Résumés
Résumé
À la fin des années 1990, Criminologie est l’une des premières revues savantes québécoises à passer au format numérique. Cet article dresse un portrait de l’usage numérique de la revue, basé sur l’analyse de 858 894 téléchargements extraits des logs du serveur de la plateforme Érudit, de 2010 à 2015. Dans l’ensemble, le lectorat de la revue semble bien établi, l’essentiel des usagers provenant d’Amérique du Nord et d’Europe. L’importance croissante de l’utilisation de la plateforme Érudit dans les pratiques de recherche des usagers, de pair avec l’effet positif de la suppression de la barrière mobile sur la diffusion de la recherche, sont également dignes de mention. Une asymétrie importante dans la distribution des consultations d’articles et de numéros thématiques a également pu être observée, une proportion importante de téléchargements étant l’affaire de quelques articles et numéros thématiques. Enfin, l’analyse des mots clés des articles téléchargés permet de souligner l’importance des problématiques locales ainsi que de la thématique autochtone en général.
Mots-clés :
- Criminologie,
- téléchargements,
- usage,
- bibliométrie,
- Québec
Abstract
At the end of the 1990s, Criminologie switched to a digital format, one of the first scholarly journals in Quebec to make this change. This paper provides a general overview of usage patterns for the journal, based on an analysis of 858,894 downloads extracted from the Érudit platform server logs between 2010 and 2015. In general, readership seems well established, with the majority of users in North America and Europe. The growing importance of the Érudit platform for research as well as the positive effect on research dissemination of the removal of the journal’s paywall are noteworthy. We found large differences in the distribution of articles and themed issues, with a small number of articles and themed issues accounting for a substantial part of the total journal downloads. Finally, keyword analysis of the downloaded articles revealed the importance of local concerns as well as native issues.
Keywords:
- Criminologie,
- downloads,
- usage,
- bibliometrics,
- Quebec
Resumen
Al final de los años 1990, Criminologie fue una de las primeras revistas académicas quebequenses que dio paso al formato digital. Este artículo esboza un cuadro del uso digital de la revista basado en el análisis de 858 894 descargas, extraídas de los registros del servidor de la plataforma Erudit, desde el 2010 hasta el 2015. En su conjunto, los lectores de la revista parecen estar bien establecidos. Los usuarios provienen esencialmente de América del Norte y de Europa. La importancia creciente del uso de la plataforma Erudit en las prácticas de investigación de los usuarios, de la par con el efecto positivo de la supresión de la barrera móvil sobre la difusión de la investigación, son igualmente dignas de mencionar. Una asimetría importante en la distribución de las consultas de artículos y de números temáticos pudo ser observada también. Una proporción importante de las descargas consiste en algunos artículos y números temáticos. Finalmente, el análisis de las palabras clave de los artículos descargados permite subrayar la importancia de las problemáticas locales, así como de la temática autóctona en general.
Palabras clave:
- Criminologie,
- descargas,
- uso,
- bibliometría,
- Quebec
Corps de l’article
Contexte
L’année 2018 marque le jubilé de la revue Criminologie[2], créée par l’École de criminologie de l’Université de Montréal, elle-même fondée par Denis Szabo en 1960 et représentant le premier département du genre au Canada (Debuyst, 1977 ; Université de Montréal, s.d.). Rattachée aux Presses de l’Université de Montréal (PUM), Criminologie devient, à la fin des années 1990, l’une des premières revues savantes au Québec à passer au format numérique[3]. Dès cette époque, le numérique apparaît comme une solution efficace à d’importantes contraintes communicationnelles et budgétaires. Tout d’abord, la nature même de l’imprimé limite alors fortement son potentiel de diffusion, problème d’autant plus épineux que dès l’an 2000, près de 30 % des abonnements aux revues des PUM proviennent de l’étranger (Beaudry et Boismenu, 2000). Mais aussi, devant la situation financière précaire des revues québécoises, l’arrivée du numérique fournit l’occasion de repenser la revue savante, tout comme le système de communication qui en relève (Beaudry et Boismenu, 2000). Forte de ces arguments, la numérisation de la revue Criminologie débute dans le cadre de la deuxième génération de la plateforme de diffusion Érudit, lancée en 1998 par les PUM (Érudit, s.d.-b ; Melançon, 2014). Les numéros courants de la revue sont produits en version numérique dès 2002, tandis que la numérisation rétrospective des numéros archivés s’amorce en 2006 (Érudit, s.d.-a). Au début de l’année 2017, la revue fait le grand saut vers le libre accès complet et supprime la barrière mobile en vigueur depuis 2006, qui autorisait alors la consultation des numéros les plus récents aux seuls abonnés (Beaudry, Boucher, Niemann et Boismenu, 2009).
