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Les enjeux liés au pluralisme, à l’équité et à l’inclusion font partie des grandes priorités du XXIe siècle pour les sociétés et leurs systèmes éducatifs. Ces enjeux ont donné lieu, au Québec comme ailleurs, à un champ spécifique de politiques et d’interventions publiques, de débats et de recherches depuis 50 ans.

Au Québec, les débats sur la langue publique commune, l’identité nationale ou la laïcité influencent de longue date le discours normatif et les débats scientifiques sur le pluralisme et l’inclusion. Depuis les années 1970, le développement de la « gestion étatique » de l’immigration et du pluralisme a été influencé à la fois par les dynamiques mondiales et par les rapports Québec-Canada et le néonationalisme[1]. Pour plusieurs, le modèle « d’interculturalisme québécois » – vu comme une voie intermédiaire entre multiculturalisme canadien et jacobinisme français[2] – apparaît comme un processus permanent de définition de la « citoyenneté québécoise[3] » autour d’une tension entre une conception culturelle et une conception civique[4]. Le discours normatif semble naviguer davantage, selon les époques, vers l’une ou l’autre à travers une rhétorique changeante. Ainsi, dans les années 1970-1980, le Québec développe une politique de « convergence culturelle[5] », puis de « contrat moral » dans les années 1990[6] qui devient en 2000 un « contrat civique commun[7] », suivi de politiques reposant sur les concepts de diversité, de participation, d’inclusion et d’équité à partir de 2008[8]. Dans ces documents officiels, les « minorités ethniques » seront successivement désignées comme des « communautés culturelles », des « Québécois des communautés culturelles », des « citoyens de toutes origines » et le ministère de l’Immigration change de nom et devient tour à tour celui des Communautés culturelles, des Relations avec les citoyens, puis « de la Diversité et de l’Inclusion ».

Ces changements terminologiques se sont aussi fait sentir dans le discours normatif en éducation, où le champ du pluralisme a vu apparaître depuis les années 1970 une variété de « courants d’idées[9] » syncrétiques – multiculturel ou interculturel, antiraciste, à la citoyenneté et aux droits, inclusif – qui seraient moins des théories scientifiques, sociologiques ou philosophiques que des « solutions cherchées à des problèmes de société spécifiques[10] ». Souvent caractérisés par une tension entre deux paradigmes - droit à la différence et droit à l’égalité - ils sont aussi vus comme complémentaires[11]. Apparus à différentes périodes et dans divers pays, ces courants ont varié selon l’ouverture au pluralisme et l’histoire des relations et conflits entre minorités et majorités dans chaque société. Ainsi, l’approche multiculturelle, qui naît dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, sera renommée « interculturelle » dans la francophonie et en Amérique latine, puis critiquée par les perspectives antiraciste, critique ou transformative qui se développent au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Issues des courants marxistes et des Cultural Studies, ces perspectives donneront lieu à plusieurs « déclinaisons » : éducation anti-oppression, postcoloniale, intersectionnelle, Critical race theory et d’autres[12]. Le courant de l’éducation à la citoyenneté démocratique, auquel sont associés l’éducation globale et planétaire, l’éducation à la paix et l’éducation aux droits humains[13], prend de l’ampleur au niveau international dans les années 1990. Il sera aussi critiqué par les courants de la pédagogie critique puis par l’approche inclusive, axée sur l’équité et la pédagogie différenciée, qui deviendra plus centrale dans les discours normatifs internationaux et nationaux[14].

L’apparition « successive » de ces courants témoigne d’une évolution/transformation du courant interculturel initial[15] et, plus largement, du champ des études ethniques en éducation, au Québec comme au niveau international. Cet article retrace les grandes tendances de cette évolution, dans les politiques et la recherche québécoises, en montrant l’influence, notamment, des discours normatifs plus généraux (nationaux et internationaux) et des « problèmes de société », enjeux sociopolitiques et contextes nouveaux dans lesquels l’école évolue au Québec[16]. Il effectue une esquisse de ces « courants d’idées » et débats au cours de trois périodes - les années 1970-1980, 1990-2000, 2010 à nos jours – qu’il resitue dans les principaux enjeux de société et dans l’évolution des politiques publiques dans ce champ.

Pour chaque période, l’article rappelle les enjeux sociaux et prises de position officielles sur le pluralisme, les débats en milieux scolaires, les apports successifs des courants et les principales critiques qui leur sont adressées autour des logiques de différenciation ou d’égalité qu’ils priorisent et mettent en débat. En conclusion, la réflexion porte sur les « changements », continuités ou ruptures d’une époque à l’autre.

L’article s’appuie sur une recension d’écrits sur la période 1990- 2012[17] qui, sans être exhaustive, a permis de dégager, à partir de cinq bases de références et de mots clés associés à chaque courant, un aperçu de leur « poids » respectif dans les travaux internationaux et québécois. Notre approche suit un ordre chronologique mais il faut retenir que le champ n’a pas connu un développement linéaire et que ces courants sont loin d’être mutuellement exclusifs.

Les débats d’une époque à l’autre au Québec

Les années 1970 et 1980, prédominance de l’interculturel dans les discours normatifs

Au cours des années 1960 à 1980, le Québec connaît un fort mouvement d’affirmation nationale et l’adoption de la Charte de la langue française, dite loi 101 (1977), qui fera du français la langue officielle du Québec, consolidera le caractère français de « l’identité nationale ». Dans un double mouvement, le Québec se penche sur les enjeux linguistiques et sur la « gestion » de la diversité culturelle à des fins d’intégration des minorités à une société francophone[18], mouvement qui marquera le passage des francophones de « minoritaires » au statut sociologique de « groupe majoritaire ». Ainsi, au moment où il adopte sa politique linguistique et augmente ses pouvoirs en matière d’immigration, et voyant que l’adoption de la loi 101 n’allait pas mener « naturellement » à l’intégration des immigrants, le Gouvernement du Parti québécois élabore la Politique québécoise du développement culturel[19]. Cette politique repose sur un modèle interculturel d’intégration autour d’une « culture de convergence française », appelée à se transformer par la diversité. Elle affirme à la fois le statut de majorité de la communauté francophone, son engagement en faveur d’une immigration accrue et sa position normative face au pluralisme croissant des institutions et de la société. Cette politique naît aussi d’une volonté de se démarquer de la « mosaïque » du multiculturalisme canadien[20] en lui faisant concurrence comme société contrôlant l’intégration de ses immigrants[21]. L’adoption de la Politique canadienne du multiculturalisme en 1971 sera « presque universellement rejetée » au Québec[22], parce qu’elle était vue comme une manoeuvre visant à la fois à occulter la réalité nationale du Québec, en reléguant les francophones du Québec à un statut de « groupe ethnique comme les autres », à laminer les différences entre régions et à imposer un bilinguisme fictif. La politique québécoise entendait donc favoriser les « échanges au sein d’une culture québécoise », en mettant davantage l’accent sur l’intégration des immigrants à une langue commune, alors que la Politique canadienne du Multiculturalisme favorisait selon certains, le relativisme culturel[23].

