Résumés
Résumé
La surreprésentation de certains groupes de jeunes de minorités ethnoculturelles (MEC) dans le système de protection de la jeunesse est bien documentée au Québec. Parmi les solutions relevées pour y pallier, la relation intervenant-receveur de services a été identifiée comme un des meilleurs moteurs de changement. La présente étude qualitative phénoménologique vise à (1) comprendre davantage l’influence perçue de l’appartenance ethnoculturelle sur l’établissement de l’alliance thérapeutique entre des jeunes de MEC et leurs intervenants en protection; et (2) à comprendre, dans une perspective dyadique, les ressemblances, les différences, les points d’entente et les points de désaccord dans la dyade jeune-intervenant. Quinze jeunes de MEC âgés entre 12 et 17 ans et leurs treize intervenants ont été rencontrés lors d’entrevues semi-structurées. Les résultats permettent d’identifier des facteurs qui viennent influencer des paramètres de l’alliance de manière plus précise, notamment le lien affectif et l’accord sur les buts et les moyens. Ces influences semblent toutefois dépendre de l’importance relative du paramètre culturel dans la relation, mettant en lumière l’importance de l’évaluation préalable de cette dimension. Les implications pour la pratique clinique, la formation et la recherche sont discutées.
Mots-clés :
- alliance thérapeutique,
- protection de la jeunesse,
- minorités ethnoculturelles,
- adolescents
Abstract
The overrepresentation of some ethnocultural minority (ECM) youth groups in the youth protection system is well documented in Quebec. Among the solutions identified to remedy this situation, the intervener-service user relationship has been identified as one of the best drivers of change. The purpose of this qualitative, phenomenological study is to 1) better understand the perceived influence of ethnocultural background on the development of the therapeutic alliance between ECM youth and their protection worker; and 2) understand, from a dyadic perspective, the similarities, differences, points of agreement, and points of disagreement in the youth-worker dyad. Fifteen ECM youth between the ages of 12 and 17 and their thirteen protection workers were interviewed in semi-structured interviews. The results make it possible to identify factors that influence the parameters of the alliance in a more specific way, including emotional bonding and agreement on goals and means. These influences, however, seem to depend on the relative importance of the cultural parameter in the relationship, highlighting the importance of prior assessment of this dimension. The implications for clinical practice, training and research are discussed.
Keywords:
- therapeutic alliance,
- youth protection,
- ethno-cultural minorities,
- adolescents
Corps de l’article
La disproportion des jeunes de minorités ethnoculturelles (MEC) dans les services de protection met en lumière certains enjeux, notamment les défis relationnels additionnels que génèrent des différences sur le plan ethnoculturel. La présente étude qualitative vise à décrire les points de vue de dyades de jeunes de MEC et intervenants en protection concernant l’influence de l’appartenance ethnoculturelle sur leur relation.
Disproportion des jeunes issus de minorités ethnoculturelles dans les services de protection : causes et solutions
La disproportion des groupes de MEC dans le système de protection de la jeunesse est un enjeu qui prend de plus en plus d’importance pour les chercheurs et les intervenants oeuvrant avec cette population (Lavergne, Dufour et Couture, 2014). Cette disproportion, impliquant une sous-représentation ou une surreprésentation, se définit comme étant un déséquilibre entre la proportion de certains groupes de jeunes issus de minorités ethnoculturelles au sein du système de protection de la jeunesse et le poids démographique de ces groupes dans la population générale (Lavergne et coll., 2014).
Le terme « ethnoculturel » réfère d’abord à l’ethnie, qui relie l’individu à un groupement humain possédant une histoire et une ascendance communes. Les définitions du concept d’ethnie intégraient autrefois le concept de race, qui référait à l’ascendance génétique partagée par les individus de ces groupes. Le concept de race a toutefois été reconnu comme un construit social plutôt qu’un concept ayant un réel fondement biologique (Maiter, 2009). La définition contemporaine de l’ethnie laisse donc de côté le concept de race pour se centrer davantage sur l’héritage, la généalogie ainsi que la provenance géographique d’un point de vue historique (Maiter, 2009).
Le terme « ethnoculturel » réfère ensuite à la culture, qui relie l’individu à un ensemble de personnes qui partagent les mêmes traditions et coutumes, qui se transmettent de génération en génération (Statistique Canada, 2013). La culture correspond donc aux aspects intellectuels, artistiques et idéologiques d’un groupe particulier (Lum, 2004). Le concept a toutefois été critiqué, car la culture a longtemps été conceptualisée de manière statique. Les approches contemporaines définissent plutôt la culture de manière dynamique, où chaque individu est à la fois acteur dans la construction de sa propre identité et dans la construction de sa culture (Vinsonneau, 2002). De plus, la rencontre des cultures est reconnue comme un processus dynamique où se produit une « interculturation », s’intéressant à la fois aux mécanismes d’adaptation des individus et aux déterminants environnementaux mobilisés qui régissent l’interinfluence des cultures en rencontre (Vinsonneau, 2002).