L’anniversaire de Criminologie semble l’occasion idéale pour faire un retour sur l’usage numérique des articles et des numéros de cette revue. Pour ce faire, une analyse des données de téléchargements de la plateforme Érudit pour la période allant de 2010 à 2015 est ici effectuée. Bien qu’il aurait été souhaitable d’exécuter cet exercice dès le début de la diffusion numérique de la revue (en 1999), l’archivage des données de téléchargement par Érudit n’a toutefois débuté qu’en 2010. Les cinq années de données recueillies constituent néanmoins un volume impressionnant de données, dont l’analyse est à même de révéler des tendances claires et d’un grand intérêt pour l’étude de l’usage numérique de la revue. Par son objectif, le présent article s’apparente fortement à l’étude réalisée par Kaminski (2008) dans le cadre du 40e anniversaire de la revue. Dans cette étude, l’auteur analyse les titres des articles et des numéros ainsi que les éditoriaux parus dans Criminologie entre 1968 et 2005, cela en vue de dresser un portrait détaillé de la production scientifique de la revue, allant des auteurs y ayant publié et de leur provenance universitaire ou géographique aux thématiques abordées et aux politiques éditoriales de la revue. Cet article reprend ces différents domaines d’investigation, en mettant toutefois l’accent sur leur relation à l’usage en ligne de la revue. Se fondant sur ces considérations, le présent article se structure comme suit : suivant un survol historique de l’apparition du numérique dans l’édition savante au Québec, la démarche méthodologique adoptée pour l’étude est présentée. Par la suite, la provenance des usagers, l’obsolescence des articles, les articles et les numéros les plus téléchargés sont tour à tour abordés, puis les descripteurs (mots clés) thématiques des différents articles téléchargés sont analysés.
L’arrivée du numérique dans l’édition savante au Québec
La production numérique de revues savantes rattachées aux PUM débute en 1996 avec la création de la Direction des publications électroniques. Dans le cadre du travail dirigé de maîtrise de Guylaine Beaudry, effectué sous la supervision d’Yves Marcoux, à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, et déposé en avril 1997, la direction a mené un premier projet menant à l’édition numérique de deux revues des PUM, Géographie physique ainsi que Quaternaire et Surfaces (Beaudry et al., 2009).
S’intéressant à ce projet pilote, Industrie Canada propose par la suite à l’Université de Montréal de collaborer à la création du Virtual Centre for Online Scholarly Publishing, un service centralisé de publication numérique de revues. Renommé Virtuoso, le projet déclenche toutefois une vague de critiques lors de son annonce, principalement en raison de son caractère jugé trop centré sur l’Université de Montréal (Beaudry et al., 2009). Une telle résistance vient finalement à bout du projet, mais l’expertise développée lors de sa préparation est toutefois rapidement récupérée dans le cadre d’un projet pilote d’édition numérique mené en parallèle et en collaboration avec le Fonds pour la formation des chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR) (Beaudry et al., 2009). Soumis pour financement par l’Université de Montréal en septembre 1997, ce projet obtient une subvention du FCAR l’année suivante, ce qui mènera au lancement de la première mouture de la plateforme Érudit. À l’origine, le projet subventionné par le FCAR vise l’édition numérique des numéros courants de cinq revues : Géographie physique et Quaternaire (PUM, interrompue en 2007), Meta (PUM), Relations industrielles (Département des relations industrielles, Université Laval), Revue d’histoire de l’Amérique française (Institut d’histoire de l’Amérique française) ainsi que Sociologie et sociétés (PUM) (Beaudry et al., 2009). La revue Loisir & Société est également sélectionnée, mais ensuite retirée à la demande de l’éditeur (Boismenu, Sévigny, Vézina et Beaudry, 1999). Devant le succès rencontré par ce projet, l’édition numérique des numéros courants se poursuit et la numérisation rétrospective de certaines revues savantes commence dès 1999. C’est d’ailleurs dans cette foulée que débute la production numérique de Criminologie, les deux premiers numéros numériques étant diffusés à la fin de l’année 1999 (L. Grondin, communication personnelle, 26 avril 2017).
En raison des nouvelles exigences du Fonds FCAR et du volume croissant de publications diffusées, la première version de la plateforme Érudit arrive en peu de temps à la limite de ses capacités. La deuxième génération d’Érudit est lancée en 2002 en vue d’inclure d’autres types de publications savantes en accès libre (voir Beaudry et al., 2009, p. 2829-2831). À l’automne 2005, la numérisation rétrospective des numéros antérieurs de la revue Criminologie est terminée (L. Grondin, communication personnelle, 26 avril 2017). Cette initiative est d’ailleurs relativement précoce, dans la mesure où ce n’est qu’en 2007, avec l’obtention d’une subvention du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, qu’un vaste chantier de numérisation rétrospective des revues sur Érudit est enclenché (Niemann et Paquin, 2009). À l’instar du développement de l’édition numérique au pays et plus particulièrement de la plateforme Érudit, la mise en ligne de Criminologie est ainsi le résultat d’une transition cahoteuse et discontinue, progressant par à-coups, au rythme des contraintes financières et matérielles[4].
Les données de téléchargement et leur traitement[5]
Les données d’usage regroupent différents types d’activités comme le téléchargement d’un document PDF, la consultation d’une page Web, l’enregistrement ou le partage d’un document en ligne. Selon Kurtz et Bollen, « il y a usage lorsqu’un utilisateur émet une requête de service portant sur une ressource académique particulière et adressée à un service d’information quelconque [traduction libre] » (2010, p. 6). À la différence des citations, qui sont un indicateur de l’impact strictement scientifique d’une publication au sein de la communauté universitaire, les données d’usage refléteraient une forme d’impact social plus large, constituant même selon certains une étape distincte du processus de diffusion des connaissances (voir p. ex. Moed, 2005 ; Priem et Hemminger, 2010). Le présent article portera toutefois uniquement sur les téléchargements d’articles, définis ici comme des consultations en ligne du texte intégral d’un article savant en format PDF ou HTML (Moed et Halevi, 2016). Les données de téléchargement des articles de la revue Criminologie proviennent des requêtes HTTP effectuées entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2015 et enregistrées dans les logs du serveur de la plateforme Érudit.
