au désistement. S’ils commettent également leurs délits à l’âge adulte, les rescapés diffèrent des repentants sur deux plans : au moment où ils sont arrêtés, les rescapés sont socialement isolés (« je n’avais pas de vie sociale, pas d’amis ni de cercle d’amis » – Benoît) ; et ils commettent des délits de nature sexuelle. Dans leur cas, il n’y a donc pas la quête du statut « d’avant », mais à l’inverse, un fort désir de s’en dissocier (« j’ai tout de suite dit à l’avocate, j’ai besoin d’aide » – Albert). La nature de leur délit entraîne une grande réprobation sociale qui peut constituer un frein à leur processus de désistement du crime (Kruttschnitt, Uggen et Shelton, 2000), mais cette barrière est toutefois contrebalancée par l’offre systématique d’un suivi thérapeutique de deux ans. C’est en combinant les effets bénéfiques du suivi avec les efforts importants consentis par les rescapés qu’ils vont parvenir à s’approprier au moins une identité sociale satisfaisante pour justement combler le vide qui caractérisait leur vie préarrestation : (« je vois du monde aux pétanques et aux échecs » – Alphonse). Ce lien les amène à consolider leur identité personnelle et à cesser de commettre des délits (« j’y pense même plus » –Albert).

Méthodologie

Les participants à la recherche ont été sélectionnés parmi une population de 4 453 hommes qui avaient été soumis à un sursis d’au moins un an entre 2001 et 2009 et qui n’avaient pas récidivé depuis[8]. L’échantillon de recherche a été constitué à partir des numéros de dossier administratif correctionnel (DACOR) inscrits dans la base de données originale. À partir de ces numéros, un représentant du ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) a été en mesure de repérer le nom et la dernière adresse connue de chaque sursitaire correspondant aux critères de sélection du départ. Un premier envoi de 250 lettres de recrutement a alors été fait. Puis, comme l’analyse des données s’est faite en parallèle de la collecte de données (Miles et Huberman, 2007), les participants supplémentaires ont été sélectionnés au fur et à mesure que certaines caractéristiques apparaissaient relativement à la nature du phénomène observé. Ils ont notamment été contrastés sur la base du délit qu’ils avaient commis, de leurs antécédents judiciaires, de leur âge, de leur état civil et de leur principale source de revenus. Au total, 500 lettres de recrutement ont été envoyées. Toutefois, 312 lettres ont été retournées, les répondants ayant déménagé. Des 188 répondants potentiels qui semblent avoir reçu la lettre, 47 ont indiqué vouloir participer à l’étude. C’est un taux de participation que l’on peut considérer relativement haut, car dans une étude impliquant des sursitaires, 141 lettres avaient été envoyées, mais seulement 12 personnes y avaient participé (Martin et al., 2009). Au total, 29 répondants ont été interviewés. Il n’a pas été jugé pertinent de poursuivre les entrevues au-delà de ce nombre puisque les saturations empirique et théorique avaient été atteintes (Pires, 1997). Les 18 autres répondants potentiels se sont toutefois fait offrir de recevoir les résultats finaux de l’étude. Finalement, notons que les propos de sept répondants ont été retranchés pour cet article, puisqu’il n’était pas possible de les considérer comme des désisteurs secondaires.

L’âge moyen des convertis est de 32,5 ans, celles des repentants de 37,6 ans et finalement, les rescapés ont 52 ans en moyenne. Il semble donc peu probable que ces répondants se soient désistés uniquement en raison de la maturation ontogénique. Cinq répondants avaient commis un délit contre la personne, cinq contre les biens, six avaient commis un délit de nature sexuelle et cinq autres un délit relatif aux drogues[9]. La durée des sentences varie d’un à trois ans[10]. Considérant l’importance que revêt la période d’abstinence depuis l’arrêt des comportements criminels (désistement primaire), les répondants ont également été contrastés sur la base de cette caractéristique. Dix répondants étaient abstinents depuis plus de 7 ans, dix autres depuis 4 à 6 ans et deux depuis au moins 2 ans.