Le statut de « minorité » désigne que ces groupes sont moins nombreux relativement au groupe majoritaire sur un territoire donné. Le statut de minorité peut donc référer à une variété de caractéristiques, telles que le genre, le statut socio-économique ou la religion. Il implique aussi certaines inégalités sociales, notamment concernant le moindre pouvoir de ces groupes comparativement au groupe majoritaire (Maiter, 2009). Les théories critiques de l’intersectionnalité mettent en lumière les influences multiples de la distribution inégale de pouvoir sur les rapports sociaux (Jaunait et Chauvin, 2013).
Au Canada et au Québec, les enfants noirs et autochtones sont surreprésentés à la fois dans le système judiciaire pour adolescents et dans le système de protection de la jeunesse (Eid, Turenne et Magloire, 2011; Lavergne, Dufour, Trocmé et Larrivée, 2008). En effet, sur le territoire montréalais, à l’étape du signalement, la proportion d’enfants noirs est au moins 2,6 fois plus grande que pour la population générale (Sarmiento et Lavergne, 2017). Les enfants autochtones sont également surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse québécois (Breton, Dufour et Lavergne, 2012). D’un autre côté, les autres groupes de MEC et les enfants du groupe majoritaire sont sous-représentés (Dufour, Hassan et Lavergne 2012). Toutefois, notons que certains de ces autres groupes de MEC sont sujets à davantage de placements en unité de réadaptation (Sarmiento et Lavergne, 2017).
Les études indiquent que des conditions sociales et économiques, tels la pauvreté, le secteur de résidence et la discrimination, semblent compter pour beaucoup dans cette disproportion. Des biais culturels et des pratiques discriminatoires de la part des professionnels et des citoyens, ainsi qu’un manque de ressources culturellement adaptées, viendraient exacerber cette problématique (Fluke, Harden, Jenkins et Ruehrdanz, 2011; Lavergne et coll., 2014). Afin de réduire la disproportion de certains groupes de MEC dans les services de protection de la jeunesse et de justice pénale pour adolescents, plusieurs auteurs jugent essentiel de travailler en partenariat avec les familles à toutes les étapes du service (Couture et Dufour, 2013; Fluke et coll., 2011; Lavergne et coll., 2014). Toutefois, le fait que ces services soient souvent reçus sous la contrainte légale rend difficile l’engagement et la collaboration des familles de MEC, ces services étant perçus comme intimidants et stressants (Cahalane, 2013; Dumbrill, 2006).
L’alliance thérapeutique
La relation intervenant-receveur de services constitue le meilleur moteur de changement en contexte de protection (Dumbrill, 2010; Gladstone et coll., 2014), pointant vers l’importance d’établir une bonne alliance avec les adolescents de MEC et leur famille. Parmi les théories conceptualisant la relation intervenant-receveur de services, un des modèles les plus acceptés est celui de l’alliance thérapeutique élaboré par Bordin (1979). Différentes méta-analyses ont mis en lumière les construits communs à l’ensemble des recherches sur l’alliance thérapeutique : (1) le contact, qui est le lien affectif s’établissant entre le thérapeute et le patient, ainsi que le lien de confiance; (2) le contrat, qui est l’entente sur les buts à atteindre et les moyens que le thérapeute et le patient doivent mettre en place pour accomplir les buts (Bordin, 1979; Karver, Handelsman, Fields et Bickman, 2006; Shirk, Karver et Brown, 2011; Smits, Luyckx, Smits, Stinckens et Claes, 2015). Les méta-analyses démontrent que la force de l’alliance thérapeutique permet de prédire le succès d’une intervention (Martin, Garske et Davis, 2000).
Les défis particuliers de l’adolescence pour les jeunes de MEC
Au Québec, dépendamment des motifs, les adolescents ayant des troubles de comportement sérieux peuvent être servis par le système de protection de la jeunesse, le système de justice pénale pour adolescents, ou les deux. Les écrits entourant la disproportion des adolescents de MEC ayant des troubles de comportement mettent en lumière que certaines variables individuelles pourraient jouer un rôle, notamment le stress lié au fait de devoir s’adapter à différents systèmes culturels et de valeurs (Pineau-Villeneuve, 2015). L’adaptation à ces différents systèmes vient confronter ces jeunes à des défis supplémentaires sur le plan identitaire, influençant leur adaptation psychologique et sociale.
Un de ces défis, l’acculturation, désigne à quel point la personne désire conserver son héritage culturel et les coutumes qui s’y rattachent, mais aussi à quel point cette même personne cherche à s’impliquer dans sa société d’accueil (Berry, 2005). Essentiellement, la stratégie d’acculturation d’un adolescent de MEC prédit son ajustement psychologique et social, où la combinaison d’une forte association à la culture d’origine et à la culture d’accueil entraîne une meilleure adaptation. Le maintien de la culture d’origine semble toutefois jouer un rôle plus important dans l’adaptation que l’implication dans la culture d’accueil (Berry, Phinney, Sam et Vedder, 2006; Soriano, Rivera, Williams, Daley et Reznik, 2004).