Le recours à une technique de détection de robots a permis d’identifier les véritables lecteurs de la revue et d’exclure les téléchargements automatiques. Cette technique s’appuie sur une double procédure de filtrage, consistant d’abord en l’identification des robots déjà connus sur le Web (grâce à l’agent utilisateur ou user agent), puis de la détection des robots inconnus (nouveaux ou cherchant à masquer leur activité). Cette seconde étape se fonde principalement sur la détection d’activités anormales pour des utilisateurs humains, telles que l’absence de téléchargement d’images, de feuilles de style ou encore de fichiers JavaScripts, lorsque le nombre d’articles téléchargés va au-delà d’un seuil déterminé par vérifications manuelles. Une telle technique appartient à la seconde famille des méthodes de détection de robots décrites dans Doran et Gokhale (2010) et a été inspirée de l’algorithme développé par Geens, Huysmans et Vanthienen (2006), lequel a obtenu un rappel et une précision de 98 % et 89 % respectivement. Par ailleurs, 99 % des téléchargements ont été géolocalisés à l’échelle du pays et 68 % à l’échelle des provinces, sur la base de l’adresse IP des usagers, même dans le cas où ceux-ci utilisent un proxy. Suivant ces différentes étapes de collecte et de nettoyage de données (détection de robots, identification du texte intégral et géolocalisation), 858 894 téléchargements ont été enregistrés pour les 786 articles de la revue disponibles sur la plateforme Érudit en date du 31 décembre 2015.
Pour chaque article, les métadonnées des articles de Criminologie sur la plateforme Érudit ont été jointes aux données de téléchargements. Le nom des auteurs a également été nettoyé manuellement de manière à corriger les coquilles et éliminer les doublons. Par ailleurs, 157 des 786 articles analysés et comptant pour 126 005 téléchargements ont été indexés en vocabulaire libre, les auteurs de ces articles ayant fourni leur propre liste de mots clés. À des fins d’analyse thématique, deux types de contrôle du vocabulaire libre ont été ici privilégiés, soit un contrôle strict et un contrôle étendu. Le premier, morphologique et flexionnel, consiste à unifier les mots clés en genre et en nombre et à convertir les descripteurs nominaux communs en minuscules ; ces opérations ont permis de réduire le lexique des descripteurs de 615 à 581 types distincts. Puis, le second type de contrôle, sémantique et extensif, consiste à unifier les termes coréférents (bandes urbaines = gangs), et à expliciter, pour chaque mot clé du lexique, les relations d’inclusion (adolescents > adolescents agresseurs sexuels, agresseurs sexuels > adolescents agresseurs sexuels) et d’association (cybercriminalité – Internet) entre termes par une extension conséquente de la liste de mots clés pour chaque article. Cette procédure permet ainsi de réduire le lexique de mots clés différents de 581 à 507 types distincts, tout en augmentant le nombre total de mots clés de 581 à 1082 occurrences différentes. En enrichissant de la sorte le vocabulaire des descripteurs, les thématiques générales peuvent être plus facilement évaluées, sans pour autant perdre de vue la spécificité des problématiques.
Notons également que pour l’intégralité de la période observée, les numéros de la revue étaient encore soumis à un embargo d’une durée moyenne de deux ans, la revue n’étant diffusée en libre accès complet que depuis le début de l’année 2017. Par ailleurs, l’année 2010 étant incomplète, les données de téléchargement pour cette période ont été exclues des analyses et des résultats portant sur l’évolution de l’usage de Criminologie à travers le temps. Enfin, le nombre de téléchargements pour l’année 2014 a connu une importante baisse, en raison essentiellement d’un problème d’indexation du contenu d’Érudit sur le moteur de recherche de Google.
Un lectorat établi
Dans l’ensemble, l’analyse des données de téléchargement des articles de Criminologie montre que le lectorat de la revue est fermement établi, notamment en comparaison des statistiques obtenues pour les autres revues des sciences sociales et humaines (SSH) diffusées par Érudit. De 2011 à 2015, la fréquence annuelle absolue de téléchargements d’articles de Criminologie passe de 141 370 à 162 378. Durant cette même période, la fréquence annuelle moyenne demeure pour sa part stable, avec 212 téléchargements par article en 2011, comparativement à 210 en 2015. Cette fréquence moyenne par article est très élevée pour une revue relevant des SSH ; la fréquence moyenne des autres revues en SSH sur Érudit n’est en effet que de 79, ce qui illustre la diffusion impressionnante des articles de Criminologie.
Du côté de l’âge des articles téléchargés, la moyenne pour les articles de Criminologie se compare à celle des autres revues en SSH d’Érudit, étant respectivement de 16 et 15 ans. De tels résultats n’ont d’ailleurs rien de surprenant, car les publications savantes en SSH connaissent une obsolescence beaucoup plus lente que celles en sciences naturelles (voir p. ex. Houghton, 1975 ; Larivière, Gingras et Archambault, 2008 ; Line, 1993 ; Nicholas et al., 2005). Par ailleurs, la distribution de l’âge des articles téléchargés est fortement asymétrique. Les articles les plus âgés atteignent 47 ans et le mode est de 5 ans. La moyenne de 16 ans, obtenue par Criminologie, est donc abaissée par le grand nombre d’articles récents qui sont consultés.
