Corps de l’article

Introduction

L’entourage des personnes délinquantes fait partie intégrante de nombreuses théories de la conduite criminelle. En se basant sur la prémisse selon laquelle tout comportement est appris au cours d’interactions sociales, la théorie de l’association différentielle propose, par exemple, que la probabilité qu’une personne s’engage dans une voie délinquante dépend des techniques et des définitions apprises à travers ses relations (Sutherland, 1947). Si ce processus de communication génère pour l’individu une attitude qui est plus favorable au crime qu’à la conformité, les chances qu’il agisse illégalement sont accrues. Par un processus similaire, la théorie de l’apprentissage social d’Akers (1973) stipule qu’à contrario, l’adhésion à une vision favorable aux normes sociales hausse les chances qu’un individu s’implique dans une conduite conventionnelle.

Partant du point de vue opposé, ancrée dans une vision hobbesienne de la nature humaine, la théorie du lien social d’Hirschi (1969), ainsi que la théorie du contrôle social informel proposée par Sampson et Laub (1993), présuppose que l’entourage d’une personne constitue la principale contrainte à sa délinquance. Alors qu’Hirschi (1969) considère les groupes primaires formés durant l’enfance comme étant les plus importants dans ce processus, Sampson et Laub (1993) proposent que les relations formées à l’âge adulte puissent aussi remplir ce rôle de contrôle. Nonobstant le moment auquel ces liens sont tissés, l’entourage favoriserait la conduite conventionnelle et le désistement délictuel en augmentant les enjeux et les coûts associés à la persistance criminelle et en renforçant l’adhésion à des normes et valeurs prosociales.

Enfin, inspirée de la sociologie des troubles mentaux, la théorie du soutien social de Cullen (1994) propose qu’en apportant un soutien instrumental ou expressif, l’entourage pourra réduire de manière significative la motivation d’un individu à agir illégalement. C’est en offrant aide financière, conseils et recommandations et en comblant les besoins d’affection, d’amour et de camaraderie que parents, fratrie, partenaires intimes et amis favorisent le désistement de la personne qui leur est chère.

Qu’elles les présentent comme mentors, agents de contrôle ou encore comme agents de soutien, ces théories convergent vers le postulat selon lequel l’entourage est une source d’influence importante pour ceux qui agissent illégalement. Bien qu’une recension complète de cette littérature dépasse le cadre de cet article, les propositions de ces théoriciens tendent à recevoir un bon soutien empirique (Hoeve et al., 2012 ; Mitchell, Spooner, Jia et Zhang, 2016 ; Pratt et al., 2010). Toutefois, un examen des stratégies méthodologiques mobilisées dans ces travaux met en lumière un intérêt relativement limité pour les membres de l’entourage. En effet, ces recherches partent quasi systématiquement du point de vue des « participants cibles », c’est-à-dire des auteurs d’actes criminels. Lorsqu’il est directement interrogé, l’entourage est généralement conçu comme un informateur secondaire et ses réponses sont utilisées à des fins de validation de l’information (par exemple, voir Farrington, Ohlin et Wilson, 1986). Bien que rares, certains travaux laissent pourtant entendre que l’expérience de ces individus est importante pour bien comprendre l’influence sociale. Haynie et Osgood (2005) révèlent, par exemple, que l’importance de la relation pairs/délinquance est grandement réduite lorsque la délinquance des pairs est mesurée en les interrogeant directement plutôt qu’en demandant aux « participants cibles » d’estimer la conduite de leurs amis.

Considérant l’importance de l’influence que l’entourage exerce théoriquement, sa faible représentation dans la recherche souligne une vision étriquée de ces individus. En effet, les théories criminologiques de l’influence sociale ont eu jusqu’à présent tendance à considérer que tant qu’il est « prosocial », l’entourage a le pouvoir de contraindre l’action délictuelle d’un être cher. En ce sens, il a été relégué au rôle de « structure de conditionnement », négligeant par le fait même ses propriétés particulières et ses expériences propres (Weaver, 2016, p. 54). Une meilleure compréhension de leur expérience semble pourtant centrale à l’appréhension des mécanismes d’influence sociale, puisque ces personnes sont les agents d’influence. Partant de la littérature sur les proches de personnes judiciarisées, cet article amorce cette réflexion en analysant l’expérience de ces femmes et hommes qui soutiennent un être cher impliqué dans des actes illégaux.

L’entourage des personnes impliquées dans une conduite délinquante

Bien qu’il examine des questions différentes de celles qui préoccupent les théoriciens du contrôle, de l’apprentissage et du soutien social, un ensemble de travaux offre une incursion pertinente dans l’expérience de l’entourage. Ces études soulèvent l’existence d’une pléthore de conséquences liées à la conduite délinquante d’un être cher. La découverte des gestes illégaux est souvent vécue comme un choc (Condry, 2007) et le passage obligé à travers les dédales du système de justice est une expérience émotionnellement difficile (Comfort, 2008), accompagnée pour plusieurs de stigmatisation sociale et de honte (Condry, 2007). Les proches doivent aussi apprendre à vivre avec l’incarcération de l’autre personne, en gérant ses contraintes physiques et émotionnelles et ses pressions financières (Fishman, 1990 ; Ricordeau, 2008 ; Touraut, 2012). Bien que certaines études aient soulevé l’existence d’effets positifs (Granja, 2016 ; Morris, 1965), cette littérature montre que l’entourage subit majoritairement des retombées négatives à cause de la conduite délictuelle d’un être cher.