Les jeunes de MEC sont également confrontés au défi de développer leur identité ethnique dans une culture d’accueil différente de leur culture d’origine (Phinney, 1989). L’identité ethnique se définit comme un construit à plusieurs facettes qui implique le concept de soi en regard des connaissances qui découlent de son appartenance à un groupe culturel donné (Torres et Ong, 2010). La consolidation de l’identité ethnique est associée à un meilleur ajustement psychologique (Gonzales, 2014) et est influencée par une multitude de facteurs, comme l’utilisation de la langue de la culture d’origine, la fréquentation de pairs de ce même groupe et la promotion de la culture d’origine par les parents (Phinney, Romero, Nava et Huang, 2001). À ces défis s’ajoutent les conflits intergénérationnels entre adolescents et parents, qui sont accentués par les différences au niveau du vécu d’immigration, de l’acculturation et de l’identité ethnique (Berry, 2005; Hassan et Rousseau, 2007; Malhamé, 2010).
Point de vue des acteurs
L’approche participative, qui consiste à inclure la personne auprès de qui on intervient dans toutes les phases décisionnelles d’une intervention, est reconnue et de plus en plus répandue dans les services sociaux (Hill, 1997). Cette approche, dans un idéal, permet aux acteurs principaux de coconstruire la problématique et de déterminer ensemble les solutions et les étapes à suivre. La Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), au Québec, met l’accent sur la nécessité de privilégier la participation active des enfants et des parents dans la prise de décisions et le choix des mesures concernant l’intervention à mettre en place (Loi sur la protection de la jeunesse, L.Q., 2015). Toutefois, la relation de pouvoir qui demeure entre l’intervenant et le receveur de services, donnant le dernier mot au premier, demeure un défi qui limite la portée de l’approche (Chamberland et coll., 2015; Healy, 1998; Healy et Darlington, 2009).
Certaines études mettent en lumière l’importance d’obtenir le point de vue des jeunes exposés à de la violence. En effet, ce point de vue semble intimement relié à la diminution des difficultés d’adaptation du jeune, étant donné le rôle central de l’interprétation que le jeune se fait de la situation dans son choix de stratégies d’adaptation (Fortin, 2010; Maillé, 2010). Le point de vue d’adolescents issus de MEC et recevant des services en protection de la jeunesse n’a toutefois jamais été étudié, particulièrement en relation à l’alliance thérapeutique ou la collaboration avec leur intervenant. Il est donc pertinent de connaître le rôle qu’ils attribuent aux intervenants dans leur vie, ainsi que l’influence de cette perception sur leur adaptation. Dans le cadre du présent projet, le point de vue de l’intervenant semble revêtir une importance particulière. En effet, le caractère dyadique et relationnel du concept implique la pertinence d’obtenir le point de vue de toutes les parties impliquées (Elvins et Green, 2008; Shirk et coll., 2011).
Questions de recherche
La disproportion des jeunes de MEC dans les services de protection appuie le constat qu’une adaptation des services est requise. Le rôle privilégié de la collaboration et de l’alliance dans le succès des interventions, particulièrement en protection et le peu de recherches donnant la parole aux jeunes augmentent la pertinence de documenter leur point de vue quant à la relation qu’ils entretiennent avec leur intervenant. Le présent projet de recherche vise donc à répondre aux questions suivantes : (1) quelle est, du point de vue des jeunes issus de MEC et de leurs intervenants en protection de la jeunesse, l’influence perçue de l’appartenance ethnoculturelle dans l’établissement et le maintien de l’alliance thérapeutique?; et (2) dans une perspective dyadique, quels sont les ressemblances, les différences, les points d’ententes et les points de désaccord entre les points de vue des jeunes issus de MEC et de leurs intervenants en protection de la jeunesse?
Méthode
Procédure de recrutement
Le recrutement pour le présent projet s’est fait en s’intégrant à un projet plus large dirigé par Lavergne et Dufour (2015) et visant à explorer des services en protection de la jeunesse afin de cerner leurs besoins et dans quelle mesure l’aide offerte est adaptée culturellement. Les intervenants de suivi des participants potentiels ont été sollicités, dans un premier temps, pour recruter des participants pour le projet de recherche plus large. Ces intervenants ont, dans un deuxième temps, été invités à participer au présent projet. S’ils acceptaient, ces intervenants étaient ensuite appelés à identifier les jeunes répondant aux critères de sélection parmi leurs dossiers actifs afin de les recruter pour les deux projets simultanément.
Les critères de sélection des adolescents étaient : (1) être âgé entre 12 et 17 ans; (2) être d’appartenance ethnique autre que canadienne ou européenne, impliquant la naissance du jeune ou d’au moins un de ses parents à l’extérieur du Canada ou de l’Europe; et (3) avoir un suivi actif en LPJ à l’application des mesures depuis au moins 3 mois. Les jeunes d’origine canadienne et européenne ont été exclus afin d’optimiser le recrutement de jeunes issus de MEC lors de la première étape de triage de participants potentiels.
Le choix des intervenants a été fait en fonction de : (1) la durée totale de l’intervention conduite auprès du jeune au moment du recrutement; et (2) la fréquence des rencontres avec le jeune. L’intervenant ayant la plus longue durée d’intervention et/ou la plus grande fréquence de rencontres était recruté pour le projet.
