Corps de l’article

Introduction

Au Canada, on estime qu’il y a près 700 000 anciens combattants (Ministère des Anciens combattants, 2016). De ce nombre, environ 600 300 sont des anciens combattants de la Force régulière et de la Première réserve des Forces armées canadiennes (FAC) et leur moyenne d’âge est de 57 ans (Ministère des Anciens combattants, 2016). Tous les ans, environ 5 000 militaires obtiennent leur libération des Forces armées canadiennes pour retourner à la vie civile (Sous-comité des Anciens combattant, 2014). Il n’existe aucune publication officielle du ministère de la Défense nationale fournissant des données sur le profil des militaires libérés. À la suite d’une revue de la littérature, Manser (2015) estime qu’entre les années 2008 et 2013, environ 1 000 militaires de la Force régulière étaient libérés à chaque année pour des raisons de santé. Selon un membre du bureau du Directeur - Administration (Carrières militaires) des FAC, il y aurait annuellement environ 175 libérations de militaires de la Force régulière pour inconduite et pour service non-satisfaisant (P. Bloggin, communication personnelle, 1 novembre 2016). La majorité des libérations seraient pour des raisons volontaires et pour le service terminé.

La libération des FAC est un passage obligé et donc une période importante dans le parcours de vie des hommes et des femmes qui ont porté l’uniforme militaire. À cet égard, la libération implique non seulement un processus de transition de la vie militaire à la vie civile, mais aussi un processus d’adaptation à un autre mode de vie. Chaque expérience transitoire se veut individuelle (Coll et Weiss, 2013).

Pour le militaire de carrière, le processus transitoire de la force armée à laquelle il appartient et s’identifie est une période particulièrement stressante, complexe et qui touche plusieurs dimensions autant personnelle, sociale, familiale, financière qu’administrative qui peuvent influencer positivement ou négativement cette expérience (Thompson et Lockhart, 2015; Jolly, 1996; Cutright, Wiggins et Dick, 2014; Castro et Kintzle, 2014; Hay, Rorrer, Rivera, Krannich et Krannich, 2006; Wolfe, 2012; Blackburn, 2016). La transition militaire-civile n’a pas d’équivalent dans les emplois civils étant donné qu’aucune autre profession demande une symbiose aussi profonde entre le militaire et l’institution des FAC « qui exige de ses membres l’oubli ou la perte de soi, qui leur impose des exercices menant à une resocialisation et qui leur impose un système de valeurs » (Régimbald et Deslauriers, 2010, p. 205). En réalité, « la transition de la vie militaire à la vie civile peut être une tâche ardue, et pour beaucoup de gens, il s’agit d’une période de confusion » (Coll et Weiss, 2013, p. 281). La période transitoire se situe à l’intérieur des dernières semaines à titre de militaire et des 12 premiers mois à titre d’ancien combattant et de civil.

Partant de ces faits, il y a lieu de se questionner sur les enjeux transitoires vécus par les anciens combattants afin de mieux comprendre les implications qui sont générées par le passage de la vie militaire à la vie civile. La pertinence scientifique de ce projet réside dans l’enrichissement de la littérature et de la connaissance sur ce moment charnière de la carrière militaire au Canada ainsi que dans l’utilisation des résultats obtenus par les instances gouvernementales et par les organismes communautaires en charge des questions des anciens combattants dans le développement de programme adapté. Qui plus est, il pourra aussi contribuer à une meilleure compréhension du processus transitoire pour les professionnels des réseaux provinciaux de la santé et des services sociaux ainsi que du réseau communautaire.

Cadre théorique

Tout d’abord, la notion de transition, comme l’avance Tapia, évoque « […] l’idée d’un passage, d’un état à un autre, d’une position à une autre, que ce passage s’effectue graduellement, progressivement et enfin qu’il se passe quelque chose dans l’entre-deux » (Tapia, 2001/2002, p. 7). Cette dernière est centrale à cette étude.

Ainsi, les stresseurs émanant de l’ensemble des composantes de la transition militaire-civile vécus par le militaire sont abordés par l’entremise d’une réaction d’adaptation aux contraintes de l’environnement. Cette réaction d’adaptation, appelée « coping » par Lazarus et Folksman (1984) représente : « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux toujours changeants que déploie l’individu pour répondre à des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme fortes et dépassant ses ressources adaptatives » (p. 141). Il n’est donc pas faux de dire que la transition militaire-civile se veut un processus qui engendre une interaction continue entre le militaire/l’ancien combattant/le civil en redevenir et son environnement dans lequel il progresse, interagit et tente de s’adapter (Jakubowicz, 2002). La subjectivité de la perception du processus transitoire par l’individu se veut un élément central, car ce qui est perçu stressant pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre (Blackburn, 2013; 2016).

Afin de mieux comprendre le processus transitoire et adaptatif de même que les enjeux concernés chez les anciens combattants, les théories des transitions de rôle permettent de rendre intelligible le phénomène à l’étude. En fait, ces théories principalement développées dans le domaine du travail (Nicholson, 1984 ; Ostroff et Koslowski, 1992; Ashforth et Saks, 1995) et des sciences de la santé (Chick et Meleis, 1986; Schumacher et Meleis, 1994) permettent de cerner les processus impliqués dans les échanges militaire-ancien combattant-environnement et d’expliquer les modalités d’adaptation aux nouveaux rôles.