Alors que peu de travaux combinent leurs réflexions, les théories présentées ci-dessus sont inextricablement liées à ce corpus de recherche. En effet, l’influence qu’elles proposent repose sur la préservation du lien social unissant ceux qui enfreignent la loi et leur entourage. Considérant les difficultés vécues, il importe de se questionner davantage sur la manière par laquelle ces personnes font en sorte de maintenir leur relation. Ainsi, le but du présent article est de mieux comprendre comment les membres de l’entourage réagissent relativement à la délinquance d’un être cher et, plus spécifiquement, les répercussions de cette réaction. Il sera démontré que leur expérience est empreinte d’une forte ambivalence (Weingardt, 2000) en ce qui concerne la personne soutenue et sa conduite et que diverses stratégies sont mises en place afin de résoudre cet état de tension. En illustrant comment les membres de l’entourage sont aussi influencés par leur lien avec quelqu’un qui enfreint la loi, les résultats ouvrent une discussion sur les mécanismes de l’influence sociale.

Méthodologie

Participants

L’analyse présentée dans cet article porte sur des entretiens menés auprès de 18 membres de Relais Famille, un organisme communautaire situé à Montréal, offrant un service d’aide aux personnes qui soutiennent un individu ayant eu des démêlés avec la justice. Seul organisme à remplir cette mission au Québec, ses activités visent à faciliter l’expérience de ces personnes tout en diminuant les conséquences négatives qui y sont associées. Puisque le recrutement s’est effectué autour de cet organisme, la définition de l’entourage utilisée dans cette étude reflète la sienne, c’est-à-dire toute personne significative offrant un soutien à un individu ayant été impliqué dans une conduite délinquante.

Au moment de l’entrevue, les participants avaient en moyenne 47 ans ; la plus jeune participante en ayant 27 et la plus âgée 80 (voir le tableau récapitulatif à l’Annexe A). Les femmes sont surreprésentées dans l’échantillon (n = 15) : quatre sont mères, sept sont partenaires intimes, l’une est fille, l’autre est soeur et deux sont amies. Les trois hommes rencontrés sont pères. La surreprésentation des femmes est une caractéristique démographique quasi constante dans la littérature sur le sujet et plusieurs chercheurs l’ont attribuée à la prépondérance des femmes dans les rôles de soutien social, particulièrement auprès de personnes judiciarisées (Comfort, 2008 ; Condry, 2007 ; Girshick, 1996). Contrastant avec la distribution du genre dans l’échantillon, la quasi-totalité (n = 17) des personnes soutenues est de sexe masculin, la seule femme dans ce groupe étant la fille de Philip[2] (père, 57 ans). Encore une fois, cette caractéristique est fréquente dans la recherche et renvoie à la surreprésentation des hommes parmi les individus inculpés d’actes criminels (Reitano, 2017).

Afin de respecter la variété des expériences des membres de l’entourage, aucun critère de sélection n’a été imposé concernant le ou les types de délit commis par la personne soutenue. Comme montré à l’Annexe A, ce choix méthodologique se reflète dans la diversité des actes rapportés par les participants ; la majorité des auteurs est impliquée dans diverses formes de crimes à la fois. Bien que cette diversification criminelle souligne la complexité du vécu de l’entourage, elle constitue également une limite de l’analyse. En effet, alors que certains ont trouvé que les expériences des acteurs de soutien varient en fonction du délit commis (Condry, 2007), la diversification rend difficile la conduite d’une analyse spécifique fondée sur le type de crime dans le cadre de cette étude.

Données

Huit des dix-huit participants ont été proposés par la coordonnatrice de Relais Famille, sept ont été sollicités en personne par l’auteure de l’étude, deux ont été proposés par la technique dite « boule de neige » et un a été proposé par un contact externe à l’organisation. Dans tous les cas, le projet de recherche a été décrit aux participants avant qu’ils ne décident de participer ou non. À la suite d’une réponse positive, un rendez-vous était fixé à leur convenance. Les entretiens ont ainsi eu lieu à leur domicile (n = 7), sur leur lieu de travail (n = 2), dans les bureaux de Relais Famille (n = 4), dans des cafés (n = 3) ou dans les bureaux de l’université d’attache de l’auteure (n = 2). Mis à part une participante ayant refusé l’enregistrement, toutes les entrevues ont été consignées sur support audio et transcrites intégralement par l’auteure. En moyenne, ces entretiens ont une durée de 1 h 30, variant de 1 h 10 à 4 h 25.