Participants et collecte de données
Un total de quinze dyades jeune-intervenant a participé au projet de recherche, regroupant quinze jeunes et treize intervenants (voir les tableaux 1 et 2 en annexe pour les caractéristiques des participants). Des entrevues semi-directives d’environ 30 à 45 minutes ont été effectuées en face à face avec chaque jeune, alors qu’un entretien téléphonique de la même durée a été effectué avec l’intervenant de suivi de chaque jeune. Toutes les entrevues ont été conduites par le même intervieweur, faisant lui-même partie d’une minorité ethnoculturelle. Les thèmes suivants ont été explorés : (1) les composantes de l’alliance thérapeutique (lien affectif, lien de confiance, entente sur les buts et entente sur les moyens) ainsi que leur qualité dans la relation dyadique; et (2) l’influence perçue des facteurs liés à la culture (les différences au niveau des normes, valeurs et habitudes de vie, l’impact du choix lié à l’acculturation et la divergence à l’égard de la culture et de l’acculturation entre le jeune et ses parents) sur les composantes de l’alliance. Les deux intervenants ayant recruté plusieurs jeunes se sont prononcés sur leur lien avec chacun d’entre eux dans des entrevues distinctes afin de produire des contenus personnalisés à chaque dyade.
Les contenus pertinents de la collecte de données menée dans le cadre du projet de recherche plus large ont été rendus disponibles afin d’enrichir et contextualiser les analyses effectuées dans le cadre du présent projet. Les contenus d’entrevues du projet large, des données institutionnelles contenues dans le dossier des adolescents et le contenu d’un bref questionnaire sociodémographique rempli par les adolescents ont été utilisés. Une grille sociodémographique semblable, mais abrégée, a également été remplie par les intervenants.
Analyses
Une démarche qualitative phénoménologique a permis d’explorer les points de vue des participants. L’analyse thématique s’inspire de la procédure systématisée par Paillé et Mucchielli (2012) : (1) lecture préliminaire et établissement d’une liste d’énoncés; (2) choix et définition des unités de classification; et (3) processus de classification des énoncés. L’analyse a été effectuée à l’aide du logiciel Nvivo. Une liste d’énoncés très proches des thèmes explorés en entrevue a été utilisée afin de répondre à la première question de recherche.
Une deuxième étape d’analyse a été effectuée afin de répondre à la deuxième question portant sur les dynamiques relationnelles de chacune des dyades. Les discours de chaque acteur de la dyade ont été regroupés en une unité d’analyse et les énoncés reliés aux thèmes identifiés à la première étape d’analyse ont été comparés. Des gabarits d’analyse dyadique ont ensuite été générés afin d’évaluer, de manière qualitative, la qualité et l’accord sur les différentes composantes de l’alliance et l’influence relative de l’appartenance ethnoculturelle sur ces composantes. Ceci a ainsi permis de dégager des dynamiques relationnelles plus complexes à partir des points de vue de chacun des acteurs des dyades.
Résultats
Analyse dyadique
L’analyse dyadique a permis d’organiser les quinze dyades en trois grappes hiérarchisant l’influence de l’appartenance ethnoculturelle sur l’alliance thérapeutique.
Grappe A : L’appartenance ethnoculturelle a une influence directe sur l’alliance
Dans cette première grappe, le discours des dyades met en évidence une influence de l’appartenance ethnoculturelle sur différentes composantes de l’alliance thérapeutique. Deux pratiques sont identifiées comme étant particulièrement influentes et favorables à l’alliance. Ces mêmes pratiques sont absentes quand l’alliance est moins bonne et que l’appartenance ethnoculturelle est nommée comme un obstacle.
Partage culturel. La pratique du partage culturel, que l’on peut décrire comme étant les échanges sur les différences culturelles, telles que les coutumes, les moeurs et les valeurs, les discussions sur le vécu d’immigration et les activités liées à la culture, est nommée comme favorisant l’alliance au niveau du lien affectif et du lien de confiance.
Ç’a aidé, quoi, parce que lui, il est quand même ouvert, tu vois? C‘était bien quand même. Des fois, il pose des questions sur chez nous, tu vois? Au début, il était curieux. Donc, je pense que ç’a tissé un peu un lien de confiance, tu vois?
Jeune 6
Ces partages semblent être vécus par les jeunes comme une marque d’intérêt pour leur culture, en plus d’être une occasion d’en apprendre davantage sur la culture de leur intervenant.
J’apprends beaucoup de choses sur leur ethnie et tout ça. Pis moi de mon côté, je leur apprends des choses aussi. Des fois, ils me posent des questions et je leur réponds, ou […] je fais à manger de la nourriture mexicaine et ils aiment ça. Et aussi, ici j’ai connu des mets québécois que je ne connaissais pas.
Jeune 15
Cette pratique, bien qu’utilisée consciemment par les intervenants, ne semble pas avoir d’objectif clinique concernant le motif de compromission ou lié à l’intervention. Les intervenants en parlent plutôt comme un intérêt qu’ils ont pour la découverte d’autres cultures et que ce type d’intervention reflète simplement une certaine congruence dans leur manière d’être avec les jeunes. La réciprocité de ce partage semble être particulièrement importante.
