Corps de l’article

Des changements importants sont survenus dans le marché du travail au cours des dernières décennies, notamment en raison de la hausse de la compétition mondiale et de l’avancement technologique. Les nouvelles technologies de l’information permettent désormais aux individus d’être connectés au travail 24 heures par jour et sept jours par semaine, ce qui contribue à brouiller les frontières entre le travail et la vie personnelle[1] et à intensifier les demandes du travail[2]. La fixation liée à la vérification constante et au besoin de répondre rapidement aux courriels des supérieurs et des collègues, communément appelée technostress, exacerbe les risques de vivre un conflit travail-famille[3]. De même, dans les milieux de travail où il existe une forte pression à travailler de longues heures, les employés se sentent surchargés ; ils sont plus enclins à être insatisfaits en emploi, à être stressés et fatigués et à éprouver des difficultés à concilier leur vie familiale et professionnelle[4]. Ces constats soulignent la pertinence d’examiner la relation entre le temps travaillé et la satisfaction de l’équilibre travail-famille.

L’autre changement crucial observé dans les pays industrialisés concerne les bouleversements profonds qui ont touché les familles. Selon la théorie de la deuxième transition démographique[5], l’évolution observée résulterait d’une transformation des valeurs désormais tournées vers la poursuite de l’épanouissement personnel qui s’est traduite par le recul du mariage, la hausse de la divortialité, l’évitement des relations formelles et la montée des couples en union libre ainsi que l’augmentation importante du nombre de naissances hors mariage. Ces changements se sont manifestés parallèlement à la hausse de la participation des femmes au marché du travail, laquelle a été associée dans un premier temps à l’instabilité conjugale et à l’effondrement de la fécondité. Cette association tendrait aujourd’hui à s’estomper, voire à se renverser. Goldscheider et al.[6] soutiennent que cet affaiblissement passe par une transformation notable des relations entre les hommes et les femmes, une révolution des rôles de genre qui s’effectue en deux temps. La participation croissante des femmes à l’emploi, qui s’est traduite par l’émergence des couples à deux revenus, constitue la première phase de cette révolution. La deuxième phase, qui émergerait lentement, se définit par une participation accrue des hommes dans la sphère familiale, laquelle aurait pour effet de renforcer, plutôt que d’affaiblir, les liens conjugaux et d’accroître, plutôt que de diminuer, la fécondité. À terme, on se dirigerait vers un partage égalitaire des responsabilités liées au travail et à la famille menant à une satisfaction accrue des couples.

À partir de cette idée, nous proposons d’examiner le partage des tâches domestiques et du temps travaillé dans les couples à deux revenus et leurs effets sur la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille. D’une part, il s’agit de vérifier si le partage égal des tâches domestiques mène à une satisfaction plus élevée des couples quant à l’équilibre entre les responsabilités professionnelles et familiales. D’autre part, l’article accorde une attention particulière à l’impact de l’articulation du temps travaillé par les deux partenaires sur la satisfaction enregistrée selon le genre. L’article apporte une contribution novatrice en ce qu’il considère à la fois l’effet du partage des tâches domestiques et de l’articulation du temps travaillé abordés du point de vue du couple, et ce, dans une perspective comparée selon le genre. En résumé, nous souhaitons vérifier si un investissement égal des partenaires dans les sphères professionnelle et domestique mène à une plus grande satisfaction de l’équilibre travail-famille à la fois pour les hommes et pour les femmes. S’appuyant sur une exploitation de l’Enquête sociale générale de 2011 sur la famille, l’analyse examine également si la satisfaction des répondants du Québec, qui bénéficient de programmes visant à faciliter la conciliation travail-famille, diffère de celle de leurs vis-à-vis vivant dans les autres provinces canadiennes.

La satisfaction de l’équilibre travail-famille : une question de temps et de genre

L’équilibre travail-famille est un terme largement utilisé dans la littérature et les débats publics[7]. Ce terme fait généralement référence à une conciliation harmonieuse entre les différentes sphères de la vie ou à une absence de conflit ou d’interférence entre le travail et la vie familiale[8]. Ainsi, la satisfaction de l’équilibre travail-famille s’oppose à la notion du conflit travail-famille qui survient lorsque les demandes de l’emploi interfèrent avec la vie familiale ou, à l’inverse, lorsque les demandes familiales affectent la vie professionnelle négativement[9]. Plus spécifiquement, la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille se définit comme « un niveau global de satisfaction résultant d’une évaluation individuelle du degré de succès à répondre aux demandes des rôles professionnels et familiaux[10] ».

Les travaux antérieurs identifient le temps travaillé et celui investi dans les tâches domestiques parmi les facteurs déterminants de la satisfaction de l’équilibre travail-famille. À cet égard, la théorie du drainage des ressources postule que la relation entre le nombre d’heures travaillées et la satisfaction de l’équilibre travail-famille est négative ; le temps étant une ressource limitée, les heures allouées au travail réduisent d’autant le temps disponible pour la famille[11]. De la même manière, le temps consacré aux tâches domestiques réduit le temps disponible pour le travail et risque de nuire à la satisfaction de cet équilibre. Cette théorie s’inscrit dans la ligne de pensée des travaux de Greenhaus et Beutell qui soutiennent que le temps est une source importante du conflit travail-famille. Ainsi, le temps – travaillé ou alloué aux tâches domestiques – serait associé négativement à la satisfaction de l’équilibre travail-famille. Dans une étude conduite en Grande-Bretagne, Crompton[12] a cherché à voir dans quelle mesure le régime combiné de travail des conjoints peut être source de conflit entre le travail et la famille, en accordant une attention particulière aux couples où l’un ou l’autre des conjoints sont appelés à travailler de longues heures (soit plus de 40 heures/semaine). Ses travaux ont montré que les couples où les deux conjoints rapportent travailler plus de 40 heures/semaine sont les plus nombreux à éprouver des difficultés de conciliation travail-famille, suivis par les couples « traditionnels » où l’homme travaille à plein temps (35-40 heures/semaine) et la femme est à la maison et les couples « néo-traditionnels » où l’homme travaille de très longues heures et la femme de 35 à 40 heures.

