Résumés
Résumé
Les questionnaires de victimisation ont montré que le risque de victimisation diminue avec l’âge. Au Canada, l’Enquête sociale générale (ESG) qui mesure la victimisation de la population n’inclut pas les moins de 15 ans. Les informations disponibles concernant la victimisation des jeunes viennent donc de sources officielles comme la Direction de la protection de la jeunesse ou la police. Ces sources sont incomplètes et ne représentent que la pointe de l’iceberg puisque le chiffre noir concernant la victimisation des enfants est important. Le Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) a été développé aux États-Unis par David Finkelhor et ses collègues afin de combler ces lacunes. Dans cet article nous comparons les résultats de ce nouvel instrument avec ceux de l’Enquête sociale générale obtenus par un questionnaire testé et utilisé pendant près de 20 ans au Canada, afin d’évaluer si les données du JVQ sont fiables pour décrire la victimisation des jeunes. Plus spécifiquement, les mesures de la victimisation à vie et celle des 12 derniers mois sont comparées. Les résultats indiquent que malgré les différences inhérentes aux deux questionnaires, les échantillons des 15 à 17 ans présentent des taux relativement comparables pour la victimisation des 12 derniers mois, mais des différences sur le plan de la victimisation à vie.
Mots-clés :
- Sondage de victimisation,
- adolescents,
- questionnaire de victimisation juvénile
Abstract
Victimization surveys have repeatedly shown that the risk of victimization decreases with age. In Canada, the General Social Survey, which measures victimization in the general population, does not include youth under 15 years of age. The information available regarding the victimization of children and youth comes from official sources such as Youth Protection Services and the police. We know that these official statistics are incomplete and just the tip of the iceberg and that the dark number regarding the victimization of children and youth is significant. The Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) was developed in the USA by David Finkelhor and his colleagues in order to meet this need. In this paper we compare the findings of this new instrument with those of the General Social Survey, a tried and tested questionnaire which has been in use in Canada for over 20 years, in order to assess the ability of the JVQ to provide reliable data on the victimization of youth. Specifically, we compare these two victimization questionnaires with respect to lifetime victimization and annual victimization for youth between 15 to 17 years of age. The results indicate that, although there are differences between both questionnaires, both surveys find similar rates of annual victimization, but differences regarding lifetime victimization.
Keywords:
- Victimization survey,
- adolescents,
- Juvenile Victimization Questionnaire
Resumen
Los cuestionarios de victimización han mostrado que el riesgo de victimización disminuye con la edad. En Canadá, la Encuesta social general que mide la victimización de la población no incluye a los menores de 15 años. Las informaciones disponibles que conciernen la victimización de los jóvenes provienen de fuentes oficiales como la Protección de menores o la policía. Estas fuentes están incompletas y solo representan la punta del iceberg, ya que la cifra negra sobre la victimización de los niños es significativa. El « Juvenile Victimization Questionnaire » (JVQ) ha sido desarrollado en los Estados Unidos por David Finkelhor y sus colegas a fin de llenar dichos vacíos. En el presente artículo, comparamos los resultados de este nuevo instrumento con aquellos de la Encuesta social general, obtenidos mediante un cuestionario testeado y utilizado durante casi 20 años en Canadá, con el objeto de evaluar si los datos del JVQ son fiables para describir la victimización de los jóvenes. Más específicamente, las medidas de la victimización de por vida y aquella de los 12 últimos meses son comparadas. Los resultados indican que, mas allá de las diferencias inherentes a los dos cuestionarios, las muestras correspondientes a los 15-17 años presentan tasas relativamente comparables para la victimización de los 12 últimos meses, pero ciertas diferencias en cuanto al nivel de victimización de por vida.
Palabras clave:
- Sondeo de victimización,
- adolescentes,
- cuestionario de victimización juvenil
Corps de l’article
Introduction
Présentement au Canada, il existe un manque important de connaissances en ce qui a trait à la victimisation juvénile. Les données auxquelles nous avons accès sont limitées aux données administratives de la protection de la jeunesse (Hélie, 2007), aux enquêtes auprès des professionnels ou des parents d’enfants (Trocmé et al., 2001 ; Tourigny etal., 2002 ; Clément & Chamberland, 2007), et à quelques-unes directement auprès des victimes comme le Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC) (Statistique Canada, 2013a) et l’Enquête sociale générale (ESG) (Statistique Canada, 2010).
