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Introduction

Ce numéro spécial que la revue Criminologie consacre à la criminalité environnementale offre une occasion précieuse de faire connaître et de proposer un bref commentaire d’une proposition de convention internationale contre la criminalité environnementale. Cette proposition a été récemment formulée et détaillée par une équipe de recherche constituée de chercheurs, universitaires et praticiens de plusieurs pays, notamment de France. Le projet est ambitieux puisqu’il se double d’une proposition d’une seconde convention internationale contre l’écocide. Il comprend aussi 35 recommandations pour mieux appréhender les crimes contre l’environnement en prônant, d’une part, une rationalisation de la protection de l’environnement par le droit pénal et, d’autre part, une adaptation du droit pénal aux spécificités de la criminalité environnementale[2].

Ambitieux sans le moindre doute, le projet conventionnel comporte une dimension novatrice qui doit être appréciée avec mesure. Si la conclusion d’un tel projet n’est pour l’heure pas inscrite aux agendas internationaux, sa conceptualisation n’en est pas pour autant étrangère aux sphères du droit positif national, régional et mondial. Au contraire, un projet nouveau, quel qu’il soit, ici juridique mais ailleurs d’un autre domaine, ne trouve généralement matière à émerger que dans la mesure où ce projet prend racine dans un ensemble qui lui est favorable, c’est-à-dire dans un terreau propice à sa formalisation. La présente analyse du projet de convention contre la criminalité environnementale est animée de cet esprit. Plus précisément, il s’agit ici de proposer une analyse contextuelle des échanges et des résultats du groupe de recherche écocrimes-écocides à la lumière de travaux menés dans un autre cadre scientifique. Cette autre perspective d’analyse est offerte par CIRCULEX, un projet de recherche pluridisciplinaire qui a pour objectif d’analyser les circulations de normes et les réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement[3]. Ainsi, le projet conventionnel pour la prévention et la répression de la criminalité environnementale paraît davantage s’inscrire dans un continuum normatif largement balisé par des législations nationales et des traités internationaux adoptés ou en vigueur. Le projet conventionnel peut ainsi dévoiler ses emprunts juridiques (Watson, 1974) aux droits nationaux, régionaux ou international, conventionnels ou non, relatifs à la protection de l’environnement, au domaine pénal ou à d’autres branches du droit.

Qu’il soit alors permis de penser que ces brefs propos seront de nature à conforter ce projet conventionnel, tant dans sa pertinence que pour son possible aboutissement. À l’appui de ces voeux, il est possible d’établir que le projet d’une convention contre la criminalité environnementale ne constitue nullement un bouleversement de l’état du droit existant, tant de sa nature que de ses présupposés ontologiques ou du fondement de ses dispositions. Au contraire, ce n’en est qu’un prolongement logique. En effet, le projet s’appuie sur le partage du principe de prohibition de la criminalité environnementale (I) et sur la circulation juridique des modalités de répression de cette nouvelle forme de criminalité (II).

I. Le partage du principe de prohibition de la criminalité environnementale

La criminalité environnementale est d’ores et déjà largement prohibée en droit. Dans leur diversité, les ordres juridiques nationaux, régionaux et internationaux condamnent en effet dès à présent ce qu’on convient de viser par la criminalité environnementale. La notion est largement commune aux divers ordres juridiques (A) et sa prohibition pénale bien partagée (B).

A. Une notion juridique commune

La notion de criminalité environnementale est sans doute jeune. Elle n’en a pas moins acquis une maturité juridique certaine. Les facteurs en sont principalement à rechercher dans sa filiation d’avec la notion de criminalité, ancienne et bien connue du droit. Elle en constitue seulement une nouvelle composante, une composante environnementale, en ce qu’elle comporte un effet dommageable sur l’environnement, ce dernier étant pris dans son acception classique et indubitablement vaste. La criminalité environnementale est très largement liée aux formes de criminalités organisées plus anciennes et traditionnelles qu’est le trafic de drogues par exemple ; elle en constitue bien souvent un prolongement.

