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Introduction

La majorité des crimes commis par des femmes se caractérise par des délits de nature économique ou commerciale. En 2008-2009, ce sont la fraude (31 %) et le vol (30 %) qui représentaient les infractions le plus souvent commises par les femmes au Canada (Statistique Canada, 2011). Même si la criminalité féminine enregistrée par les services de police a augmenté depuis deux décennies, la majorité des infractions ne sont pas de nature violente, mais sont plus souvent des crimes contre les biens (Société Elizabeth Fry du Québec, 2011).

Des mesures d’intervention de rechange peuvent être offertes aux contrevenantes comme solutions de rechange au processus pénal. Depuis 1988, le programme « Entraide Vol à l’Étalage » (E.V.E.) de la Société Elizabeth Fry du Québec[1] offre ce type de solution. En effet, ce programme présentenciel permet à des femmes accusées de vol à l’étalage ou d’autres délits à caractère économique de s’impliquer dans une mesure thérapeutique, éducative et préventive. Par ses deux volets d’intervention, le programme E.V.E. permet une approche spécifique tant dans les cas de premières infractions que chez les récidivistes.

Cet article présente les résultats d’une évaluation du programme E.V.E. Après une brève discussion de la théorie sous-jacente à cette approche et une courte description du programme, nous présentons la méthodologie et les résultats de cette recherche. L’article se termine avec une discussion.

Féminisation de la pauvreté

Il est difficile d’établir un profil type, mais la majorité des femmes qui commettent des vols à l’étalage le font parce qu’elles éprouvent des difficultés personnelles à diverses étapes de leur vie. En fait, il semble que la pauvreté demeure la cause principale de la criminalité féminine et la « féminisation de la pauvreté » entraîne une augmentation de la criminalité de type acquisitif (Steffensmeier, 1993 ; Heimer, 2000 ; Holtfreter et al., 2004 ; Société Elizabeth Fry du Québec, 2011). De plus, les crimes à caractère économique peuvent être considérés comme une réponse rationnelle des femmes à leur pauvreté et leur insécurité économique (Steffensmeier et Streifel, 1992). La recherche démontre que des taux élevés de divorce, la monoparentalité des femmes, et d’autres indicateurs d’un faible statut socioéconomique des femmes sont liés à l’augmentation de certains types de délits, dont le vol à l’étalage (Steffensmeier, 1993 ; Holtfreter et al., 2004). Concernant la récidive, il semble que le niveau de pauvreté augmente de près de 5 fois le risque d’une nouvelle arrestation chez les contrevenantes (Holtfreter et al., 2004).

L’intervention spécifique pour les femmes

Une partie de la littérature portant sur les programmes de réhabilitation offerts aux femmes contrevenantes soulève le débat existant sur l’importance de mettre en place des services qui soient construits spécifiquement en réponse à la délinquance féminine (Worrall, 2003 ; Holtfreter et al., 2004 ; Trotter et al., 2012). De plus, des auteurs critiquent le fait que les outils utilisés pour évaluer les femmes dans leur délinquance sont souvent calqués sur les modèles masculins (Shaw et Hannah-Moffat, 2004 ; Hollin et Palmer, 2006 ; Blanchette et Brown, 2006).

En ce sens, des auteurs ont démontré que l’efficacité des services offerts aux contrevenants se mesure différemment chez les femmes que chez les hommes (Trotter et al., 2012). Par exemple, les femmes sont moins enclines à changer par la confrontation que les hommes (Trotter et al., 2012). Une approche reconnaissant le contexte structurel de la délinquance féminine, tout en faisant la promotion de l’empowerment est aussi plus efficace pour la clientèle féminine (Trotter et al., 2012). La relation positive entre l’intervenant et la cliente, la vision optimiste permettant d’entrevoir le changement et l’approche holistique sont des aspects priorisés dans la création de programmes répondant spécifiquement aux besoins des femmes (Hedderman et al., 2008 ; Buell et al., 2011 ; Trotter et al., 2012).