Des usagers francophones et québécois
Les Tableaux 1, 2 et 3 ci-dessous montrent respectivement la provenance continentale, internationale et nationale des téléchargements d’articles de la revue. Dans le premier cas, les téléchargements pour les cinq années observées proviennent essentiellement d’Amérique du Nord et d’Europe (86 %). Cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où la moitié et le cinquième des usagers de la revue proviennent respectivement du Canada et de la France. Pour sa part, le Tableau 2 montre, parmi les 200 pays qui ont téléchargé des articles de Criminologie, la distribution des fréquences relatives de téléchargement des 10 plus actifs d’entre eux. La caractéristique la plus évidente de cette distribution est son asymétrie positive très prononcée, une majorité de pays n’ayant téléchargé qu’un très faible nombre d’articles. Également, le nombre de téléchargements effectués à partir des pays d’Europe de l’Ouest et d’Afrique du Nord, très important, s’explique de son côté par la présence importante de la langue française dans ces régions. Enfin, la place occupée par les États-Unis et la Chine peut être comprise comme le résultat de l’importance de l’effort de recherche de ces deux pays. Enfin, par sa portée strictement nationale, le Tableau 3 permet de constater que la plupart des téléchargements au Canada sont effectués par les usagers du Québec (82 %) et de l’Ontario (15 %).
La plateforme Érudit : plaque tournante de la diffusion
Plusieurs tendances relatives à l’usage numérique de Criminologie méritent examen. Tout d’abord, si les usagers de la revue effectuent la plupart du temps leurs requêtes de téléchargement à partir d’un ordinateur, la proportion des téléchargements effectués depuis des téléphones intelligents et des tablettes est passée de 2 % à 15 % entre 2010 et 2015, un « virage ambulatoire » également observé pour les autres revues diffusées sur la plateforme Érudit.
La Figure 1 dresse pour sa part un portrait de l’importance relative des sites référents (referers) utilisés pour le téléchargement des articles de la revue. De 2010 à 2015, 1357 sources différentes ont permis d’accéder aux articles de la revue, les moteurs de recherche les plus utilisés étant Google (29 % des cas, comparativement à 53 % pour l’ensemble des revues disponibles sur la plateforme), Érudit (27 %, contre 33 % pour l’ensemble des revues sur la plateforme) et Google Scholar (5 %). Parmi les autres sources qui permettent aux usagers d’accéder à un article de la revue, mentionnons le moteur de recherche Bing (0,8 %), le moteur de recherche Yahoo ! (0,4 %), l’index de périodiques Repère (0,3 %), le réseau social Facebook (0,3 %), les boîtes de courriels personnelles (0,2 %), ainsi que le réseau social Ask (0,2 %). En somme, si le portrait des sites référents pour la revue Criminologie est plus diversifié que celui des autres revues disponibles sur Érudit, l’augmentation constante de la proportion des téléchargements en provenance du site Web d’Érudit révèle néanmoins l’importance croissante de cette plateforme dans les pratiques de recherche d’information des usagers.
La barrière mobile : un frein à l’usage
Plusieurs approches permettent de mesurer l’obsolescence des articles scientifiques (voir entre autres Larivière et al., 2008). Dans cet article, une approche de type diachronique a été adoptée, fondée sur l’observation au fil du temps des téléchargements de groupes d’articles de Criminologie mis en ligne la même année sur Érudit. Dans les Figures 2, 3 et 4, qui représentent respectivement les fréquences mondiale, canadienne et française de téléchargements, chaque courbe renvoie au nombre de téléchargements d’un groupe particulier d’articles de la même époque. Ainsi, les courbes noires (art_2011), gris moyen (art_2012), gris pâle (art_2013) et pointillées (art_2014) correspondent respectivement aux articles mis en ligne en 2011, 2012, 2013 et 2014. Une telle visualisation des données de téléchargement permet de souligner l’évolution du nombre de téléchargements de ces articles depuis leur année de parution jusqu’en 2015. Enfin, le carré (art_2015) représente le nombre de téléchargements des articles mis en ligne lors de la dernière année de la période analysée.
À bien des égards, les résultats rapportés par les trois figures présentent des tendances très similaires. Tous les groupes d’articles parus en 2011, 2012, 2013 et 2014 présentent leur plus faible nombre de téléchargements lors de la première année de diffusion (entre 55 et 99 pour tous les pays, entre 43 et 80 pour le Canada, puis entre 1 et 6 pour la France). Également, les groupes de 2012, 2013 et 2014 voient le nombre de téléchargements de leurs articles croître lentement, mais continûment dans les trois années suivant leur mise en ligne, bien que cette croissance soit plus faible pour les articles mis en ligne en 2012. Enfin, dans le cas des groupes d’articles parus en 2011, le nombre maximal de téléchargements est atteint la quatrième année.
Ces résultats ne concordent toutefois pas avec ceux d’études antérieures. En effet, il est généralement admis que l’obsolescence des articles de revues savantes suit une distribution non paramétrique à asymétrie positive (à droite), l’usage des articles connaissant une croissance initiale soudaine et importante, suivie d’un déclin plus ou moins rapide s’échelonnant sur une longue période (voir entre autres Glänzel et Schoepflin, 1995). Or, à la lumière des études portant sur l’impact du libre accès et des barrières mobiles sur l’usage des publications et la diffusion des connaissances (Bacache-Beauvallet, Benhamou et Bourreau, 2015 ; Björk et al., 2010 ; Gargouri, Larivière, Gingras, Carr et Harnad, 2012 ; Norris, Oppenheim et Rowland, 2008), force est de supposer que la particularité des fréquences de téléchargement observées pour les articles de Criminologie est la conséquence directe de l’imposition d’une barrière mobile. Il est même vraisemblable de penser qu’en l’absence d’une telle barrière, le nombre maximal de téléchargements des différents groupes d’articles aurait non seulement été plus élevé, mais également aurait été atteint dès la première ou la deuxième année.