Sans préjudice des autres éléments substantiels présents dans cette revue, la criminalité environnementale se définit schématiquement comme une infraction pénale à la législation de protection de l’environnement, c’est-à-dire une activité pénalement prohibée, notamment constitutive d’un commerce illégal d’animaux ou d’espèces en danger, d’une pêche illégale, d’une exploitation illégale des forêts, de commerce illégal de matières précieuses ou de matières appauvrissant la couche d’ozone ainsi qu’une pollution illicite par déchets ou un trafic de déchets dangereux.

La criminalité environnementale renvoie donc aux critères de l’illégalité et de l’effet dommageable à l’environnement. L’un et l’autre sont évidemment contingents et liés aux dispositions propres à chaque ordre juridique. Le projet de convention sur la criminalité environnementale s’y attache au premier titre. Pour le critère de l’illégalité (article 1.1), il ne se limite d’ailleurs pas à une référence au droit de l’État sur le territoire duquel le comportement dommageable a été commis (compétence territoriale visée à l’alinéa a). Il se réfère aussi, de façon plus astucieuse et protectrice, au droit de l’État dont l’auteur est le national si ce dernier cherche à bénéficier d’un écart de protection de législations ou a obtenu une autorisation de façon frauduleuse au sens des règlements internationaux (compétence nationale visée aux alinéas b i et ii). Ces premiers emprunts au droit international se retrouvent encore dans l’acception de l’environnement que l’on sait vaste. Ainsi, le champ d’application du projet conventionnel est large. Il couvre les actes illicites qui mettent en danger l’environnement, commis intentionnellement ou par négligence au moins grave, énumérés par l’article 3 :

  1. le rejet, l’émission ou l’introduction d’une quantité de substances ou de radiations ionisantes dans l’air ou dans l’atmosphère, dans les sols, dans les eaux ou dans les milieux aquatiques ;

  2. la collecte, le transport, la valorisation ou l’élimination de déchets, y compris la surveillance de ces opérations ainsi que l’entretien subséquent des sites de décharge et notamment les actions menées en tant que négociant ou courtier dans toute activité liée à la gestion des déchets ;

  3. l’exploitation d’une usine dans laquelle une activité dangereuse est exercée ou dans laquelle des substances ou préparations dangereuses sont stockées ou utilisées ;

  4. la production, le traitement, la manipulation, l’utilisation, la détention, le stockage, le transport, l’importation, l’exportation ou l’élimination de matières nucléaires ou d’autres substances radioactives dangereuses ;

  5. la production, l’importation, l’exportation, la mise sur le marché ou l’utilisation de substances appauvrissant la couche d’ozone ;

  6. la mise à mort, la destruction, la possession ou la capture de spécimens d’espèces de faune et de flore sauvages sauf dans les cas où les actes portent sur une quantité négligeable de ces spécimens et ont un impact négligeable sur l’état de conservation de l’espèce ;

  7. le commerce de spécimens d’espèces de faune ou de flore sauvages ou de parties ou produits de ceux-ci sauf dans les cas où les actes portent sur une quantité négligeable de ces spécimens et ont un impact négligeable sur l’état de conservation de l’espèce ;

  8. tout autre acte illicite de caractère analogue susceptible de mettre en danger l’environnement.

Si l’énumération peut paraître fort complète, voire excessive, notamment par son alinéa h), elle recouvre les composantes aujourd’hui classiquement citées à propos de la criminalité environnementale. En outre, sa comparaison avec l’article 2 de la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1998 ou avec l’article 3 « Infractions » de la Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal sera riche d’enseignements et pas seulement à propos de la circulation des normes du droit de l’environnement. Le même constat peut être établi en consultant maintes législations nationales[4]. Au surplus de ces comportements constitutifs de criminalité environnementale en ce qu’ils créent un danger pour l’environnement, le champ d’application du projet n’échappe pas à l’anthropocentrisme du droit de la protection de la nature en visant aussi les comportements analogues lorsqu’ils mettent en danger la personne d’autrui et qu’ils sont commis intentionnellement ou par négligence au moins grave (article 4).

Évidemment animé par l’ambition d’une meilleure lutte contre la criminalité environnementale, le projet conventionnel n’en est pas moins nécessairement fondé sur une conception somme toute classique de celle-ci. La notion déjà commune à plusieurs ordres juridiques est substantiellement reprise, sa définition est seulement précisée à l’aune de dispositions déjà existantes et ses contours sont quelque peu élargis pour couvrir des comportements actuels forts dommageables à l’environnement.