Rappelons que les approches multiculturelle et interculturelle naissent dans la foulée de l’Ethnic revival, alors que les sociétés occidentales voient émerger une diversité de revendications identitaires et de demandes de reconnaissance issues de différents mouvements sociaux ou de libération nationale (dont au Québec)[24]. Les débats en sciences sociales au Québec, comme ailleurs, vont opposer les relativistes culturels et les tenants d’une culture civique commune transcendant les particularismes[25]. Les premiers[26] postulent l’égalité des « cultures », définies, selon une approche anthropologique, comme des visions du monde et des systèmes de significations propres à chaque groupe, faisant en sorte qu’aucune culture ne pouvait prétendre « imposer ses valeurs » aux autres sans les dominer. Les seconds adoptent une posture plus philosophique, qui cherche à articuler citoyenneté démocratique et pluralisme au sein d’une école et d’une société communes, une réflexion qui, selon eux, devait faire partie de l’éducation interculturelle[27]. En sociologie et en anthropologie, les débats opposent plus largement les conceptions « culturaliste », « primordialiste[28] », marxiste[29] et constructiviste[30] de l’identité[31]. Le paradigme constructiviste, qui prendra de l’importance dans la recherche québécoise, focalise sur la construction des frontières ethniques, qui s’effectue à la fois par les communautés elles-mêmes (frontière interne, rapport à l’histoire et à la culture, ou « communalisation ethnique » chez Weber), par l’entremise des rapports de pouvoir et de domination entre les groupes (frontière externe)[32], ainsi que par une médiation de ces frontières par le travail de subjectivité du sujet[33].

L’ethnicité comme « triple produit de la frontière externe, interne et de la médiation du Sujet[34] » est alors vue comme un fait social dynamique reposant sur un processus de construction à travers des relations sociales, plutôt qu’une forme « figée » appartenant à une communauté, ou résultant de l’action dominante des majoritaires, ou des structures sociales sensées les fonder[35]. Cette perspective donnera lieu à de nombreux travaux sur l’ethnicité et les rapports ethniques dans diverses disciplines, dont en éducation, mais « au début des années 1980, il n’exist[ait] pas encore de véritable tradition de recherche dans ce domaine[36] ».

Dans le secteur éducatif : débats entre interculturel et antiracisme

Le champ de l’interculturel en éducation se développe autour de nombreux travaux, comme les ouvrages pionniers de Ouellet et ses collaborateurs, qui proposaient l’élaboration d’une conception critique de l’« éducation interculturelle[37] », « terme le plus courant en français […] pour désigner l’« éducation multiculturelle[38] », qui prédominait au Canada anglais[39]. L’éducation multiculturelle était vue comme un enseignement « sur d’autres cultures » pour accroître la tolérance, alors que l’éducation interculturelle voulait instaurer une compréhension, un respect et un dialogue entre les groupes. De plus, pour Ouellet et d’autres, l’éducation interculturelle devait reposer sur des objectifs recoupant les diverses approches sur la diversité : 1) l’ouverture à la diversité ethnoculturelle et religieuse, 2) la cohésion sociale, 3) la participation critique à la vie et à la délibération démocratique et 4) l’égalité des chances et l’équité[40]. Ouellet, Ollivier et d’autres[41] vont définir deux grandes orientations de base à l’éducation (et la formation) interculturelle, qui demeurent d’actualité[42] : la prise en compte des réalités, expériences, besoins (cognitifs, relationnels, etc.) des jeunes des minorités et la préparation de tous les élèves à vivre ensemble, à communiquer et à défendre la justice et les droits.

En ce qui concerne le discours normatif québécois, l’enjeu principal était d’accueillir massivement les jeunes issus de l’immigration (de 1re et 2e générations)[43] dans les écoles publiques françaises après l’adoption de la loi 101 en 1977. Le rapport Chancy (1985)[44], premier document visant une adaptation systémique du milieu scolaire au pluralisme[45], va fixer des objectifs autant de promotion des chances égales que d’élimination de la discrimination et de soutien à la communication interculturelle[46]. Deux avis du Conseil supérieur de l’Éducation (1983 et 1987)[47] iront dans le même sens, en proposant l’adoption d’une éducation interculturelle reposant sur une « fusion de perspectives[48] » et des finalités larges, valorisant à la fois « les cultures dans l’égalité », les contacts et les échanges harmonieux « entre porteurs de différentes cultures » et la lutte contre les préjugés et le racisme.

Mais le rapport Chancy préconisait l’adoption de mesures compensatoires, vues comme de l’éducation interculturelle, et postulait qu’un processus d’acculturation mutuelle, au sein des relations et des institutions, allait entraîner une adaptation progressive à la diversité, dans une culture du métissage se généralisant. Selon certains chercheurs, ces orientations auraient prédominé dans les pratiques en milieux scolaires, alors centrées sur l’intégration linguistique des nouveaux arrivants à la société d’accueil et à l’école, avec quelques activités visant l’enrichissement mutuel par la « célébration de la diversité », et le renforcement de l’image de soi des élèves « de d’autres cultures »[49].

À l’époque, une grande partie des recherches dans ce champ est liée aux enjeux sociaux et politiques du moment, soit les questions « linguistiques » et l’intégration à la « majorité fragile »[50] francophone par la « socialisation commune ». Le système éducatif au Québec se caractérisait alors par une ségrégation scolaire au sein de réseaux de confessions religieuses, et jusqu’à l’adoption de la loi 101 – qui amène les élèves immigrants arrivés après 1977, et leurs descendants, à fréquenter obligatoirement l’école française – 90 % des élèves issus de l’immigration étaient scolarisés au secteur anglo-protestant[51]. Ces recherches, qui portaient plus souvent sur le milieu scolaire francophone montréalais, abordaient principalement trois grands thèmes. Sur le premier thème, elles montraient que la performance (résultats) et le cheminement scolaires des jeunes « allophones » (mesurés à partir de variables linguistiques) étaient positifs[52] et s’expliquaient par leur distribution de manière équivalente dans les écoles favorisées, moyennes et défavorisées de l’île de Montréal, et par la politique d’immigration sélective du Canada[53]. Sur le second thème, l’effet de la « concentration ethnique » ou de la pluriethnicité des écoles sur l’intégration des élèves et la « socialisation commune », les travaux constataient que « rien ne permet(tait) de conclure a priori que les mandats de maîtrise d’une langue commune, d’égalité des chances et de développement d’une société pluraliste échus à l’école québécoise […] exigent(aient) nécessairement la fréquentation d’institutions communes par les élèves de toutes origines[54] ». La « forte densité ethnique » d’une école pouvait « ralentir l’intégration linguistique mais avoir des effets bénéfiques sur l’image de soi des enfants et l’égalité des chances[55] ». Quelques études constataient que les écoles francophones très multiethniques et « cosmopolites », où aucun groupe linguistique ne dominait, favorisaient l’usage et l’acquisition du français comme lingua franca, langue publique commune entre élèves, alors que les écoles où deux ou trois groupes dominaient en nombre avaient des effets plus polarisants sur les relations entre élèves[56]. Dans ces dernières, les frontières ethniques, les conflits, les sentiments de rejet et de revendication identitaire de certains jeunes des minorités racisées étaient accrus, et ces derniers vivaient un isolement progressif au fil de leur trajectoire scolaire[57], qui se maintenait au collégial[58].