Le point de vue des sursitaires sur les interventions prodiguées par les agents de probation qui ont facilité ou nui à leurs processus de désistement du crime a été recueilli au moyen d’entrevues semi-dirigées d’une durée approximative d’une heure trente. Cet outil de collecte a été sélectionné, car il permet de tenir compte des perceptions et des expériences des répondants tout en permettant d’établir certaines comparaisons entre les réponses offertes (Savoie-Zajc, 2009), puis parce qu’il permet d’explorer les dimensions qui émanent du discours du répondant auxquelles le chercheur n’avait pas pensé (Charmaz, 2003). Les questions posées[11] étaient volontairement indirectes de façon à éviter l’effet de désirabilité sociale :

  1. Comment vous êtes-vous retrouvé en sursis ? Relance : Qu’est-ce qui se passait dans votre vie à ce moment-là ?

  2. Comment s’est déroulé votre sursis ? Relance : Pourriez-vous me raconter une journée typique de votre sursis ?

  3. D’après vous, qu’est-ce qui est le plus important lorsque l’on veut cesser de commettre des délits ? Relance : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui entreprend son sursis et qui veut s’en sortir ?

  4. Comment pensez-vous que l’on pourrait améliorer le sursis pour que plus de personnes se désistent comme vous ?

Tableau 1

Caractéristiques des répondants selon leur processus de désistement du crime

Caractéristiques des répondants selon leur processus de désistement du crime

-> Voir la liste des tableaux

Les données ont été analysées avec l’approche inductive générale d’analyse (Thomas, 2003, 2006) à l’aide du logiciel QDA Miner (version 4.0.08). Une entrevue a été soumise à une double codification interjuge selon le critère « les segments doivent se chevaucher », et le ratio obtenu est de 95,9 %[12].

Résultats

Mentionnons d’abord qu’aucune question directe ne portait sur la perception des interventions prodiguées par les agents de probation, mais que l’ensemble des répondants a trouvé naturel de mentionner comment ces derniers avaient facilité ou n’avaient pas été fortement impliqués dans leur processus de désistement. Ensuite, il est apparu évident que cette perception différait selon le type de processus de désistement emprunté. C’est pourquoi les résultats ont été regroupés selon cette catégorisation.

Les convertis

Les convertis ont d’abord exprimé combien ils considèrent que le sursis est une peine plus exigeante que l’emprisonnement : « si c’était à recommencer, j’irais en dedans [prison] plutôt qu’être dans la communauté. Tu te fais harceler le jour, la nuit. C’est débile en [juron]. J’aurais été en dedans pis j’aurais eu la paix » – Walter. Connaissant bien les rouages du système pénal, ils savent aussi que leur peine aurait été plus courte en prison : « j’aurais peut-être eu 4 mois de prison au lieu de mes 18 mois de sursis. Parce que tu sors au tiers de ta peine » – Patrick. Cette perception surprenante de la sévérité des peines alternatives, lorsque comparée à l’incarcération, a également été observée dans d’autres études portant sur le sursis (Martin et al., 2009).

Néanmoins, les convertis, qui ont tous été incarcérés auparavant, sont également en mesure d’établir les principales différences entre ces deux peines. Leurs propos illustrent que l’emprisonnement sert généralement de catalyseur entre la détresse et la révolte (« je ne savais plus où j’allais… ils m’auraient mis en dedans que ça aurait été délit par-dessus délit » – John). D’autres mentionnent comment l’emprisonnement permet d’élargir le spectre des opérations illégales (« quand tu ressors, tu es deux fois plus plogué, tu as les meilleurs prix, pis tu sais comment faire pour ne pas te faire repogner » – Xavier). Finalement, certains répondants ont indiqué que l’expérience de la prison rendait moins apte à fonctionner au sein de la communauté et que cela pouvait inciter certains individus à faire de nouveaux délits pour y retourner (« tu vas deux ans là-dedans. Tu ne paies plus ton loyer, tu ne fais pas de nourriture. Tu ne fais rien. Alors tu perds l’habitude de budgéter. Tu n’en as pas l’air, mais t’es comme mort. Tu perds ta structure. Tout réapprendre… [baisse le ton] des fois, tu sais… t’aimes mieux faire ce que tu connais » – Nathan). À l’inverse, les répondants mentionnent combien le sursis est une peine propice au changement : « je serais retourné en prison que je ne serais pas sorti différent des autres fois. La prison ce n’est pas encadré pantoute là ! Oui, t’es encadré… mais pas pour le moral… pas pour te faire changer de mentalité. Tandis que là, ben on t’aide à changer » – Nathan. Dans les cas extrêmes, des répondants ont indiqué qu’ils se seraient enlevé la vie s’ils avaient été incarcérés à nouveau, alors que le sursis leur avait donné le goût d’envisager d’autres options : « ça m’a sauvé la vie cette peine-là. Moi je n’avais pu rien à perdre. Je ne serais pas devant toi s’ils m’avaient encore sacré en dedans parce que je me serais accroché [pendu]. J’t’assure. La justice m’a offert une chance sur un plateau d’argent. Je l’ai saisie. J’ai changé de vie et c’est ça qui m’a sauvé » – Francis.