Non, pour moi personnellement ce n’est pas une barrière. Non au contraire, même je trouve ça intéressant de parler de ça avec elle puis de voir la [culture] et d’en parler. […] C’est un partage. Fait que c’est doublement agréable. Je pense que c’est pour ça qu’elle est à l’aise aussi avec nous.
Intervenant 11
Bien que ce partage favorise le lien affectif et de confiance, il demeure que certaines dyades qui en sont dépourvues parviennent tout de même à développer ces liens. Toutefois, lorsque présents, ces échanges deviennent une porte d’entrée à une autre pratique influente : la prise en compte de la culture du jeune.
Prise en compte de la culture. La prise en compte de la culture du jeune dans l’intervention, c’est-à-dire la prise en compte des moeurs, coutumes et valeurs liées à la culture d’origine et l’adaptation des services en lien à ces paramètres, est également identifiée comme favorisant l’établissement de l’alliance thérapeutique, plus précisément concernant l’entente sur les buts et les moyens dans la relation intervenant-jeune. Le discours des dyades permet toutefois de dégager le rôle central des parents dans cette entente. Alors que certains jeunes nomment être habitués de naviguer dans différents codes culturels, ils disent que leurs parents vivent le processus de manière beaucoup plus antagonique, notamment au niveau des valeurs. D’autres nomment ouvertement leur malaise lorsqu’il leur est proposé de viser des buts ou d’appliquer des moyens qui vont à l’encontre des valeurs familiales. Ainsi, lorsqu’une prise en compte de la culture est entreprise avec succès par l’intervenant, cela favorise l’adhésion et la collaboration des parents dans l’intervention. La participation des parents dans les prises de décisions concernant l’intervention aurait comme effet de rendre plus réalistes les buts et plus généralisables les moyens entrepris. C’est donc la continuité entre les buts et moyens valorisés par les différents acteurs et les différents milieux de vie qui aurait comme résultat d’augmenter l’entente sur les buts et moyens des jeunes; ces derniers nomment ainsi que si ce n’était que pour eux, la prise en compte de la culture ne serait pas particulièrement nécessaire.
On a même commencé à l’aimer à un moment donné parce qu’elle respectait ce que nous, on voulait. Puis elle a compris c’était quoi nos limites. Puis ma famille a compris qu’elle n’était pas là pour nous obliger à s’adapter à ici, à s’intégrer à cette culture-là.
Jeune 20
Le soutien à la consolidation de l’identité ethnique qu’offrent certains intervenants aux jeunes influencerait aussi positivement l’entente sur les buts et les moyens par l’entremise d’une meilleure collaboration des parents, mais par un processus légèrement différent. La consolidation de l’identité ethnique implique une exposition aux moeurs et coutumes des différents cadres culturels du jeune. C’est une exposition prolongée à ces différents cadres qui aiderait le jeune à faire le choix des éléments qu’il désire ou non intégrer à son identité (Phinney et Ong, 2007). Toutefois, pour plusieurs jeunes recevant des services de protection, l’hébergement en centre de réadaptation les éloigne de leur environnement familial, souvent la source primaire d’exposition à leur cadre culturel d’origine. Le soutien à la consolidation de l’identité ethnique et l’identification de ce soutien comme objectif d’intervention par l’intervenant impliquent donc que la participation et la collaboration du milieu deviennent des moyens nécessaires à l’intervention, soit une partie intégrale de celle-ci.
Oui, bien il y a quelque chose au niveau de son identité, puis elle, elle le nomme comme « c’est mon estime de moi qui ne va pas bien ». Puis c’est là qu’on a parlé un peu, ça se peut tu que le fait que tu sois loin du côté haïtien, puis elle se rapproche plus de ses parents aussi, avant ça ils n’étaient pas présents, fait qu’il y a quelque chose qu’elle a nommé à ce niveau-là effectivement.
Intervenant 9
Grappe B : L’appartenance ethnoculturelle a une influence secondaire sur l’alliance
Dans cette deuxième grappe, le discours des dyades révèle une influence plus périphérique ou secondaire de l’appartenance ethnoculturelle sur l’alliance thérapeutique. Dans ces cas, la qualité de l’alliance est moins directement prédictible par la nature des interventions liées à la prise en compte du paramètre culturel. Toutefois, certains aspects relationnels où l’appartenance ethnoculturelle est à l’oeuvre sont tout de même identifiables.