Numéros et articles à succès : l’oeuf ou la poule ?
Le Tableau 4 montre que les numéros thématiques les plus téléchargés couvrent non seulement des problématiques très variées, mais s’échelonnent également sur une longue période. À titre indicatif, le plus ancien numéro figurant au tableau remonte à 1976, alors qu’un seul numéro publié au cours de la période analysée y figure. De ce point de vue, les résultats de la présente analyse corroborent les observations antérieures au sujet de la lenteur relative de l’obsolescence des publications savantes en SSH, les travaux plus anciens continuant de susciter de l’intérêt. Il convient aussi de noter que pour tous les numéros, le nombre moyen de téléchargements par article est plus élevé que le nombre médian de téléchargements par article, ce qui révèle le caractère asymétrique de la distribution des téléchargements d’articles pour chaque numéro. Si cette asymétrie peut en partie expliquer le taux de consultation élevé de certains numéros thématiques, la popularité d’un ou de plusieurs des articles inclus dans ces numéros gonflant les statistiques des téléchargements de ceux-ci, d’autres facteurs peuvent également expliquer la popularité des numéros thématiques de Criminologie, comme nous le verrons dans un instant.
Paru en 2005, le numéro thématique le plus téléchargé s’intéresse au développement des conduites déviantes chez les jeunes femmes depuis l’adolescence jusqu’à l’âge adulte, principalement en ce qui a trait à l’agressivité et à la consommation de drogues (Lanctôt, 2005). La grande popularité de ce numéro s’explique en partie par la présence de l’article hautement téléchargé de Cernkovich, Kaukinen et Giordano (2005), lequel comble un manque important dans la littérature sur le sujet.
Le deuxième numéro porte quant à lui sur l’addiction aux substances psychoactives ainsi qu’aux jeux de hasard et d’argent, addiction pouvant mener à la criminalité selon la trajectoire personnelle et sociale d’un individu (Brochu, 2007). La popularité de ce numéro est peut-être liée au fait que la notion d’addiction, distincte de celle de dépendance à une substance, était encore assez peu abordée au Québec au moment de la parution du numéro.
Vient en troisième place un numéro spécial préparé dans le cadre du 10e Symposium international de victimologie, tenu à Montréal en août 2000 (Gaudreault et Peters, 2000 ; Landreville, 2000). Plus volumineux qu’à l’habitude, ce numéro contient également plusieurs articles écrits en anglais. Cette double particularité du numéro a certainement contribué à augmenter la fréquence de téléchargement des articles qu’il contient ; le fait que l’article de Fattah (2000), écrit en anglais, soit davantage téléchargé ailleurs dans le monde qu’au Canada et en France est d’ailleurs fort évocateur à cet effet.
Le quatrième numéro le plus consulté contient pour sa part différentes analyses visant à déconstruire le « caractère ontologique de l’ethnicité » (Jaccoud, 2003), notamment sur le plan du rapport criminologique entre les différents groupes sociaux et les institutions. Ce numéro thématique de Criminologie doit certainement une partie de sa popularité à son caractère multidisciplinaire et programmatique.
En cinquième place vient un numéro commémoratif paru en 2010, dans le cadre du jubilé de l’École de criminologie de l’Université de Montréal. En vue de souligner l’importance nationale et internationale des contributions scientifiques de cette institution (Casoni et Landreville, 2010), la revue a invité pour l’occasion plusieurs professeurs et anciens diplômés de l’École à publier dans un numéro double. Celui-ci a suscité beaucoup d’intérêt, sans doute par sa portée internationale et par la collaboration de plusieurs auteurs renommés, dont les publications figurent parmi les plus téléchargées.
Publié en 1976, le sixième numéro le plus téléchargé de Criminologie s’intéresse à la situation des prisons québécoises d’un point de vue historique et socioéconomique (Crelinsten, 1976). Le grand nombre de téléchargements récents de ce numéro s’explique probablement par la présence de quatre comptes rendus d’ouvrages influents de la littérature scientifique carcérale : Surveiller et punir (Foucault, 1975), Prisonnier de Mao (Pasqualini, 1974), The Politics of Abolition (Mathiesen, 1974) et The Future of Imprisonment (Morris, 1974).
Le septième numéro thématique en importance, paru en 1994, porte pour sa part sur la criminalité sexuelle depuis le Moyen Âge, particulièrement sur l’incapacité historique de la législation à traiter ce problème, tant sur le plan de l’amélioration du sort des victimes que de la lutte contre le sexisme (Manseau et Proulx, 1994). Si la popularité de ce numéro est largement tributaire de cette thématique particulière, l’impact de son article hors thème, comparant la situation de la criminologie en France à celle de l’Italie (Renneville, 1994), est également digne de mention.