Les programmes communautaires accrédités permettant de répondre aux besoins des femmes doivent cibler les facteurs de risque, utiliser une approche efficace, en plus d’inclure un suivi et une évaluation de la personne (Worrall, 2003). Toutefois, ces programmes sont souvent basés sur un modèle masculin, où les notions de risque et de besoin sont confondues (Hannah-Moffat, 2010 ; Trotter et al., 2012). Il semble alors que ces modèles échouent à mettre en contexte la délinquance féminine et supposent que les femmes font le choix rationnel de la délinquance, alors que leur réalité socioéconomique leur permet une emprise plus limitée sur leurs choix de vie (Worrall, 2003). Ainsi, une attention particulière doit être portée à la vulnérabilité des femmes en contexte de monoparentalité, de divorce, d’exclusion et de pauvreté.

L’intervention spécifique pour le vol à l’étalage

À ce sujet, la littérature se fait rare. Toutefois, une étude de Royse et Buck (1991) rend compte de l’évaluation d’un programme dédié aux personnes arrêtées pour une première infraction de vol à l’étalage. Sous forme de séances de groupe à caractère psychoéducatif, ce programme cible ses objectifs dans la prise de conscience, chez les participants, des conséquences de leur geste délictuel et de l’aspect émotionnel lié à ce comportement. Le programme cherche aussi à mettre en place des moyens de contrôle et des alternatives comportementales. Enfin, les participants sont encouragés à se responsabiliser à l’égard de leur délit.

Ultimement, l’évaluation de ce programme démontre qu’il permet la diminution de la récidive. De plus, les auteurs soutiennent que l’environnement non menaçant au sein duquel les participants apprennent à prendre contact avec leurs émotions et à reconnaître leurs pensées irrationnelles est une clé de la réussite du programme (Royse et Buck, 1991).

Très peu d’écrits existent sur l’évaluation de programmes répondant spécifiquement à la problématique du vol à l’étalage. Ces écrits se font encore plus rares lorsque la problématique s’adresse à une clientèle strictement féminine. En ce sens, nous considérons l’évaluation du programme E.V.E. comme un atout important à la crédibilité des organismes communautaires intéressés à la prise en charge des personnes contrevenantes au Québec.

Le programme E.V.E.

Le programme E.V.E. de la Société Elizabeth Fry du Québec existe depuis 1988. À son origine, les fondatrices se sont inspirées d’un programme semblable intitulé « Stop Shoplifters[2] » offert à Calgary et à Toronto par les Sociétés Elizabeth Fry de ces deux villes. Ce programme existe donc au Canada anglais depuis environ trente ans.

Au fil des ans, le programme E.V.E. a élargi son champ d’intervention et peut aujourd’hui offrir des services aux femmes accusées de vol à l’étalage ou d’autres délits à caractère économique tels que le vol d’employeur (ou vol interne), la fraude par carte de crédit, les chèques sans provision, le changement de prix, le complot, etc. Le programme E.V.E. offre des services de « counselling » à caractère éducatif, préventif et thérapeutique. L’approche de groupe est le moyen d’intervention privilégié auprès de la clientèle, après qu’une ou des rencontres individuelles d’évaluation ont eu lieu.

Le programme E.V.E. poursuit cinq objectifs :

  • offrir aux tribunaux une mesure spécifique pour les femmes accusées de délits à caractère économique tel que mentionné ci-dessus ;

  • être une solution de rechange à la sentence et, plus particulièrement, à l’incarcération pour les récidivistes ;

  • être une mesure de déjudiciarisation pour les cas de première infraction ;

  • responsabiliser les contrevenantes à l’égard de leur comportement ;

  • réduire la récidive du geste délictuel.

Au fil des années, les modalités d’intervention offertes par le programme E.V.E. se sont adaptées aux besoins et à la réalité de la clientèle, notamment en fonction du profil judiciaire des participantes. Ainsi, depuis 1998, le programme permet d’offrir des services à deux types de clientèle. D’une part, les femmes dont le délit commis représente une première infraction sont admissibles au volet court du programme, c’est-à-dire un programme de groupe de trois séances. D’autre part, le programme E.V.E. s’adresse aux femmes dont les délits à caractère économique représentent une problématique récurrente, surtout définie par la présence d’antécédents judiciaires. Ces femmes sont alors admissibles au programme long de dix séances. Pour chacun des volets du programme, les différentes sessions sont prévues en fonction des cinq objectifs décrits précédemment.