Chaque moyen d’acquérir des connaissances sur le plan de la victimisation juvénile vient avec son lot de lacunes. Les données de la protection de la jeunesse n’incluent que les victimisations signalées et retenues, les données de la DUC incluent seulement les victimisations criminelles signalées à la police et l’ESG n’interroge que les jeunes de plus de 15 ans. En général, les connaissances que nous avons portent très souvent sur une victimisation précise. Par exemple, une étude se concentrera sur une forme particulière de victimisation, sans tenir compte de la fréquence de la victimisation et du phénomène de polyvictimisation. La polyvictimisation est un terme proposé par David Finkelhor afin de désigner les personnes qui souffrent d’un grand nombre de types de victimisation sur plusieurs épisodes séparés (Finkelhor et al,. 2007). Ne pas tenir compte de ce phénomène et étudier un seul type de victimisation à la fois a pour effet de surestimer les effets de ce type de victimisation sur la victime.
Contexte entourant la création de questionnaires de victimisation juvénile
L’Enquête sociale générale n’interroge que les plus de 15 ans et le Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) se spécialise pour les moins de 18 ans puisque les deux questionnaires ont été construits en fonction des populations visées. Ainsi, voyons les caractéristiques principales des deux questionnaires comparés. D’abord l’ESG est une enquête réalisée tous les cinq ans par Statistique Canada auprès d’un échantillon de population canadienne de plus de 15 ans, donc majoritairement adulte. L’enquête existe depuis 1988. Elle inclut les 10 provinces (les territoires font partie d’une enquête distincte) (Statistique Canada, 2013b). Elle permet de recueillir de l’information sur les expériences personnelles de victimisation annuelle sur huit types de crimes : l’agression sexuelle, le vol qualifié, les voies de fait, l’introduction par effraction, le vol de véhicules à moteur ou de leurs pièces, le vol de biens du ménage, le vandalisme et le vol de biens personnels. Dans la section sur les expériences de victimisation à vie s’ajoute aux victimisations nommées précédemment : les tentatives de toutes sortes, la fraude et le harcèlement criminel. L’enquête comporte aussi une section spécialement dédiée à la violence conjugale. L’enquête recueille aussi des informations pertinentes liées à la victimisation comme les facteurs sociodémographiques, les conséquences de la victimisation et les décisions prises par les victimes concernant la déclaration à la police.
Pour sa part, le JVQ est une enquête développée aux États-Unis par une équipe de chercheurs spécialisés en victimisation juvénile pour combler les lacunes sur le plan de la collecte de données de la victimisation juvénile et mesurer la polyvictimisation. Le JVQ a connu plusieurs phases de développement (Hamby et al., 2004), avant d’être administré à la population des États-Unis. Le questionnaire recueille des informations sur 34 formes de victimisation (annuelle et à vie) divisée en cinq catégories : les crimes conventionnels, les mauvais traitements, la victimisation par les pairs, la victimisation sexuelle et la victimisation indirecte. Chaque question comporte des précisions sur le nombre de victimisations, l’auteur de la victimisation, les blessures et autres questions spécifiques. Il existe une version pour les 8 à 17 ans et une version pour les enfants de moins de 8 ans que l’on fait passer aux parents ou personnes à charge.