Datant de 2007, le huitième numéro thématique le plus téléchargé propose quant à lui une réflexion sur les sanctions pénales en Occident, de plus en plus répressives et souvent disproportionnées depuis quelques décennies (Vacheret, 2007). Dans la lignée des travaux de Pierre Landreville, professeur émérite et ancien directeur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, les articles de ce numéro ont été écrits par d’éminents criminologues canadiens et européens, ce qui peut en expliquer la popularité.
Le neuvième numéro thématique en importance de Criminologie, paru en 2006, s’intéresse au phénomène alors récent de la cybercriminalité. La popularité de ce numéro résulte notamment du fait que cette forme de criminalité n’avait jusqu’alors été que très peu abordée par les criminologues, notamment en raison des connaissances qu’elle requiert en matière de technologies de l’information et de la communication (Leman-Langlois et Ouimet, 2006).
Enfin, le dixième numéro thématique le plus téléchargé de Criminologie aborde le problème de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements pénitentiaires. Si cette question est régulièrement abordée par les criminologues au Canada depuis les années 1960, elle l’est cependant beaucoup moins au Québec que dans l’ouest du pays (Jaccoud, 2009). Cette pauvreté de la littérature en langue française sur le sujet, conjointement à la nature profondément multidisciplinaire du numéro thématique, permet de rendre compte de l’intérêt que celui-ci a suscité sur le Web.
En somme, plusieurs raisons peuvent expliquer l’intérêt élevé des usagers envers un numéro donné, notamment le sujet traité, les auteurs, le caractère international ou multidisciplinaire des publications, la présence de comptes rendus de livres ainsi qu’un événement spécial comme une conférence internationale, l’anniversaire de la revue ou de l’École de criminologie de l’Université de Montréal. En outre, l’un des facteurs les plus importants est la présence d’une poignée d’articles hautement téléchargés, lesquels stimulent la consultation de l’ensemble du numéro.
En ce qui a trait aux articles à succès de Criminologie, le Tableau 5 présente les cinq articles les plus téléchargés par année entre 2010 et 2015. Tous ces articles ont été téléchargés plus de 1000 fois annuellement, ce qui est largement au-dessus de la fréquence annuelle par article pour la revue Criminologie et de celle de l’ensemble des revues savantes diffusées par la plateforme Érudit, qui sont respectivement de 210 et de 79 téléchargements.
Les listes annuelles présentées ici rappellent à certains égards les tendances observées en ce qui a trait aux numéros thématiques les plus téléchargés. À l’instar des numéros, les articles les plus téléchargés ne sont pas les plus récents. Par ailleurs, plusieurs articles figurent plus d’une année parmi les publications les plus téléchargées ; il s’agit de Mucchielli (2003) et Fattah (2000), de Cernkovich, Kaukinen et Giordano (2005) entre 2011 et 2015, de Brodeur (1976) entre 2010 et 2013, puis de Parizeau (1977) entre 2010 et 2012. Également, parmi les dix articles différents présents dans les palmarès annuels de téléchargements, six sont inclus dans l’un des numéros thématiques les plus téléchargés et figurant dans le Tableau 4 : Brodeur (1976), Brunelle et Bertrand (2010), Cernkovich et al. (2005), Fattah (2000), Fortin et Roy (2006) ainsi que Mucchielli (2003). Dans tous ces cas, si la qualité du contenu ainsi que la renommée des auteurs ont certes dû contribuer à la popularité des articles, force est de supposer que la popularité des numéros thématiques eux-mêmes y est également pour quelque chose. Tout porte à croire que différents numéros ont pu bénéficier de la popularité d’un ou plusieurs de leurs articles, de la même manière que certaines publications ont été davantage téléchargées grâce au succès des thématiques abordées par les numéros dans lesquels ils ont été publiés. Dans un cas comme dans l’autre, toutefois, une chose demeure : la popularité numérique de la revue Criminologie est l’affaire de quelques articles et numéros.
Analyse des mots clés : des problématiques locales à l’autochtonie
Le Tableau 6 présente la liste des mots clés les plus téléchargés par tous les utilisateurs de la revue, puis par les utilisateurs des cinq pays les plus actifs en termes de téléchargements. Les valeurs y sont exprimées en termes de pourcentage du nombre total de téléchargements d’articles pour tous les pays dans le premier cas, puis par pays pour les suivants.
Dans l’ensemble, cette analyse de mots clés en vocabulaire strict permet la découverte d’informations intéressantes relatives à la popularité nationale et internationale des thématiques abordées par la revue. La statistique la plus saillante est sans contredit l’importance du mot clé Québec (1er rang mondial, 1er au Canada, 2e aux États-Unis), associé à près de 10 % des téléchargements d’articles de la revue. Cette popularité n’a toutefois en soi rien de surprenant, compte tenu de la prédominance des problématiques locales dans les revues en SSH, ainsi que de la provenance majoritairement québécoise des requêtes de téléchargement. Cela dit, les pratiques de consultation des usagers hors Québec ne sont pas pour autant sans incidence ; pour preuve, l’importance en France et en Belgique de récidive fait passer ce mot clé devant délinquance dans la liste des mots clés les plus populaires pour tous les pays, alors qu’il en va inversement au Canada. À titre complémentaire, soulignons également la popularité internationale des articles liés aux établissements de détention (2e rang mondial, 2e au Canada, 2e en France, 1er en Belgique et 1er aux États-Unis), aux données probantes (5e rang mondial, 5e au Canada, 4e en France et 5e aux États-Unis), aux femmes (3e en France et 3e aux États-Unis), à la récidive (3e rang mondial, 4e au Canada, 1er en France et 2e en Belgique) ainsi qu’aux jeunes de la rue (5e en France et 3e en Belgique).