Par ailleurs, la théorie du temps disponible considère que le partenaire qui passe plus d’heures en emploi dispose de moins de temps pour investir dans la sphère domestique, ce qui expliquerait pourquoi les hommes effectuent généralement moins de tâches que les femmes[13]. Plusieurs travaux ont montré que le nombre d’heures travaillées a des retombées importantes sur le temps investi dans les tâches domestiques et que plus un individu travaille un nombre élevé d’heures, moins il est disponible pour accomplir ces tâches[14]. De même, le fait pour les femmes de travailler à temps plein plutôt qu’à temps partiel est associé à une répartition plus égale des tâches domestiques au sein des couples[15]. La théorie du temps disponible ajoute à celle du drainage des ressources en ce qu’elle suggère qu’il existe un partage du temps alloué aux travaux ménagers entre les partenaires du couple qui dépend du temps travaillé de chacun. Elle ne permet pas cependant d’expliquer pourquoi, lorsque les femmes allouent autant de temps au travail rémunéré que leur partenaire, elles continuent d’accomplir plus de tâches que ces derniers, comme l’ont montré des études antérieures[16].

La perspective féministe offre une piste explicative à ce fait empirique. Cette perspective vise notamment à distinguer le sexe qui est de nature biologique du genre qui est un construit social[17]. West et Zimmerman indiquent que le genre n’est ni une série de traits, ni une variable, ni un rôle, mais plutôt le produit de comportements socialement ancrés qui sont affichés et considérés comme appropriés ou non selon le genre dans un contexte donné. Pour eux, faire le genre signifie créer des différences entre les garçons et les filles, les hommes et les femmes, des différences qui ne sont pas naturelles, essentielles, ou biologiques. Une fois les différences créées, elles sont utilisées pour renforcer l’essence naturelle du genre. Ces auteurs insistent sur le côté construit du genre et précisent que les tâches domestiques ne sont pas au départ un travail féminin, mais que le fait d’en faire pour une femme et de ne pas en faire pour un homme revient à s’aligner sur les normes sociales de genre et à les afficher, ce qui a pour conséquence de produire et reproduire la relation dominant et dominée des catégories de sexe.

Dans cette optique, certaines études montrent que lorsque les femmes gagnent un salaire plus élevé que leur partenaire, elles ont tendance à augmenter la quantité de travail domestique qu’elles font, tandis qu’on observe la relation inverse chez les hommes[18]. Comme le comportement de ces femmes sur le marché du travail se distingue des prescriptions normatives associées à leur genre, elles tenteraient de s’y conformer en surinvestissant dans une autre sphère, soit les tâches ménagères[19]. Ainsi, la contribution plus grande des femmes aux tâches domestiques peut être interprétée à travers le processus de socialisation et les attentes normatives associées à l’homme ou à la femme[20]. Cette théorie complète les deux précédentes en ce qu’elle fournit une explication sociologique au fait que les femmes ont tendance à accomplir plus de tâches domestiques que les hommes, même lorsqu’elles consacrent autant sinon plus d’heures que leur conjoint au travail.

Les normes sociales de genre continuent d’associer plus fortement les hommes à la sphère professionnelle, et les femmes à la sphère familiale[21]. Par conséquent, la gestion des demandes de la famille serait plus saillante à l’identité des femmes et à leurs perceptions du succès. Selon Hays[22], la forte pression sociale à laquelle les femmes sont soumises pour qu’elles adoptent un style de maternité intensive, c’est-à-dire qu’elles soient étroitement impliquées dans l’éducation de leurs enfants, expliquerait qu’elles tendent à maintenir un niveau constant de temps passé avec leurs enfants même lorsque leur temps de travail augmente[23]. De même, Valcour[24] suggère que les longues heures de travail auraient un effet plus négatif sur la satisfaction des femmes à l’égard de l’équilibre entre le travail et la famille que sur celle des hommes ; inversement, la satisfaction de l’équilibre travail-famille des femmes serait affectée de manière moins négative par les tâches domestiques et les responsabilités familiales, comme si chaque partenaire avait une préférence pour son rôle de genre traditionnel. Toutefois, les résultats de la recherche qu’elle a menée aux États-Unis n’ont pas permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle le nombre d’heures travaillées exercerait un effet différent selon le genre sur la satisfaction de l’équilibre travail-famille.