D’après une récente étude faite auprès de 3 154 anciens combattants de la Force régulière des FAC, la majorité des libérations semblent se dérouler sans trop de difficultés (Thompson et coll., 2011). Bien que cette étude comme la totalité des études consultées à ce sujet, présente des résultats allant dans ce sens, Davies (2014) admet que ces résultats sont discutables. En effet, « […] il est possible de soutenir que les données sur les transitions sont ouvertes à l’interprétation, car la transition se produit à différents niveaux, par exemple, sur le plan occupationnel et émotionnel, et ce qui pourrait être perçu comme une transition réussie à un niveau pourrait dissimuler le fait que la transition ne s’est pas aussi bien déroulée à un autre niveau » (Davies, 2014, p. 12).

Même si la transition semble se dérouler avec succès pour la majorité des anciens combattants, plusieurs difficultés et défis sont reconnus. Effectivement, l’étude conduite par le ministère des Anciens combattants du Canada (ACC) a fait ressortir : « […] qu’un quart (25 %) des répondants ont indiqué que leur transition à la vie civile avait été difficile » (Ministère des Anciens combattants du Canada, 2014, p. 1). Évidemment, les difficultés peuvent être causées par divers facteurs, stresseurs, prendre différentes formes, varier en intensité et les solutions peuvent être multiples (Moore, Philpott et Lawhorne-Scott, 2013). Il n’en demeure pas moins que certains militaires, devenus des anciens combattants, vivent les conséquences de cette transition difficile et peuvent développer de sérieux problèmes psychosociaux comme l’itinérance, la dépendance aux intoxicants, la pauvreté, le chômage, le suicide, la criminalité, l’incarcération ou encore des problèmes de santé mentale (Sous-comité des anciens combattants, 2014; Brenner et Barnes, 2012; Pease, Billera et Gerard, 2016; Sayer et coll., 2011.).

Par conséquent, ces problèmes psychosociaux énumérés peuvent être une résultante d’un processus transitoire qui n’a pas été réussi par l’ancien combattant. Il s’agit d’une inadaptation sociale aux réalités d’un retour à la vie civile et les répercussions sur les services sociaux et de santé ainsi que sur les services communautaires des provinces ne sont pas négligeables. À titre d’exemple, une étude a été effectuée pour recenser le nombre de personnes étant en situation d’itinérance à Montréal. Sur une population de 3 016 personnes dénombrées, 181 personnes étaient des anciens combattants (6 %) (Latimer, McGregor, Méthot et Smith, 2015). Ces chiffres sont similaires à ceux obtenus en 2013 à Toronto (7 %) et en 2014 à Ottawa en 2014 (+/- 140 personnes) (Segeart et Bauer, 2015). En janvier 2016, Emploi et Développement social Canada a recensé qu’il y avait au moins 2 250 vétérans en situation d’itinérance au Canada (Segeart et Bauer, 2015). Ces proportions sont supérieures à la représentation des anciens combattants au sein de la population générale canadienne qui est d’environ 2 %.

Enfin, les objectifs de cette recherche sont de déterminer et d’analyser les principaux enjeux transitoires vécus dans le passage de la vie militaire à la vie civile des hommes et des femmes qui ont été libérés des FAC et de comparer ces enjeux en fonction des types de libération (médicale ou volontaire). En fait, il s’agira plus précisément d’étudier les sentiments ressentis lors de la transition; les besoins spécifiques vécus pendant la transition; les principaux enjeux transitoires; et; les mécanismes préparatoires à la transition.

Méthodologie

Avant tout, il s’agit d’un projet de recherche de type exploratoire sur le processus transitoire des anciens combattants des FAC. La recherche exploratoire est utilisée avec des phénomènes nouveaux, peu ou pas documentés et elle vise à devenir familier avec des faits, des situations et des soucis de base (Dufour, 2017).

Ensuite, les anciens combattants provenant de la Force régulière et libérés (en regard des Ordonnances et règlements royaux applicables aux FAC Volume 1 – Chapitre 15) selon les trois catégories suivantes sur les cinq existantes :

  1. raisons de santé (7 participants);

  2. volontaire (8 participants);

  3. service terminé (2 participants); étaient la population visée par la présente recherche (Ministère de la Défense nationale, 2015).

Une demande de Certificat d’éthique à la recherche a été effectuée auprès du Comité d’éthique de l’Université du Québec en Outaouais. Cette demande incluait un Formulaire de consentement, un Guide d’entretien semi-dirigé, un Questionnaire sociodémographique ainsi qu’une liste de ressources professionnelles en services psychosociaux. Le Certificat d’éthique a été obtenu le 30 octobre 2014 pour une période de deux ans.

Les participants à l’étude ont tous le français comme langue d’usage à la maison, habitent dans la province de Québec (dans un total de huit régions) et ont été libérés depuis un maximum de 60 mois des FAC. Ils ont été recrutés par l’entremise de lettres envoyées aux 109 filiales du Québec de la Légion royale canadienne. Une annonce a aussi été publiée sur le site 45eNord.ca, destiné à l’actualité militaire. Les personnes intéressées devaient faire parvenir leurs coordonnées par l’entremise d’un site Internet confidentiel. Par la suite, le chercheur principal entrait en contact avec les personnes intéressées pour leur expliquer les démarches et la nature de leur participation au projet de recherche ainsi que pour obtenir leur consentement.