Plus précisément, l’approche psychosociale est préconisée par le programme et son intervention de groupe permet de favoriser l’échange, l’écoute et l’entraide entre les participantes. Le déroulement des séances comporte une période d’échanges, des exercices et des discussions autour de différents thèmes. Ainsi, le programme E.V.E. cible les causes du passage à l’acte en tenant compte des composantes psychologiques de la personne. En plus de favoriser une meilleure conscientisation de la problématique, de sa portée et du « choix » entourant le comportement délictuel, cette approche permet de déterminer des moyens de contrôle efficaces et personnalisés à mettre en place et d’arriver à mieux connaître les moments de vulnérabilité, et ce, dans le but de cesser le comportement délictuel et de prévenir la récidive. Aussi, le programme tente de favoriser, chez les participantes, une meilleure compréhension des conséquences sociales et économiques du vol à l’étalage, afin de prendre conscience de l’ampleur de cette problématique qui peut parfois sembler banale. Par ailleurs, l’intervention préconisée favorise le développement personnel et social des participantes en les aidant à porter un regard plus constructif sur elles-mêmes. À cet égard, le programme E.V.E. soutient que la prestation de ses services permet de contrer la pauvreté chez beaucoup de citoyennes (Société Elizabeth Fry du Québec, 2005). Aussi, en se présentant comme une mesure de déjudiciarisation, le programme E.V.E. favorise l’employabilité des femmes.

Les programmes court et long ont sensiblement les mêmes objectifs d’intervention. Toutefois, dans le programme long, le temps alloué et les exercices associés à chacune des compétences sont beaucoup plus exhaustifs. Par exemple, quatre séances complètes sont dédiées à l’arrêt d’agir et aux moyens de contrôle. Le programme long inclut également un volet complet sur l’estime de soi. Aussi, une session complète est dédiée à la connaissance des autres où les participantes apprennent à se connaître mutuellement afin de développer l’entraide et de favoriser des échanges constructifs.

En regard des objectifs du programme E.V.E., les questions de recherche qui émergent sont :

  • Les tribunaux utilisent-ils des mesures alternatives aux mesures judiciaires habituelles pour les délits mineurs tels que le vol ?

  • Les tribunaux utilisent-ils le programme E.V.E. comme une mesure de déjudiciarisation à l’incarcération dans les cas de premières infractions ?

  • Les tribunaux utilisent-ils le programme E.V.E. comme une mesure de rechange pour les récidivistes ?

  • La participation au programme E.V.E. favorise-t-elle une réduction de la récidive ?

Méthodologie

Plan

Afin d’évaluer l’efficacité du programme E.V.E., nous comparons deux groupes de femmes ayant suivi et réussi le programme E.V.E. avec deux autres groupes de femmes n’ayant pas suivi le programme, mais ayant commis des délits de même nature. Concrètement, la conception de la recherche est un post-test avec des groupes non équivalents. Idéalement, nous aurions créé des groupes équivalents assignés de façon aléatoire, mais le contexte de recherche nous a contraints à travailler de façon rétroactive. Ainsi, même si nous avons essayé de créer des groupes comparables, nous ne pouvons jamais exclure la possibilité que les groupes se distinguaient déjà avant l’intervention.

Procédure

Comme mentionné précédemment, le programme E.V.E. cible deux groupes de femmes distincts : les récidivistes et les cas de premières infractions. Pour étudier les effets du programme, nous avons créé deux groupes de comparaison. Ainsi, nous avons quatre groupes pour cette recherche :

  1. Premières infractions – E.V.E. ;

  2. Premières infractions – groupe témoin ;

  3. Récidivistes – E.V.E. ;

  4. Récidivistes – groupe témoin.

Les groupes E.V.E.

Le groupe E.V.E. « premières infractions » s’est construit à partir des données statistiques fournies par le programme E.V.E. En nous basant sur les données de l’année 2008-2009, nous avons créé un groupe de 49 femmes ayant complété le programme court pour une première infraction. Concrètement, pour ce groupe, nous avons compilé le nombre de femmes ayant complété le programme E.V.E. court au cours de l’année ciblée, pour arriver à un total de 147 femmes. Finalement, nous avons sélectionné aléatoirement un dossier sur trois pour former un sous-groupe de 49 femmes.