Sur le troisième thème, certains travaux montrent que les enseignants font preuve de résistance envers l’usage des envers l’usage des autres langues que le français à l’école et envers les changements liés à la diversité[59]. Pour les enseignants, l’école devait diffuser la langue française dans un environnement qui ne cessait de la menacer et percevaient l’usage des langues d’origine à l’école comme un refus des jeunes de s’intégrer[60]. Les préoccupations portaient sur : l’atteinte des objectifs d’intégration des élèves des minorités, les suites à donner aux demandes provenant de parents ou d’élèves quant à la prise en compte de la diversité religieuse et culturelle dans les normes institutionnelles[61] et les « dérapages potentiels ». Leur principale crainte était que l’adaptation institutionnelle ne soit interprétée comme un message de relativisme, d’ouverture inconditionnelle, et que le concept même de limites au pluralisme ne perde son sens. Ces résistances reposaient aussi, selon certains, sur le manque de formation interculturelle des enseignants[62].

Toutefois, dans certains milieux scolaires, comme le secteur anglophone de Montréal et dans certaines associations syndicales (dont la CEQ), l’approche interculturelle était vue comme limitée. Leur posture était beaucoup plus militante, marxiste et critique sur l’école, s’inspirant des auteurs « de la résistance culturelle » qui dénonçaient la fonction reproductrice du « programme caché » et implicite affectant l’ensemble de la vie scolaire[63], les rapports historiques de domination entre les groupes et les aspects systémiques de la discrimination et du racisme[64]. Ces milieux adoptaient le paradigme anti-oppression et traitaient les différents rapports de domination et de pouvoir comme des objets d’analyse d’une part, et la transformation des facteurs systémiques qui les génèrent comme des perspectives pédagogiques, d’autre part[65]. Ainsi, dans ses Cahiers de pédagogie progressiste, la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) abordait ces questions non pas comme des problèmes « interpersonnels » et découlant de préjugés individuels, mais à travers l’interrelation des systèmes d’oppression et d’inégalités historiques entre groupes majoritaires et minorisés, autant dans les rapports internationaux que dans ceux qui définissaient la position des francophones, des minorités immigrantes, des femmes, des ouvriers ou des Autochtones au Canada[66]. Du côté anglophone (notamment à la CEPGM), cette position était plus près des développements qui avaient cours au Canada anglais, car au même moment, plusieurs politiques et programmes antiracistes voyaient le jour, notamment en Ontario[67].

Selon eux, l’approche multiculturelle ou interculturelle favorisait une logique de différenciation au détriment de l’égalité, en considérant les différences des élèves de manière figée et binaire, ou dans une perspective de « rattrapage » linguistique ou culturel. Dans le matériel et les activités scolaires, l’accent était mis sur les différences plus que sur les ressemblances, et on enseignait aux élèves à accepter les différences sans questionner leur construction sociale à travers les rapports sociohistoriques de pouvoir, donc en tenant les frontières majoritaire-minoritaires pour acquises[68]. En négligeant l’impact des barrières systémiques et des rapports de pouvoir dans la construction identitaire des élèves, on lui reprochait ainsi de se centrer sur la « frontière interne » (l’autodéfinition groupale) en oubliant la « frontière externe » de l’ethnicité (l’imposition de l’identité par l’autre, découlant des rapports de domination). La diversité était vue comme une liste de différences additives, folkloriques et à gérer[69], rendant invisible la façon dont les systèmes de domination (racisme, sexisme, classisme) convergent pour créer des expériences de discriminations multiples, par l’intersection des marqueurs identitaires. Axée sur la « connaissance de l’Autre » plutôt que sur le vivre-ensemble[70] ou les visées émancipatrices et transformatives, cette perspective « essentialiste » peinait à reconnaître les identités multiples des jeunes de « 2e génération »[71] et ne pouvait non plus prétendre à une acculturation réciproque, car le déséquilibre de pouvoirs entre majoritaires et minoritaires obligeait davantage le minoritaire à changer pour s’intégrer à la majorité. Enfin, plusieurs lui ont reproché de ne pas atteindre ses promesses d’égalité et de transformation sociales, car elle visait à combattre les préjugés individuels en ne s’attaquant pas à la racine des inégalités[72]. Les travaux de recherche questionnent alors davantage les stéréotypes au sein du programme et des manuels scolaires, ce qui mènera le ministère à adopter une grille d’analyse visant à détecter les « biais » du matériel avant de l’autoriser. Les travaux faisaient état des biais ethnocentriques ou européano-centristes[73] dans les manuels d’histoire et de géographie au secondaire dans leur traitement des Autochtones[74] et des pays du « Tiers-Monde[75] », associant le concept de civilisation à l’Occident, en induisant l’image d’une supériorité occidentale intemporelle et absolue. À travers cette conception dichotomique du monde[76], des pans entiers de l’histoire de l’humanité étaient ignorés. Les « autres » n’existaient qu’au moment où ils étaient en contact avec l’Occident ou arrivaient à lui ressembler. De plus, l’immigration au Québec était dépeinte comme un problème social et une menace démo-linguistique. L’immigrant n’existait pas, on n’apprenait rien sur lui et il était présenté du point de vue du groupe majoritaire et de ses préoccupations. Le racisme était condamné mais traité comme un phénomène « d’ailleurs », absent de la réalité québécoise. Les manuels adoptaient le concept de race de manière non critique, en naturalisant les différences culturelles et en les hiérarchisant implicitement[77]. À partir d’une morale égalitaire, les manuels reproduisaient un système de représentations racistes.

Mais l’approche antiraciste faisait aussi l’objet de critiques. On lui a notamment attribué une conception tombant souvent dans l’essentialisme, un caractère idéologique rigide et une vision simpliste noirs-blancs, qui occultait les rapports linguistiques ou autres formes de minoration. Certains lui reprochaient son incapacité à articuler les principes et valeurs des démocraties libérales avec leur déconstruction, et sa difficulté à susciter l’engagement actif en milieu scolaire, en raison des craintes « d’endoctrinement[78] ». En focalisant trop sur la frontière externe, elle pouvait aussi occulter la construction d’une historicité, d’une mémoire collective et d’une identité distincte par les groupes ethniques, de même que l’autonomie et la place du sujet, contraint par le poids des déterminismes. L’appartenance ethnique dépeinte comme le fruit unique de l’hétérodésignation par « les majoritaires » et des rapports de domination, pouvait engendrer des effets aliénants et polarisants chez les élèves. Sa stratégie de transformation sociale était jugée irréaliste. Au nom d’une égalité abstraite, elle donnait parfois lieu à une vision assimilatrice, à l’instar du modèle républicain français de l’école (qui exige de laisser les particularismes culturels à la porte). Cette approche a aussi suscité des résistances chez les personnels scolaires, qui craignaient d’utiliser le vocable d’« éducation antiraciste » et lui préférait l’éducation interculturelle ou à la citoyenneté, pour éviter les polarisations[79].

Avec la montée d’une idéologie néolibérale et d’un « consensus social vers le centre », qui coïncident avec l’accession des francophones au statut de groupe « majoritaire », les perspectives marxistes, critiques et systémiques vont s’atténuer dans les discours des centrales syndicales et de nombreux acteurs sociaux à la fin des années 1980[80]. Elles seront progressivement remplacées par le paradigme civique, et les débats sur la langue et la classe sociale se tournent vers les enjeux culturels dans les années 1990, réduisant ainsi la place accordée aux enjeux d’équité dans le discours normatif et la recherche.

