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L’École de criminologie de l’Université de Montréal fête son cinquantième anniversaire. La revue Criminologie se joint à cette célébration par la publication d’un numéro double. Nous avons demandé à un certain nombre de professeurs de l’École et à d’anciens diplômés qui connaissent une carrière scientifique remarquable de soumettre un article à cette occasion. Ce numéro témoigne en ce sens de la qualité et de la diversité de la production scientifique de l’École et de son rôle dans la formation de chercheurs de renommée internationale.

Malheureusement, il aurait été impossible de solliciter tous ceux qui y ont enseigné, qui y font de la recherche, ou qui y ont été diplômés bien qu’ils soient nombreux à avoir fait leur marque dans le domaine scientifique. Leur absence est regrettable, mais ne saurait être interprétée comme une indication de la valeur et de la qualité de leur contribution scientifique. Les contraintes d’espace et la nécessité de constituer un numéro d’une certaine cohérence ont rendu les choix finaux quasi cornéliens tant l’École de criminologie a produit et a hébergé de chercheurs de talent.

La renommée internationale de l’École de criminologie est tributaire de la contribution scientifique non seulement de ceux qui sont publiés dans ces pages, mais aussi de celle de professeurs qui y ont enseigné et réalisé des recherches. Parmi ceux-ci, il faut certainement souligner l’apport des pionniers qui, sous la direction de Denis Szabo, le fondateur en 1960 de l’École de criminologie, ont accepté de se lancer dans cette aventure et ont formé de très nombreux étudiants dont plusieurs sont devenus des professeurs, tels que Marcel Fréchette, Justin Ciale, Henri Ellenberger, José María Rico, Francyne Goyer et Marie-Andrée Bertrand pour ne nommer que ceux de la première heure. Le premier diplômé de doctorat de l’École, Ezzat Fattah, s’est ajouté à eux en 1968. Puis, au début des années 1970, une deuxième génération de professeurs issue de l’École s’est jointe à ceux-ci, composée des André Normandeau, Marc Le Blanc, Maurice Cusson, Pierre Landreville, Daniel Élie et Jean Trépanier.

Les trois premiers articles de ce numéro commémoratif sont en quelque sorte un hommage à ces pionniers de l’École de criminologie qui ont, par leurs contributions, participé chacun à leur façon à forger l’École de criminologie de l’Université de Montréal telle qu’elle est devenue.

C’est par un entretien avec le professeur émérite Denis Szabo, réalisé par François Fenchel, diplômé de l’École de criminologie, que ce numéro commence. Le professeur Szabo a été le maître d’oeuvre de la création de la criminologie universitaire au Québec et un des principaux artisans du rayonnement de cette discipline sur le plan local et international. Le département de criminologie, hébergé au sein de la Faculté des sciences sociales, a été fondé sous son impulsion en 1960. La même année, il a jeté les bases de la Société de criminologie du Québec (SCQ). Puis, en 1968, il a fondé la revue Acta Criminologica qui est devenue la revue Criminologie en 1975. Ensuite, il a cherché à consolider et à offrir un cadre propice à la poursuite des activités de recherche en créant le Centre international de criminologie comparée (CICC) en 1969. Il a aussi créé, en 1987, l’Association internationale des criminologues de langue française (AICLF) et il a été nommé président honoraire de la Société internationale de criminologie (SIC). L’entretien réalisé par F. Fenchel permet au lecteur de suivre le parcours intellectuel du fondateur de l’École de criminologie et de prendre connaissance des priorités qu’il fixe pour la criminologie contemporaine. Quant à M. Fenchel, ses intérêts le portent surtout vers l’histoire de la criminologie.

L’entretien avec Marie-Andrée Bertrand réalisé par Mylène Jaccoud, professeure à L’École de criminologie, suit. Marie-Andrée Bertrand, professeure émérite ayant fait carrière à l’École de criminologie, a été une des premières diplômées y ayant obtenu sa maîtrise en criminologie en 1963. Elle fut des premiers professeurs de l’École dans les années 1960 et longtemps, la seule professeure. Elle a obtenu son doctorat en criminologie de l’Université de Californie à Berkeley en 1967. Ses activités de recherche se sont déployées selon trois axes majeurs : le rapport des femmes au droit pénal, les politiques concernant les drogues et, plus largement, les théories critiques liées au genre. Pionnière des perspectives féministes et des théories critiques en criminologie, elle a su enrichir le débat intellectuel et la diversité des points de vue par son apport à l’École de criminologie. Au cours de cet entretien dirigé par Mylène Jaccoud, elle fait le point sur son parcours et livre au lecteur ses perspectives d’avenir pour la criminologie.

Le troisième article porte sur la victimologie. Il a été rédigé par un disciple du professeur Henri Ellenberger, Ezzat Fattah, devenu un des pionniers de la victimologie, qui a été le premier docteur diplômé de l’École de criminologie à avoir commencé sa carrière à l’École de criminologie de l’Université de Montréal avant de la poursuivre à l’École de criminologie de l’Université Simon Fraser où il a été nommé professeur émérite.