À la lumière de ces résultats, une analyse de téléchargements basée sur les mots clés peut révéler d’intéressantes tendances relativement à l’utilisation numérique d’une revue. Toutefois, le caractère contingent, variable, incomplet et parfois même incohérent des mots clés fournis par les auteurs eux-mêmes peut porter atteinte à la validité et la significativité de l’analyse, et ce, même si un contrôle strict du vocabulaire comme celui décrit précédemment a été effectué au préalable. Par exemple, l’utilisation systématique et récurrente d’un descripteur particulier peut produire une surreprésentation relative de la thématique évoquée et la sous-représentation de toutes celles s’exprimant sous une multitude de mots clés différents. La présence, dans le Tableau 6, des mots clés « droits des détenus » et « moindre éligibilité » en 4e et 5e place des mots clés les plus téléchargés de Belgique est fort évocatrice. En effet, ces mots clés n’apparaissent que dans un seul article de la revue Criminologie, rédigé par un professeur de l’École de criminologie de l’Université de Louvain (Kaminksy, 2010). De tels cas n’ont rien d’exceptionnel en contexte de vocabulaire libre et montrent bien l’importance d’un contrôle sémantique plus poussé du vocabulaire. Pour ce faire, chaque liste de mots clés nettoyée a été enrichie en ajoutant, pour chaque élément qu’elle contient, l’ensemble des mots clés présents ailleurs dans le lexique et reliés sémantiquement à ce même élément, comme dans cet exemple précédemment mentionné : Adolescents agresseurs sexuels → (Adolescents agresseurs sexuels, Agresseurs sexuels, Adolescents).
L’impact du contrôle étendu des descripteurs sur les différentes distributions de téléchargements est présenté dans le Tableau 7. Au premier abord, les listes du Tableau 7 diffèrent radicalement de celles du tableau précédent. Québec et donnéesprobantes disparaissent, alors que criminalité apparaît sur tous les fronts. Dans le cas de la distribution globale des téléchargements, seul le mot clé délinquance survit au traitement, les autres disparaissant au profit de criminalité, violence ainsi que la paire jeunesse, adolescence. Les palmarès nationaux offrent également un portrait très diversifié. Dans le cas du Maroc, contrôle social disparaît au profit d’un vocabulaire numérique enrichi (Internet et cybercriminalité). Pour la Belgique et la France, la transformation est radicale : seul délinquance demeure dans le premier cas, alors que récidive reste dominant dans le second, accompagné du mot clé établissements de détention. Du côté belge, la présence des mots clés jeunesse et droit semble tributaire de la popularité des termes droits des détenus et jeunes de la rue dans les listes de mots clés fournies par leurs auteurs. Fort significative également est l’apparition du mot clé peines dans les palmarès des deux pays, ce descripteur renvoyant à de nombreux termes pénologiques (aménagement des peines, courtes peines, emprisonnement avec sursis, justice pénale, mesures et sanctions pénales, peine à perpétuité, peine minimale, peine unique, pénal, pénologie, politiquepénale, théorie de la peine). Toutefois, c’est l’apparition du mot clé autochtonie au sommet et en 2e position des listes des téléchargements canadienne et américaine respectivement qui constitue sans contredit le fait saillant de l’analyse des mots clés présentée ici. Résultant du regroupement des mots clés Amérindiens, Autochtones, Enfants autochtones, Inuits, Nunavik, femmes autochtones et populations aborigènes, le terme autochtonie se classe au 6e rang des descripteurs les plus téléchargés dans l’ensemble des pays, avec 12 % des téléchargements totaux. Par ailleurs, ce mot clé apparaît dans neuf articles différents, ainsi que dans les téléchargements de 79 des 146 pays, ce qui est bien au-delà des 2,13 articles et des 31,59 pays en moyenne pour l’ensemble des mots clés. Compte tenu de l’importance émergente de cette thématique, un examen plus poussé de sa portée internationale est ici de mise.
Au coeur de questions politiques et légales épineuses, le concept de « peuple autochtone » ne jouit toujours pas à ce jour d’une définition universellement acceptée. Une définition de travail s’est toutefois imposée dans le cadre de la création du premier Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA) du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, définition fondée sur les critères de préoccupation territoriale, distinction culturelle, domination politique et auto-identification (Lacroix, 2011 ; Saugestad, 2001) :
Les communautés, peuples et nations autochtones [indigenous] sont ceux qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant aujourd’hui ces territoires, totalement ou partiellement.
Martinez Cobo 1987, p. 22, traduit par Bellier, 2013a, p. 19
S’ils comptent pour un peu moins de 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones représenteraient toutefois plus de 15 % des personnes les plus pauvres de la planète (Fonds international de développement agricole [FAD], sd). À la lumière de la popularité des thèmes autochtones abordés dans la revue Criminologie, force est de convenir que cette pauvreté extrême, source systémique de marginalisation, discrimination et violence, contribue à faire de l’autochtonie un objet de recherche criminologique privilégié.