Au cours de ces rencontres, les participants prenaient part à une entrevue semi-directive menée par l’auteure, dont le but général était de comprendre l’expérience des individus qui soutiennent un proche impliqué dans une conduite délinquante. La grille d’entretien, élaborée en amont de la collecte de données, contenait une série de thèmes à aborder, incluant le sens accordé par les participants aux actes criminels, leur manière de percevoir l’auteur de ces actions, leur compréhension de leur relation avec cette personne, ainsi que les dommages collatéraux vécus en lien avec les conduites délictuelles. Afin de lancer l’exploration de ces thématiques, une question de départ générale était posée : « Pouvez-vous me parler de [la personne que vous soutenez] et me raconter son histoire ? » Lorsqu’ils s’avéraient pertinents à la question de recherche, les thèmes émergents étaient aussi examinés en profondeur. Après les premiers entretiens, une nouvelle thématique s’est imposée : la moralité. De manière inductive, ce concept est devenu central à la compréhension de l’expérience des participants. Le recrutement des participants s’est poursuivi jusqu’à ce qu’une saturation des données ait été atteinte, tant sur le plan des thèmes préétablis que des thèmes émergents, et que l’inclusion d’entretiens supplémentaires n’enrichisse plus les données collectées (Saunders et al., 2018).

Plan analytique

Une analyse thématique a été menée suivant les recommandations de Presser (2010). Dès la transcription des entretiens, une attention particulière a été portée au discours des participants afin de relever les passages pertinents à chacun des thèmes de la grille d’entretien (Miles, Huberman et Saldaña, 2014). Tel qu’il est décrit précédemment, la moralité est rapidement apparue comme fondamentale dans l’expérience de l’entourage et l’analyse s’est recadrée autour de ce concept. Chaque entrevue a été révisée après une modification conséquente de l’arbre de codification. L’analyse thématique transversale a mis en lumière l’existence d’une réaction fréquente parmi les participants faisant face à la délinquance d’un être cher – l’ambivalence – et a permis de trouver une série de stratégies narratives servant à gérer cette ambivalence.

Résultats

L’ambivalence de l’entourage

Réduites à sa plus simple expression, deux thématiques principales émergent du discours des participants. D’une part, ce discours porte sur l’attachement émotionnel à l’auteur des actions délictuelles. Chez les partenaires intimes, cet attachement s’exprime sur le thème de l’amour, comme décrit par Kara (51 ans), qui raconte sa rencontre avec son conjoint : « Je suis tombée en amour avec […] quand je l’ai rencontré en personne. Je me suis dit : « Oh my God, I’m fucked. » Je savais que je resterais le reste de ma vie avec, c’est comme, je suis tombée en amour. » Chez les membres de la famille, les relations sont décrites en termes de bienveillance et d’amour, par ailleurs souvent considéré comme étant « inconditionnel ». De façon similaire, les relations amicales sont décrites en termes de confiance et d’amour, comme exprimé par Deanna (61 ans) dans le passage suivant :

T’sais, moi je te dirais, bin je pense que t’as compris qu’avec le temps, l’attachement est assez important, t’sais […]. C’est quelqu’un qui est très présent dans ma vie – veut, veut pas – avec qui j’ai eu un contact plus [important] qu’[avec] beaucoup de gens dans mon entourage.

D’autre part, leur discours porte sur leur attitude et leur positionnement moral relativement à la conduite délictuelle. Alors que, généralement parlant, certains se montrent tolérants envers une délinquance mineure, les participants voient d’un très mauvais oeil les conduites délictuelles propres à la personne aimée, et ce, de façon quasi unanime. Kara (épouse, 51 ans) explique par ailleurs très bien la distinction qui peut être faite entre la délinquance des autres, lointains, et celle d’un être cher :

J’ai travaillé en réduction des méfaits, moi. Tout le monde peut consommer ; toutes mes clientes pouvaient consommer, même celles qui étaient en dedans. On va travailler à la réduction des méfaits. Sauf mon mari, t’sais. Pis il comprend pas… Mais j’ai essayé de lui dire : « Ça n’a pas [le] même impact, pis je suis pas payée pour être avec toi. » C’est un choix.

Pour Dorothy (65 ans), les conduites délinquantes de son fils sont tellement loin de ses valeurs qu’elles n’ont pas de sens :

Quand mon fils a commencé à faire [ses délits], c’était inconcevable. Pas mon fils, t’sais. Pis là, qu’il se mette à faire des choses qui [vont] à l’encontre de ce que je suis, de ce que je lui ai montré, de ce que… Je sais pas. Je sais pas c’est quoi qui fait ça. C’est quoi un délinquant ? Y’a quelque chose qui marche pas bien, c’est sûr.

Ce sont donc deux attitudes et sentiments opposés qui se confrontent dans le discours des participants. Cette combinaison est bien résumée dans le concept d’ambivalence, soit un état de bipolarité, de conflit interne. Bien que plusieurs spécificités existent (voir Hajda, 1968 ; Kaplan, 1972 ; Maio, Bell et Esses, 2000 ; Priester et Petty, 2001), ce concept est ici défini comme étant la coexistence d’attitudes et de sentiments positifs et négatifs envers une même personne, un même objet ou un même comportement (Weingardt, 2000, p. 298). Les propos de Charles (père, 73 ans) montrent bien comment cette ambivalence prend forme dans l’entourage de ceux qui enfreignent la loi : « Mais nous autres, comme parents, c’est inconditionnel l’amour qu’on a pour nos enfants, t’sais. Inconditionnel. On peut ne pas approuver [ce qu’ils ont fait], mais on les aime. » Bien que l’amour décrit par les partenaires intimes et amies ne le soit pas comme étant inconditionnel comme il l’est par les parents, cet amour est néanmoins puissant – certainement assez puissant pour générer de l’ambivalence.

