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Introduction

L’arrivée d’Internet a transformé certains aspects de la criminalité. Depuis la montée fulgurante de la popularité du Web en 1994, Internet est maintenant utilisé, entre autres, pour consommer, visionner, échanger et collectionner de la pornographie juvénile. Bien que ce crime existait auparavant, Internet a facilité les différents paramètres de ces infractions (Berberi et al., 2003 ; Fortin et Lapointe, 2002). L’objectif principal de cette recherche est de décrire et d’analyser les caractéristiques des personnes mises en cause ou accusées pour une infraction de pornographie juvénile. Toutefois, avant d’aborder cette partie, une mise à jour des connaissances sur la pornographie juvénile sera effectuée.

Les infractions dites de pornographie juvénile sont celles correspondant à la définition du Code criminel canadien. L’article 163.1(1) définit la pornographie juvénile comme toute représentation graphique, réalisée par des moyens mécaniques ou électroniques, où figure une personne de moins de 18 ans se livrant à une activité sexuelle explicite ou dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels. Le Code criminel (article 163.1) interdit la possession, la production, le trafic, la distribution ou la transmission de ce genre de matériel. Ne sont pas considérées comme pornographiques les images ou vidéos produits à des fins artistiques, éducatives, médicales, scientifiques ou servant le bien public.

Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux caractéristiques des consommateurs de pornographie juvénile, mais relativement peu ont exploité les informations de nature policière, notamment en ce qui concerne les données relatives au casier judiciaire de l’individu. C’est là un des aspects novateurs de notre analyse.

Les consommateurs de pornographie juvénile

Pour les consommateurs de pornographie juvénile, l’intérêt de ce type de matériel prend différentes formes. Comme le soulignent Tremblay (2002), Rettinger (2000) et Taylor et Quayle (2003), les pédophiles et les amateurs de pornographie juvénile consomment également du matériel dit licite soit, en l’occurrence, de la pornographie régulière. Dans l’étude de Roy (2004), les témoignages recueillis pendant l’enquête révèlent que, dans plusieurs cas, la consommation de pornographie juvénile a suivi une augmentation régulière. Howitt (1995), quant à lui, mentionne que près des trois quarts des agresseurs sexuels d’enfants de l’échantillon étudié ont confié se servir de matériel non spécifiquement conçu à des fins pornographiques comme source de fantasmes. Parmi ces sources, on retrouve les annonces de catalogues, les films et émissions de télévision pour enfants et même les albums de photos de famille (Creighton, 2003). Ce contenu est utilisé pour entretenir les fantasmes et pour procurer des gratifications sexuelles (Creighton, 2003).

En plus de consulter la pornographie disponible, certains amateurs vont produire eux-mêmes des contenus. Plusieurs auteurs ont souligné la facilité avec laquelle les images et vidéos peuvent maintenant être produits, sauvegardés et distribués grâce aux nouvelles technologies de l’information (Fortin, 2005). Depuis quelques années, l’abonnement à Internet est abordable sinon même parfois gratuit. Le coût du matériel informatique est peu élevé (Foley, soumis pour publication). En plus des faibles coûts, la diversification des moyens de communication a provoqué une augmentation des crimes de possession, de distribution et de production de matériel de pornographie juvénile. Internet procure une multitude de moyens pour communiquer, facilitant la transmission de différents types de fichiers tels que des textes, des images, des vidéos et des images en temps réel (webcam). D’ailleurs, l’arrivée des caméras numériques, dont l’usage s’est généralisé vers 2003, a facilité la production de pornographie juvénile à la maison. Désormais, grâce à ces technologies, plusieurs milliers d’images peuvent être maintenant produites à partir d’une seule agression sexuelle (Creighton, 2003). Les risques associés à la production de matériel de pornographie juvénile sont aussi réduits, car les producteurs n’ont plus à composer avec des intermédiaires spécialisés en développement de photos. Il y a donc moins de risques d’être repéré (ECPAT, 2002). Il se trouve que maintenant le matériel de pornographie juvénile est surtout fabriqué de façon artisanale, mais qu’il peut ensuite être échangé entre collectionneurs privés (Rettinger, 2000). Les différentes études réalisées par Badgley (1984) et Howitt (1995) abondent dans le même sens. Elles démontrent que la plus grande partie du matériel de pornographie juvénile est produite par les pédophiles pour leur propre usage (Rettinger, 2000).

Le projet de recherche COPINE (Combating Paedophile Information Networks in Europe) sur la pornographie juvénile a été initié par Taylor en 1997 à l’Université Cork en Irlande. Le but premier du projet consistait à analyser la vulnérabilité des enfants face aux nouvelles technologies, à tenir à jour une base de données sur la pornographie juvénile, à évaluer la dangerosité des pédophiles par leur collection de matériel pornographique et finalement à mieux connaître les phénomènes de tourisme sexuel et de traite d’enfants (Taylor et al., 2001). Taylor et ses collègues (2001) ont recensé une augmentation de la production de matériel de pornographie juvénile dans les pays d’Europe de l’Est. La prolifération de ces contenus indique que l’exploitation sexuelle commerciale y est en pleine croissance. En plus de la production, les chercheurs, en réalisant une analyse qualitative des collections de pornographies juvéniles, ont remarqué une diminution de l’âge des victimes. De fait, les enfants présentés dans le matériel pornographique sont de plus en plus jeunes. Cette baisse s’expliquerait par la difficulté qu’ont de très jeunes enfants à dévoiler l’agression dont ils sont victimes, par comparaison à des enfants plus âgés (Taylor et al., 2001).