Les années 1990 et 2000 : dominance du paradigme civique dans les discours normatifs

Au cours de cette période, le Québec adopte l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration des immigrants (1990), fondé sur un « Contrat moral » reposant sur trois piliers, en vue d’assurer une certaine « cohésion sociale[81] » : 1) le français, langue commune de la vie publique, 2) la valorisation du pluralisme, de l’échange interculturel et du respect des valeurs démocratiques et 3) la participation de tous et la lutte contre la discrimination. Les citoyens et les institutions doivent respecter ce contrat en s’adaptant à la diversité et en favorisant l’intégration des immigrants. Ce « modèle interculturel québécois » veut se distinguer du multiculturalisme (qui favoriserait l’isolement des groupes) en mettant l’accent sur les « valeurs civiques communes » comme limites à la diversité, sur l’importance du partage, de l’échange et de la transformation réciproque et sur les enjeux linguistiques et culturels plutôt que sur les inégalités[82]. Mais au-delà des rhétoriques gouvernementales, plusieurs chercheurs estiment que les politiques du multiculturalisme fédéral et l’interculturalisme québécois ont connu une évolution très similaire[83].

Mais au cours des années 1990, la rhétorique des débats et des textes politiques sur le pluralisme au Canada et au Québec passe du droit à la différence au paradigme civique. Les gouvernements fédéral et québécois révisent leurs politiques d’immigration et d’intégration dans le but de gérer les craintes de la population à l’égard de l’affaiblissement de la « cohésion sociale » et d’un « relativisme culturel absolu »[84], qui supposait que toutes les valeurs allaient être considérées égales au sein de la communauté politique[85]. Les deux paliers de gouvernement cherchent alors à camper une représentation cohérente de l’« être-ensemble » et à légitimer une vision néolibérale visant l’affaiblissement de l’État-providence par un nouvel équilibre des droits et devoirs des citoyens (notamment celui d’assurer « leur propre subsistance »)[86]. Ainsi, la citoyenneté s’impose au cours des années 1990 comme un concept clé dans les discours normatifs pour gérer les tendances à « la fragmentation sociale »[87].

Dans un contexte marquée par le Référendum sur la souveraineté de 1995 et ses effets sur le climat politique[88], les frontières de la citoyenneté au Canada et au Québec font débat, et les discours qui les produisent, les maintiennent ou les transforment prennent leur source dans les rapports historiques entre deux « identités nationales » en concurrence. Mais, assez paradoxalement, leurs approches seront à la fois distinctes et semblables en matière de Politics of Recognition[89] et de « gestion des identités ». Les discours normatifs vont passer d’un relativisme culturel qui reconnaissait des catégories ethniques tout en les mettant « en marge[90] » à une conception libérale d’un espace civique commun, qui fait disparaître les catégories différenciées au nom de l’égalité et de la participation. Les débats publics durant cette période vont davantage mettre l’accent sur la communauté politique et la culture publique communes, la « cohésion sociale », la neutralité de l’État, l’équilibre entre la « responsabilité individuelle », les libertés fondamentales et les limites à imposer au pluralisme. Les deux paliers de gouvernements vont faire un virage similaire en développant chacun une approche en matière de « citoyenneté[91] », un virage qui n’est pas fortuit puisque pendant une vingtaine d’années, l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien ont fait l’objet de nombreuses critiques[92]. Ainsi, en 2000, le gouvernement du Parti québécois change le nom du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles par celui de ministère de l’Immigration et des Relations avec les Citoyens et organise un vaste Forum national sur la citoyenneté et l’intégration, autour d’un document de consultation qui propose un modèle de « citoyenneté québécoise » fondé sur un « contrat civique commun ». Le modèle qu’il soumet à la discussion aplanit les différences des minorités mais particularise la société québécoise (ses distinctions historiques et culturelles) afin de redéfinir un principe d’unité à travers les paramètres du « contrat civique commun ». Ce contrat mettait l’accent sur l’adhésion de tous aux « repères culturels » et reposait sur les notions de responsabilité, de devoir, d’engagement et d’effort « pour continuer à bénéficier des avantages et des privilèges de la citoyenneté[93] ».

Dans le secteur éducatif : montée du paradigme civique en complémentarité avec l’interculturel

En 1998, le Québec adopte sa Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, qui cherche à articuler pluralisme et citoyenneté, en préconisant l’éducation à la citoyenneté des élèves, et la formation interculturelle des enseignants. Il met aussi en place une réforme ambitieuse menant au Programme de formation de l’école québécoise, qui comporte deux nouvelles disciplines, histoire et éducation à la citoyenneté et éthique et cultures religieuses (ECR). De plus, les enjeux liés aux rapports ethniques et à la diversité seront introduits au début des années 1990 dans les cours « transversaux » de sociologie de l’éducation, qui font partie du tronc commun des différents programmes de formation à l’enseignement des universités québécoises[94].

Si, en raison de son approche par compétences et des nouveaux programmes, la réforme aura pour effet de « professionnaliser » (et de fragmenter) la prise en compte de la diversité par les didacticiens des langues, de l’univers social et de l’ECR, on note toutefois que l’importance accordée aux enjeux du vivre-ensemble et à l’éducation aux droits et à la citoyenneté s’accroît, une tendance mondiale qui touche les politiques publiques, les curriculums nationaux et la production scientifique internationale[95]. À l’instar du Rapport Delors de l’UNESCO (1996) et des travaux de l’OCDE et des institutions européennes[96], un document du ministère de l’Éducation de 1998, Éduquer à la citoyenneté, justifie d’introduire une éducation à la citoyenneté obligatoire à l’école en raison de la mondialisation et de la prolifération des « crises », qui ont des effets sur les sociétés. Les questionnements liés au pluralisme en milieu éducatif montrent un certain « déplacement des enjeux linguistiques vers les enjeux religieux et culturels[97] » et sont davantage dirigés vers les conditions de la « cohésion sociale » et de la négociation d’espaces communs dans une société caractérisée par un pluralisme multiforme[98]. Ainsi, les cours d’histoire et éducation à la citoyenneté démocratique sont centrés, entre autres, sur l’apprentissage du « vivre ensemble » (par l’acquisition de connaissances sur les valeurs de la démocratie, le pluralisme, les droits humains) et des compétences d’ordres cognitif, éthique, social et relationnel pour agir comme citoyens responsables. L’accent est mis sur le cadre normatif commun comme éléments de cohésion sociale, afin de former les futurs citoyens d’une même collectivité[99].

Au Québec, les travaux sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et « planétaire »[100] vont se multiplier au cours des années 2000, portant entre autres sur les significations et interprétations diverses de « l’éducation à la citoyenneté » ou encore sur les approches pédagogiques et activités les plus à même de développer chez les élèves les connaissances et compétences visées par le Renouveau pédagogique[101]. L’école, qui doit s’assurer d’une formation civique commune, est vue comme la garante d’un équilibre entre la reconnaissance des normes et valeurs civiques communes (comme les droits et libertés) et des « cultures » des familles, et le développement de l’enfant, de son bien-être psychologique, de son agentivité, autonomie morale et jugement critique[102].