La plus grande distinction entre les deux questionnaires se situe sur le plan de la population visée et ceci peut avoir un impact important sur le plan victimologique et criminologique puisqu’il existe une distinction entre l’enfance et l’adolescence (moins de 18 ans) et l’âge adulte (18 ans et plus). En effet, dans le système de justice pénale adulte ou le système de justice pour les jeunes contrevenants, la définition d’un criminel et d’une victime varie selon la maturité du sujet. Par exemple, une bagarre dans la cour d’école n’aura pas la même gravité qu’une altercation sur un lieu de travail. En effet, une bagarre est des voies de fait lorsqu’elle éclate entre adultes alors qu’une bagarre chez les enfants ne sera pas nécessairement considérée comme étant un crime. La plupart du temps, les crimes entre enfants se règlent par des systèmes informels, sont tous simplement ignorés ou ne sont pas rapportés, sauf les crimes les plus graves (comme les homicides) (Finkelhor & Wolak, 2003 ; Card & Hodges, 2008). Les violences faites par la fratrie ou les pairs à l’école, la victimisation indirecte (la violence conjugale, les homicides) (Jaffe et al., 1990 ; Wolak & Finkelhor, 1998) et la victimisation par internet (Wolak et al., 2006) sont souvent ignorées au niveau juvénile.
Notre société a tendance à présumer que les crimes commis par les jeunes sont moins sérieux et ne nécessitent pas l’intervention des systèmes de justice. Du point de vue de la responsabilité criminelle, on assume que le jeune délinquant est moins responsable de ses actions qu’un adulte, vu son jeune âge. Pourtant, la violence entre les jeunes enfants (fratrie ou pairs) n’est pas moins blessante psychologiquement ou physiquement pour les victimes que les crimes conventionnels entre adultes (Wiehe, 1997 ; Finkelhor et al., 2006).
Le statut de dépendance, d’immaturité et de vulnérabilité lié à l’âge de l’enfant amène aussi des types spécifiques de victimisation comme les mauvais traitements (maltraitance, négligence, exploitation…). On peut alors conclure que les enfants sont victimes de toutes les formes de crimes que vivent les adultes, en plus de celles qui sont particulières à leur statut d’enfant. Les crimes perpétrés contre les enfants n’entrent que très rarement dans les catégories de crimes conventionnels (vol personnel, vol qualifié, vandalisme, voies de fait simples, voies de fait graves) couramment utilisées dans les questionnaires non spécialisés comme l’ESG. Il est donc important que les questionnaires aillent au-delà de la définition des crimes conventionnels puisque les questionnaires plus détaillés, comme le JVQ obtiennent généralement des taux de victimisation beaucoup plus élevés, parfois même de deux à quatre fois plus élevés que les questionnaires ne traitant que de crimes conventionnels (Wells & Rankin, 1995). Il est à noter que l’ESG de 2013 comportera une section sur les expériences de victimisation à l’enfance, mais l’âge minimum des répondants est maintenu à 15 ans ; nous verrons peut-être alors dans les enquêtes à venir une augmentation des taux de victimisation à vie.
Les enfants comme les adultes peuvent vivre la polyvictimisation. Très peu d’enquêtes ou d’outils sont adaptés à l’étude de la polyvictimisation et de la victimisation multiple et encore moins pour une population juvénile. Pour combler ces lacunes, des chercheurs américains ont créé le Juvenile Victimisation Questionnaire (Hamby & Finkelhor, 2004). Ce questionnaire a été traduit en français par une équipe québécoise et testé sur un échantillon clinique de jeunes en centres jeunesse (Cyr etal., 2012).
La construction et la validation de questionnaires
Afin de pouvoir comparer l’ESG et le JVQ, il est important de bien comprendre les notions qui sont reliées à la construction de questionnaires et comment leur structure influence les données récoltées.
La validité concomitante qui consiste à évaluer le degré de corrélation entre les scores d’un questionnaire et les scores d’un questionnaire de référence est une notion importante dans l’élaboration d’un questionnaire d’enquête (Laveault & Grégoire, 2002). En effet, plus il y a de points de comparaison entre deux enquêtes, plus les instruments sont qualifiés de valides. La vérification de la validité concomitante est un des objectifs de la présente recherche. Toutefois, la validité d’un test ne peut être déterminée uniquement en vérifiant la validité concomitante, il faut aussi établir la validité de contenu, la validité de critère (qui englobe la validité concomitante et prédictive) et finalement la validité de construit. La validité de contenu et de construit est particulièrement importante sachant que le contenu doit être compris et construit pour une population de moins de 18 ans.
Caractéristiques d’un questionnaire de victimisation juvénile
Dans la construction d’un dictionnaire ciblant des jeunes de moins de 18 ans, il faut voir à formuler les questions de façon à ce qu’elles soient bien comprises par cette population.