La communauté d’intérêts constituée autour des enjeux environnementaux, sociaux, sanitaires, économiques et sécuritaires de la criminalité environnementale (Neyret, 2015) conduit à lui reconnaître une actualité notable et encourage chaque jour davantage les autorités à s’en préoccuper nonobstant les actuelles apories juridiques. Ainsi, la notion de criminalité environnementale est d’ores et déjà utilisée par de nombreux acteurs pertinents dans la lutte contre celle-ci. Elle peut se retrouver également dans les travaux d’organes ou d’autorités dont les textes constituants ne reconnaissent pourtant pas encore expressément cette forme de criminalité. L’exemple de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime est à cet égard éloquent. Il consacre expressis verbis une rubrique à la « criminalité environnementale » dans son récent Recueil d’affaires de criminalité organisée et décrit plus largement ses activités en la matière sous un onglet ainsi nommé sur son site internet (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime [ONUDC], 2012). Cette initiative est directement dictée par les éléments factuels que constituent la mise en évidence et l’analyse d’affaires de criminalité environnementale liées à la criminalité organisée qu’a connues notamment le Brésil. Elle est aussi inspirée par des orientations politiques. En effet, le douzième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et la justice pénale, tenu à Salvador en 2010, s’est dit dans sa Déclaration finale, « conscient du problème que posent les nouvelles formes de criminalité qui ont un impact important sur l’environnement » (ONUDC, 2010, paragr. 14). En outre, le Congrès fut ouvert par la lecture d’un message du secrétaire général des Nations Unies évoquant sans détour « les formes de criminalité nouvelles (telles que la cybercriminalité, la criminalité environnementale et la contrefaçon) » (ONUDC, 2010, paragr. 48).

Ainsi identifiée, la vaste communauté constituée autour de la notion de criminalité environnementale est un socle important du projet conventionnel. L’adoption de celui-ci s’avère d’autant plus aisée qu’il promeut une prohibition pénale de la criminalité environnementale elle aussi largement partagée.

B. Une prohibition pénale partagée

Les diverses dispositions nationales ou internationales relatives à la criminalité environnementale ont évidemment en commun d’en viser la prohibition. En effet, qu’elles soient en vigueur ou de simples orientations juridiques, que ce soit des règles sectorielles partielles ou des directives et des réglementations englobant largement les nombreuses matérialisations de la criminalité environnementale, il s’agit invariablement de dispositions qui interdisent et sanctionnent les comportements constitutifs de criminalité environnementale. Ainsi, le projet de convention internationale contre la criminalité environnementale est dûment adossé au partage de sa prohibition pénale.

Comme déjà indiqué à propos de la notion de criminalité environnementale, les contours donnés à celle-ci vont systématiquement de pair avec l’énoncé de la prohibition pénale des comportements visés. Le critère de l’illicéité est évidemment important, mais c’est surtout la qualification d’infraction pénale qui retient ici l’attention. Sur ce point aussi, le partage juridique est fort. Ainsi, l’article 3 de la Directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal énonce, préalablement à la liste des actes visés, la disposition selon laquelle « [l]es États membres font en sorte que les actes suivants constituent une infraction pénale lorsqu’ils sont illicites et commis intentionnellement ou par négligence au moins grave ». L’exigence selon laquelle « [c]haque Partie adopte les mesures appropriées qui pourraient être nécessaires pour qualifier d’infractions pénales » se retrouve encore aux alinéas premier et second de l’article 2 de la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1998 à propos des « Infractions commises intentionnellement », à son article 3 à propos des « Infractions de négligence » et à son article 4 pour les « Autres infractions pénales ou infractions administratives ». La qualification d’infraction pénale est encore plus évidente dans les divers codes pénaux nationaux répertoriés à l’appui du projet conventionnel. Dans ces cas, la disposition pénale comporte aussi l’énoncé de la peine applicable. C’est le cas par exemple des articles 414 à 417 du Code pénal fédéral du Mexique qui mentionnent une peine privative de liberté d’un à neuf ans.

Le projet de convention contre la criminalité environnementale repose ainsi sur un large partage de sa prohibition pénale. Pour autant, il ambitionne aussi une plus grande efficacité de l’incrimination pénale et comporte à cet égard deux précisions notables. L’une concerne les auteurs potentiels des infractions, l’autre les sanctions en cas de comportement prohibé.