Or, l’éducation à la citoyenneté a soulevé (et continue de soulever) des débats houleux au Québec, notamment chez les historiens, qui se questionnent sur la pertinence de son intégration à l’histoire[103]. Certains ont reproché au programme d’éducation à la citoyenneté de faire trop de place aux thématiques sociales, aux communautés autochtones, anglophones et immigrantes et d’avoir négligé les principaux éléments de la mémoire collective des Canadiens français et l’histoire politique[104]. D’autres voyaient dans cette opposition une volonté de rétablir la domination traditionnelle et soutenaient au contraire que le programme était déjà très centré sur l’expérience francophone en Amérique du Nord[105].

Ce courant fera aussi l’objet de nombreuses critiques. On lui reproche notamment de mettre l’accent sur le pluralisme normatif mais d’occulter les rapports ethniques et de pouvoir, d’hier à aujourd’hui (Autochtones, anglophones…), et ce, en dépit de l’accroissement des conflits à travers le monde. Certains soulignent que la dimension critique est souvent évacuée, et que cette approche amalgame fréquemment le civique et le culturel en confondant culture civique et culture ethnique majoritaire[106]. On lui reproche de refléter davantage les points de vue et intérêts des groupes dominants, en mettant l’accent sur l’histoire, les normes et les valeurs majoritaires. En insistant davantage sur le pluralisme, le formalisme des droits et la modification des attitudes individuelles, elle contribuerait peu à modifier les rapports de force et les structures[107]. Plusieurs vont montrer les limites d’une approche civique qui ne tiendrait pas compte de la construction négative de certains groupes, de la gestion des conflits ou des enjeux éthiques[108]. Ils estiment qu’elle doit mettre davantage l’accent sur la responsabilisation des futurs citoyens face à la paix et aux droits humains, afin d’être efficace en contexte de crise, lorsque les rapports intergroupes se tendent et affectent la cohésion sociale[109].

Ces critiques émergent dans un contexte de déconfessionnalisation du système scolaire (commission Proulx), du débat sur le port du hijab en 1990, du nouveau programme d’Éthique et culture religieuse puis de la « crise » des accommodements raisonnables[110] en 2006-2007. Le débat sur les balises et limites en matière d’accommodements raisonnables démarre en milieu scolaire, par la mise sur pied du comité Fleury qui, avant la commission Bouchard-Taylor, entreprend une série de travaux et de journées d’études[111]. Ce débat fera nettement émerger les oppositions entre trois « postures » sur la question de la neutralité de l’État face à la religion, soit celle des pluralistes, qui préconisent une laïcité ouverte et le respect des droits et libertés ; celle des laïcistes « stricts », qui favorisent un modèle républicain et veulent étendre la neutralité de l’État aux travailleurs et aux usagers des services publics, et celle des traditionalistes, qui veulent prioriser les paramètres culturels de la majorité en raison de la trajectoire historique des francophones au Québec[112].

Ces postures vont traverser les débats sur le programme d’Éthique et culture religieuse (ECR), centrés, comme le souligne Leroux[113], sur deux finalités, soit les domaines « de l’éthique, conçue comme réflexion sur les principes de l’agir humain, et de la culture religieuse, conçue comme connaissance des systèmes symboliques », qui l’inscrit dans une approche de laïcité « ouverte ». Mais certains chercheurs vont critiquer le fait qu’il ne tient compte que d’une seule dimension (religieuse) de la diversité, et très peu des processus sociologiques de construction des religions comme systèmes symboliques, et des rapports de pouvoir qui les sous-tendent[114]. D’autres diront que les deux volets du cours ECR sont incompatibles, car l’accommodement mutuel et la modération identitaire seraient difficiles à réaliser face à la nature « absolue » des croyances religieuses. D’autres encore souligneront que les objectifs de l’ECR ne se prolongent pas en classe en raison des difficultés, malaises ou résistances des enseignants pour aborder les « questions sensibles »[115].

Les débats sur la religion dans l’espace public soulèvent à nouveau des questions sur les effets ségrégatifs potentiels de l’apparition de nouvelles écoles ethnospécifiques à caractère religieux, après un moratoire qui avait duré 10 ans, et de la croissance des écoles à forte « densité ethnique », associée hypothétiquement aux choix accrus des parents envers l’école privée[116]. Ainsi, des analyses sur les écoles francophones de Montréal montrent que la forte « densité ethnique » favorise une plus grande ouverture des élèves issus de l’immigration envers les autres communautés culturelles, mais une attitude plus négative face à la société québécoise[117]. Dans les écoles ethnospécifiques, divers travaux arriveront à des constats contradictoires sur l’ouverture au pluralisme et à une « citoyenneté commune »[118]. Par exemple, Sercia[119] observe que les élèves fréquentant des écoles ethnoreligieuses développaient un sentiment d’appartenance élevé à la fois vis-à-vis de leur groupe d’origine et de la société d’accueil, mais qu’il existait un lien entre « l’homogéneité » ethnique de ces écoles et le degré plus faible d’ouverture des jeunes au pluralisme culturel et aux autres groupes ethniques en général.

Au cours des années 1990, la construction identitaire des jeunes Québécois de deuxième génération, notamment ceux des minorités racisées, mobilise les chercheurs qui veulent comprendre s’ils « se sentent Québécois », et ce qu’ils vivent à l’école[120]. Au cours de cette période, les travaux sur les jeunes Noirs font état d’une surveillance excessive (over-policing) à l’école, d’une omission d’intervenir et d’un déficit de protection (under protecting) pouvant mener à sous ou surestimer leurs difficultés scolaires, à des mesures disciplinaires et des sanctions plus sévères constatées, à des signalements plus nombreux et rapides à la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ)[121]. De même, ils montrent une culturalisation de leurs problèmes et des biais lors des jugements professionnels, menant à des classements et orientations de ces jeunes vers des classes « spéciales », des « voies de garage » ou des suivis spécialisés. À cet égard, des travaux sur le cheminement et les résultats scolaires des jeunes Noirs du secondaire au secteur anglais et français[122] font alors état de difficultés plus grandes des créolophones et des anglophones originaires des Antilles[123] par rapport à la situation des autres groupes.

D’autres études mettent en saillance l’influence du racisme sur la difficile conciliation des pôles d’appartenance des jeunes Noirs et musulmans, qui constatent plus souvent un traitement insuffisant ou biaisé de leur histoire, de leur culture ou de leur religion dans le programme. La deuxième génération fait souvent face à un stress d’acculturation important et à une construction identitaire difficile. Issus d’un groupe minorisé ou racialisé, ils se sentent plus souvent affectés par le racisme des enseignants et par la représentation médiatique souvent négative de leur groupe, endossant les stigmates et discriminations vécus par leur communauté, ce qui affecte leur sentiment d’appartenance[124]. Construisant une identité « par et autour du racisme », ces études montrent qu’ils s’attendent davantage que ceux de la première génération à ce que l’égalité sociale et leurs droits de citoyens soient respectés, ce qui accroît leur sentiment de victimisation et décroît leur sentiment d’appartenance envers le Québec[125]. Ces jeunes vivent en français et sont « culturellement québécois », mais adoptent une identité canadienne, qui leur semble plus civique et susceptible de les inclure[126].

