IntroductionLe chercheur dans la cité[Notice]

  • Marion Vacheret

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  • Marion Vacheret
    Professeure agrégée, École de criminologie / Centre international de criminologie comparée (CICC)
    marion.vacheret@umontreal.ca

Les dernières décennies ont entendu retentir des cris d’alarme face à l’instauration d’un « nouvel ordre pénal », marqué par une explosion des taux d’incarcération, par un allongement des sentences, par un rapport disproportionné entre l’acte criminel posé et la sanction pénale attribuée, ainsi que par des formes de punitions particulièrement répressives et qui portent profondément atteinte aux droits de la personne. Dans plusieurs États des États-Unis plus particulièrement, mais leur cas n’est pas unique, loin s’en faut, on assiste à une surenchère punitive que certaines mesures largement décriées mettent en évidence : l’adoption de lois prévoyant l’imposition automatique à la troisième récidive d’une peine d’incarcération à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans ; la mise en oeuvre de conditions matérielles de détention supprimant tout « confort » de base et imposant un travail obligatoire six jours sur sept consistant généralement à effectuer des travaux d’entretien routier enchaîné à un codétenu ; l’instauration de fichiers informatisés accessibles au public et fournissant à ce dernier diverses informations sur certains contrevenants, dont leur adresse personnelle… Au Canada, à l’instar des sociétés occidentales contemporaines, les années 1980, 1990 et 2000 ont vu naître une législation – ou des projets de législation – de plus en plus répressifs en matière pénale. L’adoption de la loi sur le maintien en incarcération, l’imposition de peines minimales d’incarcération, la création d’un bureau fédéral de défense des victimes parallèlement à la constitution d’un comité d’examen des opérations du Service correctionnel – visant un objectif de meilleure protection de la collectivité – font partie des exemples représentatifs de ce virage. Si l’explosion carcérale n’a pas atteint ce pays comme elle a pu en atteindre d’autres au point de créer des situations littéralement explosives, il est possible néanmoins de parler ici comme ailleurs d’un radicalisme pénal, d’un durcissement législatif et d’une volonté rétributiviste, à l’heure où les discours populistes sur le châtiment pénal sont légion. Dans ce contexte, l’objet de ce numéro de Criminologie est de poser, tel un instantané, une réflexion sur les peines contemporaines, réflexion fondamentale dans une société où la sanction pénale semble à la croisée des chemins entre une vision « humaniste, légaliste et réformiste » mais peu entendue et une vision « punitive, légitimée et excluante » faisant la manchette. Toutefois, si le Canada n’est pas totalement imperméable au virage punitif qui atteint l’ensemble des sociétés occidentales, diverses mesures mises en place se caractérisent par une certaine ambiguïté, ambivalence, voire contradiction, que ce soit dans les justifications qui les fondent ou dans les résultats statistiques auxquels elles parviennent. Dans ce cadre, les milieux de la pratique sont perçus comme des murs de résistance sur lesquels viendraient se heurter lois et mesures répressives. À ceux-ci, les criminologues et pénologues canadiens joignent leur voix. Prises de position publiques, rédactions de mémoires lors de l’élaboration de lois, implications directes dans des commissions mandatées par le gouvernement pour faire l’étude de questions pénales, quelques chercheurs se manifestent sur tous les fronts. Défenseur des droits, humaniste, critique, Pierre Landreville a fait partie de ceux-là, qu’il s’agisse entre autres de la Commission canadienne de réforme du droit de 1975, aux travaux de laquelle il a participé, ou du Comité québécois d’étude sur les solutions de rechange à l’emprisonnement, dont il a été le président en 1986. Son implication dans les groupes de défense des droits des détenus comme ses travaux de recherche, notamment sur l’épineux problème de l’emprisonnement pour non-paiement d’amende, portent la marque d’une conscience sociale et d’une volonté de transmission des savoirs. Dans ce cadre, il doit être vu comme un défenseur d’une certaine vision du …