Par ailleurs, Baxter et Western ont trouvé qu’une proportion élevée de femmes en Australie se disaient satisfaites de la répartition des tâches domestiques au sein de leur couple, même si celle-ci était inégalitaire[25]. Ce constat soulève selon eux des questions sur la conception de la justice et de l’équité au sein des couples et sur la façon dont les femmes conçoivent les tâches domestiques et entrevoient la possibilité que la répartition de ces tâches change. Ils suggèrent plusieurs pistes d’interprétation pour expliquer le niveau élevé de satisfaction observé malgré la répartition inégale des tâches domestiques au sein des couples, dont le fait que les femmes aient moins de ressources et donc moins de pouvoir que leur conjoint, qu’elles adhèrent à l’idéologie traditionnelle des rôles de genre ou encore qu’elles se trouvent confrontées à des situations inégalitaires qu’elles ne se sentent pas en mesure de corriger. Les résultats de leur étude ont montré que la satisfaction de l’équilibre travail-famille dépend de l’idéologie des rôles de genre et que le rejet du partage traditionnel des rôles conduit à une baisse de la satisfaction. Ils révèlent aussi que, malgré un niveau de satisfaction élevé en dépit d’un partage inégal des tâches domestiques, la satisfaction des femmes augmente lorsque les hommes contribuent davantage au travail domestique. Cela suggère que l’option privilégiée par les femmes ne serait pas le statu quo, mais plutôt qu’elles sont enclines à s’en satisfaire lorsqu’elles ne croient pas à la possibilité d’atteindre un partage égal.

À partir de la revue de littérature présentée précédemment, nous formulons les hypothèses suivantes :

H1 : La satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes et des femmes sera plus élevée dans les couples où la contribution des partenaires aux tâches domestiques est partagée également.

H1a : Le fait d’être responsable d’un plus grand nombre de tâches domestiques dans le couple sera lié de manière plus négative à la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes qu’à celle des femmes.

H2 : La satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes et des femmes sera plus faible dans les couples où un des partenaires travaille de longues heures.

H2a : Le fait de travailler de longues heures sera lié de manière plus négative à la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des femmes qu’à celle des hommes.

Le contexte canadien et la particularité du modèle québécois

La plupart des travaux cités précédemment ont été réalisés aux États-Unis et en Europe. Le Canada présente une situation particulière en ce qui a trait aux politiques publiques, notamment en ce qui concerne la conciliation travail-famille. Le Québec se distingue des autres provinces par son Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) qui offre des prestations parentales plus généreuses que celles proposées par le Programme fédéral d’assurance emploi existant dans les autres provinces canadiennes[26]. En vigueur depuis le 1er janvier 2006, le RQAP vise à faciliter la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles en offrant aux nouveaux parents une aide financière bonifiée afin de leur permettre de consacrer plus de temps à leurs enfants dans les premiers mois de leur vie[27]. Plus précisément, le RQAP offre un régime de base et un régime particulier. Le premier prévoit une durée de congé plus longue alliée à un taux de remplacement de revenu plus faible, et le second, un congé plus court associé à un taux de remplacement de revenu plus élevé. Le régime de base offre une compensation financière durant 50 semaines aux parents québécois (40 semaines dans le régime particulier), dont 18 semaines (15 semaines) sont réservées exclusivement à la mère et 32 semaines (25 semaines) sont partageables entre les deux parents. À cela s’ajoutent 5 semaines (3 semaines) réservées au père. Cette mesure a été introduite en 2006 par le gouvernement afin d’augmenter l’implication des pères auprès de leurs nouveau-nés et d’accroître la participation et le positionnement des mères en emploi[28].

Ailleurs au Canada, les mères ont accès à 15 semaines de congé de maternité payé et les parents peuvent partager 35 semaines de congé parental ; il n’existe pas de congé réservé aux pères[29]. Le revenu assurable maximal est fixé à 72 500 $ et le taux de remplacement est de 70 %[30] au Québec, comparativement à 51 700 $ et 55 % respectivement dans les autres provinces canadiennes. Le versement hebdomadaire maximal s’élève à 996 $ au Québec comparativement à 547 $ ailleurs au Canada.

De surcroît, les parents québécois bénéficiaient d’un programme de garde d’enfants universel et peu coûteux jusqu’en janvier 2015. Avant cette date, le coût était d’environ 7 $ canadiens par enfant par jour, s’appliquant à tous les enfants d’âge préscolaire. Depuis janvier 2015, la contribution de base s’établit à 7,75 $ par jour par enfant pour les familles ayant un revenu familial net de moins de 50 920 $, mais la contribution peut désormais atteindre un maximum de 21,20 $ par jour par enfant selon le revenu familial net[31]. Malgré cette importante hausse récente des frais de garde au Québec, la contribution maximale au Québec (environ 490 $ par mois) n’atteint pas le coût médian observé en 2011 en Ontario lequel était de 677 $ par mois[32]. En guise de comparaison, le coût médian de garde mensuel pour un enfant vivant au Québec s’établissait à 152 $ en 2011, soit au moment où l’Enquête sociale générale sur la famille a été conduite.

L’existence de politiques particulières au Québec visant à favoriser la conciliation famille-travail nous amène à formuler une troisième hypothèse :

H3 : La satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes et des femmes sera plus élevée parmi les couples québécois que canadiens.

Méthodologie

Données

Pour tester ces hypothèses, nous utilisons l’Enquête sociale générale (ESG) sur la famille conduite par Statistique Canada en 2011. L’ESG a rejoint un large échantillon de 22 435 répondants, hommes et femmes, représentatif de la population canadienne âgée de 15 ans et plus, à l’exclusion des personnes vivant en institution et résidant dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et au Yukon. L’ESG a recueilli de l’information sur la répartition des tâches ménagères entre conjoints, sur le nombre d’heures travaillées par chaque membre du couple ainsi que sur la satisfaction des répondants à l’égard de l’équilibre travail-famille. L’unité d’analyse comprend les couples hétérosexuels à deux revenus dont les partenaires vivaient dans le même ménage au moment de l’enquête[33]. L’échantillon initial comprenait 6692 couples à deux revenus. L’échantillon retenu pour analyse compte 6219 couples, une fois exclus les cas comportant une valeur manquante pour l’une ou l’autre des variables considérées.