Le contenu et les concepts rattachés doivent être adaptés au langage de l’enfant. En général, il faut préférer les termes spécifiques aux catégories larges et générales sont (Saywitz & Camparo, 1998). Et ne pas oublier que la terminologie légale est également étrangère aux enfants (Saywitz et al., 1990 ; Steward et al., 1993). Par exemple, les mots concrets comme « frapper », « couteau » sont des meilleurs termes que « assaut », « arme ». S’il est impossible de remplacer un mot par un autre plus simple, il est impératif de donner une définition du terme.
Les questions devraient également être courtes : l’usage de questions longues, qui nécessitent un effort de mémorisation, risque d’altérer la compréhension (Breton et al., 1995). Ceci est encore plus important lorsque la question est posée par un interviewer car la personne interrogée n’aura pas tendance à vouloir faire répéter la question pour ne pas ralentir le rythme de l’entrevue (Robert et al., 1988). Aussi, si une question est trop longue, elle sera influencée par l’effet de primauté ou de récence (Payne, 1951). En effet, si une question est longue, les répondants auront tendance à prendre en considération soit uniquement le début ou la fin de la question et d’oublier le reste. Afin d’éviter ce biais, il est utile de la diviser en plusieurs petites questions (Robert et al., 1988). Toutefois, d’autres recherches confirment que les questions plus longues pourraient être plus efficaces lorsqu’on traite des comportements indésirables. Selon Bradburn (1979, 1983), les longues questions pourraient réduire l’effet de la désirabilité sociale et faciliteraient le rappel chez les répondants.
Les exemples et le contexte facilitent également le rappel et donnent plus de temps au répondant pour se rappeler les gestes ou les événements subis. Il est parfois nécessaire d’avoir recours à des exemples afin de préciser le sens de certains termes. Cependant, il existe un danger à utiliser des exemples trop spécifiques car cela pourrait influencer la réponse de l’interviewé. En effet, le répondant peut alors oublier le sens général de la question et se concentrer uniquement sur des événements qui sont cités en exemple (Robert et al., 1988).
Caractéristiques influençant les échantillons
Les variables sociodémographiques peuvent influencer les taux de victimisation entre chacun des questionnaires tout simplement parce que l’échantillon est différent. Par exemple, les hommes seront plus victimes de voies de fait et les femmes plus souvent victimes d’agression sexuelle (Shrier et al., 1998 ; Besserer & Trainor, 2000 ; Howard & Wang, 2005) et de victimisation sexuelle durant l’enfance (Tolin & Foa, 2006).
Le type de ménage, le revenu et la scolarité influencent également les taux de victimisation. Les ménages à plus faibles revenus comme les familles monoparentales peuvent être plus facilement exposés à des victimisations (Lauritsen, 2003 ; Estrada & Nilsson, 2004 ; Nilsson & Estrada, 2006 ; Stickley & Carlson, 2010). Les enfants de familles vivant avec un revenu annuel de moins de 15 000 $ sont plus à risque de vivre des mauvais traitements ou d’autres types de victimisation (Cappelleri et al., 1993) alors que les gens plus fortunés représentent une cible attrayante pour les crimes contre les biens (Besserer & Trainor, 2000). Les enfants qui vivent dans les familles reconstituées sont plus fréquemment exposés à la victimisation que ceux des autres types de structure familiale (Daly & Wilson, 1981 ; Finkelhor & Astigan 1996 ; Hanson et al., 2006 ; Turner et al., 2006). Les risques de victimisation sexuelle sont plus élevés dans les familles non traditionnelles, c’est-à-dire sans les deux parents biologiques (Freeman & Temple, 2010). Les jeunes célibataires affichent des taux de victimisation supérieurs (Besserer & Trainor, 2000) car cet état civil favorisait les activités extérieures et multiplierait les possibilités de victimisation (Besserer & Trainor, 2000 ; Stickley & Carlson, 2010). En résumé, le bien-être de l’enfant est parfois perturbé par le manque de revenu dans une famille monoparentale et par les problèmes relationnels dans une famille reconstituée (Jablonska & Lindberg, 2007).