Pour la création du groupe E.V.E. « récidivistes », nous avons ciblé des femmes ayant complété le programme long entre 2006 et 2010 et ayant plus de quatre antécédents à leur dossier lors de leur passage au programme. Pour ce groupe, nous avons dû reculer jusqu’en 2006 afin d’être en mesure d’obtenir un nombre satisfaisant de femmes ayant au moins quatre antécédents à leur dossier. En incluant le critère d’au moins quatre antécédents judiciaires, nous voulions faire une distinction marquée entre les groupes « premières infractions » et les groupes « récidivistes ». Ainsi, les femmes ayant deux ou trois antécédents judiciaires à leur dossier n’ont pas fait partie de l’échantillon à l’étude.

Aussi, le nombre d’antécédents est déterminé en fonction du nombre de délits commis avant leur passage au programme. Cette information se retrouve sur la feuille statistique de chaque participante. Pour le groupe E.V.E. « récidivistes », 49 femmes correspondaient au profil recherché.

Les groupes témoins

En formant les groupes témoins, nous avons dû utiliser des données répertoriées par le programme E.V.E. sur des femmes qui ont été associées au programme, mais qui, pour diverses raisons, ne l’ont jamais entamé. Ces raisons sont multiples : barrière linguistique, problèmes de transport, absence de motivation, sentence prononcée avant le début du programme, problématique de violence ou de toxicomanie plus importante à prendre en charge. À l’origine, nous avons voulu sélectionner des dossiers de façon aléatoire à partir des données des tribunaux, mais nous n’avons pas pu procéder ainsi étant donné les limites du système d’information de la Cour municipale de Montréal et du Palais de justice de Montréal. Entre autres, il n’a pas été possible d’utiliser leurs données puisque la configuration des systèmes informatiques en place ne permet pas d’isoler les dossiers de femmes de ceux des hommes lors de la recherche.

Ainsi, nous croyons que ces femmes qui ont été refusées ou qui se sont désistées du programme peuvent constituer un groupe de comparaison intéressant puisque nous savons que la référence au programme E.V.E. n’a pas donné suite à une participation et que, de ce fait, le programme E.V.E., en tant que programme présentenciel, n’a pu influencer ni la décision des tribunaux à la sentence ni la récidive. De plus, selon les intervenants du programme, les raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas suivi le programme sont très diverses ; elles varient du manque de temps dans le processus pénal pour donner suite à la demande initiale de participation au programme jusqu’à l’impossibilité pour la participante de se déplacer à l’endroit où se déroulent les séances de groupe. Ainsi, le groupe témoin ne comprend pas uniquement des femmes qui ne sont pas motivées à participer.

Le groupe témoin « premières infractions » a donc été formé à partir des informations répertoriées par la Société Elizabeth Fry au sujet de femmes ayant été refusées ou s’étant désistées du programme court, ce qui nous a permis d’avoir accès aux noms, à la date de naissance, ainsi qu’à certaines données sociodémographiques sur les femmes de notre échantillon. À partir des données des années 2007-2008 et 2008-2009, nous avons pu créer une liste de 78 femmes. De ce nombre, nous avons sélectionné aléatoirement 47 femmes qui forment le troisième sous-groupe d’analyse de cette étude.

Pour le groupe témoin « récidivistes », nous avons procédé de la même façon. Ainsi, avec les données des années 2006 à 2010, nous avons pu créer un groupe de 44 femmes ayant au moins quatre antécédents à leur dossier pour des délits à caractère économique. Pour ce groupe, le nombre d’antécédents est déterminé en fonction du nombre de délits commis avant qu’il y ait eu une tentative de les référer au programme. Le nombre d’antécédents a également été confirmé lors de la consultation des dossiers judiciaires à la Cour municipale de Montréal et au Palais de justice de Montréal.

Variables stratégiques

Dans le cadre de cette recherche, en plus des variables sociodémographiques, différentes variables d’analyse ont été retenues : l’infraction commise, la sentence obtenue et la récidive.