Les stratégies narratives de réduction de l’ambivalence

La littérature scientifique laisse entendre que l’état de tension généré par l’ambivalence requiert une résolution, particulièrement lorsque l’objet d’ambivalence est important aux yeux de celui qui la vit. Pour ce faire, les individus tendent à déployer davantage d’efforts cognitifs (Jonas, Diehl et Brömer, 1997 ; Maio et al., 2000) et l’ambivalence est généralement surmontée lorsque l’un des deux éléments contradictoires est favorisé ou, dans certains cas, lorsqu’une rupture est effectuée avec l’objet de cette ambivalence (Pratt et Doucet, 2000). Conformément à ces travaux, l’analyse laisse supposer que, pour maintenir une relation avec une personne qui s’est engagée dans une conduite qu’ils condamnent, les participants utilisent une série de stratégies narratives[3]. Ces dernières comprennent tous les moyens utilisés pour donner un sens à la conduite délictuelle et à son auteur, ainsi qu’aux expériences personnelles et relationnelles. Suivant les propositions de la criminologie narrative, ces stratégies sont importantes puisqu’elles sont coconstitutives de la réalité ; elles façonnent les trajectoires d’action individuelles et permettent la gestion des difficultés personnelles (Presser, 2009).

Figure 1

Les stratégies narratives utilisées par les participants pour réduire l’ambivalence

Les stratégies narratives utilisées par les participants pour réduire l’ambivalence

-> Voir la liste des figures

Bien que le développement d’un discours leur permettant d’appréhender leur réalité se déroule en grande partie dans la psyché des participants, ce processus se négocie aussi dans la narration, non seulement auprès de tierces parties importantes, mais aussi avec la chercheure, dans le cadre de l’entretien de recherche. En fait, ceci revêt une telle importance que la majeure partie de leur temps de parole y est dédiée. Au fil des rencontres, à titre d’exemples, plusieurs anecdotes sont racontées afin d’illustrer et de clarifier ces compréhensions subjectives. Comme représentées dans le Graphique 1, deux principales formes de stratégies narratives sont mobilisées. Alors que d’un côté, les participants cherchent à (s’)expliquer la « mauvaise » conduite délinquante en creusant le passé, de l’autre, ils mettent en lumière le « bon » de son auteur en s’intéressant au présent et au futur.

Un retour sur le passé pour (s’)expliquer le « mauvais »

Afin de réduire la tension générée par l’ambivalence, les participants développent une explication[4] à la conduite délinquante en procédant à une lecture rétrospective des actions de leur proche (Scott et Lyman, 1968). En reconstruisant son histoire, ils sont en mesure de brosser un tableau qui contextualise efficacement l’action délictuelle ; les individus et leur conduite n’ont de sens que lorsque considérés dans leur entièreté. Bien que centrales à la gestion de l’ambivalence, les explications développées par l’entourage contiennent de larges zones d’incertitudes, de doutes et de questionnements. Comme il sera abordé plus loin, la nature hésitante des explications est, du moins en partie, tributaire du type de relation dans lequel les participants sont investis.

Le redressement de l’acteur ou l’art d’atténuer la responsabilité

La principale forme d’explication soulevée dans le discours des participants est le redressement de l’acteur[5], stratégie narrative visant à atténuer la responsabilité de l’auteur des actes délinquants[6]. Centrale à l’analyse, la notion d’atténuation se distingue du déni. Effectivement, aucun des participants ne nie l’implication de la personne aimée dans une conduite délictuelle. Pour reprendre les mots de Laura (épouse, 62 ans), ils n’ont « pas la tête dans le sable » et certains mentionnent même les aspects séduisants du crime comme étant à l’origine des actions délinquantes. Au-delà de cette reconnaissance de responsabilité, une part non négligeable des explications développées par l’entourage « atténue [toutefois] la connexion morale qui unit le comportement et [l’individu] » (Warren et Messinger, 1988, p. 174, notre traduction).

Les explications offertes par les participants redressent l’être cher en le dépeignant comme fondamentalement différent des « vrais criminels » (Cohen, 2001). Bien que tous aient recours à cette stratégie narrative, une distinction fondamentale existe entre parents et non-parents. En effet, par leur lien biologique, l’utilisation du redressement de l’acteur chez les parents est inextricablement mêlée aux éléments autobiographiques et autoréférentiels, phénomène beaucoup moins présent chez les non-parents.

Expliquer la conduite délinquante de sa progéniture : à qui la faute ?

Contrairement à bien des amies et partenaires, les parents partagent une longue histoire avec l’auteur des actions délictuelles ; une histoire qui précède cette conduite et qui y survit. Cet aspect relationnel est un couteau à double tranchant : alors qu’il leur procure une connaissance privilégiée de l’auteur, les plaçant dans une position stratégique pour comprendre sa conduite, il en fait simultanément des joueurs potentiels dans l’avènement de cette conduite. Bien qu’aucun parent rencontré ne prenne l’entière responsabilité des actions de son enfant, tous se questionnent quant à leur rôle dans celles-ci. Certains révèlent ainsi être incertains quant à ce qu’ils ont « transmis » (Rosa, mère, 80 ans) à leur enfant et d’autres se « demand[ent] depuis longtemps qu’est-ce qu’[ils] auraient pu faire de plus » (Dorothy, mère, 65 ans).