Concernant les auteurs potentiels de criminalité environnementale, le projet s’attache à limiter autant que possible les cas d’impunité. Sans pour autant mettre à l’écart des dispositions classiques, il comporte aussi des propositions novatrices principalement guidées par la recherche d’efficacité méthodologique. L’article 5 relatif à la « [p]articipation aux infractions » énonce que commettent aussi une infraction ceux qui en sont les donneurs d’ordres, les complices et les personnes agissant de concert. Cette extension utile du champ d’application est fortement inspirée par les articles 2 et 8 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée[5]. Les auteurs d’infractions pénales ne sont pas seulement des personnes physiques, les personnes morales voient aussi leur responsabilité envisagée par le jeu de l’article 6 du projet. Cette disposition, aujourd’hui de plus en plus présente dans les ordres juridiques internes (Guidicelli-Delage et Manacorda, 2013), s’inscrit aussi dans le prolongement des dispositifs internationaux non contraignants existants comme Les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de 2011 et ceux en voie d’émergence, comme la convention sur la responsabilité des entreprises transnationales et les droits de l’homme dont un projet d’élaboration a été récemment adopté par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies[6].

Concernant les sanctions en cas de criminalité environnementale, le projet conventionnel se garde bien de dicter avec précision aux futurs États parties les réactions qui s’imposent. Liée au respect de la souveraineté nationale dûment rappelé à l’article 19, la question est si sensible que le contraire aurait nui à l’entreprise. Pour l’efficacité de la convention, il ne saurait pour autant être question de se limiter, comme la directive de 2008, à viser des « sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives[7] ». Ici, toute une section du projet de convention est consacrée aux sanctions (articles 7 à 11). Sont visés les sanctions contre les personnes physiques, celles contre les personnes morales, des critères de détermination de la sanction des personnes morales ainsi que les confiscations et saisies. La minutie suivie s’explique par la volonté de proposer aux États parties des lignes directrices détaillées des sanctions adaptées en tenant compte du type d’auteurs (personne physique ou personne morale), de la complétude de la sanction qui doit aussi inclure la « réparation des dommages à l’environnement et l’indemnisation des victimes »[8] ainsi que la gravité des infractions sur la base de critères méthodologiques à même de mieux la cerner[9]. À n’en pas douter, ces dispositions complètent et dépassent utilement les textes internationaux et nationaux pertinents en la matière, en ce qu’ils relèvent parfois davantage du droit souple ou des déclarations d’intentions. Dans le respect du continuum normatif et de la souveraineté des États en matière de sanctions pénales, il s’agit d’avancées nécessaires à la bonne effectivité de la prohibition pénale de la criminalité environnementale.

Dépassant le partage de la prohibition pénale de la criminalité environnementale, la présente entreprise d’uniformisation ou, tout du moins d’harmonisation, entend répondre aux difficultés pratiques rencontrées dans son internationalisation[10]. En effet, l’action pénale contre la criminalité environnementale produit d’ores et déjà des effets internationaux qui attestent tout à la fois du large partage à travers le monde de cette forme de criminalité et de sa pénalisation, ainsi et surtout que des obstacles pratiques qu’elle rencontre et que le projet conventionnel peut permettre de surmonter. Pour preuve, Interpol, organisation internationale de coopération policière, a lancé en novembre 2014 l’opération Infra-Terra, première opération d’appel mondial au public pour localiser 139 personnes recherchées par 36 de ses 190 États membres pour des « atteintes à l’environnement »[11]. Cet exemple témoigne aussi de l’usage possible de modalités très classiques et éprouvées en matière de lutte contre la criminalité qui sont réutilisées en matière environnementale. Le projet de convention contre la criminalité environnementale fait largement sien ce constat puisqu’en plus de reposer sur le partage du principe de prohibition de la criminalité environnementale, il met en oeuvre une circulation des modalités de répression de celle-ci.