L’éducation critique et antiraciste connaît aussi un regain d’intérêt, sous l’influence des travaux menés dans d’autres provinces et des mouvements altermondialistes en émergence. Une cartographie des politiques et des pratiques antiracistes en milieu scolaire francophone à Montréal[127] a permis de recueillir les perceptions d’intervenants clés dans le domaine. On y montre une inscription des perspectives et des activités antiracistes sous d’autres courants (interculturel, à la citoyenneté), nettement privilégiés, des difficultés des intervenants à nommer ces réalités et une tendance à les aborder comme des pathologies individuelles, occultant la dimension systémique et les mécanismes sociologiques plus larges pouvant les engendrer. Ces tendances révélaient que les milieux « faisaient de l’antiracisme sans le savoir » mais, surtout, que le milieu scolaire dans son ensemble était loin d’être engagé dans une perspective large visant à contrer ces phénomènes. La difficulté à reconnaître ou à « nommer » les phénomènes inhibait, dans une large mesure, l’impact potentiel des actions menées sur la transformation des institutions ou des savoirs transmis. De même, alors que les inégalités interethniques au niveau mondial suscitaient un regain d’intérêt – autant dans les activités d’enseignement que de « coopération internationale » et de formation des maîtres – les inégalités ethniques « locales » étaient invisibilisées. Le rôle des pratiques éducatives dans le maintien, voire la production, des rapports de pouvoir inégalitaires au Québec était peu critiqué ou débattu en milieu scolaire, par rapport aux années 1980.

Dès lors, les études se multiplient durant cette période sur les difficultés du personnel scolaire québécois, encore largement mono-ethnique, à s’adapter à la diversification des élèves ainsi que sur leur sentiment d’avoir été insuffisamment préparés à ce défi[128]. Elles documentent davantage les « conflits de valeurs » entre le personnel, les familles ou les élèves autour de zones sensibles portant sur la conception de l’école et de l’apprentissage, de la discipline et des droits de l’enfant, du statut et des rôles des hommes et des femmes, des usages linguistiques, du respect des prescriptions et pratiques des religions minoritaires. Chez les enseignants, la prise en compte de la diversité religieuse et culturelle est encore perçue comme un obstacle à l’intégration sociopolitique. La perception d’un écart entre univers professionnel et univers des « clientèles » favorise un glissement réitéré du social au culturel dans le traitement des « problèmes » des jeunes des minorités (comme l’échec scolaire), souvent interprété ou résolu sur un mode culturel et pouvant maintenir des préjugés. Ces constats se sont accrus dans les recherches des années 2000 sur la laïcité et les accommodements raisonnables, dans le contexte de la « crise des accommodements »[129].

Depuis 2010 : un contexte de fortes polarisations

Au cours des années 2010, les paradigmes antidiscriminatoire/antiraciste et d’équité reviennent en force au niveau international[130], comme dans les politiques de plusieurs pays, dans un contexte mondial de fortes polarisations. Au Québec, en dépit des discours normatifs sur l’interculturalisme et la citoyenneté qui se maintiennent, les débats publics tendus sur les enjeux religieux ont vite montré les limites de ces approches lorsqu’elles ne tiennent pas compte du racisme dans ses formes extrêmes, des rapports de pouvoir et de la construction négative des groupes au centre des débats. Le débat sur la « charte des valeurs québécoises » (2013-2014)[131], de même que les attentats dans le monde – dont celui à la grande mosquée de Québec en janvier 2017 – ont été des moments de multiplication des discours racistes, des groupes extrémistes (notamment sur Internet) et des crimes haineux[132]. Les années 2017 et 2018 ont montré à nouveau l’ampleur des polarisations sur les questions liées au racisme dans la société québécoise, autour des « ratés » dans la mise sur pied d’une commission gouvernementale sur le racisme systémique, ou encore des deux pièces de théâtre de Robert Lepage. Dans ce contexte de polarisations, les termes mêmes de « racisme systémique » et d’islamophobie ont fait constamment l’objet de controverses et les gouvernants peinent à répondre politiquement aux inquiétudes identitaires de la majorité, à la présence des groupuscules populistes, aux inégalités et discriminations persistantes pour certaines minorités, et aux mythes et perceptions négatives au sein de la population

Dans le secteur éducatif : la montée du paradigme de l’équité

Dès 2000, tout comme sur le plan international[133], plusieurs provinces canadiennes adoptent des politiques éducatives inclusives, qui abordent la diversité sociale comme « la norme », et le Québec suivra ce mouvement avec sa nouvelle Politique de la réussite éducative (2017) et sa politique Ensemble, nous sommes le Québec (2015)[134]. Cette dernière repose sur une fusion des perspectives interculturelle, antiraciste, inclusive et civique : elle entend «  déployer l’éducation interculturelle à l’école québécoise  » (p. 56), souligne l’importance du milieu scolaire et des enseignants dans la « formation des citoyens » et indique que la diversité dans les écoles québécoises implique non seulement de considérer les « besoins parfois différenciés » des élèves issus de l’immigration, mais aussi « une sensibilisation des élèves et du corps enseignant aux dynamiques interculturelles ainsi qu’à la discrimination et au racisme  » (p. 55). De même, le Plan d’action La radicalisation au Québec : agir, prévenir, détecter et vivre ensemble[135] comporte plusieurs mesures en éducation visant à « enrichir la formation en Éthique et culture religieuse offerte au personnel enseignant du secondaire, pour mieux l’outiller à traiter les sujets sensibles  », à « déployer des activités d’éducation aux droits et libertés de la personne et aux valeurs démocratiques » et à « déployer une stratégie de sensibilisation favorisant la cohésion sociale, l’inclusion et le mieux vivre-ensemble et luttant contre les préjugés » (p. 31). Toutefois, dans ce plan d’action, le gouvernement s’attaque moins aux causes du racisme dans différents secteurs qu’à ses effets les plus extrêmes, et l’approche est plutôt pathologique et coercitive à l’égard du phénomène.

L’approche inclusive marque un important changement en matière d’égalité des chances : il ne s’agit plus seulement d’un objectif d’égalité d’accès ou de traitement, mais de résultats, d’acquis et de succès éducatifs. Généralement définie comme un processus continu de transformation des milieux d’apprentissage en vue de prendre en compte la diversité des besoins et d’éliminer l’exclusion, cette approche centre le regard non pas sur la seule performance de l’élève, mais sur la transformation de l’école, de ses acteurs et des moyens d’équité à mettre en oeuvre, à partir d’une prise en compte à la fois des besoins différenciés des élèves et des « zones de vulnérabilité » dans le fonctionnement de l’école, pouvant mener à de l’exclusion ou de la discrimination indirecte[136].

D’abord développée dans le champ de l’adaptation sociale et scolaire, elle s’est élargie à la diversité sociale et ethnoculturelle, occupant peu à peu le terrain de l’approche interculturelle et des perspectives antiracistes plus critiques qu’elle synthétise autour du paradigme de l’équité, de fondements critiques et d’objectifs transformatifs[137]. Elle partage particulièrement avec l’approche antiraciste/critique des objectifs de lutte contre l’exclusion et les inégalités (tout en étant perçue comme « moins confrontante »), avec l’éducation interculturelle la prise en compte des réalités socioculturelles de l’élève, et avec l’éducation à la citoyenneté, une approche fondée sur les droits (Human Rights-based Approach) et les compétences civiques, démocratiques et de justice sociale. Elle reprend et articule les finalités de différenciation et de transformation sociale des diverses approches, en ciblant les réalités changeantes, les besoins variés (identitaires, cognitifs, affectifs, etc.), les droits et les « capabilités[138] » des élèves, de même que la coresponsabilité des acteurs institutionnels dans une optique de transformation de la culture scolaire et des pratiques préjudiciables[139].