La collection

Une des caractéristiques des consommateurs de pornographie est qu’ils accumulent une quantité importante d’images ou de vidéos. On peut donc s’intéresser aux collections mêmes, mais aussi au rôle qu’elles jouent chez l’individu, tant au plan fantasmatique que sur le plan de l’occupation du temps de ceux-ci. Belk (1995) révèle que dans l’acte de collectionner, l’individu démontre son sentiment d’attachement à l’objet qui l’intéresse. Le processus entourant le fait de sélectionner, d’acquérir et de choisir fait partie intégrante de la passion du collectionneur. Muensterberger (1994) affirme, de son côté, que l’aspect central de la collection réside dans la constante acquisition de l’objet prisé par l’individu. Cette acquisition captive d’ailleurs le collectionneur. Un des aspects le plus important dans le fait de collectionner est l’effort que l’individu doit faire pour surmonter les obstacles qui le sépare de l’acquisition d’un nouvel objet de sa collection (Taylor et Quayle, 2003). Bien que les collectionneurs se distinguent les uns des autres par les objets qu’ils choisissent de collectionner, ces individus ont quelques points en commun. D’abord, l’objet de leur collection doit être accessible et les articles qui la composent doivent être classés et rangés. Ensuite, la collection peut être de nature publique ou privée. L’individu consacre beaucoup de temps et d’argent à collectionner et cela lui procure du plaisir (ECPAT, 2002).

Selon l’étude de Lanning (1992), la collection de matériel pornographique aurait quatre utilités pour ses adeptes. La première utilité de la collection est la gratification sexuelle. Le visionnement du matériel permet aux individus d’alimenter leurs fantasmes avant ou durant la masturbation. Ce matériel peut quelquefois être utilisé comme prélude à l’agression sexuelle commise sur un enfant. Selon Quayle et ses collègues (2000), un tel scénario demeure assez rare ; les collectionneurs de pornographie sur Internet se limitent généralement à l’acquisition de matériel, à son classement et à son visionnement. La deuxième utilité de la collection de pornographie juvénile est de faciliter l’agression sexuelle d’enfants ; l’agresseur utilise le matériel pour tenter de réduire les inhibitions de ses victimes. C’est ainsi que la victime apprend, bien malgré elle, à considérer ce type de comportement sexuel comme étant normal. Ce phénomène fait partie d’un phénomène connu sous le nom de mise en condition ou encore grooming (Berson et Tampa, 2003 ; Krone, 2005). La troisième utilité peut servir à faire du chantage. Par exemple, un agresseur va tenter de faire croire à l’enfant qu’il est en partie responsable de l’agression dont il a été ou est victime. Cette manoeuvre vise à dissuader la victime de porter plainte. Finalement, la collection permet aux consommateurs de pornographie juvénile de voir leur banque d’images ou de vidéos augmenter grâce aux échanges avec d’autres collectionneurs. Les collections privées de matériel original sont d’ailleurs très intéressantes puisque leur valeur d’échange est importante.

La quantité de matériel de pornographie juvénile détenu par une personne est un élément intéressant pour en dresser le profil (Taylor et Quayle, 2003). L’étude de Wolak (2005) permet de constater que, parmi les collectionneurs de pornographie juvénile, 33 % avaient plus de 1000 photos et 55 % possédaient des fichiers audiovisuels. La plupart des collections montrent un bon niveau d’organisation, par groupe d’âges, sexes, types d’actes, etc. Parfois, le fait de collectionner incite certains individus à vouloir augmenter sans cesse le volume de leur collection (Lanning, 1984) et à vouloir acquérir du matériel dont le contenu devient de plus en plus extrême. C’est d’ailleurs un aspect traité dans l’étude de Taylor et Quayle (2002) où un des sujets de l’étude affirme qu’après un certain temps, acquérir de la pornographie juvénile soft devient lassant, ce qui inciterait le sujet à se procurer du matériel plus extrême et explicite.

Les individus qui amassent du matériel le font de façon très minutieuse, ne laissant rien au hasard. Bien qu’ils ne collectionnent pas tous de la même façon, leurs acquisitions sont classées logiquement selon une variété de critères. Pour eux, il existe un fil narratif ou un lien thématique à l’intérieur de la série d’objets. Parfois, le plaisir repose sur la difficulté et l’effort associés à la recherche d’une image manquante d’une série que le collectionneur possède, et ce, même si le matériel n’est pas attirant ou excitant pour ce dernier (Taylor et Quayle, 2002). Cette recherche les conduit à entrer en contact entre eux et ainsi élargir leur réseau social. C’est à travers cette communauté virtuelle que ceux-ci sont en mesure d’enrichir davantage leur collection (Creighton, 2003). Forde et Patterson (1998) mentionnent que la consommation de pornographie juvénile, grâce à Internet, permet aux amateurs de tisser des réseaux de contacts à l’échelle mondiale. Cela facilite donc le développement de sous-groupes. C’est à l’intérieur de ceux-ci que les personnes peuvent appliquer leurs propres normes et convictions. Entre eux, ces individus approuvent ce que la société réprouve. Ils peuvent conforter leurs sentiments et leurs désirs en communiquant avec des semblables (Goldstein et al., 1973). Le sentiment d’appartenance à un groupe leur permet ainsi de réduire le sentiment de culpabilité qui peut les habiter (Tremblay, 2002).