Variable dépendante

Satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille : l’ESG a demandé aux répondants la question suivante : « Quel est votre degré de satisfaction de l’équilibre entre votre emploi et votre vie familiale ? » Les choix de réponse offerts étaient : 1) très satisfait ; 2) satisfait ; 3) ni satisfait ni insatisfait ; 4) insatisfait et 5) très insatisfait. Nous avons regroupé les deux premières réponses dans la catégorie des individus satisfaits que l’on compare à la catégorie de référence qui comprend les trois derniers groupes.

Variables indépendantes

Articulation du temps travaillé au sein du couple : nous avons créé une typologie du temps travaillé au sein des couples qui tient compte du nombre d’heures travaillées par chaque partenaire. Inspirée des travaux de Crompton[34], cette typologie, comprend neuf catégories découlant de la combinaison du niveau de participation à l’emploi de chaque partenaire : temps partiel (moins de 30 heures par semaine), temps plein (30 à 40 heures), ou longues heures (plus de 40 heures). Ces catégories sont : 1) longues heures pour les deux ; 2) homme longues heures/femme à temps plein ; 3) femme longues heures/homme à temps plein ; 4) homme à temps partiel/femme à temps plein ; 5) femme à temps partiel/homme à temps plein ; 6) homme longues heures/femme à temps partiel ; 7) femme longues heures/homme à temps partiel ; 8) les deux à temps partiel et 9) les deux à temps plein (catégories de référence).

Répartition des tâches domestiques au sein du couple : l’ESG ne contient aucune information directe sur le temps consacré aux tâches ménagères. Elle a recueilli cependant des données sur la contribution relative de chaque partenaire pour une série de tâches, dont la préparation des repas, le nettoyage, la vaisselle, la lessive, l’épicerie, le jardinage, le travail extérieur, la vie sociale et les finances du ménage. Nous avons retenu seulement les tâches qui sont habituellement répétées au moins une fois par semaine et qui prennent un certain temps, à savoir la préparation des repas, le nettoyage, la vaisselle, la lessive et l’épicerie. Pour chacune de ces tâches, on a demandé aux répondants « qui dans votre couple est la personne qui s’occupe principalement » de la tâche : 1) « surtout vous », 2) « surtout votre conjoint », 3) « autant vous que votre conjoint », ou 4) « ni l’un ni l’autre ». Les deux dernières catégories ont été regroupées, le niveau d’investissement étant le même pour chaque partenaire. Nous avons comptabilisé séparément le nombre de tâches pour lesquelles la femme ou l’homme était principalement responsable et nous avons soustrait le nombre de tâches prises en charge par l’homme à celui des tâches effectuées par la femme. Sur la base de cette opération, nous avons construit une variable à trois catégories qui identifie le partenaire qui accomplit le plus de tâches : 1) femme +, lorsque le nombre de tâches prises en charge par la femme est plus élevé que celui de l’homme ; 2) égal, lorsque la contribution des partenaires est égale ; et 3) homme +, lorsque le nombre de tâches effectuées par l’homme est plus élevé que celui de la femme.

Variables de contrôle

Caractéristiques familiales : l’analyse tient compte du type d’union : mariage ou union libre, la littérature ayant montré que l’union libre est associée à des attitudes moins traditionnelles et à une répartition plus égalitaire des tâches domestiques[35]. On prend également en considération la durée de l’union en cours, laquelle est liée de manière positive à une division plus traditionnelle des tâches ménagères[36]. Des études antérieures ont par ailleurs montré que la présence d’enfants augmente le temps passé au travail domestique, et de façon plus forte pour les mères, ce qui conduit à une division plus traditionnelle des tâches[37]. Nous contrôlons donc l’effet de la structure familiale : 1) couple sans enfant ; 2) famille « intacte » comprenant seulement des enfants communs au couple et au moins un enfant de 5 ans ou moins ; 3) famille intacte avec tous les enfants âgés de 6 ans et plus ; et 4) famille recomposée comptant au moins un enfant issu d’une union antérieure de l’un des partenaires.

Conditions de travail du répondant et du partenaire : Silver et Goldscheider[38] ont établi que le travail saisonnier et le travail par quarts augmentent le temps alloué aux tâches domestiques par les femmes, et le travail par quarts, le temps alloué à ces tâches par les hommes[39]. Par conséquent, l’analyse inclut trois caractéristiques d’emploi des partenaires recueillies par l’ESG : 1) travailleur rémunéré ou travailleur autonome, ces derniers ayant habituellement plus de latitude quant à l’organisation de leur horaire de travail ; 2) type de contrat : employé régulier versus autres types de contrat (employé saisonnier, temporaire, occasionnel ou sur appel) ; 3) horaire de travail habituel : horaire régulier de jour ou autre horaire (horaire de soir, de nuit, rotatif, heures brisées, horaire comprimé, horaire irrégulier).

Autres caractéristiques du répondant et du partenaire : la littérature a montré que le revenu personnel des individus et le revenu relatif de la femme par rapport à son conjoint sont liés positivement à une répartition égale des tâches domestiques au sein du couple[40]. L’ESG a recueilli le revenu des répondants mais non celui de leur partenaire ; nous avons estimé celui-ci en soustrayant le revenu du répondant du revenu du ménage. Notre analyse inclut séparément le revenu[41] personnel des répondants ainsi que la part du revenu du ménage gagné par la femme (0-44 %, 45-54 %, 55 % ou plus). Les autres caractéristiques comprises dans l’analyse sont l’âge (en années), l’âge au carré et le plus haut niveau de scolarité obtenu (études secondaires non complétées, diplôme d’études secondaires, diplôme d’études collégiales et diplôme d’études universitaires). Des recherches passées ont montré que les jeunes adultes expriment de fortes préférences pour des relations plus égalitaires moins marquées par une spécialisation des rôles[42]. En outre, il a été constaté que le niveau d’éducation complété est lié de façon négative au temps consacré par les femmes aux tâches ménagères, et de façon positive au temps de travail ménager des hommes[43].