En plus de donner un sens aux conduites délinquantes, les redressements de l’acteur utilisés par les parents explorent l’étendue de leur imputabilité. Cette stratégie prend trois formes principales, souvent combinées dans le discours des participants. Tout d’abord, tous les parents (s’)expliquent la conduite délictuelle de leur progéniture par la thématique de la santé mentale. Par exemple, après avoir décrit les traits autistiques de son fils, Isabella (59 ans) explique que ce n’est donc pas « 100 % de sa faute [s’il a enfreint la loi] ». La santé mentale comme moyen de redressement de l’acteur est si efficace pour expliquer la délinquance qu’elle est même utilisée par le seul parent dont l’enfant n’a pas été officiellement diagnostiquée. En effet, bien qu’il ne sache pas exactement ce qui accable sa fille, Philip (57 ans) affirme qu’elle « a une fuse de sautée » et que tout le monde sait que même si « c’est pas une maladie mentale qu’elle a, […] elle a quelque chose ».

Outre le fait d’atténuer la responsabilité de leur progéniture, les redressements de l’acteur basés sur la santé mentale réduisent la responsabilité parentale. Si les actions sont, du moins partiellement, attribuables à un élément incontrôlable, on ne peut en être blâmé. En fait, la santé mentale est une stratégie narrative si efficace que quelques parents, comme Dorothy (65 ans), rapportent avoir ressenti un énorme soulagement à la tombée d’un tel diagnostic :

D : T’sais, on se demande longtemps : « Qu’est-ce que j’aurais pu faire de plus ? » Mais j’aurais pas pu faire rien de plus – j’ai fait tout ce que je pouvais. J’ai pas toujours pensé ça, par exemple.

L’auteure : Non ?

D : J’ai pas toujours pensé ça…

L’auteure : Ça arrive quand le moment […] où [on en vient à le penser] ?

D : Je dirais quand le diagnostic de trouble de personnalité limite est arrivé. [Je me suis dit] : « Ah, OK ! » Ça expliquait plein de trucs. Ça faisait aussi en sorte que je puisse rien faire, que je suis impuissante. C’était peut-être pas […] de ma faute, finalement.

Deuxièmement, de nombreux parents mettent similairement l’accent sur la consommation de drogues. La substance est présentée comme « l’ennemi principal » (Dorothy, mère, 65 ans), celui qui change une personne au point où elle en devient méconnaissable. De manière similaire à la santé mentale, cette stratégie narrative permet de reporter la responsabilité de la personne (et des parents) sur la drogue.

Enfin, conscients de l’importance des pairs dans le développement des jeunes adultes, plusieurs parents atténuent la responsabilité de leur enfant en soulignant l’influence négative de leurs amis. Pour Philip (père, 57 ans), par exemple, il est clair que les amis de sa fille ont joué un rôle déterminant dans sa conduite délictuelle :

Elle a rencontré ce monde-là pis [ils] avai[en]t tous des dossiers. Il y en avait un qui était recherché, c’était toute de la rapace. Mais ma fille fait partie de ça […]. Ça fait qu’un soir – là ils avaient commencé à avoir besoin d’argent – pis un soir, le bollé de la gang dit : « Je connais une place où il y a un vieux qui a 35 000 piastres dans son coffre-fort. On va aller le faire. » Faque [ma fille] était dans cette gang-là…

C’est donc par les thématiques de santé mentale, de consommation et de socialisation amicale que les parents arrivent à (s’)expliquer la conduite de leur enfant et, parallèlement, à comprendre leur rôle dans cette dernière.

La mobilisation du triste récit chez les non-parents : « La plus grosse chose, c’est le fait que son père est parti dans le décor quand il était jeune »

On retrouve plusieurs des éléments du triste récit de Goffman dans les explications des non-parents : « une sélection de faits (souvent dénaturés) qui soulignent un sombre passé « expliquant » l’état présent d’un individu » (Scott et Lyman, 1968, p. 52, notre traduction). Contrairement à ce que pensent les parents, ce sombre passé prend racine dans l’environnement familial ; la conduite délinquante est attribuable à la négligence, la violence et la maltraitance parentales et ces difficultés sont présentées comme génératrices d’une vie de problèmes accumulés. Norma (47 ans), par exemple, situe la source de la conduite délinquante de son époux dans son enfance et en attribue, du moins partiellement, la responsabilité à sa famille :

Je dirais qu’il vient d’une famille assez dysfonctionnelle ; il y a des travailleuses du sexe, son frère a été en prison aussi. Sa mère – quand ils étaient jeunes pis qu’ils avaient pas d’argent –, elle les amenait magasiner, mais ils payaient pas le linge qu’ils achetaient. Ça fait que c’est comme […] devenu normalisé pour lui de voler des choses.