L’appartenance à un groupe ethnique peut engendrer des types de crimes spécifiques comme les crimes haineux. Certains crimes conventionnels (p. ex., voies de fait, vol) peuvent également être motivés par l’appartenance culturelle et les jeunes en sont aussi touchés énormément (Statistique Canada, 2013c).
Méthodologie
Conception de la recherche
L’objectif principal de la présente recherche est de comparer les résultats du JVQ avec l’enquête de victimisation nationale offerte au Canada, soit l’ESG de 2009, ce qui permettra de vérifier si les questionnaires mesurent les mêmes réalités. Les éléments comparés des deux questionnaires pour l’évaluation de la victimisation annuelle sont les sept crimes suivants : vol personnel, vol qualifié, vandalisme, voies de fait, menace de voies de fait, agression sexuelle, introduction par effraction. Les éléments comparés pour la victimisation à vie sont les six crimes suivant : vol personnel, vol qualifié, vandalisme, voies de fait, agression sexuelle et introduction par effraction. Ces comparaisons seront entre des jeunes âgés de 15 à 17 ans. La polyvictimisation à vie et annuelle sera aussi comparée.
Collecte de données
Juvenile Victimization Questionnaire
La collecte de données a été effectuée sur cinq mois en 2009 lors d’une enquête téléphonique auprès d’un groupe aléatoire de jeunes de 12 à 17 ans de la population générale du Québec. Les données ont été recueillies en utilisant la technique de génération aléatoire des numéros de téléphone (GANT). Les entrevues ont été effectuées par des interviewers d’une firme de sondage professionnelle avec expérience d’entretiens auprès des jeunes. Les interviewers s’assuraient que l’entrevue était réalisée dans un lieu où aucune tierce personne ne pouvait entendre le jeune. De plus, la structure du questionnaire fait en sorte que, si cette situation se produisait, la compréhension par une tierce personne serait minimisée (code chiffré ou réponse dichotomique). Le taux de non-réponse pour le JVQ est de 37,6 %. Selon la notion de validité échantillonnale, il est donc possible que les résultats soient biaisés car les réponses des individus non répondants pourraient être différentes de celles qui ont été recueillies.
Enquête sociale générale
La population ciblée par l’ESG sont les Canadiens de plus de 15 ans qui ne résident pas dans les établissements et qui ont accès à un téléphone dans leur ménage. L’étude n’inclut pas les ménages qui possèdent seulement un téléphone cellulaire. La méthode d’échantillonnage de l’ESG consiste à diviser les dix provinces en strates géographiques et, parmi ces strates, les sujets sont sélectionnés par une méthode de composition aléatoire en plus d’une technique d’élimination des banques non valides. La collecte des données, qui s’est déroulée dans les dix provinces entre les mois de février et novembre 2009, a été effectuée au moyen de la méthode d’entrevue téléphonique assistée par ordinateur (ITAO). Les données étaient amassées par des interviewers qualifiés, formés aux concepts et aux méthodes de collecte propres à l’enquête (Statistique Canada, 2010). Le taux de non-réponse pour l’ESG était de 38,4 %.
Comparaison et prédictions des instruments
Bien que les deux questionnaires s’interrogent sur des phénomènes similaires, lorsque l’on compare la structure des questions et les concepts utilisés pour un même crime, il existe des variations qui peuvent influencer les réponses. Tel qu’il a été discuté précédemment, ces variations peuvent découler de la longueur des questions, du vocabulaire utilisé, des exemples ou du contexte, etc. Le tableau 1 résume les grandes différences conceptuelles et structurelles entre les deux questionnaires pour la victimisation annuelle. Des 34 formes de victimisation du JVQ et des 8 formes de victimisation de l’ESG, les sept victimisations comparables sont : vol personnel, vandalisme, voies de fait, agression sexuelle, vol qualifié, menace de voies de fait et introduction par effraction. Il est important de noter que les cas de violence conjugale étaient exclus des questions de l’ESG et ils ont donc été retirés des réponses du JVQ pour donner des questions qui mesurent des phénomènes équivalents.