Stratégie d’analyse

Notre stratégie analytique se déploie en deux étapes. Premièrement, nous décrivons brièvement la satisfaction de l’équilibre travail-famille dans les couples à deux revenus au Québec et au Canada selon leur répartition des tâches domestiques. Deuxièmement, nous utilisons des modèles de régression logistique pour examiner l’effet des variables indépendantes sur la satisfaction de l’équilibre travail-famille. Nous estimons cinq modèles. Le premier modèle est général puisqu’il considère toutes les variables indépendantes et de contrôle à l’étude, incluant le genre et la région. Par la suite, quatre modèles séparés sont estimés : un pour les femmes du Québec, un pour les hommes du Québec, un pour les femmes des autres provinces et un dernier pour leurs homologues masculins. Les résultats de ces analyses sont présentés à la section qui suit.

Résultats

Analyses descriptives

Le tableau 1 montre que les femmes accomplissent un nombre de tâches ménagères plus élevé que leur partenaire masculin, et ce, peu importe la région et le sexe des répondants. Au Québec, les femmes considèrent qu’elles font environ deux tâches de plus que leur partenaire, tandis que les hommes évaluent que leur partenaire ne fait en moyenne qu’une tâche de plus qu’eux. Ailleurs au Canada, les tendances sont les mêmes. Les deux sexes s’entendent sur le fait que les femmes font plus de tâches que les hommes, mais les femmes estiment que ce déséquilibre est plus grand que celui rapporté par les hommes.

Le tableau 2 présente la distribution des couples à deux revenus selon le sexe du partenaire qui accomplit le plus de tâches domestiques. Les femmes sont responsables d’un plus grand nombre de tâches domestiques que leur partenaire dans plus de 70 % des couples, et ce, tant au Québec que dans les autres provinces. Près de 20 % des couples québécois rapportent partager également le travail ménager, comparativement à près de 16 % ailleurs au Canada. Les hommes font plus de tâches que leur partenaire dans seulement 7 % des couples au Québec et 10 % des couples des autres provinces. À l’instar des études passées, les données des tableaux 1 et 2 confirment que le travail domestique est encore accompli majoritairement par les femmes. Un résultat qui témoigne du fait que la révolution des rôles de genre n’est pas encore achevée[44], tant au Québec qu’ailleurs au Canada.

Tableau 1

Nombre moyen de tâches supplémentaires effectuées par les femmes selon le sexe du répondant et la région

Nombre moyen de tâches supplémentaires effectuées par les femmes selon le sexe du répondant et la région
Source  : Enquête sociale générale 2011, Statistique Canada. Données pondérées

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Tableau 2

Distribution (en  %) des couples selon la répartition des tâches domestiques et selon le sexe des répondants et la région

Distribution (en  %) des couples selon la répartition des tâches domestiques et selon le sexe des répondants et la région
Source  : Enquête sociale générale 2011, Statistique Canada. Données pondérées

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Le tableau 3 fournit le pourcentage de répondants qui ont répondu être satisfaits à l’égard de l’équilibre travail et vie familiale selon le sexe et la région. Ces pourcentages sont relativement élevés et ne varient pas de manière significative entre groupes : autour de 80 % des femmes et des hommes se disent satisfaits de leur équilibre travail-famille, peu importe la région considérée. Cette première analyse ne permet donc pas dans un premier temps de soutenir l’hypothèse 3 voulant que les couples québécois soient plus satisfaits de leur équilibre travail-famille. Les résultats confortent cependant la littérature qui a montré que les taux de satisfaction des femmes demeurent élevés en dépit du partage inégal des tâches domestiques au sein des couples.

Tableau 3

Proportion (en  %) de répondants satisfaits à l’égard de l’équilibre travail-famille selon le sexe des répondants et la région

Proportion (en  %) de répondants satisfaits à l’égard de l’équilibre travail-famille selon le sexe des répondants et la région
Source  : Enquête sociale générale 2011, Statistique Canada. Données pondérées

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Analyses multivariées

Les résultats de la régression logistique exposés au tableau 4 présentent les rapports de cotes du fait d’être satisfaits plutôt qu’insatisfaits ou ni satisfaits/ni insatisfaits de l’équilibre travail-famille parmi l’ensemble des répondants[45]. Cette première analyse ne révèle pas de différences significatives selon le genre et la région de résidence des répondants. En d’autres termes, les chances d’être satisfaits de l’équilibre travail-famille des Québécois ne paraissent pas différer de celles des résidents des autres provinces. L’hypothèse 3 n’est donc pas vérifiée. De même, les hommes n’affichent pas une plus grande probabilité d’être satisfaits de cet équilibre que les femmes. Cela tient peut-être au fait que le partage des tâches domestiques ou du temps consacré à l’emploi exerce un effet variable sur la satisfaction exprimée par les hommes et les femmes, comme le suggèrent les études passées. Nous y reviendrons plus loin.