Comme mentionné, les convertis ont une perception très négative du travail des agents des services correctionnels (ASC) qui effectuent les contrôles requis des sursitaires. Certains convertis vont avoir tendance à confondre les ASC avec des agents de probation : « c’est comme un policier, mais plus chien qu’un policier. Ils ne sont pas là pour te donner des conseils. Non, ils veulent juste te pogner pour te sacrer en dedans ! » – Ivan. D’autres, qui font mieux la distinction entre le rôle de l’ASC et l’agent de probation ont vu leur suivi confié à des intervenants communautaires et expriment avoir eu peu d’occasions de créer un lien thérapeutique qui aurait pu faciliter leur désistement (McCulloch, 2005 ; Rex, 1999). « Ils changeaient quasiment toutes les semaines là. Il y a comme un agent de probation principal, pis ils font affaire avec des sous-traitants qui ont le même cours, mais ce n’est pas de vrais agents de probation [intervenants communautaires]. Les agents de probation sont trop occupés, alors ils te donnent aux autres. Ça fait que j’en ai vraiment eu plusieurs ! » – John. Finalement, d’autres ont été confiés à des agents de probation qui n’ont pas été en mesure de créer le respect suffisant pour devenir des modèles prosociaux à reproduire (Trotter, 2000) : « le dernier que j’ai eu, je pouvais le bourrer de menteries. Tandis que ma première était pas mal à son affaire. Pis j’aurais dû rester avec elle, parce que tu ne pouvais pas y’en passer une… pis bon… je n’aurais peut-être pas eu à m’en sortir par moi-même » – Patrick. La majorité des convertis accordent donc peu d’importance aux interventions prodiguées par les agents de probation : « on avait un… disons un lien marchand (rire) genre bye-bye, comment ça va… rien de bien intéressant » – David.

Un seul converti mentionne que c’est le suivi avec son agente de probation qui a été l’élément le plus utile de son sursis : « j’allais voir mon agente tous les 15 jours pendant deux ans. On est devenus ben proches évidemment. Pis elle m’a montré comment… la résolution de problèmes là… Elle m’a comme poussé à faire les bons choix » – Nathan. Ces propos illustrent que l’engagement prolongé avec l’agente a effectivement conduit Nathan à accepter progressivement le soutien qui lui était offert pour résoudre ses problèmes. Conformément aux études précédentes (McCulloch, 2005 ; Rex, 1999), il semble en effet que dans ce cas précis, la création du lien thérapeutique entre le sursitaire et son agente de probation a été un élément important de son processus de désistement du crime.

Or, à l’inverse de ce qui est observé dans les études similaires, la majorité des convertis ont plutôt eu tendance à s’attribuer pleinement le mérite de leur désistement, comme le montraient les propos de Patrick. C’est par les questions de relance qu’il a été possible d’observer qu’ils avaient été adroitement guidés vers leurs « choix ». « Moi je voulais m’en sortir par moi-même. J’ai essayé de parler à mon agent de probation pour trouver un emploi, mais il n’était pas trop consentant. Finalement, j’ai trouvé un emploi de serveur. [Intervieweuse : Comment avez-vous trouvé cet emploi ?]. Ben c’est l’agent qui m’a envoyé… euh, suivre une formation de serveur… dans une place de réinsertion sociale » – Patrick. Il semble donc que les interventions les plus utiles des agents de probation eu égard aux convertis consistent à leur faire prendre conscience des ressources disponibles dans la structure sociale pour qu’ils saisissent « d’eux-mêmes » (Farrall et al., 2011) les grappins à changement qu’ils considèrent les plus adaptés à leur processus de désistement du crime.