La collection de pornographie juvénile sur Internet contribue à l’expansion de certains types de marchés et de formes de socialisation bien particulières. D’une part, il existe un marché fort lucratif pour ce type de contenu (Berberi et al., 2003), d’autre part, les individus engagés dans des échanges par l’entremise d’Internet participent, à divers niveaux, à ériger des communautés basées sur la possession ou la recherche de contenus (Jenkins, 2001 ; Healy, 1996 ; Quayle et al., 2002 ; Svedin et Back, 1996).

Les typologies de collectionneurs de pornographie juvénile

Jusqu’à présent, il existe peu de recherches décrivant les collectionneurs de matériel de pornographie juvénile. Néanmoins, notons Lanning (1992) qui a recensé les différents types de matériels collectionnés par les pédophiles, dont notamment des livres, des revues, des articles de journaux, des photographies, des films, des souvenirs, des jouets, des vêtements et plus encore. Évidemment, le point commun de tous ces articles est qu’ils réfèrent aux enfants. Il semble que les articles collectionnés diffèrent selon les individus. Lanning (1992) soutient que les facteurs sociodémographiques déterminent le type de collection. Par exemple, la quantité de matériel se retrouvant dans la collection d’un individu dépend de son revenu disponible ainsi que de son âge.

Avec la popularité d’Internet, les typologies de pédophiles sur Internet se sont développées. Ainsi, Klain et ses collaborateurs (2001) ont recensé cinq types de pédophiles sur Internet, principalement différenciés selon leur niveau d’organisation. Le premier type de pornographe est le collectionneur de garde-robe qui nie toute implication sexuelle avec un enfant et dissimule tout le matériel présentant de la pornographie infantile. Ce type de pornographe n’établit aucune communication reconnue avec d’autres amateurs et n’accède que discrètement au matériel pornographique sur des sites commerciaux. Il collectionne des images d’enfants nus s’engageant dans le cadre d’activités sexuelles et non sexuelles. Le système de croyances de ce collectionneur fait en sorte qu’il est conscient que les enfants ne devraient pas être sexuellement abusés par des adultes. À l’opposé, le collectionneur échangiste (trader) communique avec d’autres collectionneurs de pornographie, mais ne commet pas d’abus sexuel. Le collectionneur isolé est séparé de la communauté des pédophiles et est essentiellement un abuseur d’enfants. Ce genre de personne dissimule ses activités afin de ne pas être détecté par les autorités. Il obtient son matériel pornographique par des sites commerciaux ou fabrique son propre matériel en abusant sexuellement des enfants. En outre, le collectionneur résidentiel (cottage collector) abuse sexuellement des enfants et partage sa collection de pornographie juvénile avec d’autres collectionneurs, sans nécessairement en retirer un gain financier. Sa production de pornographie a pour but non pas de réaliser un gain financier, mais plutôt d’exprimer le désir d’établir des relations avec d’autres pédophiles. Ces pédophiles occupent des positions de confiance dans leurs communautés et reçoivent un soutien extérieur, issu de leurs liens tissés sur Internet, pour l’exploitation sexuelle des enfants. Les auteurs ajoutent que ces derniers réussissent à agresser les enfants en les convainquant qu’ils sont en quelque sorte responsables de la situation. Finalement, le collectionneur commercial produit, copie et distribue de la pornographie juvénile. Il en retire des profits.

Une autre approche préconisée par Krone (2005) fut celle de recenser les types d’infractions reliées à la pornographie juvénile en ligne. La typologie de Krone (2005) présente neuf types de rôles avec leurs caractéristiques, leur niveau de risques associés à l’exposition possible du contrevenant sur Internet, leur niveau de sécurité informatique et la nature des agressions. Le navigateur est le premier type. Il porte bien son nom puisqu’il s’agit d’un contrevenant qui accède à du matériel pornographique juvénile accidentellement, en recevant un pourriel, par exemple. Cependant, ce type d’individu fait le choix de conserver le matériel qui lui a été envoyé. Le risque d’exposition et le niveau de sécurité ne s’appliquent pas dans ce cas. Le second type de rôle se nomme fantasme privé. Chez le contrevenant de cette catégorie, il y a présence de fantasmes sexuels déviants. Parfois, ces fantasmes ne demeurent pas dans la pensée, et l’individu décide de concrétiser ses fantasmes en les écrivant dans des textes ou des images numériques, et ce, pour l’emploi privé. Aucun passage à l’acte n’est envisagé par le contrevenant. Le chalutier se distingue des deux premiers par sa recherche active de matériel de pornographie juvénile. Il utilise sans craintes les différents serveurs qui s’offrent à lui. Le niveau d’exposition au risque est faible et la sécurité absente. Le collectionneur non sécuritaire, quatrième type, recherche du matériel de pornographie juvénile. Il favorise les réseaux poste-à-poste pour ses échanges. Il échange du matériel avec différentes sources disponibles sur Internet et dans les groupes de discussions (Krone, 2005). Comparativement au chalutier, le niveau de sécurité est plus élevé : mots de passe et encryptage peuvent être utilisés. Le cinquième type, le collectionneur sécuritaire diffère du non sécuritaire puisqu’il recherche et échange le matériel à travers des réseaux sécurisés. Il acquiert du matériel dans le but de le collectionner. Le risque d’exposition et le niveau de sécurité sont élevés. Le sixième type de rôle est celui du groomer. Il s’agit d’un contrevenant qui initie et entretient un contact avec un ou plusieurs enfants sur Internet. Lorsque le lien de confiance est établi, celui-ci oriente ses actions vers l’atteinte de relations sexuelles réelles ou virtuelles avec l’enfant. Dans ces cas, la pornographie juvénile facilite l’agression sexuelle en faisant tomber les inhibitions de l’enfant. Les niveaux d’exposition au risque et de sécurité sont désormais variables, car ils impliquent un enfant. L’abuseur physique, comme son nom l’indique, agresse sexuellement des enfants qu’il a rencontrés sur Internet. L’abuseur appartenant à ce septième type de rôle conserve du matériel pornographique pour sa collection personnelle. Il n’envisage pas de distribuer son matériel à d’autres amateurs. Le niveau d’exposition, la sécurité et la nature de l’agression sont sensiblement les mêmes que pour le groomer. La distinction entre l’abuseur physique et le producteur, le huitième type produit des images de l’agression sexuelle qu’il a commise sur un enfant. Enfin, le neuvième et dernier type de rôle, soit le distributeur, tire profit des agressions commises sur des enfants. Selon Krone (2005), il semble que les distributeurs ne soient parfois pas attirés sexuellement par les enfants. Il semble que la motivation première soit simplement pécuniaire. Enfin, la nature de l’agression se fait indirectement sur les enfants. L’étude de Krone (2005) a la particularité de présenter une progression de l’intérêt du contrevenant face à la consommation de pornographie infantile.