Le partage des tâches domestiques ne semble pas non plus affecter de façon significative la satisfaction de l’équilibre travail-famille des répondants au sein de l’ensemble des couples. Néanmoins, la satisfaction exprimée par les répondants varie en fonction de l’articulation du temps travaillé par chacun des conjoints. Comparativement aux couples où les deux conjoints occupent un emploi à temps plein, seuls les couples dans lesquels la femme travaille à temps partiel et l’homme travaille à temps plein ont plus de chances d’être satisfaits de leur équilibre travail-famille ; ces derniers ont 56 % plus de chances d’en être satisfaits. À l’opposé, les couples dans lesquels les deux partenaires font de longues heures et ceux dans lesquels l’un des conjoints fait de longues heures et l’autre travaille à temps plein ont une probabilité nettement plus faible (entre 35 % et 53 %) que la catégorie de référence d’être satisfaits de leur équilibre travail-famille.

Tableau 4

Satisfaction de l’équilibre travail-famille selon la répartition des tâches domestiques et le temps travaillé par les partenaires (rapports de cotes)

Satisfaction de l’équilibre travail-famille selon la répartition des tâches domestiques et le temps travaillé par les partenaires (rapports de cotes)

Note  : Ce modèle contrôle également le fait d’être marié ou conjoint de fait, la durée de l’union, le type de famille, le revenu personnel, le pourcentage du revenu du ménage gagné par la femme ainsi que les conditions de travail (travail autonome, permanence, horaire), l’âge, le niveau de scolarité du répondant et de son partenaire.

a La catégorie de référence est indiquée entre parenthèses. Données pondérées.

Source  : Enquête sociale générale 2011, Statistique Canada. ***p < 0,01 **p < 0,05 *p < 0,10

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Ainsi, les longues heures de travail d’un partenaire qui s’ajoutent au temps plein de l’autre membre du couple semblent nuire à la satisfaction de l’équilibre travail-famille. Lorsque ces longues heures se combinent à un emploi à temps partiel, le résultat varie selon le genre de la personne qui travaille plus de 40 heures/semaine. Les couples dans lesquels l’homme fait de longues heures et la femme travaille à temps partiel ne se distinguent pas significativement de ceux où les deux conjoints travaillent à temps plein. Par contre, dans les couples parmi lesquels la femme fait de longues heures et l’homme travaille à temps partiel, les répondants ont environ 80 % moins de chances d’être satisfaits de leur équilibre travail-famille.

En somme, les résultats de ce premier modèle ne permettent pas de confirmer les hypothèses 1 et 3, mais ils appuient en partie l’hypothèse 2 selon laquelle la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille sera plus faible dans les couples où l’un des deux partenaires fait de longues heures. Les longues heures nuisent à la satisfaction lorsque l’autre partenaire travaille à temps plein, et ce, peu importe le genre. Lorsque combinées à un emploi à temps partiel, les longues heures de travail des hommes ne paraissent pas affecter négativement la satisfaction des couples, mais les longues heures des femmes y contribuent. Ce double standard peut résulter de la persistance de l’idéologie traditionnelle des rôles de genre qui conçoit le travail rémunéré comme occupant une place centrale dans la vie des hommes, mais une place secondaire dans la vie des femmes. Cette interprétation corrobore le résultat montrant que les couples les plus satisfaits de leur équilibre travail-famille sont ceux dans lesquels la femme occupe un emploi à temps partiel et l’homme un emploi à temps plein.

Le tableau 5 présente les résultats des quatre modèles de régression logistique conduits séparément en fonction du genre et de la région de résidence des répondants[46]. L’objectif de ces modèles consiste à vérifier si le temps travaillé par les conjoints et le partage des tâches domestiques affectent de façon différente la satisfaction de l’équilibre travail-famille selon le fait d’être un homme ou une femme et de résider au Québec ou ailleurs au Canada.

Les coefficients affichés dans la première colonne du tableau 5 révèlent que les Québécoises qui assument une plus grande part de tâches ménagères que leur conjoint ont près de deux fois plus de chances d’être satisfaites de leur équilibre travail-famille que celles qui partagent également ces tâches. Ailleurs au Canada, la satisfaction des femmes face à l’équilibre travail-famille semble peu liée à la part des tâches domestiques qu’elles effectuent dans leur couple, tout comme par ailleurs la satisfaction des hommes résidant au Québec. Ces premiers résultats ne soutiennent donc pas l’hypothèse 1 voulant que les conjoints soient plus satisfaits de l’équilibre travail-famille lorsque les tâches domestiques sont partagées également. Chez les hommes résidant en dehors du Québec, le fait d’être responsable d’un plus grand ou d’un plus faible nombre de tâches que leur conjointe réduit d’environ 30 % la probabilité qu’ils se déclarent satisfaits de l’équilibre travail-famille. L’hypothèse 1 est donc vérifiée seulement dans le cas des hommes vivant hors Québec.

L’hypothèse 1a prédisant que le fait d’être responsable d’un plus grand nombre de tâches domestiques sera liée plus négativement à la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes qu’à celle des femmes s’avère vérifiée pour les hommes et les femmes vivant hors Québec, mais non pour les Québécois. Au Québec, non seulement la répartition des tâches domestiques dans le couple semble associée plus étroitement au niveau de satisfaction des femmes que des hommes, mais le résultat observé va dans le sens contraire de l’effet attendu, les femmes étant plus satisfaites de la conciliation travail-famille lorsqu’elles assument une plus grande part des tâches ménagères. Est-ce parce que ces femmes qui font plus de tâches domestiques que leur partenaire se conforment davantage aux prescriptions normatives associées à leur genre ? Le fait de concevoir le travail domestique comme un moyen d’exprimer son identité de genre, comme le suggère l’approche féministe « faire le genre », ferait en sorte qu’elles considèrent normale ou souhaitable une répartition inégale des tâches et, par conséquent, qu’elles en soient satisfaites. Par ailleurs, les femmes issues de couples où les tâches domestiques sont partagées également, qui forment le groupe de référence auquel elles sont comparées, sont probablement plus enclines à rejeter l’idéologie traditionnelle des rôles de genre et à revendiquer une implication plus grande de leur partenaire, ce qui peut occasionner des tensions dans le couple et atténuer la satisfaction face à l’équilibre travail-famille.