L’article suivant est signé par un diplômé de l’École, le professeur Alvaro Pires, ainsi que par une de ses collaboratrices, Maíra Rocha Machado, de l’École de droit de São Paulo. Le professeur Pires est titulaire d’une chaire en recherche du Canada en Traditions juridiques et rationalité pénale à l’Université d’Ottawa. Leur article contribue à la réflexion sur les fondements culturels d’une pratique sociale législative qui consiste à créer des peines minimales dans les législations criminelles. Ensuite, le lecteur pourra prendre connaissance d’une étude réalisée par Serge Brochu et son équipe. Le professeur Brochu, en plus de son affiliation à l’École de criminologie et au CICC, est un membre fondateur du groupe de Recherche et intervention sur les substances psychoactives et du Groupe d’experts internationaux sur les trajectoires déviantes. Il est aussi membre de la Société royale du Canada depuis 2007. Leur article traite des perceptions de personnes incarcérées quant aux effets sur le climat carcéral d’un règlement qui vise à restreindre l’usage du tabac dans les établissements de détention. Vient ensuite un article sur le rapport entre le développement de la surveillance électronique en France et la récidive signé par Annie Kensey qui est chef du Bureau des études et de la prospective à la Direction de l’administration pénitentiaire, par René Lévy, diplômé de l’École de criminologie et actuel directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique en France (CNRS), et par Abdelmalik Benaouda, chargé d’études au Bureau de la prospective de la Direction de l’administration pénitentiaire (France).

L’article suivant porte sur le milieu carcéral des femmes et rend compte des effets d’un projet de danse pour les détenues. Il est de la plume de Sylvie Frigon, une diplômée de l’École de criminologie, qui est actuellement directrice du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa et cofondatrice du collectif de recherche La Corriveau.

Le huitième texte est signé par Colette Parent et Chris Bruckert. Madame Parent est diplômée de l’École de criminologie de l’Université de Montréal et actuelle professeure au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa. Leur article examine certains mécanismes qui ont pour effet de maintenir les travailleuses du sexe en périphérie du système économique ainsi que les tactiques qu’elles mettent de l’avant pour résister à leur exclusion. La chercheure au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP-CNRS) en France, Renée Zauberman, diplômée de l’École de criminologie, fait état, dans l’article suivant, des réflexions issues d’un séminaire sur la délinquance contre les biens en Europe qui a été mené dans le cadre d’un programme européen de coopération scientifique. Quant à Benoit Dupont, professeur à l’École de criminologie, actuel directeur du CICC, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie et affilié au Center of Excellence for Policing and Security (Griffith University, Australie), il fait le point sur l’évolution parallèle de ce qui est désormais désigné comme un « vol d’identité », soit l’utilisation frauduleuse des codes associés aux cartes électroniques individuelles, et celle des systèmes électroniques de paiement, cartes de crédit et cartes de débit. Cet article fascinant donne au lecteur un aperçu des enjeux économiques, de sécurité, mais aussi de gouvernance que cette coévolution entraîne.

Les six derniers articles de ce numéro de Criminologie portent soit sur des comportements criminels ou encore sur des interventions cliniques auprès de personnes qui sont hébergées dans un milieu correctionnel ou dit rééducatif. Le premier de ceux-ci est signé par Patrick Lussier qui a obtenu son doctorat de l’École de criminologie de l’Université de Montréal et est actuellement professeur à l’Université Simon Fraser. Il examine la relation entre les antécédents criminels et la récidive violente sexuelle dans une perspective longitudinale ; il y remet notamment en question la pondération que les outils actuariels accordent habituellement aux délits antérieurs. Le douzième article est de Nadine Lanctôt. Diplômée de l’École de criminologie, elle a commencé sa carrière professorale à l’Université de Montréal pour la poursuivre à l’Université de Sherbrooke où elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la délinquance des adolescents et des adolescentes. La professeure Lanctôt présente les résultats de l’évaluation d’un programme d’intervention auprès d’adolescentes, plus précisément sur les effets à court terme d’interventions cognitivo-comportementales. L’article suivant est de la plume de Denis Lafortune qui est professeur à l’École de criminologie et chercheur au CICC et de Brigitte Blanchard, une doctorante. Ils y présentent un programme d’intervention basé sur une approche motivationnelle, qui a été mis au point pour les détenus condamnés à de courtes peines et y discutent de son implantation dans les établissements pour hommes et pour femmes au Québec. Le quatorzième article est signé par la directrice de la revue Criminologie, Dianne Casoni, qui est aussi professeure à l’École de criminologie et chercheure au CICC. Elle propose une analyse des résultats préliminaires d’une recherche qui porte sur le processus de changement psychologique d’hommes condamnés à de longues peines. C’est la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les trajectoires d’usage de drogues et les problématiques associées, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières et diplômée de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, Natacha Brunelle, qui signe avec Karine Bertrand, professeure à l’Université de Sherbrooke, le quinzième article de ce numéro double de Criminologie. Elles y présentent un bilan de leurs travaux sur les trajectoires tant de déviance juvénile que de rétablissement de jeunes toxicomanes en traitement en portant une attention particulière aux motivations des jeunes et aux liens entre drogues et crime. Le numéro se termine par un article écrit par une figure marquante de la recherche criminologique et un des auteurs des plus prolifiques diplômé de l’École de criminologie, le professeur émérite de l’Université de Montréal Marc Le Blanc, affilié d’abord à l’École de criminologie puis à l’École de psychoéducation. Il propose au lecteur un magistral tour d’horizon de son oeuvre alors qu’il présente les principaux éléments de la théorie qu’il a contribué à fonder ainsi que les travaux empiriques qui ont donné naissance au paradigme développemental en criminologie.

Il allait de soi, en sollicitant tout à la fois des anciens diplômés et des professeurs de l’École de criminologie, que nous atteignions l’objectif commémoratif attendu d’un numéro anniversaire. Toutefois, à la lecture de leur contribution, nous sommes assurés d’avoir dépassé de loin l’objectif commémoratif pour offrir à nos lecteurs en ce cinquantième anniversaire de l’École de criminologie de l’Université de Montréal un numéro d’une rare qualité.