Certains chercheurs se sont intéressés au profil socioéconomique ainsi qu’à la carrière criminelle des consommateurs de pornographie juvénile. En 2004, une étude réalisée par Angela Carr s’intéressait aux facteurs sociodémographiques de ces consommateurs en Nouvelle-Zélande. L’échantillon est composé de 106 individus. Les hommes sont représentés en grande majorité (105/106). L’âge des individus varie de 14 à 67 ans, la moyenne étant de 30 ans. Les données démontrent que 16,9 % des sujets avaient des antécédents criminels, dont 11,3 % de nature sexuelle. Roy (2004) avait obtenu les mêmes niveaux d’antécédents criminels soit 13,5 % des sujets dans son étude de 37 utilisateurs de pornographies juvéniles.

Une autre étude a été réalisée auprès de 201 personnes arrêtées pour un crime de pornographie juvénile en Ontario (Seto et Eke, 2005). Une analyse de l’histoire de la carrière criminelle de ces individus a révélé que 56 % des sujets avaient des antécédents criminels, dont 24 %, de nature sexuelle et 15 %, de pornographie juvénile. De plus, les résultats suggèrent que les individus ayant des antécédents criminels avant l’événement de pornographie juvénile étaient significativement plus sujets à une récidive que les autres individus étudiés. Les études présentées ici permettent de constater qu’il existe des différences significatives dans le pourcentage des antécédents judiciaires des sujets. Les différences des méthodologies employées pourraient expliquer en partie l’écart observé entre les résultats.

Le lien entre pornographie juvénile et agression sexuelle

Est-ce que la consommation du matériel pornographique juvénile a un lien avec l’agression sexuelle ? Telle est la question à laquelle certains auteurs ont tenté de répondre. Marshall, Barbaree et Christophe (1986) ont effectué une étude à ce sujet. Ils ont dû exclure de leur étude un pédophile sur cinq, car ces participants n’étaient pas suffisamment excités par les stimuli présentés durant l’évaluation phallométrique. Toutefois, cela peut résulter d’un problème de méthodologie, soit le contrôle de l’excitation des sujets ainsi que de l’inhibition. Il est aussi possible de croire que les agresseurs sexuels d’enfants ne soient pas tous excités sexuellement par la pornographie juvénile (Rettinger, 2000). D’ailleurs, Langevin et ses collaborateurs (1988) ont, eux aussi, constaté que, dans un échantillon de 200 délinquants sexuels et un groupe témoin composé de 150 individus, la consommation de pornographie n’apparaissait pas comme un facteur déterminant dans le passage à l’acte d’agression sexuelle. En 1995, Howitt a réalisé une étude comprenant 11 pédophiles en évaluation ou en traitement. Deux individus ont affirmé faire usage de matériel de pornographie juvénile vendu dans les commerces. Les hommes interrogés ont concrétisé leurs fantasmes déviants en agressant des enfants. La majorité de ces hommes n’avaient donc pas besoin de matériel de pornographie juvénile pour accentuer leur excitation puisqu’ils pouvaient fantasmer sur des expériences vécues (Rettinger, 2000). En effet, Kelly (1992) affirme que l’agression sexuelle n’est pas causée par la pornographie juvénile. La pornographie est plutôt l’enregistrement d’un acte sexuel qui a pris place dans le passé (Itzin, 1992 ; Oswell, 2004).