Au terme de la phase de recrutement, l’échantillon de cette enquête est composé de 17 anciens combattants. La contribution des participants est un entretien semi-dirigé d’environ 60 minutes et un questionnaire sociodémographique d’environ cinq minutes. Le guide d’entretien semi-dirigé ainsi que toute la logistique de l’expérimentation ont été conçus et testés auprès de quatre personnes non participantes à l’étude. Le guide d’entretien semi-dirigé a été retravaillé à la suite de ce pré-test afin de l’optimiser et d’améliorer la séquence des questions. Le guide a été utilisé comme outil principal pour orienter les entretiens semi-dirigés avec les participants et il comportait neuf questions réparties en deux dimensions. La première dimension, présentée dans cet article, touchait les enjeux transitoires incluant les sentiments vécus, le cheminement personnel au cours des 12 premiers mois de la libération ainsi que la préparation à la libération. Quant à la seconde dimension, elle touchait les principaux problèmes psychosociaux vécus et les réussites vécues ainsi que les mesures de soutien. Une discussion générale sur le thème de la recherche d’une durée maximale de dix minutes pouvait compléter l’entretien. Tous les entretiens semi-dirigés ont été complétés par l’auteur. Dans cette optique, le guide a aussi permis de structurer, de rythmer et de complémenter la cueillette des données par des sous-questions.

Les entretiens se sont déroulés en personne dans des lieux où la confidentialité était assurée (UQO, UQÀM et aux domiciles des participants) pour 12 participants résidant la région de Montréal, les Laurentides, Lanaudière, la Montérégie, l’Estrie, la Côte-Nord, la région de la Capitale nationale et l’Outaouais. Pour les cinq autres participants qui provenaient de la région de la Capitale nationale et de l’Estrie, les entretiens ont lieu par téléphone. Tous les entretiens ont été enregistrés et ont été transcrits dans leur intégrité. Ils ont fait l’objet d’une analyse discursive et phénoménologique. Les transcriptions intégrales ont été classées pour en extraire les idées maîtresses puis codifié à l’aide du logiciel QSR NVivo 10. L’ensemble des données a été traité de manière confidentielle et selon les normes établies dans un Certificat d’éthique du Comité d’éthique de l’Université du Québec en Outaouais.

Détails sur les participants

Chez les 17 participants, 29,4 % étaient des officiers et 70,6 % des sous-officiers, ils ont en moyenne 24,09 années de services au sein des FAC [8 ans; 39 ans]. Ils oeuvraient au sein des éléments : terre (70,6 %), air (17,6 %) et mer (11,8 %).

Parmi eux, 70,6 % sont des hommes et 29,4 % des femmes dont l’âge moyen est de 47,9 ans [29 ans; 62 ans], mariés (70,6 %), ayant un à deux enfants (64,7 %) et possédant un niveau d’études secondaires (47,1 %), collégiales ou professionnelles (11,8 %) et universitaires (41,2 %).

Par ménage, 76,5 % ont un salaire annuel avant déduction d’impôt de plus de 60 000 $. Dans une proportion de 58,8 %, les participants reçoivent des prestations d’invalidité d’ACC. Aucun participant n’est retourné vivre dans sa ville d’origine après sa libération. Au courant de leur carrière militaire, les participants ont eu en moyenne 4,47 affectations [1; 8 affectations] et 2,59 déploiements opérationnels de plus de trois mois [0; 8 déploiements]. Finalement, 47,1 % des participants ont été libéré volontairement, 11,8 % ont été libérés pour le service terminé et 41,2 % ont été libérés pour des raisons de santé.

Pour les fins de cette étude, les participants libérés pour des raisons de fin de service et pour des raisons volontaires ont été regroupés sous la catégorie « libération volontaire ».

Tableau 1

Détails sur les participants à l’étude

Détails sur les participants à l’étude

Tableau 1 (suite)

Détails sur les participants à l’étude

*Un pseudonyme a été attribué aux participants afin de protéger leur identité

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Résultats

Dans cette section de l’article, les résultats de quatre thèmes de l’étude seront présentés. Il s’agit des sentiments ressentis lors de la libération, du passage de la vie militaire à la vie civile dans les premières semaines et dans les premiers mois, des principaux enjeux transitoires et de la préparation à la libération.

Thème 1 – Les sentiments ressentis lors de la libération des FAC

En premier lieu, comme la transition de la vie militaire à la vie civile se veut un moment significatif de la carrière militaire, il est interprété par les anciens combattants et il génère des sentiments positifs et négatifs.

La totalité des participants (17) à l’étude ont vécu des sentiments négatifs (perte, angoisse, frustration, tristesse, colère et abandon) à l’égard de la libération des FAC. L’état personnel de l’ancien combattant au moment de vivre la période de transition semble avoir une influence sur les sentiments engendrés. Il fait référence à la manière d’être, physique ou morale, d’une personne, mais va au-delà de l’état de santé, car l’étude montre que certains participants étaient en excellente santé physique et mentale au moment de leur libération, mais des événements internes ou externes aux FAC les ont poussés à quitter l’organisation « avec un goût amer dans la bouche ».

[…] j’étais épuisée. Je vivais un épuisement là. Négatif, c’était plus dans le sens, je sentais que je lâchais le bateau, que je laissais aller. Puis que je ne voulais plus me battre. J’étais à bout de limite, puis je n’avais pas le support non plus. Puis je me suis sentie abandonnée par la chaîne de commandement aussi. J’étais trop épuisée pour être dans la colère. J’étais plus désappointée qu’autre chose.

Lianne, officier, libérée volontairement

Fait que j’étais comme mélangé, c’était un coup de tête! J’ai fait un coup de tête! Ça été un mois et demi après l’Afghanistan, je n’avais pas fait peut-être l’ajustement au complet. L’ajustement n’était pas complété, je pourrais dire ça! Fait que, si j’avais à le refaire aujourd’hui, je ne l’aurais pas fait.