Tableau 5

Satisfaction de l’équilibre travail-famille selon la répartition des tâches domestiques et le temps travaillé par les conjoints parmi les hommes et les hommes vivant au Québec et ailleurs au Canada (rapports de cotes)

Satisfaction de l’équilibre travail-famille selon la répartition des tâches domestiques et le temps travaillé par les conjoints parmi les hommes et les hommes vivant au Québec et ailleurs au Canada (rapports de cotes)

Note  : Ce modèle contrôle également le fait d’être marié ou conjoint de fait, la durée de l’union, le type de famille, le revenu personnel, le pourcentage du revenu du ménage gagné par la femme ainsi que les conditions de travail (travail autonome, permanence, horaire), l’âge, le niveau de scolarité du répondant et de son partenaire.

a La catégorie de référence est indiquée entre parenthèses. Données pondérées.

Source  : Enquête sociale générale 2011, Statistique Canada. ***p < 0,01 **p < 0,05 *p < 0,10

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Dans l’ensemble, le tableau 5 montre clairement que le fait de travailler de longues heures, soit plus de 40 heures/semaine, est associé négativement à la probabilité qu’ont les répondants de se déclarer satisfaits de leur équilibre travail-famille. Comparativement aux couples où les deux conjoints occupent un emploi à temps plein, les femmes membres d’un couple dans lequel les deux conjoints font de longues heures ont environ entre 55 et 70 % moins de chances d’en être satisfaites, et les hommes vivant hors Québec, environ 50 % moins de chances. De même, lorsque seulement un des conjoints travaille de longues heures, celui ou celle qui consacre de telles heures à l’emploi affiche généralement une faible satisfaction face à l’équilibre travail-famille, et ce, peu importe le sexe et la région de résidence des répondants. Ainsi, par exemple, comparativement à leurs consoeurs membres d’un couple où les deux conjoints sont à temps plein, les femmes qui travaillent plus de 40 heures/semaines au Québec alors que leur partenaire occupe un emploi à temps plein ont environ 70 % moins de chances de se déclarer satisfaites de la conciliation travail-famille, et celles vivant ailleurs au Canada environ 75 % moins de chances. Parallèlement, les hommes qui vivent la situation inverse ont nettement moins de chances d’être satisfaits de leur équilibre travail-famille dans les deux régions (rapports de cote de 0,36 et 0,55), et les Québécois dont la conjointe est à temps partiel ont également une probabilité nettement plus faible de l’être (rapport de cote de 0,24). À la lueur de la théorie du drainage des ressources, ces résultats montrent que le temps alloué au travail par un individu crée une pression sur sa vie familiale, ce qui risque de diminuer son niveau de satisfaction face à l’équilibre travail-famille. Le fait que l’on n’observe pas de réduction équivalente du niveau de satisfaction parmi les conjoints – hommes et femmes – des individus qui travaillent de longues heures suggère que le conflit de temps vécu par l’un des membres du couple n’est pas nécessairement partagé par l’autre.

Les résultats présentés ci-dessus confirment en partie seulement l’hypothèse 2 voulant que la satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille des hommes et des femmes sera plus faible dans les couples où un des partenaires consacre de longues heures au travail rémunéré, cette relation n’étant vérifiée que pour l’individu qui travaille plus de 40 heures/semaine. Le fait de travailler de longues heures ne semble pas non plus affecter davantage le niveau de satisfaction des femmes comparativement à celui des hommes. L’hypothèse 2a n’est donc pas vérifiée.

Par ailleurs, seuls les couples vivant hors Québec dans lesquels la femme occupe un emploi à temps partiel et l’homme un emploi à temps plein enregistrent une probabilité plus forte d’être satisfaits de l’équilibre travail-famille que ceux où les deux conjoints travaillent à temps plein. Tant les hommes que les femmes qui connaissent un tel arrangement ont environ deux fois plus de chances de se déclarer satisfaits de cet équilibre. Leur satisfaction repose sur une division plus traditionnelle du travail où l’homme investit principalement dans le travail rémunéré et la femme y participe de façon secondaire afin de disposer de temps pour la famille.

Discussion et conclusion

Nos résultats ont d’abord révélé que la deuxième moitié de la révolution des rôles de genre, c’est-à-dire la participation égale des hommes dans la sphère familiale et le travail domestique, n’est pas encore achevée au Canada. En effet, dans près des trois quarts des couples, la femme demeure la principale responsable du fardeau domestique, malgré le fait qu’elle soit présente en emploi.