Au Québec, Proulx et ses collaborateurs (1999) ont effectué une recherche portant sur 44 hommes incarcérés dans un pénitencier qui avaient commis une agression sexuelle extrafamiliale contre un enfant. Les auteurs ont conclu que, quelques heures avant le passage à l’acte, 25 % des sujets masculins interrogés avaient fait usage de matériel de pornographie juvénile. Parmi ceux qui avaient consommé du matériel de pornographie juvénile (25 %), l’infraction était souvent planifiée et des fantasmes sexuels déviants étaient présents. Selon Wyre (1992), il existe un lien causal direct entre la pornographie et les abus sexuels ; la pornographie prédispose certains individus à commettre ce genre d’infraction sexuelle. En effet, la pornographie constituerait pour certains hommes l’unique facteur ayant créé une prédisposition à l’agression sexuelle. Dans un même ordre d’idées, l’étude réalisée par Proulx et ses collègues (1999) en arrivait à la conclusion que 38 % des agresseurs qui abusent des garçons ne faisant pas partie de leur famille consommaient du matériel pornographique avant de commettre leur délit.

Malgré la difficulté qui subsiste à établir un lien entre la pornographie juvénile et l’agression sexuelle, certains auteurs se sont intéressés aux effets associés à la consommation de matériel de pornographie juvénile. Selon Wyre (1992), la consommation de pornographie adulte et juvénile par les hommes détermine leur vision des femmes et des filles et leur fournit également des idées qu’ils pourront réaliser plus tard. L’orgasme qui suit cette consommation rend également légitime la pensée déviante et renforce les idées et le comportement, les rendant alors plus acceptables. De plus, Wyre (1992) affirme que les fantasmes sexuels créent une prédisposition à commettre l’acte fantasmé. La pornographie contribue à soutenir des erreurs de pensées concernant les femmes et leurs désirs sexuels.

Données et méthodologie

Cette étude est basée sur l’analyse des données policières de tous les individus mis en accusation pour pornographie juvénile entre 1998 et 2004 au Québec. Les dossiers qui font ici l’objet d’une analyse sont ceux ayant suivi une intervention policière qui peut avoir été initiée de deux façons. Dans certains cas, les policiers interviennent pour une infraction non reliée à la pornographie juvénile, et découvrent, lors d’une perquisition, du matériel compromettant. À l’inverse, il arrive que les policiers réagissent à une plainte reliée à la pornographie juvénile et, lors de la perquisition, découvrent que le suspect trempait aussi dans d’autres types d’activités criminelles.

Ainsi, les informations provenant de 170 rapports d’événements ont été colligées dans une banque de données. Essentiellement, les informations comprennent un sommaire des éléments entourant l’infraction constatée. Seuls les dossiers ayant atteint la phase de la mise en accusation ont été choisis, notamment parce que cela garantit que les informations essentielles sont toutes présentes au dossier : âge, ville, occupation, etc. Les dossiers ayant mené à une mise en accusation ont aussi la particularité d’appartenir à des contrevenants ayant outrepassé les barrières techniques comme l’utilisation de serveurs proxy, le camouflage d’adresses IP, l’encryptage, etc. Des données provenant de diverses sources ont été ajoutées, comme celles concernant les antécédents criminels du ou des suspects. À ce chapitre, on définit les antécédents comme le fait d’avoir été reconnu coupable, avant l’événement de pornographie juvénile, d’au moins un chef d’accusation. L’échantillon ainsi réalisé comporte 199 sujets[2].

Afin d’obtenir des profils d’individus, une analyse taxinomique a été effectuée en incluant les différentes variables sociodémographiques et les variables relatives à la carrière criminelle. Cette méthode permet de proposer une typologie des personnes accusées de crimes relatifs à la pornographie juvénile. Cette typologie est de nature à permettre une intervention différentielle aux enquêteurs en fonction des types créés. Les variables qui ont été utilisées sont l’âge du sujet au moment de l’infraction, le nombre de chefs d’accusation en matière d’agression sexuelle, le nombre total de chefs d’accusation dont il a été reconnu coupable par le passé, si l’individu a déjà été impliqué dans un événement de pornographie juvénile ou d’agression sexuelle (oui ou non) et le fait d’être étudiant (oui ou non).

Notons aussi que les trois types conçus par l’analyse taxinomique ont été confirmés par les enquêteurs de la Sûreté du Québec à la suite de rencontres semi directives (focus group) qui ont été organisées. Les types construits par nos analyses correspondent tant à une composition théorique que celle perçue par les enquêteurs dans le cadre de leurs fonctions. Au cours de ces séances, six enquêteurs spécialisés en cybersurveillance de la Sûreté du Québec ont été rencontrés. Ces discussions ont permis de développer un certain nombre d’histoires de cas pour chacun des types de l’étude. Les commentaires des enquêteurs ont aussi facilité la compréhension des résultats empiriques de l’étude.

Résultats

L’échantillon de 199 sujets est composé à 96,5 % d’hommes (192) et 3,5 % de femmes (7). Un examen des différents dossiers a révélé qu’il y avait seulement un dossier où une femme était la seule personne impliquée dans l’événement. Les autres femmes étaient impliquées conjointement avec un ou plusieurs hommes. Les femmes ont été exclues des analyses par souci d’uniformité et de simplicité pour les étapes de classification des données, mais aussi parce que le phénomène de la pornographie juvénile chez les femmes apparaît comme un phénomène distinct qui dépasse les limites de cette recherche.