Carl, sous-officier, libéré volontairement

Toutefois, les propos recueillis dans cette étude suggèrent que les anciens combattants libérés pour des raisons de santé vivaient davantage de sentiments négatifs que ceux libérés volontairement. En fait, les participants libérés pour des raisons de santé rapportent plus souvent que les participants libérés volontairement que l’intensité et la durée des sentiments négatifs sont durables dans le temps. Pour certains, les sentiments négatifs étaient toujours présents au moment de l’entretien. Les sentiments de colère (3), de tristesse (3), d’abandon (4) et de perte (4) sont les plus présents chez les anciens combattants libérés pour des raisons de santé.

Fait que ça été très, très difficile émotionnellement, euh, de la colère, d’un, beaucoup de tristesse et de l’anxiété par rapport à qu’est-ce qui va arriver après. Beaucoup beaucoup d’émotions négatives là.

Marie, officier, libérée médicalement

Parmi ces sentiments négatifs, l’abandon et la perte reviennent chez quatre participants libérés pour des raisons de santé. Ces derniers se sont sentis abandonnés par les FAC, car ils jugent qu’ils auraient pu être « accommodés » ou encore être affectés dans des positions ne nécessitant pas de déploiement.

C’est pas mal ça, de l’abandon, du rejet dans un certain sens aussi, parce que j’avais beau essayer de faire toutes les démarches légales et administratives pour rester, il y avait quand même un système en arrière qui poussait pour me libérer.

Paul, sous-officier, libéré médicalement

Un sentiment d’abandon parce que quand moi j’ai été libéré, c’est suite à la blessure.

David, sous-officier, libéré médicalement

Ça n’a vraiment pas bien été pour moi! Négatives, genre de trahison, de l’abandon. Moi j’ai eu l’impression de sortir par la porte d’en arrière.

Michel, sous-officier, libéré médicalement

Bien, comme ça faisait presque 40 ans que je servais, c’est sûr que j’ai eu une perte, sentiment de perte. Perte des camarades, n’appartient plus au groupe, plus le droit de porter l’uniforme. Donc beaucoup de pertes.

Jeannot, officier, libéré médicalement

Pour les anciens combattants libérés volontairement, la libération des FAC génère aussi des sentiments négatifs. Quelques-uns (4) ont vécu un sentiment de perte qui touche en particulier la perte de l’appartenance à la communauté militaire, d’un régime militaire structuré et structurant, d’une sécurité d’emploi et de la camaraderie. D’autres (4) manifestent de l’angoisse par rapport à leur futur, professionnel en l’occurrence, et aussi par rapport à l’accessibilité aux services sociaux et de santé. Finalement, quatre participants notent des frustrations à l’égard des FAC, de leur métier, des affectations, de la direction de leur carrière et du manque de soutien de la chaîne de commandement.

[...] c’était vraiment le sentiment qu’on dirait que tout était contrôlé constamment, par rapport à ma vie même personnelle, autant que professionnelle. Fait que ça c’était vraiment un des éléments majeurs qui faisait que je sentais que j’avais toujours les mains liées puis que je savais jamais quand est-ce qu’il allait m’arriver quelque chose d’année en année….

Valérie, officier, libérée volontairement

Quant aux sentiments positifs, ce sont 14 participants sur 17 qui verbalisent en avoir ressenti. Les sentiments positifs ressortent manifestement plus clairement dans le discours des anciens combattants libérés volontairement. Six participants libérés volontairement comparativement à deux libérés médicalement sont fiers d’avoir porté l’uniforme militaire et d’avoir contribué à la défense du Canada.

Le militaire pour moi, c’est un travail extraordinaire fait par des gens ordinaires. Surtout quand j’étais en mission, ce sont des grands principes, mais on comprend qu’on sert une cause plus grande que nous. Oui, on sert le pays, la patrie, tout ça, puis là on commence à comprendre ce que ça veut dire quand on est sorti.

Lucien, officier, libéré volontairement

Dans le même ordre d’idées, cinq participants libérés volontairement ont manifesté s’être sentis « libérés » d’en arriver à la fin de leur carrière militaire. Pour eux, il s’agit d’un sentiment positif, car il est associé à de nouvelles perspectives de vie personnelle et la fin des nombreuses exigences propres au mode de vie militaire comme la discipline, les affectations régulières et les déploiements.

[…] mais en même temps, la joie puis un sentiment de libération totale, parce que c’était quand même une décision mûre et réfléchie.

Valérie, officier, libérée volontairement

Figure 1

Les sentiments ressentis par les anciens combattants libérés volontairement et par les anciens combattants libérés médicalement

Les sentiments ressentis par les anciens combattants libérés volontairement et par les anciens combattants libérés médicalement

( ) = Nombre de participants ayant le sentiment

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Thème 2 - Le passage de la vie militaire à la vie civile dans les premières semaines et dans les premiers mois

Le premier constat est que les premières semaines de la transition de la vie militaire à la vie civile sont très occupées pour la majorité (15) des participants. Il y a des démarches administratives à compléter, des formulaires à remplir pour ACC, un dernier déménagement à exécuter, des démarches pour trouver un emploi et pour accéder aux services provinciaux de santé. Conséquemment, cet emploi du temps fait en sorte que les questionnements et les interrogations par rapport à la transition ne sont pas la priorité et sont remis à plupart.

Je vais essayer de combattre mes maladies, puis combattre le système médical civil qui est comme le mont Everest là. C’est comme le médecin des Anciens combattants me disait : « Dans les Forces armées canadiennes, vous êtes en Mercedes, puis dans le civil, vous êtes en Lada ».