Victimisation annuelle. Lorsque les concepts mesurés et la structure des questions sont similaires pour le JVQ et l’ESG, on s’attend à obtenir des taux similaires de victimisations, pour chacune des questions, comme c’est le cas pour le vol personnel. Pour la question sur le vandalisme, il existe de petites variations dans les deux questionnaires qui en gonflent un peu les taux : l’ESG mesure un phénomène plus large mais le JVQ emploie une structure et un vocabulaire plus simples qui facilitent la compréhension de la question.
Pour la question des voies de fait, les taux devraient être plus élevés pour le JVQ puisque le JVQ fait la distinction entre les voies de fait graves et les voies de fait simples en posant deux questions (au lieu d’une seule dans l’ESG) et en en donnant des exemples. La mesure de l’agression sexuelle est beaucoup plus détaillée dans le JVQ (quatre questions dans le JVQ équivalent à une seule question dans l’ESG) et les taux devraient ainsi être plus élevés pour le JVQ.
En ce qui concerne la question du vol qualifié et la menace de voie de fait, l’ESG inclut le concept de menace, ce qui élargit le phénomène rapporté. De ce fait, l’ESG devrait obtenir des taux plus élevés. Cependant, l’usage du terme taxage (qui remplace vol qualifié) dans le JVQ facilite peut-être la compréhension des répondants.
Enfin, la question portant sur l’introduction par effraction est celle qui est la moins comparable sur le plan conceptuel dans les deux questionnaires. La définition de celle-ci porte à confusion quant au lieu de l’introduction par effraction (maison, propriété, cabanon, automobile…). L’ESG englobe un phénomène un peu plus large et l’examine en trois questions comparativement à une seule dans le JVQ.
Victimisation à vie. La comparaison des questions pour la victimisation à vie est plus difficile à établir puisque la structure des questionnaires est très différente. L’ESG interroge les répondants sur la victimisation à vie en une seule question dans une section ultérieure différente de celle portant sur la victimisation de la dernière année. Elle inclut 11 choix de réponse en une seule question. Pour sa part, le JVQ demande au répondant si un événement s’est déjà produit dans sa vie et ensuite si le même type d’événement s’est produit durant les 12 derniers mois. Ainsi, on peut prévoir que la discontinuité entre les deux sections et la densité d’information incluse dans la question de l’ESG peut rendre le rappel très difficile pour le répondant. Six crimes seront comparés pour la victimisation à vie : vol personnel, vandalisme, voies de fait, agression sexuelle, vol qualifié et introduction par effraction.
Analyses
Le but de la recherche est de comparer deux questionnaires de victimisation. Pour ce faire, différents taux de victimisation seront comparés à l’aide de tests du Chi-carré. D’abord, les différences entre les deux échantillons utilisés seront comparées pour les caractéristiques pouvant influencer les taux de victimisation (sexe, type de famille, origine ethnique et le niveau de scolarité). Ensuite, les taux annuels de sept victimisations (vandalisme, vol, vol qualifié, introduction par effraction, tentative de voies de fait, voies de fait et agression sexuelle) et de la polyvictimisation, ainsi que les taux de six victimisations à vie (vandalisme, vol, vol qualifié, introduction par effraction, voies de fait et agression sexuelle) et de la polyvictimisation obtenus par les deux questionnaires seront comparés. Finalement, la polyvictimisation sera calculée en additionnant les sept crimes qui seront comparés pour la période de 12 mois et les six crimes comparés pour la victimisation à vie.
Résultats
Comparaison des variables sociodémographiques
Les comparaisons des échantillons sont faites sur 631 jeunes pour l’ESG et 783 jeunes pour le JVQ, tous âgés de 15 à 17 ans. Pour ce qui est du sexe, l’échantillon du JVQ comporte un plus grand nombre de filles. Les deux questionnaires obtiennent des résultats similaires en ce qui a trait à la variable type de famille. Pour le niveau de scolarité parentale, les parents des répondants du JVQ comptent plus d’années de scolarité que ceux de l’ESG. La proportion de répondants issus des communautés ethniques est similaire. Un résumé concernant les variables sociodémographiques se trouve dans le tableau 2.