L’âge moyen des sujets de l’échantillon est de 35 ans. Comme l’avait souligné Roy (2004), les résultats montrent une bonne représentation chez les jeunes, soit 38,2 % des sujets ayant moins de 29 ans. On observe que l’échantillon québécois se distingue d’un échantillon équivalent états-unien. Ainsi, Wolak et ses collègues (2005) ont observé que le groupe des moins de 18 ans était de 3 %, celui des 18-25 ans, de 11 % ; celui des 26-39 ans, de 41 % et celui des 40 ans et plus, de 45 %. Les suspects québécois sont donc plus jeunes que les sujets états-uniens. On pourrait se demander si la sexualisation précoce des Québécois et l’informatisation élevée des foyers québécois peuvent expliquer une partie de ces différences (Environics Research Group, 2001 ; Lacroix, 2002 ; Réseau Éducation-Médias, 2003).

Pour ce qui est de l’origine ethnique des individus de l’étude, la plupart des sujets sont Blancs (95 %). Ce résultat est congruent à d’autres études (Wolak et al., 2005). La langue d’usage prédominante des sujets est le français (91 %). En ce qui concerne le statut professionnel, on observe que 20 % des sujets étaient sans emploi alors que 61 % avaient un emploi et 20 % étaient aux études. Ces données abondent dans le même sens que les résultats des études de Wolak et ses collaborateurs (2005) et Roy (2004).

Par ailleurs, l’analyse a révélé que les crimes observés simultanément à l’événement de pornographie juvénile sont nombreux et méritent une attention particulière. D’abord, les crimes les plus fréquemment constatés sont d’ordre sexuel (29). On retrouve 12 cas d’autres infractions de nature sexuelle (exhibitionnisme, grossière indécence, etc.), 12 cas d’agressions sexuelles, 2 cas d’actions indécentes, 2 cas d’actes contraires aux bonnes moeurs et 1 cas de leurre d’enfants. Ensuite, on observe 16 événements avec présence de stupéfiants. Pour ce qui est des autres crimes recensés, on note 5 crimes pour avoir proféré des menaces, 5 de fraude, 3 de harcèlement criminel et 1 cas de recel et de proxénétisme. Dans une perspective d’intervention policière, ces observations soulèvent l’idée que la pornographie juvénile peut faire découvrir d’autres délits et inversement.

Un autre aspect qui peut être soulevé concerne les antécédents judiciaires des sujets. Les antécédents de nature sexuelle ont été distingués des autres types d’antécédents judiciaires. Étonnamment, près de 65 % des sujets de l’échantillon n’avaient, au moment de l’arrestation, aucun antécédent criminel. Par ailleurs, si certains auteurs ont émis l’hypothèse qu’il y avait un lien entre la pornographie juvénile et les agressions sexuelles, l’une des façons de s’approcher de la réponse est de vérifier si les personnes impliquées dans un crime de pornographie juvénile ont des antécédents de nature sexuelle. Or on remarque que 10,4 % des individus ont des antécédents de nature sexuelle. C’est à la fois peu et beaucoup. Ainsi, seule une minorité des sujets de notre étude ont des antécédents de nature sexuelle, ce qui indique que la majorité ne passerait pas à l’acte. Toutefois, la prévalence des antécédents de nature sexuelle des sujets est beaucoup plus élevée que celle qui caractériserait la population en général ; les personnes accusées d’un crime de pornographie juvénile sont donc globalement plus à risque que la population en général d’avoir des comportements de violence sexuelle.

Profils exploratoires et histoire criminelle

Les techniques d’analyse taxinomique semblaient toutes indiquées pour créer une typologie des suspects de possession ou de distribution de pornographie juvénile. Plusieurs travaux sur les délinquants sexuels ont utilisé des techniques similaires (Proulx et al., 1999 ; Beauregard, 1999). Ainsi, seulement les variables statistiquement significatives ont été utilisées afin d’obtenir des groupes distincts. Le tableau 1 présente les résultats des analyses.

Tableau 1

Analyse taxonomique des sujets de l’étude (N=192)

Analyse taxonomique des sujets de l’étude (N=192)

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L’analyse taxinomique effectuée (cluster analysis) a regroupé les sujets en trois types relativement distincts. D’après les caractéristiques de ces types, nous les avons nommés l’explorateur, le pervers et le polymorphe. Les deux premiers types sont relativement nombreux alors que le troisième groupe ne représente que 8 sujets. Ce dernier groupe est particulièrement important puisque ses membres sont responsables d’un grand nombre de délits et d’agressions sexuelles. De plus, si une intervention différentielle devait être effectuée par les policiers, les polymorphes devraient mériter une attention particulière.

Les trois types créés aux fins de l’étude seront présentés succinctement en prenant soin d’énoncer les résultats des analyses statistiques du tableau 1, mais également en illustrant à l’aide d’histoires de cas, décrites par les enquêteurs et validées par les dossiers d’enquête.

L’explorateur

Les résultats de l’analyse statistique démontrent que le premier groupe est constitué de sujets relativement jeunes (moyenne 24,1 ans). L’explorateur se distingue par une histoire délinquante peu abondante (en moyenne, 0,10 chef d’agression sexuelle et un chef d’accusation antérieur). Notons aussi que tous les étudiants de l’échantillon se retrouvent dans ce type. Afin d’illustrer un peu les résultats, reprenons l’histoire de Ludovic[3].

