Avant-proposCriminologie et philosophie. Quelques remarques sur la pensée de Jean-Paul Brodeur[Notice]

  • Georges Leroux

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S’il est vrai que, comme toutes les sciences humaines et sociales, la criminologie s’est constituée d’un long et rigoureux processus de détachement de l’entreprise philosophique, un fait que nous pouvons faire remonter au moins à Jeremy Bentham, il n’est pas moins vrai que la philosophie n’a cessé de l’accompagner de la manière la plus intime. Pas seulement parce que la recherche empirique sur la criminalité et ses conditions d’existence ne saurait se passer d’une approche critique de la détermination de ses objets – ce qui en soi motive une relation indénouable qui distingue à cet égard les sciences humaines du droit –, mais peut-être surtout parce que la question du jugement moral sur la violence ne peut être dissociée d’enjeux concrets, comme l’appréciation des délits et des peines. Cette réciprocité se trouve au coeur de toute la recherche depuis les premières études de nature fondamentale sur les rapports de la philosophie et des sciences humaines. Il peut paraître simple, voire évident, de condamner toute violence et de chercher, en en comprenant les déterminations, à la réduire ; il l’est beaucoup moins de justifier les conséquences qui découlent de cette compréhension, en termes de contrôles et de sanctions, et de les ajuster aux divers systèmes de justice pénale qui les mettent en oeuvre. Quand nous relisons Kant ou Rousseau sur ces questions relatives aux normes et aux principes, on ne peut s’empêcher de constater à quel point une science comme la criminologie agit comme un principe de réalité pour la philosophie. Cela ne signifie pas pour autant que la philosophie soit congédiée, mais simplement qu’elle est invitée à considérer un pragmatisme nuancé. Les relations qui se sont développées sur ce registre sont complexes et on aurait tort de les limiter à une forme, même sophistiquée, d’épistémologie, c’est-à-dire de critique des connaissances produites par les sciences humaines et sociales, et, dans le cas présent, par la criminologie. Car ces relations ne sont pas unilatérales : elles rendent possible une interpellation de la philosophie à compter même de la réalité où ce qui est observé peut conduire à déconstruire jusqu’au questionnement le plus radical sur l’origine du mal, la liberté humaine, la réformabilité du criminel, la justice des réparations. Pour le dire simplement, de la même manière qu’il n’y a pas de connaissance empirique qui puisse se soustraire au regard critique de la philosophie, notamment dans l’appréciation de la construction des objets et des hypothèses, de manière égale, il n’y a pas de volet ou de secteur de la philosophie qui puisse se déclarer indemne, en se croyant à l’abri sur le plan des principes comme sur celui des questions, de la recherche empirique. C’est à ce carrefour critique que nous rencontrons l’oeuvre de Jean-Paul Brodeur, à laquelle le présent numéro rend hommage en proposant une relecture d’un choix de ses écrits. Il ne m’appartient pas de situer ces écrits dans la recherche criminologique et je voudrais plutôt, en m’associant à ceux qui ont préparé ce dossier, donner quelques éléments d’une relecture inspirée par la préoccupation philosophique constante qui les habite. Au premier rang, je placerai un souci aussi persistant que rigoureux de faire entendre le résultat de la recherche scientifique sur tous les registres où s’agitent les préjugés et les positions doctrinaires. Confrontée au progrès de la connaissance criminologique, la philosophie morale et politique doit certes être constamment rappelée à une position d’humilité face à l’abîme de sa propre ignorance historique. Depuis les analyses de Platon sur l’origine du mal criminel et la proposition répressive qui imprègne son projet de cité parfaite, notamment dans Les Lois et au Livre viii de la …

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