Jean-Paul Brodeur

Confiance, expertise et police[Notice]

  • Jean-Paul Brodeur

Note introductive

Cet article fut le dernier d’une carrière incroyablement productive. Il a été rédigé par Jean-Paul Brodeur avant son décès en avril 2010. Il y examine avec l’acuité et la rigueur qui ont marqué l’ensemble de son oeuvre la notion de confiance telle qu’elle se manifeste dans le travail de la police, et les relations que celle-ci entretient avec la population qu’elle protège. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la confiance a peu mobilisé la réflexion des chercheurs qui s’intéressent à la police, à quelques rares exceptions près (notamment Stoutland, 2001 ; Tyler et Huo, 2002 ; Goldsmith, 2005). Cela est d’autant plus surprenant que le rapprochement entre la police et la population fut au coeur de nombreuses réformes préconisées ces trente dernières années. Or, comme le souligne Jean-Paul Brodeur, un tel lien peut difficilement se construire sur un sentiment de méfiance.

Mais plutôt que de se limiter à l’énoncé de quelques évidences tautologiques sur la nécessité de faire converger confiance et action de proximité, ce texte invite plutôt à en explorer le caractère paradoxal. En effet, la confiance se nourrit aussi de la distance qui sépare l’expert du profane, particulièrement lorsque les compétences du premier sont directement mises au service du second. L’analogie médicale, que Jean-Paul Brodeur avait déjà utilisée dans sa réfutation de la théorie classique du monopole policier d’exercice de la contrainte physique, est à nouveau mobilisée pour illustrer l’argument. L’inclusion de l’expertise dans l’équation complexe de la confiance lui permet du même coup d’invoquer une littérature très influente – envers laquelle il a par ailleurs amplement manifesté son scepticisme – sur la transformation des policiers en travailleurs du savoir (knowledge workers) : des agents qui, à partir de la montagne de données à leur disposition, distilleraient du renseignement criminel, activité élevée au rang d’élixir de l’efficacité policière. Cette perspective élargie aboutit à un portrait plus complet et nuancé d’un problème souvent abordé de façon réductionniste, soulevant au passage ambivalences et contradictions internes rendant plus aléatoires que voulu l’établissement et le maintien par la police du lien de confiance recherché avec la population.

Face à la complexité de ce processus, il aurait pu se réfugier dans le confort du détachement scientifique et abandonner ses lecteurs sur une voie de garage normative. Au lieu de quoi, Jean-Paul Brodeur nous invite plutôt (en guise de conclusion) à poursuivre la réflexion sur les caractéristiques d’une police démocratique, parce que réceptacle d’une confiance minimale. Qu’il s’agisse de visibilité, d’ouverture, de limites ou d’imputabilité, la réflexion qu’il initie dans cet ultime article sera encore longtemps influencée par la somme des travaux qu’il nous laisse en héritage.

BenoitDupont

Directeur, Centre international de criminologie comparée (CICC)

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie

benoit.dupont@umontreal.ca

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