Dans cette grappe, les jeunes disent ne pas sentir qu’une plus grande prise en compte de la culture ou davantage d’interventions en ce sens auraient des effets bénéfiques additionnels sur la relation avec leur intervenant. Ces jeunes, pour la plupart en milieu d’hébergement, sentent que la prise en compte est adéquate et suffisante. Les jeunes dont l’alliance thérapeutique est évaluée négativement jugent également que cette prise en compte est adéquate et suffisante et que d’autres facteurs seraient plus importants, tels que la personnalité de leur intervenant, ou encore un roulement d’intervenants trop grand, ne leur permettant pas d’investir la relation à long terme. Ces jeunes considèrent toutefois que certains ajustements communicationnels, notamment par rapport à la langue et à une vulgarisation plus exhaustive du système de protection de la jeunesse québécois, auraient été pertinents pour leurs parents. Ces jeunes jugent que la rapidité de la mise en place des suivis de la DPJ ne permet pas aux parents de bien comprendre, étant donné qu’ils n’ont pas toutes les connaissances pour appréhender la situation, ce qui diminue leur pouvoir d’agir. Ils sont ainsi contraints par la loi d’appliquer des recommandations qu’ils ne saisissent que partiellement. Ces ajustements faciliteraient davantage le vécu de l’intervention des parents. Ceci rejoint le constat lié à la collaboration des parents dans les dyades de la grappe A, étayant davantage l’effet sur les jeunes des difficultés parentales dans l’intervention.
Une dynamique relationnelle particulière par rapport à l’adhésion aux valeurs québécoises se manifeste également dans la grappe B. Dans les cas où le jeune adhérait ouvertement aux valeurs québécoises en mettant de côté certains aspects de sa culture d’origine, cette adhésion semble faciliter l’établissement du lien relationnel et du lien de confiance entre le jeune et son intervenant, étant donné des valeurs communes.
On a des valeurs qui sont évidentes qu’on a vraiment en commun. On a plein de choses en commun, en parlant et même comprendre.
Jeune 16
Toutefois, la prise en compte de l’appartenance ethnoculturelle devient secondaire dans ces cas, où cette prise en compte est plus rapidement évaluée comme un non-besoin dans l’intervention. Les parents sont donc davantage écartés de l’intervention, vu le consensus de la non-adhésion à ce cadre culturel de la dyade jeune-intervenant, ce qui met davantage à distance un possible retour en milieu familial pour ces jeunes.
On ne voit pas vraiment ça. On rentre pas là-dedans. C’est sûr des fois je la dis. Je raconte, mettons ma famille, c’est sûr en me disant comme du niveau québécois, c’est tellement pas pareil. Des fois, elle […] ne comprend pas. Elle dit : « Hein! C’est possible ça?
Jeune 16
Je ne connais pas sa mère. Son père, je l’ai vu comme quelques fois, mais vraiment très peu. […] En tout cas moi j’ai de la misère, il ya beaucoup de difficultés au niveau de la communication avec le père.
Intervenant 8
Grappe C : L’appartenance ethnoculturelle n’a pas d’influence sur l’alliance
Pour la troisième et dernière grappe, l’appartenance ethnoculturelle ne semble tout simplement pas avoir joué de rôle sur l’établissement de l’alliance thérapeutique. Ce sont des dyades où l’alliance entre le jeune et l’intervenant est généralement bonne. Les parents, eux, sont soit très impliqués dans l’intervention, ou complètement écartés pour des raisons de sécurité pour le jeune. D’autres facteurs plus importants, comme la sévérité du motif de compromission et le niveau de vulnérabilité du jeune, sont à l’oeuvre.
Analyse thématique
Les résultats de l’analyse thématique traitent des points de vue des adolescents et des intervenants concernant l’influence de l’appartenance ethnoculturelle sur l’alliance thérapeutique.
Les adolescents. Le discours des adolescents révèle une compréhension restreinte de l’influence possible de l’appartenance ethnoculturelle dans leur rapport à leur intervenant. Ainsi, lorsque questionnée directement sur ce sujet, une majorité nomme la présence ou la non-présence de racisme ou de discrimination explicites ou intentionnels de la part de leur intervenant. Cette focalisation sur le racisme et la discrimination implique donc que pour ces jeunes, en absence de racisme ou de discrimination, la culture n’est pas à l’oeuvre. Les jeunes étaient donc peu enclins à identifier par eux-mêmes des éléments culturels ou ethniques ayant pu influencer leur relation avec leur intervenant, étant donné que dans l’ensemble des cas, aucun comportement ouvertement raciste ou haineux n’était commis par leur intervenant. Toutefois, lorsque questionnés sur d’autres paramètres et leur possible influence, tels que la place des parents dans l’intervention ou le jumelage ethnoculturel (le fait d’être jumelé à un intervenant de la même appartenance ethnoculturelle, par ex. un intervenant congolais pour une famille congolaise), les jeunes ont alors mentionné des éléments qui pourraient influencer certains paramètres de l’alliance avec de leur intervenant. Les liens entre ces éléments et le concept de culture ne sont toutefois pas explicites pour ces jeunes.
Les intervenants. Bien que la compréhension des intervenants du paramètre culturel soit beaucoup moins restreinte que pour les jeunes, il en demeure que certains d’entre eux en ont une compréhension relativement superficielle. Cette compréhension met l’accent sur les difficultés langagières ou les moeurs culturelles les plus en contraste avec leurs valeurs ou leurs propres moeurs.
Je pense que ça n’influence pas comme tel. Tu sais quand que j’ai rencontré [le jeune], il parle français, puis un petit peu anglais, mais pour lui dans le fond, il est comme francophone.