II. La circulation des modalités de répression de la criminalité environnementale

L’originalité du projet de convention internationale contre la criminalité environnementale n’est que relative. Déjà signalée à propos de la notion de criminalité environnementale et de sa prohibition pénale, la parenté des dispositions du projet avec les droits positifs nationaux, régionaux et international est indéniable. Elle est une condition de l’acception de l’entreprise normative. Vue de la communauté internationale et à quelques contours près, la criminalité environnementale est une notion commune dont ses membres partagent déjà largement la condamnation pénale. Reste alors à envisager les modalités de la répression pénale. Or, sur ce point aussi, le projet est adossé à une communauté juridique et à un continuum normatif fort.

Les modalités sélectionnées pour la répression de la criminalité environnementale sont largement empreintes du droit positif. Le projet de convention est appuyé sur des techniques présentes dans les acquis et les tendances du droit international, notamment des domaines environnemental et pénal. Il s’agit de dispositions dont on constate la circulation entre ces branches du droit et qui ont été intégrées au projet selon un processus d’emprunt et de cristallisation. Il en ressort tout à la fois une acceptation plus aisée du projet et un renforcement de la valeur juridique internationale de ces techniques. Ce double mouvement s’apprécie à la lumière d’une reproduction de modalités classiques (A) et de la confirmation de modalités émergentes (B).

A. Une reproduction de modalités classiques

Le classicisme de plusieurs aspects de la prohibition pénale a déjà été signalé, tels le respect de la souveraineté étatique, la gravité et l’effectivité des sanctions ainsi que, dans une moindre mesure, la responsabilité des personnes morales. Il est ainsi permis de centrer les commentaires sur d’autres aspects du projet relatifs aux modalités de répression de la criminalité environnementale. À cet égard, trois propositions retiennent l’attention tant elles s’avèrent des plus classiques. Il s’agit de l’obligation de coopération, celle d’extrader ou de poursuivre, enfin des mesures conservatoires.

Une section entière du projet est consacrée à la « Coopération en matière répressive » (articles 12 à 17) à laquelle s’adjoint l’article 18 « Coopération internationale en matière de prévention ». La chose n’est pas étonnante tant l’importance de la coopération en matière environnementale est forte et connue depuis au moins la Déclaration de Stockholm (1972)[12] et les rappels de la Cour internationale de Justice[13]. L’article 18 du projet lui donne effet par plusieurs obligations d’échange de renseignements et d’informations, de formation et de sensibilisation du public. Le classicisme de ces modalités est tout aussi notable à propos de la coopération en matière répressive. C’est notamment le cas à propos des « Enquêtes et poursuites » visées à l’article 13 et de l’« Entraide judiciaire » de l’article 17. La coopération en matière d’enquête et de poursuite pénale n’est pas nouvelle. Ainsi, le projet conventionnel pouvait reprendre plusieurs modalités usitées en la matière comme celles proposées par la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, conclue le 20 avril 1959 dans le cadre du Conseil de l’Europe. Eu égard à l’importance des enjeux humains abordés par la criminalité environnementale, les promoteurs du projet ont préféré tisser un lien implicite avec un traité universel relatif aux crimes les plus graves. Ils ont directement calqué l’article 13 du projet sur l’article 6 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984)[14]. Pour leur part, les dispositions relatives à l’entraide judiciaire sont largement inspirées des modalités devenues classiques que reprend et complète abondamment l’article 18 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Sur cette question traditionnelle de la coopération, les emprunts aux autres instruments internationaux sont donc forts, offrant ainsi des modalités classiques à la répression de la criminalité environnementale. Celle-ci dément par là même toute singularité insurmontable. Le même constat peut être dressé à propos de l’obligation plus spécifique d’extrader ou de poursuivre.