Par rapport au délit commis, nous avons dû limiter l’analyse à un seul délit par femme de l’échantillon. Toutefois, dans les faits, chacune des femmes pouvait faire face à plusieurs chefs d’accusation. Ainsi, lorsque le dossier judiciaire d’une femme indiquait qu’elle pouvait faire face à plusieurs chefs d’accusation pour une même infraction, nous ne prenions en considération que l’accusation principale ou celle à laquelle la sentence était associée. Les données sur la sentence ont donc été retenues en fonction de cette cohérence.

Un des objectifs du programme vise la réduction de la récidive. Brièvement, la récidive fait référence à un nouveau délit commis par une contrevenante. Dans la problématique qui nous intéresse, la nouvelle récidive concerne les crimes condamnés par une cour pénale et commis à l’intérieur d’un an après la réussite du programme E.V.E. ou encore, pour les groupes témoins, à l’intérieur d’un an après le prononcé de la sentence pour l’infraction pour laquelle il y a eu une référence initiale, mais non aboutie, au programme E.V.E. De plus, pour les besoins de la présente recherche, ce sont les délits à caractère économique qui sont considérés comme récidive (c.-à-d. tous les types de vol, fraude, recel, chèque sans fond, faux chèque, etc.). Ainsi, avec la variable « récidive », nous avons analysé le nombre de femmes qui ont récidivé après avoir complété le programme et le nombre de femmes qui ont récidivé sans avoir pu bénéficier du programme ; c’est l’absence ou la présence de récidive à l’intérieur d’un an qui est mesurée.

Résultats

Description de l’échantillon

Avant de comparer les sous-groupes, il apparaît pertinent de donner le profil d’ensemble de l’échantillon de 189 femmes à l’étude. D’abord, comme le montre la figure 1, les femmes de l’échantillon sont relativement jeunes. Bien que leur âge moyen soit de 38 ans, le mode est de 20 ans. En regardant la courbe représentant l’âge des participantes, on note une nette surreprésentation des 19-21 ans au sein de l’échantillon.

Figure 1

Distribution de l’âge des femmes de l’échantillon

Distribution de l’âge des femmes de l’échantillon

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Pour ce qui est des groupes ethnoculturels les plus représentés dans notre échantillon, 53,4 % sont caucasiennes et 14,3 % sont d’origine africaine ou antillaise. La langue principalement parlée est le français, à 67,7 %, tandis que l’anglais est parlé comme langue principale à 26,5 %. De plus, 5,8 % des femmes présentent une barrière linguistique. En ce qui concerne le statut légal au Canada, les femmes sont à 78,3 % citoyennes canadiennes et 15,9 % d’entre elles ont un statut de résidente permanente.

En s’attardant au dernier niveau de scolarité complété, on remarque que 11,1 % des femmes de l’échantillon ont un diplôme universitaire et que 35,4 % n’ont pas complété leur diplôme d’études secondaires. Aussi, 52,4 % des femmes sont célibataires, 26,5 % sont mariées ou unies civilement, tandis que 19,6 % sont divorcées ou séparées de leur conjoint. De plus, 39,2 % des femmes de notre échantillon n’ont pas d’enfants, 17,5 % en ont un et 23,8 % ont deux enfants. Elles ont en moyenne 1,3 enfant. Pour ce qui est des sources principales de revenus, 32,3 % des femmes ont un emploi à temps plein ou à temps partiel, tandis que 52,9 % reçoivent une forme d’aide gouvernementale. Enfin, 11,6 % des femmes de l’échantillon sont dépendantes financièrement de leur famille ou de leur conjoint.

L’analyse de l’échantillon nous montre aussi que 92,1 % des femmes de l’échantillon ont commis un vol (Code criminel, art. 334). Pour de nombreux cas, les chefs d’accusation de vol (Code criminel, art. 334) et de recel (Code criminel, art. 354-355) se trouvaient au dossier, mais au prononcé de la sentence, la seconde accusation tombait.

Comparabilité des groupes

Premières infractions

L’âge moyen des femmes ayant complété le programme E.V.E. pour une première infraction est de 29,7 ans et l’âge moyen des femmes n’ayant pas complété le programme E.V.E. après une première infraction est de 35,9 ans. Ainsi, on note que les femmes ayant fait partie du programme E.V.E. sont légèrement plus jeunes que les femmes du groupe témoin. Toutefois, puisque cette différence n’est pas statistiquement significative, les deux groupes sont comparables quant à leur âge (t = −2,47 ; p = 0,015). Enfin, le test de Levene est non significatif, indiquant que la variance entre les deux groupes est comparable.