Intervenant 2
Il est aussi peu question de leur propre habileté à composer avec le paramètre culturel ou de leur confort à le faire. Les intervenants, étant pour la plupart d’origine québécoise, considèrent que l’alliance thérapeutique avec des jeunes ne peut pas vraiment être influencée par l’appartenance culturelle lorsque ceux-ci semblent adaptés à la culture québécoise et qu’ils côtoient d’autres Québécois.
Il côtoie constamment des Québécois, des Arabes, des Africains, des Haïtiens, peu importe là. Puis dans le fond je pense que ce n’est pas une barrière pour [le jeune], au contraire je pense qu’il est juste habitué de vivre au Québec, fait que pour lui c’est comme normal de voir un Québécois. […] Comme je te dis, ça fait dix ans qu’il est ici, fait que tu sais, il ne vient pas juste de vivre son immigration, il ne vient pas juste de vivre des adaptations, au contraire il est bien établi ici.
Intervenant 3
Ce constat a deux implications. Premièrement, il escamote le rôle de la consolidation de l’identité ethnique dans l’adaptation de ces jeunes en ignorant l’identification à l’une ou l’autre des cultures, un paramètre beaucoup plus implicite que les manifestations comportementales de la culture, comme la fréquentation de pairs de la culture d’origine ou de la culture d’accueil. Très peu d’intervenants parlent du concept d’identité ethnique pour les adolescents, qui sont pourtant à une étape charnière au plan identitaire. Deuxièmement, cette perspective laisse de côté la possible adhésion identitaire de ces jeunes à des codes culturels qui diffèrent de leurs comportements apparents. Dans certains cas, les intervenants projettent sur les parents tout ce qui a trait aux différences culturelles, bien que ces différences soient également à l’oeuvre chez le jeune. Le discours d’un intervenant (Intervenant 6) parlant de l’influence de la culture pour un jeune, à trois moments différents dans l’entrevue, illustre ce constat :
Temps 1 : J’ai jamais senti que ça avait quelque chose à voir. Avec la mère plus, mais avec le jeune, je pense pas que ça ait quelque chose à voir.
Temps 2 : Bien la mère […] C’est pas la même religion, c’est pas les mêmes valeurs. La mère, elle croit pas à la médication. Elle est un peu plus ésotérique.
Temps 3 : Quand il a été question de prendre les médications l’année passée parce qu’il avait une dépression majeure, sa mère était contre. Et [le jeune], sachant que sa mère était contre, il avait voulu aussi s’opposer.
Ainsi, au-delà des constats de l’analyse dyadique, l’analyse thématique permet de mettre en lumière les limites de la maîtrise du concept même de culture, autant pour les jeunes que pour les intervenants. De plus, le rapport à la culture des jeunes, qui est souvent moins clairement défini que celui des parents, semble difficilement saisi par les intervenants.
Discussion
Les résultats permettent d’abord de statuer que l’appartenance ethnoculturelle semble bel et bien influencer l’établissement et le maintien de l’alliance thérapeutique entre des adolescents de MEC et leur intervenant en protection.
L’influence de la culture : un facilitateur ou un obstacle
Cette influence est toutefois relative au degré d’importance que la culture prend dans chaque relation. Dans certains cas, il joue un rôle central dans les difficultés d’adaptation vécues, ce qui vient directement affecter l’alliance thérapeutique dans la dyade. Dans d’autres, le paramètre culturel a peu ou pas d’influence sur l’alliance thérapeutique ou le motif de compromission des jeunes.
Dans ces cas, l’adéquation de la prise en compte du paramètre culturel vient diriger la nature de l’influence qu’aura la culture dans la relation. L’utilisation d’interventions telles le partage culturel et la prise en compte des moeurs et des valeurs favorise le contact et le contrat entre le jeune et son intervenant. Lorsque les enjeux culturels ne sont pas adéquatement repérés ou compris par l’intervenant, que les valeurs, les moeurs et les coutumes sont perçues comme des résistances aux changements plutôt que des variables à respecter, ou que les choix d’interventions mènent à l’escamotage du paramètre culturel, ce dernier peut rapidement devenir un obstacle de taille et mener à des impasses relationnelles importantes.
Une compréhension superficielle du paramètre culturel
La compréhension superficielle de la notion de culture chez les répondants est à la fois compréhensible et alarmante, dépendamment du type de répondant concerné. Pour les adolescents, qui sont en pleine construction de leur identité personnelle, culturelle et sociale, il est compréhensible que cette notion ne soit pas saisie dans son entièreté. Les théories de la construction de l’identité ethnique expliquent que ces jeunes ne sont conscients du racisme et de la discrimination qui peuvent être à l’oeuvre autour d’eux que depuis le début de leur adolescence (Phinney, 1990). Notons également que les adolescents veulent être inclus plutôt qu’exclus socialement (Brown et Larson, 2009). Ainsi, il est possible que le fait d’approfondir l’influence de l’appartenance culturelle en entrevue ait sollicité le sentiment de marginalisation ou d’exclusion lié au fait d’appartenir à une minorité, donnant ainsi une plus grande importance aux thèmes de racisme et de discrimination qu’aux autres aspects de la culture, bien que ces derniers aient tout de même été touchés de manière périphérique par ces adolescents. Ces éléments permettent d’interpréter, au plan développemental, la vision restreinte de la culture présentée par les adolescents.