Si cette approche fait relativement consensus aujourd’hui dans les milieux éducatifs, elle est aussi critiquée pour ses limites. Sur le plan conceptuel, certains estiment que les concepts d’inclusion et de diversité n’ont pas de sens (car nous sommes tous génétiquement différents), et leur usage créerait des frontières artificielles servant davantage à conserver une vision normative et dichotomique entre le « centre » et les « marges », maintenant ainsi une vision binaire entre inclus/exclus, dedans/dehors[140]. Une conception de la diversité, qui ne repose pas sur l’équité et qui met l’accent davantage sur la différenciation et les « besoins particuliers » (dans une perspective déficitaire et compensatoire), peut occulter les discriminations systémiques, éluder le sujet et stigmatiser les jeunes[141]. Elle peut par ailleurs diluer la diversité ethnique dans la diversité sociale plus large et perdre ainsi l’objectif d’une prise en compte des expériences et besoins uniques à chaque individu et groupes, et l’intersection des marqueurs de catégorisations sociales[142]. Elle devrait pousser davantage le combat contre l’aliénation culturelle ou « l’injustice épistémique »[143] qui entraîne un « déficit de vérité et de crédibilité » (des savoirs, des voix des minoritaires), découlant des processus historique de minoration et d’infériorisation des peuples conquis, colonisés et victimes d’oppression. D’autres estiment que l’on peut tout mettre dans cette vision, en favorisant une meilleure régulation de l’État : un discours managérial, de performance et de gestion des différents publics (ex. l’Affirmative Action, avec des objectifs quantitatifs), tout comme une survalorisation de la richesse de la « diversité » dans une logique de marché (les langues sont des atouts à des fins de marketing pour la clientèle). D’autres enfin parlent d’un discours édulcoré, car en visant le changement systémique des pratiques discriminatoires, on fait de l’antiracisme ou de l’antisexisme sans les nommer[144].

L’éducation inclusive est en croissance dans la recherche depuis 2005[145]. Les projets d’accompagnement des écoles et travaux se multiplient, entre autres autour des trajectoires scolaires et besoins des jeunes des minorités, du primaire à l’université, ainsi que des effets discriminatoires de certaines pratiques (de classement, d’orientation, d’évaluation) de l’école. Une méta-analyse des travaux québécois des dix dernières années sur la réussite éducative des élèves issus de l’immigration, de 1re et de 2e générations[146] montre des tendances positives dominantes quant à leur réussite et leur cheminement éducatifs, mais une variance sur le plan de la diplomation secondaire entre des établissements dont la clientèle scolaire est sensiblement équivalente[147], ce qui questionne la préparation et la réaction des milieux qui accueillent ces élèves, leurs dynamiques et les moyens d’équité mis en oeuvre[148]. Dans les milieux scolaires pluriethniques montréalais, ces travaux montrent que l’expertise développée depuis plus de trente ans en matière d’accueil et d’apprentissage du français chez les nouveaux arrivants, et l’étendue des autres mesures d’équité (services complémentaires, rapports écoles-familles-communauté) ont des impacts positifs sur l’égalité de réussite.

Toutefois, la répartition inégale des populations issues de l’immigration sur le territoire québécois induit de nouveaux défis en matière d’équité, mais aussi d’accueil et d’intégration dans les milieux régionaux à plus faible « densité ethnique ». Les écoles des villes de banlieues dans la région montréalaise se sont plus rapidement diversifiées que dans les autres régions du Québec, et ne reçoivent pas le même type de « profils » d’élèves issus de l’immigration. À Montréal, la « nouvelle pauvreté immigrante » entraîne une concentration ethnique dans certains quartiers, donc des écoles à « haute densité ethnique », alors que dans les banlieues, qui accueillent des familles immigrantes en mobilité ascendante, on note une popularité de l’école privée, qui touche surtout les élèves de deuxième génération. En raison de la politique de régionalisation de l’immigration au Québec, les régions plus éloignées reçoivent surtout des élèves réfugiés ou de première génération, défavorisés, fréquentant une école publique, entrés dans le système scolaire québécois après le primaire et présentant un retard scolaire à l’arrivée au secondaire. Paradoxalement, les régions accueillent des élèves avec de plus grands besoins, mais l’adaptation des écoles y est plus récente, et l’expertise et les ressources, moins nombreuses ou développées en matière d’accueil, de francisation et d’intégration, ainsi que de préparation des personnels. Ces défis touchent particulièrement le secteur de la Formation générale des adultes (FGA), où les jeunes issus de l’immigration sont en croissance depuis 20 ans[149] et qui sert de plus en plus de « déversoir » de jeunes en difficulté des écoles secondaires[150]. Les lacunes concernent plus souvent les services d’apprentissage du français ainsi que des évaluations ou classements imprécis ou inadéquats qui engendrent un sentiment de déclassement chez ces élèves[151]. Ces limites affectent les jeunes plus à « risque » qui ne bénéficient pas des mêmes services et soutiens, donc des mêmes conditions d’équité, que ceux qui fréquentent le secteur des jeunes.

Ces défis se posent avec acuité avec l’arrivée de nombreux réfugiés, notamment Haïtiens après le « séisme de 2010, et Syriens, en raison de la guerre. Leur situation va mener à un accroissement des études sur leurs besoins et réalités, leur intégration sociale et scolaire, leur bien-être psychologique, leur sentiment d’appartenance à l’école ou le travail des enseignants[152]. Les études montrent que les écoles se sont mobilisées pour faciliter leur accueil, mais qu’il persiste un mal-être des jeunes, des difficultés d’intégration, un manque de ressources humaines et matérielles et un besoin en formation des divers acteurs scolaires[153]. Plus globalement, la question de la formation des personnels scolaires est une constante et de nombreux travaux vont porter, entre autres, sur les compétences (interculturelles, inclusives), les programmes et les contenus de formation sur la diversité, au Québec et dans une perspective comparative[154].

De plus, en raison du contexte fortement polarisé par les attentats dans le monde, la montée des groupes populistes identitaires au Québec et la succession des débats publics sur les questions religieuses, les enjeux du vivre-ensemble, du racisme et de l’antiracisme s’accroissent. Des analyses récentes des manuels scolaires d’histoire autorisés par le MEQ montrent l’existence de biais et d’omissions en ce qui concerne, notamment, les communautés autochtones[155], noires[156], juives et musulmanes[157]. De plus, la radicalisation devient un nouvel objet d’étude en éducation. Phénomène social aux contours imprécis, l’investissement politique sera, au Canada comme dans d’autres pays, principalement axé sur les jeunes et sur une réponse « sécuritaire ». L’intérêt pour la construction identitaire des jeunes des minorités racisées, importante dès les années 1990, va donc s’accentuer à travers les enjeux liés à la radicalisation. Plus d’une dizaine de chaires, équipes, réseaux et centres de recherches vont apparaître dans la foulée du plan d’action québécois contre la radicalisation[158]. Certaines études menées dans les cégeps où quelques jeunes se préparaient à partir en Syrie ont montré que ce sont les jeunes fragilisés qui sont plus vulnérables à diverses formes de radicalisation menant à la violence, et que la religion joue un rôle moins important sur ce phénomène que la quête d’identité, les expériences de violence, l’absence de prise en charge politique de leurs problèmes, le racisme ou la surmédiatisation stigmatisante de leur groupe d’origine[159]. Plusieurs travaux et projets pédagogiques vont se concentrer sur l’usage des médias sociaux et leur influence sur la radicalisation des jeunes[160]. D’autres questionnent le rôle de l’école face à la radicalisation violente, entre autres, les risques liés au resserrement de la collaboration entre l’école et les forces de l’ordre en matière de prévention, qui peuvent affecter le rôle de l’école comme espace d’inclusion, de dialogue et de réflexion pour développer une conscience de l’Autre et une pensée critique[161].