Par la suite, l’analyse multivariée a montré que la répartition égale des tâches domestiques entre les partenaires des couples à deux revenus n’entraîne pas automatiquement une satisfaction plus grande de l’équilibre travail-famille. Les hommes vivant hors Québec qui font partie d’un tel couple ont été plus enclins à se déclarer satisfaits de cet équilibre que ceux qui effectuent plus de tâches que leur conjointe et ceux dont la conjointe effectue plus de tâches. Dans leur cas, notre première hypothèse prédisant qu’une répartition égale du travail domestique mènerait à une hausse de la satisfaction de l’équilibre travail-famille se trouve donc vérifiée. L’analyse ne conforte cependant pas cette hypothèse pour les femmes. D’une part, la satisfaction des femmes vivant hors Québec n’est apparue aucunement liée à la répartition des tâches domestiques dans leur couple. D’autre part, nous avons trouvé que les femmes du Québec qui font plus de tâches domestiques que leur partenaire ont près de deux fois plus de chances d’être satisfaites de leur équilibre travail-famille que celles issues de couples qui partagent également ces tâches. À la lueur de ces résultats, l’hypothèse 1a posant que le fait d’être responsable d’un plus grand nombre de tâches domestiques serait lié plus négativement à la satisfaction au regard de l’équilibre travail-famille des hommes que des femmes s’avère donc vérifiée seulement pour les couples qui n’habitent pas au Québec.

Notre analyse a mis en lumière le rôle important de l’articulation du travail rémunéré dans le couple dans la satisfaction qu’éprouvent les conjoints face à l’équilibre travail-famille. Dans l’ensemble, les couples où les deux conjoints occupent un emploi à temps plein ressortent comme étant passablement satisfaits de l’équilibre de temps qu’ils maintiennent entre le travail et la famille. D’un côté, ils se distinguent des couples où l’un ou l’autre des conjoints travaillent plus de 40 heures/semaine, lesquels sont moins enclins à être satisfaits de cet équilibre. De l’autre, ils diffèrent des couples vivant hors Québec dans lesquels la femme occupe un emploi à temps partiel et l’homme un emploi à temps plein qui sont plus satisfaits de la façon dont ils concilient travail et famille.

De façon générale, le fait de travailler plus de 40 heures/semaine a un impact négatif sur la satisfaction du répondant, homme ou femme, qui effectue de telles heures de travail. Ce résultat conforte partiellement l’hypothèse 2, mais non l’hypothèse 2a stipulant que le fait de travailler de longues heures affecterait davantage la satisfaction des femmes que celle des hommes. L’analyse corrobore la théorie du drainage des ressources qui conçoit le temps comme une ressource limitée et le manque de temps comme une source de stress et d’insatisfaction face à la conciliation travail-famille. L’apport de notre étude est d’avoir montré que l’insatisfaction vécue par le conjoint qui travaille de longues heures n’est pas nécessairement partagée par l’autre membre du couple. On aurait pu penser que l’individu dont le conjoint travaille plus de 40 heures/semaine serait également insatisfait de son équilibre travail-famille puisqu’il est susceptible d’avoir à compenser pour les tâches que ce dernier ne peut accomplir par manque de temps. Or, il semble que cette charge additionnelle ne soit pas suffisante pour créer un conflit de temps lié à un sentiment d’insatisfaction.

Comment peut-on réconcilier les différences observées entre les Québécoises et les femmes des autres provinces canadiennes, soit le fait que les premières se montrent plus satisfaites de leur équilibre travail-famille lorsqu’elles sont responsables d’un plus grand nombre de tâches que leur conjoint, et les secondes, lorsqu’elles travaillent à temps partiel et leur conjoint à temps plein ? Ces deux résultats suggèrent une conception traditionnelle des rôles de genre mais qui s’exprime de manière différente à travers les deux régions. Au Québec, l’accès universel à des services de garde abordables et à des congés parentaux assortis de prestations généreuses ont encouragé une participation accrue des mères dans des emplois à temps plein. Dans ce cas, il se pourrait que ces femmes qui ont investi à part entière le marché du travail voient dans une implication plus grande dans les tâches ménagères une façon pour elles de se conformer aux normes construites de genre auxquelles elles adhèrent. Ailleurs au Canada, on peut penser que la conformité des femmes aux normes de genre passe davantage par un partage traditionnel du travail – domestique et rémunéré – dans le couple, soit une participation à temps partiel à l’emploi et une implication plus grande dans la famille. Malheureusement, l’ESG de 2011 n’a recueilli aucune information sur les normes et attitudes des femmes (et des hommes) face au travail et à la famille qui nous permettrait de tester ces pistes d’explication. De nature transversale, l’ESG ne permet pas non plus de distinguer la direction des liens observés entre l’organisation du temps domestique et rémunéré et la satisfaction face à l’équilibre travail-famille. En d’autres termes, la collecte d’information à un point donné dans le temps ne permet pas de voir si c’est le partage inégal des tâches domestiques dans le couple qui mène à un degré donné de satisfaction ou si c’est plutôt une insatisfaction face à la conciliation travail-famille qui amène certaines femmes à revendiquer un partage plus égalitaire des tâches.

Contrairement à notre hypothèse, nous n’avons pas trouvé de différence significative dans la probabilité des couples résidant au Québec ou ailleurs au Canada de se déclarer satisfaits de l’équilibre famille-travail. Ce résultat ne signifie pas nécessairement pour autant que les politiques familiales instaurées au Québec n’aident pas les couples à mieux concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles. Il se peut au contraire qu’elles créent de nouvelles attentes et haussent le seuil à partir duquel les résidents du Québec mentionnent être satisfaits de la façon dont ils arrivent à combiner travail et famille. Il se peut également que l’absence de différence notée entre les deux régions tienne au fait que le partage des tâches domestiques ou du temps consacré à l’emploi exerce un effet variable sur la satisfaction exprimée par les Québécois et leurs homologues des autres provinces, effet que notre analyse n’a exploré que bien sommairement. Clairement, le besoin de poursuivre la recherche s’impose.