Les repentants

De tous les répondants, les repentants sont assurément ceux qui ont tiré le plus de soutien de la part de leur agent de probation : « ce gars-là était assez inspirant pour que je réussisse. Il croyait en moi et me challengeait : règle ci, règle ça. Il n’était pas baveux ou arrogant… ça n’avait pas l’air d’une corvée… c’était comme si ma conscience me parlait, on dirait » – Lucien. Il semble qu’ils ont pu bénéficier d’un lien « raisonnable et juste qui fait naître un sentiment de loyauté nécessaire au respect des limites imposées » (McNeill, 2006, p. 49). Ces propos illustrent également combien la qualité de la relation établie est garante de la portée des interventions prodiguées par les agents de probation (Barry, 2000 ; Burnett et McNeill, 2005). En fait, pour les repentants, c’est souvent ce lien qui est le plus étroitement associé au désistement du crime. Il leur a permis de comprendre ce qui les a amenés à commettre des délits : « il a été un outil très précieux. Il m’a arrangé la paix avec moi-même parce que pour comprendre pourquoi le mur de la maison est pourri, il faut comprendre comment il s’est pourri. Peu importe le délit, il faut comprendre pourquoi la personne l’a commis et pour cela, il faut de l’aide » – Jean-Claude. Puis, ils ont aussi été adroitement accompagnés dans les diverses démarches qu’ils entreprenaient, que ce soit dans le choix d’un suivi thérapeutique, dans la résolution des conflits associés à leur séparation ou dans la recherche d’emploi : « il m’a dit, va chez jeunesse-emploi suivre une formation. J’ai commencé le cours, pis ils m’ont donné une carte d’affaires en disant d’appeler, car ils cherchent un comptable. Pis c’est de même que j’ai commencé à travailler » – Oscar. C’est probablement parce que les repentants ont été si étroitement soutenus que leur processus de désistement est également le plus rapide. Ils considèrent avoir réussi à « reprendre leur vie d’avant » en moins d’un an.

Les rescapés

L’ensemble des rescapés avait une obligation légale de participer à une intervention psychosociale dans le cadre de leur emprisonnement avec sursis. Pour eux, le suivi psychosocial imposé par la cour est devenu le principal (et souvent unique) moyen dont ils ont disposé pour parvenir à se désister du crime. En l’absence de relations sociales facilitatrices ou d’identités sociales satisfaisantes, ils se sont pleinement investis dans le processus thérapeutique au point d’y demeurer au-delà de la période légale : « c’était pour une période de deux ans, mais je l’ai poursuivi pour une période de quatre ans » – Benoît. Dans ce processus thérapeutique, ils développent des liens émotifs intenses avec les autres participants et les intervenants : « ils m’ont aidé. J’ai fini par m’attacher à ces gens-là. Puis surtout, je me suis senti tellement apprécié par ces gens-là […]. J’avais comme un attachement pour les gens de la thérapie » – Albert. En comparaison, la relation avec l’agent de probation est considérée de moindre importance : « je m’entendais bien avec elle. Elle était gentille » – Charles. Elle sert surtout à faire état des progrès accomplis. « Elle voulait savoir l’évolution. Elle me demandait comment ça va dans ta vie, tes amours, ton travail. Elle était contente parce qu’elle trouvait que je me réhabilitais bien » Thomas. En bout de piste, l’agent de probation s’assure que le sursitaire participe à son suivi thérapeutique et offre du soutien additionnel lorsque nécessaire.

Conclusion et discussion

Considérant son aspect hybride (Roberts, 2004), la peine de sursis prête flanc à la critique. Les défenseurs de la réhabilitation décrient ses aspects plus punitifs tandis que ceux qui prônent le durcissement des peines la considèrent comme trop douce (voir Roberts, 2004, p. 183). Or, c’est justement cet équilibre entre deux objectifs en apparence opposés qui semble « marcher » avec les sursitaires. Pour les convertis, l’assignation à domicile sert à rompre avec la vie antérieure (knife off) (Laub et Samspon, 2003) et à saisir les grappins à changement présents dans la structure sociale, leur permettant ainsi de se désister du crime. Pour les repentants et les rescapés, c’est plutôt les aspects réhabilitatifs de la peine, le soutien offert par l’agent de probation ou les obligations à suivre des traitements, qui sont les plus favorables à leur désistement du crime. Ainsi, peu importe le processus emprunté, l’aspect hybride du sursis est adapté au désistement des contrevenants. C’est probablement ce qui explique que l’ensemble des études évaluatives montre que le sursis est plus « efficace » que la prison pour réduire la récidive.