Gilles, sous-officier, libéré volontairement

Je vais-tu faire ça le restant de mes jours? Attendre comme ça, me bercer quasiment en attendant la mort, même si je fais beaucoup d’activités, j’avais la sensation d’inutilité. Les questionnements sont embarqués après qu’on a eu terminé les réparations de la maison, donc à peu près un an plus tard.

Jeannot, officier, libéré médicalement

Au sujet du passage de la vie militaire à la vie civile, cinq participants libérés volontairement et médicalement ont manifesté que les premières semaines de la transition se sont déroulées facilement. Il faut noter que ces participants avaient tous un plan de transition structuré et répondant à leurs futurs besoins. Certains allaient poursuivre leur carrière au civil ou retourner sur les bancs d’école et d’autres allaient prendre du temps pour eux-mêmes.

Je me la coulais douce à la maison là, puis j’essayais de relaxer, puis de profiter de ma vie de civil. Je me suis fait « bleacher » les cheveux, puis je me suis fait pousser une barbe. J’ai fait tout ce que je ne pouvais pas faire.

Paul, sous-officier, libéré médicalement

Donc à partir du moment que j’étais libérée, je pouvais aller à l’école à temps plein. Puis c’est ce qui m’a permis peut-être d’accepter plus facilement cette transition.

Nicole, sous-officier, libérée volontairement

Pour les 12 autres participants, les premières semaines de la transition ont été difficiles ou encore très difficiles. Les principaux éléments contribuant à cela sont : la perte de l’appartenance aux FAC; les difficultés liées à la reconnaissance des études et des métiers militaires; la continuité des services de santé; les incapacités personnelles pour des raisons médicales; les problèmes familiaux; le mode de fonctionnement en emploi civil (la perte de l’esprit d’équipe); la crainte de ne pas trouver un emploi; et la solitude.

Oui, ça été difficile parce qu’on s’identifie comme militaire, on a une identité ancrée, on a des valeurs auxquelles on adhère, on a un système aussi qui nous entoure si on veut, puis du jour au lendemain, on se sent seul.

Marie, officier, libérée médicalement

[…] le plus dur c’est le manque de reconnaissance quant à l’éducation.

Gaéten, sous-officier, libéré volontairement

Parce que le même mois que j’ai été libéré, que j’ai sorti des Forces, le père de mon épouse est décédé, puis mon garçon a eu une grosse opération au cerveau […].

Tommy, sous-officier, libéré médicalement

Pour la totalité des participants libérés volontairement, le passage du temps amène une adaptation graduelle au mode de vie civile. De plus, cinq de ces participants notent qu’ils ont vécu un « choc » en quittant les FAC.

Puis là, tu tombes dans une situation civile. T’as, tu as plus l’uniforme. On dirait qu’on t’a enlevé une partie de ta peau. C’est un peu déprimant ! J’ai passé l’été à aller dans des cafés, puis je me sentais sans gouvernail. Il fallait que je me trouve de quoi.

Lucien, officier, libéré volontairement

À l’exception du contact de quelques amis proches provenant de la communauté militaire, la majorité (8) des participants libérés volontairement ont fait une coupure drastique (une fois libérés) avec les FAC et les organisations d’anciens combattants.

Pour une faible majorité (4) des participants libérés médicalement, la gravité de leurs blessures physiques et/ou mentales et leur état personnel ont joué un rôle central dans l’adaptation à la vie civile. Pour trois participants, l’adaptation à la vie civile s’est faite graduellement, mais des pensées face à leur carrière militaire demeurent présentes dans le temps.

Mais c’est encore une plaie. Je dirais que c’est encore ouvert. Parce que j’en parle. J’ai un suivi psychologique. J’en parle je dirais à chaque semaine. Ç’a été mon identité pendant 22 ans de temps. Donc c’est très difficile de dissocier puis de dire bon bien Marie n’est plus militaire. Fait qu’il y a de l’espoir, je vois des couleurs. Le ciel n’est plus gris comme il a déjà été. Parce qu’il était, il était gris. Mais la plaie est encore ouverte.

Marie, officier, libérée médicalement

Thème 3 - Les principaux enjeux transitoires

Pour les 17 participants à l’étude, sept enjeux transitoires ont une importance significative dans leur passage de la vie militaire à la vie civile. Dans cette étude, les enjeux transitoires font référence aux gains ou aux pertes engendrées par le passage du militaire au civil.

Pour 13 participants, l’enjeu transitoire qui touche les composantes occupationnelles de leur vie civile est significatif. Pour trois participants, il s’agit de l’enjeu le plus significatif. Deux participants libérés volontairement évoquent la perte de la sécurité d’emploi en quittant les FAC et par conséquent une plus grande précarité financière. Ils avancent vivre des inquiétudes à savoir s’ils seront en mesure de se dénicher un emploi dans le civil. Deux participants libérés volontairement se questionnaient sur le fait de travailler avec des civils. Deux autres libérés médicalement font état qu’ils ont vécu de fortes appréhensions en lien avec leur retour à l’école.

Le plus grand défi, c’est la sécurité d’emploi qu’on a dans les Forces. Puis qu’on se rend compte que quand on sort, c’est précaire là. C’est de se retrouver un emploi, c’est le côté financier un peu qui embarque là-dedans de dire : « est-ce que je vais me trouver une job? Est-ce que je vais avoir une sécurité emploi ? »

Nicole, sous-officier, libérée volontairement

Selon neuf participants, l’enjeu transitoire touchant les pertes liées au mode de vie militaire revêt une importance et pour six d’entre eux, il s’agit de l’enjeu le plus significatif. Les pertes liées au mode de vie militaire sont identifiées comme la routine, la structure, l’uniforme, la reconnaissance, la gestion du temps, le travail d’équipe, la camaraderie, les regroupements, les sports, le stress et l’aventure.