Conclusion

Cet article a dressé un bref portrait de l’évolution de quatre « courants d’idées » sur la diversité ethnoculturelle en éducation depuis les années 1970 au Québec, leurs apports et limites, et les liens entre les discours normatifs et les enjeux liés aux rapports ethniques à chaque époque.

L’article a dégagé quelques tendances générales, notamment quant aux changements dans les rhétoriques des discours normatifs et les débats dans ce champ en éducation : les années 1970 se caractérisent par une dominance du courant interculturel en débat avec l’antiracisme dans les années 1980, alors que le paradigme civique et l’éducation à la citoyenneté domine les années 1990 et 2000, au Québec, comme ailleurs au Canada et au niveau international. Au cours des années 2010, on assiste à une fusion des perspectives dans les discours normatifs avec une approche inclusive qui, en milieu scolaire québécois comme dans les textes internationaux, intègre les dimensions interculturelles et civiques, les droits de l’enfant et les approches plus critiques et transformatives des inégalités systémiques à l’école, montrant une certaine reconfiguration de l’interculturel en éducation. Cette « évolution » doit être comprise dans une perspective dynamique, en rapport avec le contexte politique et social québécois de chaque époque, et à partir des débats et critiques entre ces courants, de même que de l’influence théorique exercée par les autres courants en sociologie de l’éducation ou des relations ethniques.

L’article montre aussi que ces courants sont loin d’être mutuellement exclusifs, et poursuivent depuis 50 ans des objectifs similaires : reconnaître et accepter le pluralisme culturel comme une réalité de la société ; contribuer à l’instauration d’une société d’égalité de droits et d’équité, et à l’établissement de relations interethniques harmonieuses. Ces objectifs cherchent un équilibre entre le soutien à la diversité des élèves et l’égalité de résultats, les enjeux du vivre-ensemble et la correction des inégalités produites ou reproduites par les systèmes éducatifs. Ces courants se complètent et « s’élargissent » donc plus qu’ils ne s’opposent, en réponse aux nouvelles réalités sociales. Les finalités de l’approche interculturelle « traditionnelle » sont encore partagées aujourd’hui par l’ensemble des courants, notamment par l’approche inclusive, dont les deux grandes finalités - d’équité et de transformation sociale - reposent sur la reconnaissance des réalités et besoins différenciés des élèves des minorités, des effets discriminatoires des processus et pratiques du système et de la préparation de tous à vivre-ensemble. Les courants actuels reprennent bon nombre des propositions des auteurs « multiculturels » et critiques des années antérieures, qui mettaient l’école au centre du changement (plutôt que les seuls élèves ou les enseignants) et proposaient des programmes de formation des enseignants produisant des changements significatifs[162] car centrés sur : la prise de conscience de l’oppression et de la position sociale des acteurs dans un système qui génère et maintient l’oppression ; la place des voix et aspirations des groupes opprimés ou minorisés ; les liens avec les différents mouvements sociaux de résistance et d’émancipation des groupes opprimés ; le développement l’agentivité des élèves et des enseignants pour qu’ils soient des acteurs de changement engagés pour la justice sociale[163].

Ces courants constituent des « adaptations » et approfondissements d’une même recherche d’équilibre, entre logiques de différenciation et d’égalité, qu’ils mettent en débat et priorisent parfois davantage à certaines époques. Mais aujourd’hui, les approches dichotomiques du passé laissent place à des conceptions plus fines du rôle des « frontières ethniques » et de la place du sujet. Par exemple, les conceptions « groupales » (par le biais de la culture ou de l’oppression, des normes civiques et du « vivre-ensemble) – qui ont leur pertinence dans l’explication et la compréhension du racisme systémique, par exemple - ne peuvent plus occulter l’existence de l’individualité et des subjectivités personnelles, que le racisme vient nier, ou que le concept de « diversité » vient diluer. L’identité groupale ou l’identité individuelle ne sont plus définies isolément, mais dans leurs interrelations et construction par les frontières externes et internes, le rapport à l’autre et à soi et les intersections de plusieurs « marqueurs » (genre, couleur, etc.). De même, le rejet des explications des différences sociales et culturelles, en termes de déficit, de privation et de modèles pathologiques, ne peut plus occulter que les traditions religieuses ou culturelles, les systèmes de croyances, les bagages socioéconomiques sont aussi des facteurs explicatifs de la production des inégalités. En d’autres mots, les frontières interne et externe produisent des inégalités de pouvoir.

Pour terminer, il faut aussi souligner que d’une époque à l’autre, les études soulignent les contradictions entre les mandats de l’école, les discours normatifs et les réalités sociales et scolaires La centralité de la question de la réussite éducative, ainsi que les données relativement préoccupantes que l’on possède aujourd’hui sur la situation de certaines minorités visibles, plaident dans le sens d’une perspective plus critique, civique et axée sur l’équité et la justice sociale. Le contexte actuel, plus polarisé sur ces enjeux en raison des réalités internationales autant que québécoises, mobilise davantage les jeunes des minorités au Québec, qui font face à la remontée de groupes populistes identitaires dans certaines régions du Québec. Plus globalement, les enjeux écologiques, le racisme, les conflits, les droits et libertés et les inégalités mondiales préoccupent les jeunes Québécois de toutes origines. De plus, certaines résistances en milieu scolaire ramènent à l’avant-plan des crispations sur des perspectives plus « dichotomiques », ce qui entraîne un recentrement des débats et des interventions vers les phénomènes à combattre. La recherche pointe tout particulièrement vers la nécessité d’outiller le personnel à saisir la dimension systémique des inégalités, les « zones de vulnérabilité » et manifestations des rapports de force en milieu scolaire et de faire des liens entre ces réalités et les normes et pratiques qui prévalent dans leurs établissements ou leurs classes. C’est à partir de ces réalités changeantes qu’une approche syncrétique et large doit se développer davantage dans la formation des personnels scolaires et en milieu éducatif québécois, où l’inclusion et l’antiracisme, dans leur dimension institutionnelle, doivent se greffer davantage à d’autres préoccupations du milieu et aux mesures qu’elles génèrent (lutte contre la violence, intimidation, radicalisation, exclusion, promotion du vivre-ensemble, etc.) et, dans leur dimension curriculaire, être pris en compte dans l’ensemble des programmes et activités. Cette articulation est souhaitable en milieu éducatif québécois, afin d’éviter les dérives essentialistes et « compensatoires, et le retour aux perspectives dichotomiques du passé, jugées trop simplistes et peu efficaces à cause de leur aspect culpabilisant dans le cas de l’antiracisme, ou normatif et peu critique dans le cas de l’éducation civique ou interculturelle.