« Extrader ou poursuivre » est l’intitulé de l’article 15 du projet de convention, symbole du refus d’impunité, qui se poursuit avec l’article 16 relatif à l’« Extradition ». Sans doute, un tel binôme est animé par des considérations éthiques où prime le refus d’atteintes graves à l’environnement non punies. Pour autant, ces deux modalités de la répression pénale ne doivent aucunement être lues à cette seule lumière. Elles sont surtout, elles aussi, des modalités classiques du droit international pénal. En effet, l’adage aut dedere aut judicare n’est pas nouveau et la question du caractère coutumier de l’obligation d’extrader et de poursuivre fut même posée aux plus hautes autorités sans qu’une réponse définitive, positive ou négative, ne s’impose. La Cour internationale de Justice ne s’est prudemment pas prononcée sur cette question dans l’affaire des questions concernant l’obligation du Sénégal de poursuivre ou d’extrader Hissène Habré vers la Belgique[15]. Pour sa part, la Commission du droit international (CDI) a été chargée d’élaborer un projet d’articles relatif à l’obligation aut dedere aut judicare et les débats ont été vifs en son sein quant à la reconnaissance de ce caractère coutumier[16]. Indépendamment de cette valeur coutumière, l’obligation d’extrader ou de poursuivre connaît une valeur conventionnelle maintes fois affirmée comme a pu le répertorier la CDI[17]. Le projet conventionnel n’est pas non plus sur ce point en marge du droit existant. Au contraire, pour la formulation de cette obligation, il reproduit même in extenso l’article 7 largement commenté de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’inscrivant délibérément dans un mouvement de circulation des dispositions.

Un troisième exemple de reproduction de dispositions internationales classiques est proposé par le recours aux mesures conservatoires de l’article 23 du projet. « En raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement[18] », de très nombreux contentieux nationaux et internationaux récents ont montré l’intérêt des actions en référé et autres demandes en mesures conservatoires, notamment mais non exclusivement dans le domaine environnemental[19]. Ce constat a évidemment justifié la reprise de cette technique contentieuse, tant dans son principe que dans ses modalités. Les dispositions textuelles sélectionnées sont la reproduction littérale de l’article 290 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982).

Sur la base d’éléments certes non exhaustifs, il appert clairement que le projet de convention contre la criminalité environnementale tisse de nombreux liens avec d’autres instruments internationaux par la reproduction de leurs modalités et de leurs techniques classiques. Les références sont plurielles et de domaines variés, ici au droit international pénal de l’entraide judiciaire, là au droit de la mer, ici surtout à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants marquant nettement le registre de gravité dans lequel le projet s’inscrit. Les dispositions classiques existant, leur modèle est évidemment repris ici. Toutefois, la contribution du projet conventionnel au droit international ne se limite pas là. Pour d’autres aspects, il permet la confirmation juridique de modalités émergentes.

B. Une confirmation de modalités émergentes

Le projet conventionnel fait siennes plusieurs modalités originales pour atteindre une meilleure efficacité. Mais là encore, l’originalité doit être nuancée. Il s’agit plutôt d’une incorporation de techniques développées progressivement en droit international de l’environnement. Plusieurs éléments en attestent.

La quasi-totalité des conventions internationales prévoit des dispositions relatives au réglement des différends. C’est le cas ici aussi avec l’article 22 qui prévoit une soumission du différend à la Cour internationale de Justice ou à l’arbitrage. Le projet ne se limite toutefois pas à cela pour le contrôle du respect des obligations. Sous le titre « Contrôle du respect des dispositions », l’article 21 programme l’adoption par l’Assemblée des Parties d’un arrangement pour créer un mécanisme non conflictuel, non judiciaire et consultatif de contrôle du respect. Sous ces termes, il s’agit d’un mécanisme de compliance avec un comité du respect, comme en sont aujourd’hui très régulièrement dotés les accords environnementaux multilatéraux. C’est par exemple le cas de celui institué en 1992 dans le cadre du Protocole de Montréal du 16 septembre 1987 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone ou de celui lié à la Convention d’Aarhus de 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement[20]. Cet emprunt au droit international conventionnel de l’environnement et des droits de l’homme, pour son utilisation en matière de répression pénale, peut être de nature à en diffuser les mérites à d’autres branches du droit international. Les termes utilisés sont soigneusement sélectionnés. Pour maintenir encore une filiation internationale, ils s’inspirent fortement des dispositions du mécanisme de conformité à l’activité sans doute la plus notable aujourd’hui, à savoir celui établi dans le cadre de la Convention d’Aarhus précitée[21]. Les compléments apportés ont trait à l’articulation avec le mécanisme de règlement des différends pour lever les doutes existants à ce sujet (alinéa 3) ainsi qu’à la participation du public qui devient ici certaine (alinéa 2) et non plus optionnelle comme dans le texte de la Convention d’Aarhus. En outre, ce dernier point constitue la confirmation d’un autre aspect émergent en droit international.