Victimisation des 12 derniers mois
En ce qui concerne les résultats des taux de victimisation des 12 derniers mois, les comparaisons indiquent qu’en ce qui concerne les crimes contre les biens (Tableau 3), les taux pour le vandalisme et le vol personnel ne sont pas significativement différents. Cependant, pour l’introduction par effraction, l’ESG présente presque le triple d’événements rapportés et un taux significativement différent.
Pour ce qui est des crimes contre la personne (Tableau 3), tous les taux sont significativement différents. L’ESG présente des taux plus élevés pour le vol qualifié, les menaces de voies de fait et les agressions sexuelles tandis que le JVQ présente un taux plus élevé pour les voies de fait. La comparaison de la polyvictimisation vécue annuellement par les répondants des deux questionnaires n’indique pas de différence significative (Tableau 4).
Victimisation à vie
En ce qui concerne les victimisations à vie, le JVQ donne des résultats significativement plus élevés pour tous les types de crime (Tableau 5), à l’exception de l’agression sexuelle qui présente un taux similaire. La polyvictimisation est différente pour la victimisation à vie dans les deux questionnaires (Tableau 6).
Discussion
Victimisation au cours des 12 derniers mois
Les deux questions les plus similaires sur le plan conceptuel (vandalisme et vol personnel) sont celles qui présentent les taux de victimisation les plus similaires. Selon les constats concernant la construction des questions (concept, syntaxe et structures) et les prédictions (Tableau 1), les prévisions étaient que le JVQ présenterait des taux similaires de vandalisme et de vol personnel, des taux plus élevés de voies de fait et d’agression sexuelle et finalement, des taux moins élevés de menaces de voies de fait et de vol qualifié que l’ESG. La seule prédiction qui ne s’est pas révélée adéquate est celle portant sur l’agression sexuelle. Cette prédiction va même à l’encontre des facteurs sociodémographiques. Étant donné que le JVQ incluait plus de répondantes, on s’attendait à plus de victimisations à caractère sexuel que pour l’ESG, alors que c’est le contraire (Shrier et al., 1998 ; Besserer & Trainor, 2000 ; Howard & Wang, 2005). Deux phénomènes peuvent expliquer ces résultats concernant l’agression sexuelle. Premièrement, il s’agit d’un phénomène moins prévalent et le nombre de cas relevés est moins élevé que pour les autres types de victimisation. Deuxièmement, la question sur l’agression sexuelle de l’ESG était plus longue, ce qui pourrait avoir diminué l’effet de la désirabilité sociale, alors que les questions du JVQ étaient multiples, très courtes et spécifiques ce qui peut gêner le répondant lorsqu’on aborde un sujet tabou (Bradburn, 1979, 1983). Enfin, il est possible que la plus faible prévalence chez les jeunes répondants du JVQ soit liée à la plus forte scolarisation parentale de cet échantillon, les crimes contre la personne étant plus prévalents dans les milieux socioéconomiques défavorisés (Lauritsen, 2003 ; Estrada & Nilsson, 2004 ; Nilsson & Estrada, 2006 ; Stickley & Carlson, 2010). Cela expliquerait les différences pour les autres crimes violents, sauf les voies de fait qui sont plus élevées dans le JVQ par une très grande proportion. On peut alors supposer que la différence pour les voies de fait relève de la structure de la question.
Victimisation à vie
Les deux questionnaires abordent la victimisation à vie de manière distincte. L’ESG réserve une question à cet effet vers la fin du questionnaire, soit cinq sections après celle portant sur la victimisation des 12 derniers mois. Il est possible de croire qu’à cette étape du questionnaire, les répondants étaient moins disposés à répondre, soit par impatience, par désintérêt ou par fatigue, d’autant plus que la population interrogée était âgée de 15 à 17 ans (Cape, 2010). Ainsi, pour répondre adéquatement à la question de l’ESG, le sujet interrogé devait garder en mémoire un nombre important d’informations.