À la suite de son arrestation, Ludovic, 20 ans, sans aucun antécédent criminel, explique qu’il voulait juste voir « ce que c’était ». L’enquête plus approfondie du disque dur saisi démontrera que le suspect avait 10 000 fichiers photos et audiovisuels de pornographie juvénile. Il utilisait un file-serve pour amasser des contenus de pornographie juvénile.

L’explorateur semble être le type le plus orienté vers la collection à grande échelle. Ainsi, avec Internet, les utilisateurs ont maintenant un arsenal de moyens techniques pour amasser des quantités considérables de contenus. Qui plus est, il est possible d’amasser une collection simplement en laissant opérer un logiciel qui s’occupera de gérer les échanges. C’est ce qu’on appelle un F-serve ou file-server (serveur de fichiers) et qui agit sensiblement de la même façon qu’un serveur FTP[4].

Le pervers

Le deuxième type est un groupe de suspects beaucoup plus âgés, 49,2 ans. Il a légèrement plus d’antécédents que le premier type, mais beaucoup moins que le troisième. On remarque que ce type pourrait être comparé un peu à l’homme moyen, mais qui a un intérêt marqué pour les images et vidéos sexualisés impliquant des enfants et des adolescents. Les enquêteurs ont remarqué une particularité pour ce groupe. Bien que les données ne puissent le démontrer empiriquement, on distingue un continuum dans le niveau d’implication dans les communautés virtuelles. Ainsi, on peut distinguer deux sous-types à la lumière des observations des policiers : le pervers solitaire et le pervers organisé.

D’un côté, le pervers solitaire s’est procuré du matériel sur des sites commerciaux ou encore a répondu spontanément à une offre de contenu sur Internet. Ce dernier n’hésite pas à donner son numéro de carte de crédit et ses informations personnelles. Contrairement à l’explorateur qu’on présume posséder moins de ressources financières, il peut se payer ce type de contenu. Martin en est un bon exemple :

Le suspect Martin est entré en relation avec Richard par l’entremise de son service de messagerie électronique. Les deux suspects ont discuté des différents types de vidéos présentant de la pornographie juvénile et des systèmes d’exploitation permettant leur fonctionnement. Quelques semaines plus tard, Richard a effectué une commande de vidéos présentant de la pornographie juvénile et a transféré, par argent électronique, 320 $ à Martin. Dans sa déclaration aux policiers, Richard affirme : « Je voulais avoir ça pour ma curiosité personnelle, mais je peux dire aussi que ça m’excite, car lorsque je vois ce genre de vidéo ... je joue avec mon corps ».

De l’autre côté, il y a le pervers organisé qui se caractérise par une forte présence virtuelle. Il bénéficie, entre autres, des conseils et des techniques suggérés par les autres membres des communautés virtuelles. Plus important encore, il est impliqué dans les échanges de contenu entre membres. C’est de cette façon qu’il obtient de la pornographie juvénile. C’est le cas de Stéphane 39 ans.

Le suspect, Stéphane, est un administrateur du babillard électronique Les pornographes masqués. Ces babillards servent de lieu de rencontre pour consulter du matériel de pornographie juvénile. Lorsqu’un membre du groupe a été arrêté, la police a retrouvé de la pornographie juvénile dans son ordinateur et un répertoire contenant plus d’une cinquantaine de courriels des différents membres du groupe. C’est à l’aide de ces courriels que les policiers ont pu retracer Stéphane. Les usagers composant ce réseau sont reconnus pour utiliser des programmes informatiques très sophistiqués afin d’opérer efficacement dans l’envoi de photographies présentant de la pornographie juvénile. Le groupe est donc réputé pour faire de la production et de la distribution de pornographie juvénile aux niveaux national et international. Le rôle de Stéphane est de poster du nouveau matériel et du matériel trouvé sur Internet pour le redistribuer aux autres membres.

On peut donc constater que les deux exemples, bien qu’appartenant au même type, sont très différents en ce qui concerne les niveaux d’implication dans les communautés virtuelles. Par ailleurs, il est très difficile d’établir, comme dans le cas de Stéphane, s’il y a eu agression sexuelle. C’est d’ailleurs une très grande source de frustration pour les enquêteurs. Comme le souligne un de ceux-ci, il est difficile d’établir clairement sur les bases de la preuve informatique s’il y a eu abus ou agression sexuelle et si l’individu est membre d’un vaste groupe. L’histoire de Stéphane serait plus près du portrait du consommateur de pornographie juvénile que Taylor (1999) nous dépeint. Selon les enquêteurs, il y a lieu de noter que tous ne font pas partie de réseaux aussi évolués et aussi bien organisés.