La participation du public ou « Participation de la société civile » selon le titre de l’article 14 du projet est l’une de ses modalités de lutte contre la criminalité environnementale. Il s’agit tout à la fois de satisfaire à une tendance forte de la protection de l’environnement, illustrée par la Convention d’Aarhus et englobée par ce qui est aujourd’hui nommé gouvernance environnementale avec le rôle qu’y jouent toutes ses parties prenantes, ainsi que de répondre à une revendication croissante et forte en droit international qui, sous une pression toujours accrue, concède un rôle aux acteurs non étatiques. Ainsi, en plus de pouvoir communiquer au comité du respect, la société civile sera un acteur important de la lutte contre la criminalité environnementale par l’obligation faite à chaque État partie de veiller à favoriser son information et sa participation aux procédures pénales relatives aux infractions visées, qu’il s’agisse d’un groupe, d’une fondation ou d’une association ayant l’objectif statutaire de protéger l’environnement. Gage d’efficacité, cette concession au caractère interétatique du droit international constitue une modalité juridique émergente que conforte le projet.

Le dernier élément à souligner ici n’est plus présent dans la version finale du projet conventionnel, il se retrouve seulement dans le projet lié de convention contre l’écocide. Il y est énoncé à l’article 20 qui porte ses nom et acronyme : « Groupe de recherche et d’enquête pour l’environnement (GREEN) ». Il s’agit d’une modalité institutionnelle, c’est-à-dire d’un organe de vingt membres indépendants, bénéficiant d’une expertise reconnue et élus par les États parties à la convention Écocide. Le GREEN est compétent pour faire des constatations de faits matériels susceptibles d’être des écocides et pour formuler des avis sur la criminalité environnementale internationale rejoignant ainsi le champ d’application du projet de lutte contre celle-ci. Il pourrait être assez largement saisi, notamment par les États parties et la société civile. Innovation majeure qui aurait pu nuire au présent projet conventionnel, cette modalité institutionnelle n’est pas sans rappeler les développements organiques qui émergent dans cette branche du droit international, à savoir les groupes d’experts. Ils ont pour fonction de dépolitiser les enjeux et de guider les choix diplomatiques, tels le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en matière de changements climatiques ou la plus récente Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) en matière de biodiversité. Sur ce point aussi, le projet conventionnel apporte une pierre importante à l’édifice du droit international en construction, tant matériel qu’organique.

Par maintes dispositions, le projet de convention contre la criminalité environnementale, dite « Convention Écocrimes », relève du droit positif actuel au point d’avoir presque à se demander ce que peut être son apport. Si l’interrogation est fondée, il faut aussi mesurer les effets de l’internationalisation de la lutte contre la criminalité environnementale qu’il permet et, à sa suite, la prévention et la réparation des atteintes criminelles à l’environnement qui se multiplient à travers le monde. Sous l’angle du commentaire proposé ici, le projet conventionnel s’avère une illustration notable de la circulation de normes et d’acteurs en droit international et pas seulement dans le domaine environnemental. En cela, ce simple commentaire appelle des analyses approfondies pour dévoiler les ressorts juridiques et fonctionnels en jeu. À ce stade, on convient seulement qu’une circulation juridique est sensible en droit international de l’environnement ; elle repose sur des emprunts multiples et croisés aux règles préexistantes[22]. Une analyse de ce corpus juridique a d’ores et déjà été amorcée dans cette perspective tant sous l’angle de son harmonisation ou uniformisation consécutive que du gauchissement de ses concepts (Ruiz Fabri et Gradoni, 2009). Au surplus et du fait de ces emprunts, de son développement et de sa technicité, le droit international de l’environnement paraît de plus en plus devoir être analysé et appréhendé à l’aune des systèmes complexes qui le structurent (Orsini, Morin et Young, 2013). Plus largement, le projet offre une contribution notable aux réflexions déjà anciennes sur la fragmentation du droit international, sa réalité, ou son dépassement[23]. Dans cette perspective, le droit international apparaît moins fragmenté qu’incomplet. Les pièces manquantes, telle une convention contre la criminalité environnementale, ont leur place à prendre pour tisser les liens entre les branches et réglementations existantes. Elles le feront d’autant plus aisément que les circulations de normes et d’acteurs sont aujourd’hui importantes, que les interactions au sein de régimes de plus en plus complexes sont légion (Young, 2012).