Les difficultés familiales sont mobilisées pour expliquer la conduite délinquante d’auteurs provenant d’une variété de réalités socioéconomiques. Lorsqu’elle parle de l’enfance de son partenaire intime, Inara (33 ans) décrit une enfance où tous ses désirs matériels étaient comblés. Le revers de la médaille, toutefois, tend aussi vers le triste récit :

C’est quelqu’un qui a grandi dans une famille très aisée, très contrôlante aussi […]. Une typique famille africaine qui l’avait choisi comme étant […] le [successeur] de son père. Donc il avait une grosse responsabilité sur les épaules ; il avait pas vraiment le choix de choisir son domaine d’études, […] il devait reprendre la business de son père. [Il était] le préféré du papa [qui était] très strict. [Il a été] battu fréquemment dans son enfance.

En plus des problématiques familiales, de nombreux non-parents procèdent au redressement de l’acteur en mettant l’accent sur l’influence de « mauvais » amis. Paule (30 ans) explique par exemple être une « exception » dans le cercle social de son partenaire qui a « tout le temps été [composé de] tout croches ». Selon elle, il s’en sortirait beaucoup mieux s’il était entouré plus convenablement.

Regarder vers l’avant en accentuant le « bon »

La deuxième stratégie narrative utilisée par les participants fait valoir les facettes positives de l’être cher, à travers un discours ancré dans le présent ou envisageant le futur. Tel qu’il est illustré dans le Graphique 1, elle prend deux formes : la mise en exergue des changements et la foi en l’avenir. L’utilisation de ces dernières dépend, en grande partie, de la conduite actuelle de la personne aimée.

Accentuer le changement

Pour les participants qui mobilisent cette stratégie, le passé est construit comme une réalité lointaine qu’il faut accepter. Cette idée est illustrée par Charles (73 ans) lorsqu’il se situe par rapport à la conduite de son fils :

Je porte pas de jugement, je reste assez stoïque par rapport à ça, là. T’sais c’est comme du passé […]. Nous, dans le mouvement [Gamblers Anonymes], on a une prière qui s’appelle la prière de la sérénité : « Mon Dieu donne-moi la sérénité d’accepter les choses que je peux pas changer, le courage de changer les choses que je peux, pis la sagesse d’en connaître la différence. » Ça fait que ce sur quoi je peux pas rien faire, bin je l’accepte. Pis t’sais, son délit criminel là, y l’a fait, y l’a fait.

La présentation d’une coupure nette entre le passé et le présent permet aux participants de se concentrer sur l’ici et le maintenant et de construire une vision positive de la personne aimée, comme démontré par Kathryn (29 ans) :

Dans le fond, mon père c’est pas juste les gestes, ce qu’il a commis ; c’est aussi une personne qui est généreu[se] pis qui donne de son temps pis […] qui est là. T’sais […] il a toujours été là pour moi. Il a toujours été là pour sa famille […]. Il a tout le temps été là pour ses amis pis toute ça. Ça fait que c’est quand même une bonne personne malgré ça, t’sais.

Toutefois, comme vu précédemment, aucun des participants ne nie la conduite délinquante. Afin de la prendre en compte sans perdre de vue le positif, leur discours se centre sur le changement. Bien que des participants impliqués dans tous les types de relations utilisent cette stratégie, elle est particulièrement présente dans le discours des partenaires intimes. Kara (51 ans) illustre l’importance de ce changement chez son époux, si important qu’il pourrait être le « poster child » des services correctionnels :

Quand je l’ai connu, […] il était au fédéral […] dans le super max pis il avait la plus haute cote de sécurité que tu pouvais avoir, à l’époque. Pis aujourd’hui, il est un minimum. T’sais, tout ça en 10 ans. Pour quelqu’un qui a un passé aussi lourd que lui, s’ils l’ont mis au minimum, [ça veut dire] qu’il va super bien. T’sais, on n’avait pas le droit de visite conjugale quand on s’est connus, à cause de son passé – oublie ça. T’sais, il va super bien. La dernière fois, [quand] son équipe de gestion de cas [parlait de son cas], devant les libérations conditionnelles, j’étais assis là pis je me disais : « Tabarnouche, arrêtez, vous allez sortir les violons [tellement vous le présentez positivement]. »

En se concentrant sur les bons aspects de leur être cher, les participants favorisent l’élément positif de leur ambivalence : leur attachement à une « bonne » personne. Évidemment, cette stratégie narrative est facile à adopter quand la conduite de la personne aimée n’est pas actuellement considérée comme répréhensible. Lorsque les conduites problématiques persistent, une autre stratégie est mobilisée : l’espoir.

L’espoir meurt en dernier

Pour les participants aux prises avec la persistance des actions délictuelles, développer un discours crédible centré sur les aspects positifs de l’être cher peut s’avérer compliqué. Ne pouvant ignorer la conduite problématique, c’est plutôt une image fondée sur le thème de la dualité qui est présentée. Tout comme Jonathan (père, 65 ans), qui perçoit son fils comme étant « pris dans la dualité de tout ce qu’[ils] lui ont inculqué […] pis les mauvaises choses », Paule (30 ans) comprend son partenaire comme étant pris entre le « bad boy » et le « bon garçon ».