C’était le port de l’uniforme, puis les déploiements, être entre collègues. C’est ça, l’aventure, les exercices, les missions, tu sais, tu te déploies tout le temps à grosse échelle fait que c’est la bulle alentour de ça. Tu n’es pas dans l’armée pour l’argent, j’étais là pour l’aventure puis les déploiements, les missions, les tâches secondaires.

Justin, sous-officier, libéré médicalement

On m’enlève mon identité. Puis c’est là, qu’on réalise comment intense que le militaire est. Plus longtemps que tu es dans l’armée, plus c’est dans ta peau. On se disait entre nous autres : « Tu peux sortir le soldat de l’armée, mais tu ne peux pas sortir l’armée du soldat ». Ça ne se fait pas!

Lucien, officier, libéré volontairement

La santé est un autre enjeu transitoire qui a une importance pour cinq participants à l’étude. Il s’agit de l’enjeu le plus significatif pour deux d’entre eux. Le fait de perdre l’accessibilité aux services de santé des FAC en obtenant la libération est vu comme un obstacle surtout pour ceux qui ont été libérés médicalement. Quitter les FAC sans avoir réglé tous les problèmes de santé mentale et physique est une source d’inquiétude et de stress chez deux participants libérés volontairement.

Je pense que c’est la santé. Parce que là j’ai 50 ans, on dirait qu’on a deux, trois bobos.

Michel, sous-officier, libéré médicalement

Trois participants libérés volontairement affirment qu’ils n’avaient pas complété leur réintégration à la suite d’un déploiement opérationnel et qu’ils vivaient encore certains effets de ce déploiement au moment d’obtenir leur libération des FAC. Conséquemment, ils ont dû se concentrer sur leur réintégration plutôt que sur leur transition de la vie militaire à la vie civile.

Je pense que c’est vraiment d’arrêter de penser à ma mission, donc, il y a beaucoup de choses qui me font souvent repenser à ma mission en Afghanistan. Puis les symptômes qui persistent. Des fois, je suis comme confrontée par rapport, à ma personnalité qui a changé un peu suite à cette mission-là.

Valérie, officier, libérée volontairement

Un autre enjeu transitoire d’importance pour trois participants libérés médicalement est la lourdeur administrative des procédures liées à la libération autant au sein des FAC, d’ACC que des gouvernements fédéraux et provinciaux. Deux participants évoquent la difficulté à remplir des documents administratifs surtout lorsqu’ils souffrent de problèmes de santé mentale. Qui plus est, ils considèrent aussi un manque de soutien en quittant les FAC. Habitués dans les FAC à bénéficier des services des commis des salles de rapports, ils jugent être laissés à eux-mêmes lors de la transition. Le fait d’avoir à se débrouiller seul est une source de stress et d’anxiété pour eux.

[…] tous les formulaires de l’armée, puis de la pension, puis les formulaires de Revenu Canada, de Revenu Québec, puis toute cette paperasse. Ça m’a fait capoter!

Tommy, sous-officier, libéré médicalement

[…] le plus gros changement, c’est le manque de support administratif. Beaucoup de choses à faire, mais le système administratif n’est pas encadré autour de ça. C’est pareil comme l’assurance maladie, on passe pour des immigrants, parce qu’on est obligé d’avoir un six mois de délais minimum.

Paul, sous-officier, libéré médicalement

Quatre participants mentionnent qu’un enjeu d’importance est celui d’avoir à négocier avec des problèmes familiaux en même temps que la transition de la vie militaire à la vie civile.

Puis, j’avais une famille qui n’était pas trop proche, je me sentais pas dans la gamique familiale. Aujourd’hui c’est moins pire, mais à ce moment-là, tu te sens vraiment seule. Je me suis souvent trouvée seule. Quand ça fait trop longtemps que tu es partie, que tu as quitté le noyau familial, eux autres ont tellement de choses en commun. Toi tu t’attends que demain ils vont t’appeler. (Nicole, sous-officier, libérée volontairement)

Tableau 2

Les principaux enjeux transitoires vécus par les anciens combattants lors de la transition de la vie militaire à la vie civile

Les principaux enjeux transitoires vécus par les anciens combattants lors de la transition de la vie militaire à la vie civile

( ) = Nombre de participants ayant vécu l’enjeu

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Thème 4 - La préparation à la libération

La majorité (11) des participants affirment qu’ils n’étaient pas préparés adéquatement à vivre tous les aspects de la transition. Les finances personnelles et la recherche d’emploi sont les deux aspects de la préparation dont les participants ont investi le plus de temps. Les aspects psychologiques et familiaux sont ceux qui semblent être les plus difficiles à préparer pour les participants.

Oh mon Dieu sur le plan familial, on n’était pas préparé! Ma compagne et moi, on n’avait jamais vécu ensemble. On a emménagé dans une autre ville. Les deux, on quittait nos maisons respectives pour emménager dans une nouvelle maison. Une nouvelle réalité en même temps que la transition, ça été un défi!