Les détracteurs de ces « succès » avancent que les sursitaires ont plus de chances de se désister, car ils ont commis des crimes moins graves que les prisonniers. Or, il y tant de facteurs impliqués dans la détermination de la peine (voir Jodoin et Sylvestre, 2009) qu’il est probable de trouver plus de ressemblances que de différences entre les prisonniers provinciaux et les sursitaires. Plusieurs répondants ont d’ailleurs mentionné que leur avocat leur avait offert le choix entre ces deux sentences avant le début de leur procès. D’autres détracteurs des réussites du sursis avancent qu’en raison de « l’escalade de la gravité des délits », on retrouvera en prison les criminels solidement enracinés dans leurs carrières criminelles. Or, cet argument est également réfuté par la recherche, car la majorité des actes violents graves sont commis par des personnes qui n’avaient, jusqu’alors, jamais commis de délits (Piquero, Jennings et Barnes, 2012). Il semble donc difficile d’attribuer les hauts taux de récidive des prisonniers uniquement sur ce qui les distingue des personnes soumises à un sursis. Les propos des répondants semblent plutôt indiquer que l’incarcération augmente la révolte des contrevenants, favorise le développement de contacts criminels et crée un effet d’accoutumance qui limite les possibilités de fonctionner dans la communauté. À l’inverse, le sursis permet de maintenir et de développer des identités sociales prosociales (employé, père, étudiant, etc.) qui font contrepoids à l’identité sociale de contrevenant jusqu’à en favoriser l’abandon.

Dans le processus de changement identitaire qui conduit au désistement du crime, la plupart des répondants mentionnent avoir été soutenus par leur agent de probation. Cette reconnaissance vient rarement des convertis, mais l’on constate néanmoins que leurs agents de probation leur ont permis de reconnaître et d’utiliser les ressources disponibles dans la structure sociale qui, elles, les ont conduits à se désister du crime. Les repentants, à l’inverse, ne tarissent pas d’éloges envers leur agent de probation qu’ils associent étroitement à leur désistement. Finalement, pour les rescapés, l’agent de probation a plutôt un rôle de soutien puisque leur processus est plutôt tributaire du suivi thérapeutique offert aux personnes qui commettent des délits de nature sexuelle. Si la reconnaissance se situe à divers niveaux, les répondants ont néanmoins signalé des caractéristiques qu’ils associent aux effets bénéfiques des suivis offerts par les agents de probation, soit : d’être juste et respectueux, d’avoir à coeur l’intérêt du sursitaire, de savoir se faire respecter et respecter le cadre du sursis, et de ne pas vouloir régler les problèmes des répondants à leur place, mais plutôt de leur montrer comment y parvenir :

Elle était vraiment, vraiment humaine. Je me sentais écouté. J’allais là… chaque mois… pis ce n’était pas pesant. C’était mon agente de probation pis elle ne me faisait pas chier ! Je savais c’était quoi sa job, je savais qu’elle avait un travail à faire… pis je ne suis pas le genre à triper sur l’autorité, mais c’était fait avec équité. On est des numéros à 95 % de notre vie… mais avec elle, je sentais que je n’étais pas un numéro. Elle voulait vraiment mon bien. Elle n’était pas hypocrite. Elle était vraiment sincère.

Mathias

Il importe de souligner que ces résultats doivent être interprétés avec une certaine prudence. Même si la saturation théorique (Guest, Bunce et Johnson, 2006) a été atteinte pour chacun des processus, il demeure que le nombre de répondants par type de processus est petit et ne prête pas à la généralisation des résultats. Une autre limite porte sur la qualité de la mémoire des répondants qui ont dû relater une expérience s’étant déroulée, en moyenne, six ans plus tôt. Rappelons néanmoins que la qualité des entretiens rétroactifs s’avère « suffisamment valide » (Hardt et Rutter, 2004, p. 270) pour établir des comparaisons intergroupes lorsque comparée à d’autres sources de données telles que les rapports officiels notamment. Les recherches futures devraient favoriser des devis longitudinaux auprès de larges populations pour éviter ces écueils.

En terminant, soulignons que plusieurs participants ont montré notre lettre de recrutement aux membres de leur famille, à leurs amis et employeurs, car il y était mentionné « selon nos registres officiels, vous n’avez pas commis de nouveaux délits depuis votre peine de sursis ». Pour plusieurs, ce symbole permettait de clore définitivement un chapitre de leur vie : « je pense que la félicitation que j’ai eue c’était la lettre [de recrutement] que vous m’avez envoyée. C’était la félicitation que je devais avoir. C’est comme si je passais à une autre étape en prouvant que le sursis, ça a des bons côtés » – Oscar. Ce constat nous amène à suggérer aux agents de probation d’utiliser la relance lorsque la situation le permet. En plus de souligner les efforts considérables que les sursitaires doivent investir pour se désister du crime, cette relance permettrait également aux agents de probation de constater que la majorité des sursitaires se désistent du crime (F.-Dufour et al., 2009) et que cette réussite leur est, au moins en partie, imputable.