Évidemment, cette dualité se rapporte directement à l’ambivalence. À travers la réitération narrative, les participants réaffirment les « bons » côtés de la personne aimée, en dépit des difficultés actuelles, ce qui permet l’élaboration d’un discours d’espoir pour un avenir meilleur. Par contre, l’avenir étant incertain, cette stratégie tend à être utilisée en dernier recours. Par conséquent, les participants qui trouvent le positif principalement dans l’espoir montrent une incertitude quant au maintien de leur relation. Alors que Paule (30 ans) entrevoit l’avenir dans des termes optimistes parce qu’elle « croi[t au] potentiel [de son partenaire] », elle demeure prudente :

T’sais, encore là, j’ai certaines craintes. T’sais, le naturel finit par revenir […]. Est-ce que le naturel va finir par ? … T’sais, est-ce qu’il se force à être gentil, pis le méchant va revenir ? D’un autre côté, t’sais, j’ai mon coeur qui ose croire que non. J’ai ma tête qui dit que oui.

Le recours à l’espoir est particulièrement fréquent dans le discours des parents, qui composaient souvent avec la persistance de la délinquance au moment de l’entretien. Jonathan (65 ans) explique bien pourquoi : « T’sais, t’essaies toujours – en tant que parent – d’espérer qu’il s’en sorte. En l’aidant, sans comprendre pourquoi. » Certains, comme Isabella (mère, 59 ans), perçoivent même l’incarcération de leur enfant d’un bon oeil, espérant qu’elle leur « serve de leçon ». Pour elle, c’est simple, « sans espoir, tu meurs ».

La stratégie ultime

Dans certains cas, même l’espoir n’est pas assez puissant pour permettre une réelle résolution de l’ambivalence, particulièrement lorsque les efforts fournis ne parviennent pas à freiner la conduite délictuelle. Dans ces moments de tension, la rupture relationnelle s’impose alors comme stratégie[7] ultime. Vu l’intensité émotionnelle associée à la relation, ce dernier recours est décrit par les participants comme un acte déchirant, un des choix les plus difficiles qu’ils auront à faire au cours de leur vie. En fait, la rupture est si difficile que la majorité des participants ayant rompu ne l’ont fait que temporairement. Par exemple, alors que Laura (62 ans) et Kathryn (29 ans) ont toutes deux choisi de mettre un terme à leur relation au moment de la découverte de la conduite délinquante, les efforts de l’homme qu’elles aiment les ont rapidement convaincues de renouer avec lui. Au moment de l’entretien, seule Mildred (45 ans) était toujours en rupture avec son fils. Elle anticipait cependant la nature temporaire de son choix, admettant qu’elle souhaitait « couper les ponts pendant plusieurs mois ». Bien qu’il soit impossible de confirmer la durée de cette rupture, ces résultats montrent la difficulté de mettre un terme à une relation significative, même lorsque celle-ci est entachée par des actes délictuels. Ce choix ne peut être fait que lorsque toutes les autres stratégies ont échoué.

Conclusion

Les résultats de cette étude montrent que maintenir une relation avec un être cher impliqué dans une conduite délinquante est une expérience génératrice d’ambivalence. La confrontation entre un fort sentiment d’attachement et une attitude défavorable aux actes criminels favorise le développement d’une série de stratégies narratives permettant de donner un sens à cette dichotomie. En lien avec les idées de la criminologie narrative, ces dernières sont importantes puisqu’elles façonnent l’action de ceux qui les développent (Fleetwood, 2016 ; Presser, 2010 ; Sandberg, 2016). En transférant le blâme sur des facteurs extérieurs comme les problèmes de santé mentale, la consommation de substances et l’influence des pairs, en déplaçant la conduite problématique dans un passé intangible et en soulignant l’étendue des changements effectués par la personne soutenue, les participants deviennent essentiellement capables de passer à autre chose. C’est en accentuant le positif et en minimisant le négatif qu’ils sont en mesure de prendre une décision quant à leur relation et, parallèlement, de tenir un discours justifiant ce choix. Lorsque le négatif supplante le positif, la rupture relationnelle peut être envisagée, mais cette décision est une stratégie de dernier recours.

L’analyse met en lumière une conséquence inattendue de l’ambivalence. En effet, alors que les stratégies narratives utilisées permettent le maintien relationnel, elles tracent simultanément les contours d’une zone de tolérance dans laquelle les membres de l’entourage viennent à naviguer. Par cette tolérance, une « attitude de quelqu’un qui admet chez les autres des manières de penser et de vivre différentes des siennes propres[8] », les participants admettent qu’ils peuvent voir au-delà de la conduite délinquante et qu’ils resteront auprès de leur être cher contre vents et marées. Rejoignant les travaux de Maruna (2001), le travail narratif effectué par l’entourage et l’entrée subséquente dans une zone de tolérance sont probablement des conditions nécessaires au maintien d’une relation avec un être cher impliqué dans une conduite considérée répréhensible.