Lianne, officier, libérée volontairement

Une faible majorité (9) des participants a assisté à un séminaire du Service de préparation à une seconde carrière. Seuls quelques participants (5) ont jugé que ce séminaire était aidant dans leur préparation à la vie civile. Les éléments les plus positifs de ce séminaire sont : les témoignages d’anciens combattants, les considérants financiers, et la préparation d’un curriculum vitae et des entretiens d’emploi. De plus, cinq participants jugent que le séminaire n’a été d’aucune utilité dans leur préparation. Parmi eux, trois (3) ne se souviennent plus des thèmes abordés.

Scan Seminar, j’avais été à cette activité-là puis ça m’avait parlé beaucoup. De voir quelqu’un d’autre qui avait passé à travers le processus puis qui était parti en affaire, qui avait réussi en affaire. Quoique moi, ce n’est pas le but que je m’étais donné, mais bon, voir qu’il y a une vie après les Forces.

Fred, sous-officier, libéré volontairement

J’avais eu un Scan de trois jours. La seule chose que j’ai retenu de ce Scan est qu’ils disaient toujours : « Ne faites pas votre retraite, ne bâtissez pas votre retraite sur la vie de vos enfants ». Autrement dit, si vos enfants habitent à telle place, ne déménagez pas là.

Lucie, sous-officier, libérée volontairement

Un participant libéré médicalement a critiqué le caractère « généraliste » du séminaire qui s’adressait, selon lui, aux militaires libérés volontairement ou aux fins de service et non à ceux libérés médicalement.

Puis, je pense j’étais pas mal tout seul qui était libéré médical, pas pensionné, qui était là. Et ils parlaient de comment placer votre argent, comment planifier la retraite. Je suis allé quand même, j’ai porté attention, mais ça ne me concernait pas.

Paul, sous-officier, libéré médicalement

L’état de santé au moment de la libération est un aspect qui influence la préparation à la transition selon quatre participants libérés médicalement. De ces derniers, trois (3) jugent que leur état ne leur permettait pas de préparer leur libération.

En fait, j’étais perdue, puis je pense qu’il aurait fallu des aides à l’interne avant de sortir. Parce qu’on veut se préparer. On veut, on descend la pente, puis on essaie de remonter. Mais en même temps, on ne sait pas où est-ce qu’on s’en va, qu’est-ce qu’on fait, comment on s’organise […] (Marie, officier, libérée médicalement)

Discussion

De manière générale, l’analyse des témoignages des participants à l’étude permet de confirmer ce qui est reconnu au sein de la communauté scientifique, que le processus transitoire du militaire vers le civil est complexe, stressant et concerne autant les sphères personnelles, sociales, familiales, professionnelles que financières de la vie (Blackburn, 2016). Aucun des participants à cette étude et tout particulièrement ceux qui ont libéré volontairement, n’a admis avoir vécu ce processus sans la moindre difficulté, sans avoir été confronté à des enjeux particuliers. Ce résultat est contradictoire avec ceux de l’enquête complétée en 2011 par ACC qui avancent que les deux tiers des anciens combattants libérés entre 1998 et 2007 ont vécu facilement leur transition (Thompson et coll., 2011). Les données recueillies par ACC dans leur enquête ne permettent pas d’interpréter en profondeur ce que les anciens combattants évaluent comme une transition facile. Les résultats de cette étude ont aussi permis de faire ressortir les différences dans le parcours transitoire entre les anciens combattants libérés volontairement et ceux libérés médicalement. En effet, les anciens combattants libérés pour des raisons de santé ont une expérience transitoire qui est plus ardue, des sentiments négatifs plus intenses et durables, des besoins différents, des enjeux transitoires particuliers et une préparation à la libération limitée. Ces résultats sont soutenus par ceux de Boscarino (1995) qui conclut que « […] la transition à la vie civile peut être une adaptation difficile pour certains individus, tout particulièrement ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé physique ou psychologique ». Les participants libérés médicalement et souffrant de problèmes de santé mentale ont le défi de composer avec leur état personnel et avec la transition. De plus, ils doivent réorganiser leur accès à des services de santé auprès des établissements du réseau provincial ou privé ce qui ajoute aux défis adaptatifs. Ces résultats vont dans le sens des propos de Cutright, Wiggings et Dick (2014) qui avancent qu’un problème de santé mentale chez le militaire rend l’adaptation lors de la libération beaucoup plus ardue. Ainsi, le type de libération est donc un élément essentiel à considérer lors de la libération d’un militaire. Il est obligatoire de considérer les propos d’Ecclestone, Biesta et Hughes (2010) qui soutiennent que la transition n’est pas toujours difficile, mais qu’elle peut être inconfortable pour certains et représenter un défi extrême pour d’autres. Les soins, le soutien et l’assistance devront être plus intensifs et soutenus par les militaires libérés médicalement afin de les aider dans leur transition.

Ensuite, les participants à l’étude ont identifié sept enjeux transitoires qui avaient une importance significative. L’analyse de leurs propos établit que la perte du mode de vie militaire, l’occupation du temps et la santé sont les enjeux les plus importants. D’autres auteurs tels que Cutright et coll. (2014), Coll et Weiss (2013), Brunger, Serrato et Ogden (2013), Stern, (2015), Sayer et coll. (2011) et Jolly (1996) ont aussi identifié ces enjeux comme étant des préoccupations majeures par les anciens combattants. La perte du mode de vie militaire qui inclut plusieurs aspects comme l’identité, le port de l’uniforme et la structure est un enjeu reconnu par Higate (2001) dans ses travaux. L’enjeu transitoire de la santé revêt à notre avis une importance particulière dans le contexte actuel de la restructuration du système québécois de santé et de services sociaux. À la date de libération, le militaire actif devient un ancien combattant et par ce fait, il n’a plus accès aux services de santé des FAC. Le ministère des Anciens combattants se charge d’une multitude de problèmes de santé physique et mentale, mais force est de constater qu’il ne peut vaquer à cette tâche sans une collaboration avec les systèmes de santé provinciaux et les organismes communautaires. Afin de limiter les portées de cet enjeu, il y a un devoir essentiel d’intégrer le système de santé provincial et les organismes communautaires au processus transitoire et de mieux informer les professionnels sur les réalités et les enjeux vécus par les anciens combattants (Hachey, Sudom, Sweet, MacLean et VanTil, 2016).