Lorsque l’on s’attarde à la variable « nombre d’enfants », les femmes ayant complété le programme E.V.E. pour une première infraction ont en moyenne 0,7 enfant, en comparaison de 1,5 enfant chez les femmes n’ayant pas complété le programme E.V.E. Par contre, on note une différence statistiquement significative entre les moyennes de ces deux groupes, indiquant que les deux groupes ne sont pas comparables (t = −3,32 ; p = 0,001). Ici aussi, la variance entre les deux groupes est comparable.

Quant au dernier niveau de scolarité complété, on note que 53,1 % des femmes ayant réussi le programme court ont au maximum complété leur scolarité secondaire. Cette statistique est encore plus importante chez le groupe témoin des « premières infractions » où les études secondaires représentent le dernier niveau de scolarité chez 68,9 % des femmes. Par contre, cette différence entre les deux sous-groupes n’est pas statistiquement significative (p = 0,117).

Pour la variable « revenus », 49 % des femmes ayant complété le programme E.V.E. pour une première infraction sont dépendantes financièrement de l’aide gouvernementale ou de leur famille/conjoint, versus 63 % chez les femmes n’ayant pas complété le programme E.V.E. lors d’une première infraction. Encore ici, la différence entre les deux groupes n’est pas statistiquement significative (p = 0,168).

Récidivistes

L’âge moyen du groupe de femmes ayant complété le programme E.V.E. pour une problématique de récidive est de 47,4 ans, versus 41,5 ans chez les femmes du groupe témoin. La différence entre les deux groupes est significative (t = 2,75 ; p = 0,007), indiquant une différence d’âge marquée entre les deux groupes. Le test de Levene étant non significatif, l’hypothèse de variances égales est considérée.

Quant au nombre d’enfants, la différence entre les deux groupes ne semble pas si marquée puisque les femmes du groupe expérimental (E.V.E.) ont en moyenne 1,7 enfant, tandis que cette moyenne s’élève à 1,4 chez les femmes du groupe témoin. La différence entre les deux groupes est non significative (t = 1,03 ; p = 0,304). Ici encore, l’hypothèse de variances égales est considérée.

Sur le plan de la scolarité complétée, les résultats montrent que seulement 68,8 % des femmes ayant complété le programme long pour une problématique de délits à caractère économique récurrente ont au maximum complété leur diplôme d’études secondaires. Cette statistique s’élève à 76,2 % chez les femmes du groupe témoin. Encore ici, cette statistique n’est pas significative (p = 0,432).

En ce qui concerne la comparaison des deux groupes quant à leur revenu, les résultats indiquent que 75,5 % des femmes ayant complété le programme long ne sont pas autonomes financièrement, versus 83,7 % chez les femmes du groupe témoin. Cette différence entre les deux groupes n’est pas statistiquement significative (p = 0,332).

Il apparaît alors que, tant chez les cas de premières infractions que chez les récidivistes, les groupes expérimentaux et témoins peuvent être considérés comme comparables au point de vue de la scolarité et des sources principales de revenu. Toutefois, en ce qui concerne les variables « âge » et « nombre d’enfants », les groupes expérimentaux et témoins sont moins facilement comparables entre eux. Il sera important de prendre en considération cette distinction lors de nos analyses.

Les sentences obtenues

En offrant aux tribunaux une mesure spécifique pour les femmes accusées de délits à caractère économique, le programme E.V.E. se veut une solution de rechange à la sentence et plus particulièrement à l’incarcération pour les récidivistes. De plus, il a pour objectif d’offrir une mesure de déjudiciarisation pour les cas de première infraction. C’est notamment en regard de ces objectifs que nous avons cherché à évaluer l’efficacité du programme. Nous avons donc effectué une comparaison des sous-groupes en fonction de la sentence obtenue pour l’infraction à l’étude.