Cette proposition engendre une question importante pour la criminologie : en quoi cette tolérance affecte-t-elle l’influence que l’entourage exerce sur ceux qui enfreignent la loi ? Bien que les données utilisées dans cette étude ne permettent pas de répondre à cette question, la littérature présente deux hypothèses opposées. Premièrement, selon les propositions de Sutherland (1966) concernant l’impunité sociale et les associations différentielles, la tolérance favoriserait, ironiquement, la poursuite des conduites délictuelles. En effet, alors que de nombreux théoriciens observent les attitudes de l’entourage pour comprendre leur influence sur la persistance criminelle, il faudrait plutôt considérer tous ses choix, qu’il s’agisse de soutien, de rejet ou d’abstention. Par associations délinquantes, Sutherland n’entendait pas seulement les associations avec d’autres délinquants, il y incluait aussi les choix favorables envers ceux qui agissent illégalement (voir Tremblay, 2010). C’est en devenant tolérants envers la conduite problématique que les participants optent pour le maintien de la relation, un choix favorable à leur être cher. Selon cette hypothèse, l’entourage s’en tiendrait donc essentiellement à une définition favorable à la délinquance. Cette possibilité est soutenue par les travaux de Martinez et Abrams (2013) et de Breese, Ra’el et Grant (2000) qui ont trouvé que le soutien offert par le cercle social peut mener à une prophétie autoréalisatrice et favoriser la récidive, particulièrement lorsque ces personnes encouragent l’atteinte de buts irréalistes. Cette hypothèse pourrait aussi expliquer, du moins en partie, les études ayant trouvé que l’entourage social, même s’il est « prosocial », ne favorise pas le désistement criminel ou, encore, qu’il favorise la récidive (Alarid, Burton et Cullen, 2000 ; Horney, Osgood et Marshall, 1995 ; Mackenzie et Li, 2002).

À l’inverse, plusieurs travaux mettent en valeur l’hypothèse du « soutien à tout prix ». Suivant les propositions de Cullen (1994), le maintien de la relation avec un être cher ayant agi illégalement, en dépit des contrecoups, serait la meilleure arme contre la persistance criminelle. Dans son étude sur des femmes ayant un passé de délinquance, Leverentz (2014) montre par exemple comment le soutien constant – et souvent acharné – de la famille est central à la cessation des conduites problématiques. Bien que ce soutien ait été à lui seul insuffisant pour favoriser le désistement, il devenait primordial lorsque ces femmes choisissaient de se reprendre en main. Ces résultats rejoignent les travaux de Giordano (2016) qui présentent le désistement comme un processus évolutif dans lequel l’individu doit être actif et ouvert au changement pour bénéficier du soutien de son entourage et, finalement, être influencé par celui-ci. En ce sens, le soutien inconditionnel serait le meilleur chemin vers le désistement. Les résultats de la présente étude montrent toutefois qu’il peut difficilement se manifester sans que les agents de soutien se campent d’abord dans une zone de tolérance, zone qui peut s’avérer difficile à atteindre.

Alors que ces solutions de rechange ne peuvent dépasser ici le statut d’hypothèses, elles demeurent pertinentes et leurs retombées pour les théories criminologiques de l’influence sociale méritent plus ample attention. Les résultats de cette étude montrent en effet que les membres de l’entourage sont influencés de manière significative par leur relation avec ceux qui enfreignent la loi. Au-delà de leur statut « prosocial » – présenté comme un atout central au désistement par les théories de l’apprentissage, du contrôle et du soutien social –, il importe de se questionner sur la tolérance des membres du cercle social puisqu’elle peut soit favoriser soit freiner la persistance criminelle. De futurs travaux de recherche devraient se pencher sur ces questions afin de mieux comprendre les mécanismes d’influence sociale, tenant à la fois compte de l’expérience de l’entourage et des retombées de celle-ci sur la conduite délinquante.

Les résultats de cette étude reflètent l’expérience des individus qui forment l’échantillon, c’est-à-dire celle des membres de Relais Famille. Bien que cette représentativité soit un avantage, elle implique un certain nombre de limites quant au caractère généralisable des résultats. Tout d’abord, en proposant un service d’aide, cet organisme répond aux besoins d’individus vivant des difficultés en lien avec la délinquance d’un proche et, par conséquent, de ceux qui maintiennent une relation avec ces personnes. De futurs travaux devraient inclure des personnes ayant opté pour une rupture définitive, afin de comparer leur expérience à celle des autres qui favorisent le maintien relationnel. Il serait notamment pertinent de comprendre comment l’ambivalence est gérée par ces proches distants et comment la rupture affecte la conduite délictuelle.

Finalement, comme montré dans cet article, les participants sont majoritairement défavorables à la délinquance. Bien qu’aucune étude portant sur les positionnements moraux des acteurs de soutien n’ait pu être trouvée, il est tout à fait possible d’émettre l’hypothèse qu’un certain nombre d’entre eux sont plutôt favorables à cette délinquance. Cette proposition est soutenue par certains travaux qui montrent que le cercle social des personnes investies dans une conduite délictuelle est souvent composé d’individus qui enfreignent eux-mêmes la loi (Leverentz, 2014). Ce groupe étant possiblement sous-représenté dans l’échantillon, il serait pertinent d’analyser ses expériences, en se penchant notamment sur son ambivalence et sur son rôle d’influence. Une meilleure compréhension des mécanismes d’influence sociale qui s’opère entre ceux qui enfreignent la loi et leur entourage fera en sorte de ne pas passer outre à ces interrogations.