Le polymorphe

Le troisième groupe, composé d’un petit nombre de sujets, se distingue nettement des autres types. Le groupe a en moyenne 42,8 ans. L’histoire criminelle des sujets se distingue par une moyenne de 3 chefs d’accusations antérieurs d’agression sexuelle et plus de 17 chefs d’accusations variés. En outre, c’est le groupe où l’on retrouve le plus d’antécédents d’agression sexuelle ou de pornographie juvénile (50 %). Ces individus constituent un groupe important pour les autorités policières dans la mesure où ils représentent une menace plus grande. Voici un cas type :

Chris, 41 ans s’est fait arrêter pour attouchements sexuels sur la fille de sa nouvelle conjointe. Lors de l’arrestation, les policiers ont saisi tout le matériel informatique : des disques durs, des CD-ROM, des disquettes remplies de pornographie juvénile. Après avoir analysé différentes images, les policiers ont découvert du contenu inédit qui semblait avoir été pris avec la même caméra numérique que Chris utilisait pour faire des photos de famille. Ce n’est pas la première fois qu’il a des démêlés avec la justice : il avait reçu plusieurs sentences antérieures concernant des délits de fraude, de supposition de personne, de grossière indécence et de bris de probation. Il affirme que c’est la jeune fille qui a inventé toute l’histoire même si des photos d’elle, nue, se trouvent sur son ordinateur. Aussi, les enquêteurs, après une enquête de faits, ont pu établir qu’on a retrouvé dans les fichiers de Chris une photo d’une jeune voisine de sept ans à qui il affirme avoir donné des cours d’Internet.

Bien que peu nombreux, les individus de ce groupe sont responsables d’un grand nombre de crimes. Il importe donc d’approfondir nos connaissances sur leurs agissements de manière à mieux pouvoir les détecter. En effet, les enquêteurs affirment que ce type de suspect est plutôt rare, mais qu’il est le plus important dans la mesure où plusieurs victimes sont impliquées dans ce genre de dossier. Malheureusement, certaines données, qui étaient manquantes au moment de l’étude, auraient pu nous éclairer davantage sur ce dernier type. Pour ces sujets, il semble que la pornographie juvénile ne soit pas un mode préférentiel de criminalité, mais qu’elle fasse plutôt partie d’un style de vie criminel. Ce style combinant du même coup l’agression sexuelle et plusieurs autres types de crime.

Discussion

L’utilisation de données policières à des fins de recherche comporte certains risques. Ainsi, il apparaît évident qu’un biais de sélection, inhérent au travail policier, est présent. La plupart des sujets arrêtés sont probablement moins habiles dans l’utilisation des nouvelles technologies que les nombreux autres consommateurs. Ainsi, notre étude porte sur les personnes arrêtées et il est alors impossible de généraliser nos résultats à l’ensemble de la population des consommateurs de pornographie juvénile. Il est tout ainsi impossible de poser un diagnostic clinique sur la nature de la pédophilie présente chez les individus étudiés.

Nous avons d’abord présenté un bilan de la littérature sur les caractéristiques des consommateurs de pornographie juvénile, sur la relation entre la collection et le pornographe, sur le lien entre la pornographie juvénile et la perpétration de délits de nature sexuelle. C’est ainsi qu’il a été nécessaire de mettre en lumière la confusion qui apparaît dans la littérature quant à l’utilisation des termes tels que consommateurs de pornographie juvénile, pédophiles et agresseurs sexuels d’enfants. Cette confusion est attribuable au fait que la littérature sur le sujet se distingue par l’utilisation de deux types d’échantillons. Lorsqu’une étude porte sur un échantillon de personnes condamnées pour agression sexuelle, on trouve un fort lien entre l’utilisation de matériel pornographique et les actes d’agression sexuelle. Or, ici, il était question de personnes arrêtées pour un crime de pornographie juvénile, qui ont relativement peu d’infractions d’agression sexuelle à leur dossier. Il ressort de nos analyses que, parmi les consommateurs de pornographie juvénile, seul un petit nombre de personnes commettent des agressions sexuelles, mais que ces derniers semblent être relativement actifs et font plusieurs victimes. Dans une perspective longitudinale, il serait intéressant de voir si les sujets arrêtés pour un crime de possession ou distribution de matériel de pornographie juvénile feront face dans le futur à d’autres accusations en la matière ou s’ils passeront à l’acte avec agression sexuelle.

L’objectif principal de cette étude consistait à présenter une analyse des personnes mises en cause dans un événement de pornographie juvénile au Québec. Pour ce faire, l’analyse de données policières de tous les individus mis en accusation pour des événements de pornographie juvénile de 1998 à 2004 a été effectuée. Une analyse taxinomique a été effectuée et trois types de sujets sont apparus, l’explorateur, le pervers et le polymorphe. L’archétype de l’explorateur est un jeune étudiant qui amasse des milliers d’images et vidéos en se servant d’une variété de technologies. Il a peu d’autres activités criminelles. Il correspond au collectionneur échangiste de Klain et ses collègues (2001) et au chalutier ou navigateur de Krone (2005). Le second type est qualifié de pervers puisqu’il est relativement vieux, moins habile avec la technologie, mais qui n’hésite pas à payer pour obtenir du contenu. Certains sont plutôt solitaires ou isolés, alors que d’autres socialisent dans des cercles pédophiliques sur Internet. Le pervers ressemble au collectionneur résidentiel de Klain et ses collaborateurs (2001). Il a aussi relativement peu d’antécédents. Le troisième type, le polymorphe, ne représente qu’un petit pourcentage de l’ensemble des sujets, mais est particulièrement actif. Il a souvent des antécédents de nature sexuelle, mais aussi plusieurs condamnations à son actif pour des crimes variés. Bien que la plupart des typologies nous parlent d’individus oeuvrant dans le domaine à des fins lucratives, les enquêteurs nous ont affirmé que tous les sujets ayant été arrêtés par leur unité le faisaient à des fins personnelles. Il semble donc probable que les plus grands joueurs dans cette industrie comme dans d’autres sphères d’activités criminelles échappent aux filets du système pénal.