Premières infractions

Pour les femmes faisant partie de notre échantillon pour une première infraction, les sentences ont été divisées en fonction de l’évitement du casier judiciaire. Ainsi, les sentences « retrait/acquittement », « absolution inconditionnelle » et « absolution conditionnelle » ont été regroupées dans la catégorie « sentences permettant d’éviter un casier judiciaire ». Toutes les autres sentences ont été regroupées dans la catégorie « sentences menant à un casier judiciaire ». De cette façon, nous pouvons mieux interpréter la tendance à la déjudiciarisation lors du prononcé de la sentence.

Le tableau 2 montre que les femmes ayant complété le programme E.V.E. après une première infraction reçoivent à 98 %, c’est-à-dire quasi unanimement, une « sentence leur permettant d’éviter un casier judiciaire » : retrait, acquittement, absolution inconditionnelle ou absolution conditionnelle. Quant aux femmes n’ayant pas complété le programme E.V.E. après une première infraction, elles reçoivent à 63,8 % une « sentence leur permettant d’éviter un casier judiciaire ». La différence significative entre les groupes est confirmée par la valeur du p des tests du Khi2 (p < 0,001). La force d’association de 0,437 nous indique une association modérée entre la variable « groupe d’assignation » et « sentence obtenue après l’infraction ».

Tableau 2

Pourcentage de femmes ayant obtenu une sentence permettant d’éviter un casier judiciaire après une première infraction

Pourcentage de femmes ayant obtenu une sentence permettant d’éviter un casier judiciaire après une première infraction

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Récidivistes

Pour les femmes faisant partie de l’échantillon pour une problématique récurrente de délits à caractère économique, les sentences ont été divisées en fonction de l’incarcération. Ainsi, la sentence de prison compose une catégorie en elle-même et toutes les autres sentences ont été regroupées dans une seconde catégorie « sentences permettant d’éviter l’emprisonnement ».

En se référant au tableau 3, on remarque qu’en ce qui a trait aux sentences reçues par les femmes dont les délits à caractère économique représentent une problématique récurrente, il apparaît que 7 % des femmes ayant complété le programme long reçoivent une sentence d’emprisonnement à la suite de leur passage au programme E.V.E., versus 27,3 % des femmes n’ayant pas complété le programme pour une même problématique. La différence entre les groupes est statistiquement significative (p = 0,012), mais la force d’association entre les deux variables peut être qualifiée comme faible (Phi = 0,269).

Tableau 3

Pourcentage de femmes ayant obtenu une sentence d’emprisonnement pour une problématique récurrente de délits à caractère économique

Pourcentage de femmes ayant obtenu une sentence d’emprisonnement pour une problématique récurrente de délits à caractère économique

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La récidive

Le programme E.V.E. vise à réduire la récidive du geste délictuel. Il cible la conscientisation des femmes relativement à leur problème de vol à l’étalage et travaille sur l’arrêt d’agir. Ainsi, dans une optique d’évaluation d’efficacité du programme, nous avons jugé essentiel de mesurer si la participation au programme E.V.E. mène à une réduction de la récidive. Concrètement, nous avons analysé les nouvelles condamnations du tribunal pénal dans les douze mois suivant la participation au programme E.V.E. ou, pour les groupes témoins, dans les douze mois suivant le prononcé de la sentence pour l’infraction retenue par l’étude.

Premières infractions

Chez les femmes dont le délit retenu est une première infraction, le tableau 4 montre que 2 % des femmes ayant complété le programme court ont récidivé dans les douze mois suivant la fin du programme E.V.E., versus 8,5 % chez les femmes du groupe témoin. Étant donné l’écart relativement faible entre les deux groupes et l’absence de signification des tests du Khi2, il n’est pas possible d’établir de différence significative entre les deux groupes (p = 0,154).

Tableau 4

Taux de récidive dans les douze mois suivant la sentence chez les femmes ayant commis une première infraction à caractère économique

Taux de récidive dans les douze mois suivant la sentence chez les femmes ayant commis une première infraction à caractère économique

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Récidivistes

Chez les femmes ayant déjà un passé judiciaire, le taux de récidive dans les douze mois suivant la fin du programme E.V.E. s’élève à 30,6 % chez les femmes ayant complété le programme long, versus 54,5 % chez celles qui ne l’ont pas suivi, mais présentant le même type de problématique. Il s’agit d’une tendance statistiquement significative (p = 0,02). La force d’association indiquée par la valeur de Phi = 0,242 peut être qualifiée de faible. Le tableau 5 rend compte de ces résultats.