Pour sa part, Siew (2014) est catégorique lorsqu’elle avance qu’une fois l’endoctrinement complété à la suite du cours de base militaire, les nouvelles recrues deviennent officiellement « membre » de la communauté militaire et elles ont accès à tous les services et programmes offerts par les FAC. En contrepartie, le soutien provenant de la structure militaire et de l’ensemble des services disponibles à la communauté militaire en service actif disparait avec la libération. Conséquemment, « les membres du personnel militaire en transition ainsi que leurs familles doivent désormais se débrouiller seuls; certains ressentent un sentiment d’abandon et d’exclusion » (Sous comité des anciens combattants, 2014, p. 1). Ces constatations vont de pair avec les résultats de la recherche qui veulent que les anciens combattants s’attendent à recevoir des services par les FAC et ACC pour préparer leur transition. En effet, très peu (3) de participants ont fait part de leur responsabilité personnelle dans la préparation à la transition. La plupart des participants semblent compter sur les FAC ou sur ACC pour les aider à préparer leur transition. Pourtant, l’analyse des témoignages permet de comprendre que les mesures d’aide en place comme le Séminaire de préparation à une seconde carrière ne sont pas adaptées à tous les anciens combattants et leur caractère généraliste ne touche pas les principales préoccupations liées à la transition. Ces résultats confirment ceux de Ray et Forchuk (2011, p. 17) obtenus auprès de 54 anciens combattants dont « […] la majorité a estimé que les services de transition (incluant le Séminaire de préparation à une seconde carrière) et que les suivis offerts par les FAC et ACC étaient inadéquats ». Comptant sur la structure militaire et sur les services offerts pour négocier avec les situations émanant de la carrière militaire, les anciens combattants sont laissés à eux-mêmes et semblent ne pas avoir de plan de transitions structuré et réaliste. D’ailleurs, Jolly (1996) arrive à des conclusions similaires qui veulent qu’il y a des programmes de soutien à la transition du militaire au civil qui sont disponibles, toutefois l’expérience normale était de quitter sans avoir une idée claire de la route à venir. Il semble donc y avoir des manques à combler entre l’offre de services, les besoins des anciens combattants et les résultats à atteindre. Il apparaît nécessaire pour les autorités militaires de la Défense nationale et d’ACC de revoir les mesures d’aide offertes et de les adapter aux différents contextes de libération et aux enjeux transitoires. (Blackburn, 2015; Ray et Forchuk, 2011). Une mesure comme le Transition Assistance Program édifiée par le Department of Veteran Affairs des États-Unis devrait être consultée (Stern, 2015). De plus, il est primordial de promouvoir la responsabilité individuelle des anciens combattants dans la mise en place d’un plan transitoire.

Pour terminer, ce projet présente certaines limites, notamment celles touchant à la taille limitée de l’échantillon et à la stratégie d’échantillonnage. Avec seulement 17 participants, les résultats obtenus ne peuvent être généralisés à l’ensemble des anciens combattants qui ont obtenu une libération des FAC. Le fait que les participants parlaient tous le français à la maison, habitaient la province de Québec et étaient libérés des FAC depuis un maximum de 60 mois diminue la validité externe de l’étude.

Conclusion

Au final, cette étude confirme que le processus transitoire de la vie militaire à la vie civile concerne plusieurs enjeux adaptatifs. En étudiant quatre thèmes spécifiques, cette recherche a permis de contribuer à une meilleure compréhension du processus transitoire. Les anciens combattants vivent des sentiments négatifs lors de la transition. Les premières semaines de la transition sont très occupées administrativement ce qui a pour effet de mettre de côté les questionnements et les interrogations. Les anciens combattants reconnaissent que le passage du temps permet une adaptation graduelle à la vie civile. Un total de sept enjeux transitoires ont été identifiés par les participants dont, selon un ordre d’importance, la composante occupationnelle, les pertes liées au mode de vie militaire, et la santé ainsi que l’accès aux services de santé de la province. Les anciens combattants ont finalement reconnu qu’ils n’étaient pas préparés adéquatement sur tous les aspects de leur vie lors de leur transition. Il en ressort une différence significative entre l’expérience transitoire des anciens combattants libérés médicalement et ceux libérés volontairement.

Qui plus est, cette recherche présente aussi des résultats qui pourront orienter les ministères des Anciens combattants et de la Défense nationale dans la révision et l’édification d’un programme moderne, adapté et structuré à la transition de la vie militaire à la vie civile des anciens combattants. Elle permet aussi aux professionnels du réseau québécois de la santé et des services sociaux ainsi que du réseau communautaire, un éclairage sur les enjeux transitoires vécus par les anciens combattants, car leurs services seront sollicités. Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que des recherches supplémentaires sur le processus transitoire des anciens combattants sont nécessaires pour avoir une meilleure compréhension, pour modéliser le processus et enfin pour mettre en place les meilleures pratiques pour soutenir et aider les anciens combattants.