Dans l’ensemble, les différents pays ayant téléchargé un article de la revue Criminologie ont en moyenne effectué 105 téléchargements d’articles incluant le mot clé autochtonie durant la période étudiée. Les pays dont la fréquence des téléchargements est la plus élevée relativement au total de téléchargements nationaux sont présentés au Tableau 8. L’importance de la thématique autochtone dans le Nouveau Monde y est d’emblée mise en évidence, puisque les États-Unis, le Canada et le Brésil, dont la population est autochtone à 0,9 %, 4,3 % et 0,4 % respectivement (Bellier, 2013b ; Statistique Canada, 2016), occupent dans l’ordre la 1re, 2e et 8e place du palmarès. Toutefois, ce sont les pays d’Asie, abritant près de 70 % de la population autochtone du monde (Fonds international de développement agricole [IFAD], sd), qui occupent la plus grande part de ce palmarès : la Thaïlande, le Japon, la Russie (Sibérie) et la Mongolie figurent en effet en 4e, 5e, 7e et 10e place. À l’instar de la situation américaine, la proportion de la population nationale de ces pays demeure relativement faible (1 % pour le Japon, 1,5 % pour la Thaïlande et 0,5 % pour la Russie), exception faite toutefois de la Mongolie, dont les données démographiques ne sont pas disponibles (Bellier, 2013b). Une telle absence de données démographiques autochtones peut également être observée au Bénin, seul représentant du continent africain ; loin d’être exceptionnel, un tel déficit informationnel serait en fait caractéristique du cas africain, la promotion des intérêts et des initiatives autochtones sur ce continent se heurtant à de nombreuses difficultés et résistances institutionnelles (International Work Group for Indigenous Affairs, s.d.). Enfin, pour ce qui est des cas espagnol et allemand, leur présence surprenante en 3e et 9e place de la liste des téléchargements pourrait à première vue s’expliquer par l’importance démographique des minorités linguistiques et culturelles dans ces deux pays, notamment les Basques, Galiciens, Catalans, Sorabes et Roms. Toutefois, à la lumière du nombre relativement faible de téléchargements d’articles provenant de ces pays, de telles interprétations demeurent de simples conjectures. Hormis ces cas isolés, force est de convenir que les problématiques autochtones abordées dans la revue Criminologie ont connu un succès retentissant autant sur la scène locale qu’internationale.
Conclusion
L’analyse exploratoire des téléchargements de la revue Criminologie présentée ici a permis de dresser un portrait d’ensemble de l’usage de la revue, en soulignant les caractéristiques qui rapprochent et distinguent tout à la fois l’utilisation numérique de Criminologie de celle des autres revues de la plateforme Érudit et des SSH en général. Du côté des similitudes, le caractère plutôt local des sujets et des lecteurs, ainsi que la lente obsolescence des articles en termes de téléchargement sont dignes de mention. À l’inverse, les effets de la barrière mobile de deux ans ainsi que l’impact continental et international des thématiques autochtones s’avèrent caractéristiques de l’utilisation numérique de la revue. Quant aux différentes analyses de mots clés présentées ici, si elles ont permis de dégager d’intéressantes tendances quant à l’impact du contenu des articles concernés, deux caractéristiques propres à la collection d’articles de la revue Criminologie limitent toutefois sérieusement la portée et la nature des informations extractibles : tout d’abord, moins d’un cinquième des articles seulement possèdent des mots clés ; mais aussi, aucun contrôle du vocabulaire n’a été effectué sur les mots clés fournis par les auteurs. Dans cette perspective, force est de convenir qu’un effort additionnel d’indexation des articles de la revue est un prérequis à une meilleure compréhension des intérêts du lectorat de Criminologie. À ce titre, deux étapes distinctes peuvent être envisagées : tout d’abord, l’indexation automatique des articles par extraction de termes saillants au moyen notamment de modèles thématiques (topic models) ou de classification automatique ; puis la normalisation des mots clés des articles au moyen d’un langage documentaire basé sur des problèmes criminologiques, à l’exemple de celui proposé par Mudge et Garrett (1997). Au-delà de ces résultats, limitations et suggestions, cet exercice aura permis de souligner l’importance et l’intérêt de la recherche bibliométrique basée sur les téléchargements d’articles à des fins d’analyse de l’usage.
Parties annexes
Notes
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[1]
Consortium Érudit, Université de Montréal, Pavillon 3744 Jean-Brillant, bureau 6500, BRDV-CEN-R, C. P. 6128, succ. Centre-ville, Montréal (Québec) Canada, H3C 3J7.
-
[2]
Tout au long de cet article, nous regroupons sous ce titre unique les deux formes qu’a prises la revue au cours de son histoire, soit Acta Criminologica de 1968 à 1974 et Criminologie de 1975 à nos jours.
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[3]
Nous remercions Luc Grondin, analyste en gestion de l’information numérique au Centre d’expertise numérique pour la recherche (CEN-R) de l’Université de Montréal, pour avoir retracé plusieurs informations sur l’historique d’Érudit.
-
[4]
Pour de plus amples informations et conjointement aux références déjà citées, nous renvoyons le lecteur aux publications suivantes : Fournier, Germain, Lamarche et Maheu (1975), Fournier et Maheu (1975) et Gingras (1984), relativement à la notion de champ scientifique québécois ; Godin, Archambault et Vallières (2000), pour ce qui est de la production scientifique au Québec entre 1980 et 1996 ; Godin (2002), au sujet des revues savantes québécoises et des pratiques de publication des chercheurs au tournant des années 2000 ; Paquin (2013), pour une réflexion plus récente sur le libre accès.
-
[5]
Pour une description détaillée des différentes procédures méthodologiques utilisées dans le traitement des données de téléchargement, voir Cameron-Pesant (2016).
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