D’abord, la question principale contient quatre informations : l’exemption des crimes mentionnés précédemment, la présence de nouveaux crimes, les six exemples de crimes donnés, et finalement, l’indication de tenir compte des actes commis par la famille. Ensuite, si la réponse est positive, le répondant se voit offrir 11 choix de réponse différents associés aux victimisations possibles. Le répondant doit ainsi se remémorer un total de 11 événements possibles survenus au cours de sa vie entière dans l’espace d’une seule question. De plus, tel qu’il a été discuté, ce type de question peut être influencé par le phénomène de récence et de primauté (Payne, 1951). Contrairement à l’ESG, le JVQ pose la question de la victimisation à vie pour chacun des crimes en premier lieu pour ensuite demander si un tel événement s’est produit dans les 12 derniers mois. Une seule victimisation est remémorée à la fois, ce qui permet au répondant de bien réfléchir à son vécu. Ainsi, une structure de questions fermées comprenant de nombreux choix de réponse peut grandement influencer le taux de réponse et possiblement rendre les questions sur la victimisation à vie de l’ESG obsolètes.
Conclusion
L’objectif principal de la recherche consistait à comparer les résultats du JVQ avec ceux de l’ESG. De nombreuses différences ont été constatées entre les questions des deux enquêtes de victimisation et des différences sociodémographiques entre les deux échantillons de répondants ont été notées. En considérant les variations sociodémographiques et structurelles attribuées à l’ESG et au JVQ, il est possible de conclure que les deux questionnaires donnent des taux similaires concernant la victimisation des 12 derniers mois. Les taux de victimisation à vie sont beaucoup moins similaires. Étant donné que l’objectif de la recherche est de savoir si le JVQ est un questionnaire fiable, l’utilisation des taux à vie comme indicateurs de la fiabilité du JVQ n’est pas la meilleure approche. Il faut aussi noter qu’il existe une différence réelle entre les deux échantillons utilisés dans l’analyse. L’un provient du Québec et l’autre du Canada (incluant le Québec), les données de l’ESG indiquent que le Québec est l’une des provinces ayant un taux de criminalité parmi les plus bas (Statistique Canada, 2010). Ceci pourrait avoir une incidence sur les résultats.
L’analyse suggère la possibilité d’améliorer les deux questionnaires utilisés. Sur le plan des améliorations techniques, il serait intéressant d’analyser la portée de la menace dans les questionnaires de victimisation, à savoir s’il est important ou superflu d’inclure la menace dans la mesure des taux de victimisation. Est-ce qu’inclure la menace n’aurait pour seule conséquence de gonfler le nombre de victimisations rapportées, sans nécessairement avoir un effet sérieux sur la victime, ou, au contraire, permettrait d’identifier un phénomène de victimisation peut-être sous-estimé ? Puisque toute menace à notre sécurité « ébranle cette assurance de sécurité, la confiance et l’estime de soi » (Wemmers, 2003), il y a lieu de croire qu’il serait pertinent d’inclure la menace dans les questions du JVQ.
Une autre amélioration concerne la clarté des questions et leur contenu. Bien que le même crime soit mesuré dans les deux questionnaires, il y a des différences marquées dans la manière de poser la question et dans les concepts utilisés. Il importe de porter attention aux exemples employés ainsi qu’à leur clarté car certains d’entre eux peuvent limiter la compréhension ou encore avoir l’effet contraire et rendre la question beaucoup trop inclusive. Par exemple, les questions traitant de cambriolage/introduction par effraction n’indiquent pas si l’introduction par effraction inclut un vol et si ce vol a été commis à l’intérieur de la maison, sur le terrain, dans le cabanon, etc. Une question vague peut porter à confusion en mêlant différents événements.
En conclusion, l’étude de la victimisation juvénile repose sur le développement et le perfectionnement d’outils comme l’ESG et le JVQ. Il est essentiel de se doter d’instruments de mesure appropriés afin de documenter la victimisation juvénile et ainsi développer des théories adaptées au phénomène en se détachant des théories axées sur l’explication de la délinquance.
Parties annexes
Note
-
[1]
Université de Montréal, Pavillon Lionel-Groulx, École de criminologie, C.P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal, (Québec) Canada, H3C 3J7.
Références
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