Tableau 5

Taux de récidive dans les douze mois suivant la sentence pour une problématique récurrente de délits à caractère économique

Taux de récidive dans les douze mois suivant la sentence pour une problématique récurrente de délits à caractère économique

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Discussion

Le programme E.V.E. offre aux tribunaux une mesure spécifique pour les femmes accusées de délits à caractère économique. Il vise la conscientisation des femmes face à leur problème de vol, en vue de développer des moyens de contrôle leur permettant de cesser leur comportement délictuel. Ainsi, la réduction de la récidive est un objectif fondamental tant dans le programme court que dans le programme long. Nos résultats démontrent que le taux de récidive est moins important chez des femmes ayant complété le programme long que chez celles n’ayant pas participé au programme, mais ayant commis des délits de même nature. Krasnovsky et Lane (1998) soutiennent que la difficulté d’effectuer une prévention spécifique de la criminalité est accentuée par l’importance du passé judiciaire d’un individu. En ce sens, le programme long contribue de façon importante à la prévention de la criminalité, grâce à son influence sur le taux de récidive.

Par contre, pour le programme court, aucune différence significative entre les groupes ne peut être établie quant à la mesure de la récidive. Comme le programme court n’est limité qu’à trois séances, il est possible de se demander si l’impact pourrait être amplifié par l’élargissement de l’intervention du programme. Néanmoins, les statistiques démontrent avec évidence, qu’à l’intérieur d’un an, plus de 90 % des femmes qui commettent une première infraction ne retournent pas dans le système pénal, tant chez le groupe expérimental que chez le groupe témoin. Effectivement, de façon générale, la majorité des personnes qui commettent une première infraction ne récidivent pas (Cohen et Stark, 1974 ; Krasnovsky et Lane, 1998). Souvent, l’arrestation et la confrontation avec les conséquences judiciaires sont suffisantes pour permettre à la personne contrevenante d’apprendre de ses erreurs (Deng, 1997).

Le programme court offre toutefois des avantages importants aux femmes qui y participent. En effet, les femmes ayant complété le programme court E.V.E. profitent de la déjudiciarisation, leur permettant d’éviter la lourdeur d’un casier judiciaire. Cela est un élément fondamental puisque la déjudiciarisation leur permet d’avoir de meilleures perspectives d’emploi pour l’avenir et d’éviter l’importante stigmatisation liée au casier judiciaire. En tenant compte du jeune âge des femmes du groupe des premières infractions, la déjudiciarisation est donc un atout important du programme E.V.E.

Chez les récidivistes, cette même tendance se dessine par rapport à la sentence d’emprisonnement. Les résultats démontrent que les femmes du groupe expérimental reçoivent significativement moins de sentences d’emprisonnement que les femmes du groupe témoin. Ainsi, il est possible de soutenir que le fait de réussir et de compléter le programme représente une solution de rechange à la sentence d’emprisonnement. Les tribunaux semblent adopter une attitude plus clémente à l’égard des femmes qui complètent le programme long, en leur permettant de purger une peine dans la communauté. En plus d’avoir un impact positif dans la vie des femmes, les peines purgées dans la communauté permettent d’éviter les coûts financiers importants liés à l’emprisonnement.

Nous reconnaissons que notre étude comprend certaines limites. D’abord, cette recherche est basée sur des groupes non équivalents. Ainsi, nous ne pouvons pas établir avec certitude que les effets observés sont uniquement le résultat du programme E.V.E. Étant donné l’impossibilité d’assigner les groupes de façon aléatoire compte tenu du contexte de recherche, il se peut que les groupes fussent déjà distincts avant l’intervention. De plus, il est nécessaire de rappeler que les taux de récidive présentés sont limités à douze mois suivant la réussite du programme ou le prononcé de la sentence.

Enfin, les résultats de cette évaluation montrent que le programme E.V.E. de la Société Elizabeth Fry du Québec se positionne comme une mesure d’intervention permettant la déjudiciarisation des cas de premières infractions et comme une solution de rechange à l’incarcération chez les récidivistes. De plus, comme visé par ses objectifs, le programme permet également une réduction du geste délictuel chez les participantes.