La compréhension de la notion de culture semble, pour plusieurs intervenants, insuffisante pour évaluer et aborder adéquatement ce paramètre dans l’intervention. Ce constat est alarmant étant donné la relation de pouvoir qui existe entre ces intervenants et les familles auprès desquelles ils interviennent. La vulnérabilité des familles, souvent prises dans des situations très complexes et empreintes d’une multitude de facteurs de risque et de stress, rend l’incidence que peut avoir la relation avec l’intervenant très importante. Ainsi, si les résultats permettent d’émettre des recommandations d’intervention, l’évaluation adéquate de l’importance relative de la variable culturelle demeure préalable à leur application.
L’incompréhension relationnelle n’est malheureusement pas la seule conséquence de la compréhension superficielle du paramètre culturel. Le choc identitaire du professionnel (Cohen-Emerique, 2011) confronte l’intervenant à ne pas être en mesure d’atteindre ses propres buts en tant que professionnel et à remettre en question son identité personnelle et professionnelle. Ce choc amène parfois l’intervenant à adopter des réactions défensives afin de préserver son estime de soi; il peut projeter la faute sur le manque de motivation ou d’engagement de la personne aidée, réaffirmer son pouvoir par sa position d’autorité ou d’expert, ou rationaliser les difficultés relationnelles vécues en plaquant des préjugés dits « insurmontables » reliés à la culture ou aux difficultés de l’aidé. Dans ces cas, les difficultés ont tendance à persister ou s’envenimer. En plus du paramètre culturel, la relation de pouvoir qu’implique l’intervention en protection de la jeunesse et les difficultés d’adaptation substantielles auxquelles les familles sont parfois confrontées exacerbent les défis suscitant ce choc identitaire.
Cohen-Émérique (2013) propose des ressources à mobiliser afin de faire adéquatement face à ce choc identitaire. Parmi celles-ci figure la capacité à relativiser ses principes et ses valeurs, à se soustraire de son propre cadre de référence culturel afin de ne pas le voir comme un cadre universel applicable à tous, mais plutôt comme un cadre singulier et relatif à chaque individu. La compréhension restreinte de la culture et de son influence vient toutefois limiter la mobilisation de cette ressource. Lorsque seules les moeurs comportementales et les valeurs les plus différentes des leurs sont considérées comme étant reliées à la culture, seuls ces quelques éléments sont relativisés aux yeux des intervenants. Les autres paramètres non évalués comme pouvant être reliés à la culture deviennent donc sujets aux réactions défensives précédemment énumérées, n’étant pas compris comme ils devraient ou pourraient l’être, mais demeurant néanmoins à l’oeuvre dans la relation et dans l’intervention.
Le précédent constat, bien qu’alarmant, met également en lumière une solution potentielle aux impasses relationnelles qui sont rapportées dans les situations d’incompréhension culturelle qui donnerait un plus grand pouvoir d’agir aux intervenants, qui se sentent souvent démunis lorsque confrontés à ce genre de situation (Cohen-Émérique, 2013). Une meilleure maîtrise du paramètre culturel pourrait répondre à ce sentiment d’impuissance, en permettant aux intervenants de faire une évaluation plus exhaustive de la situation, mais aussi une évaluation plus précise et adéquate des conséquences des actions et des interventions portées, afin que la culture devienne un levier à l’intervention plutôt qu’un obstacle.
Forces et limites
La présente étude contribue de manière originale aux écrits entourant l’alliance thérapeutique auprès des adolescents de MEC en contexte de protection par son analyse approfondie différenciant l’influence de l’appartenance ethnoculturelle sur différentes composantes de l’alliance thérapeutique. La plupart des recherches sur l’alliance thérapeutique l’étudient comme un construit homogène; la présente étude met en lumière des influences plus spécifiques à certaines composantes. Le statut d’appartenance à une minorité ethnoculturelle de l’intervieweur pourrait avoir facilité la prise de contact et la conduite des entrevues semi-structurées, tout particulièrement avec les jeunes contrevenants, qui semblaient se sentir à l’aise de parler et de nommer les difficultés vécues. Ce statut aurait toutefois pu rendre certains intervenants, majoritairement d’origine québécoise, moins à l’aise de parler de leurs incompréhensions culturelles; cette limite potentielle a toutefois été freinée étant donné que ces entrevues ont été conduites, pour la plupart, au téléphone.
L’étude présente cependant certaines limites. À un niveau méthodologique, l’hétérogénéité des cas de figure en termes de relation dans l’échantillon suggère que sa taille pourrait avoir été insuffisante pour atteindre une réelle saturation, malgré l’atteinte des critères habituels pour une étude qualitative (Paillé et Mucchielli, 2012). La variabilité au niveau des milieux de vie des jeunes, du type d’intervenants, de la fréquence et de l’intensité des contacts amène à croire qu’un plus grand nombre de participants aurait permis de générer davantage de phénomènes. Une autre limite vient du fait qu’une grande part des informations relatives à la culture a été générée de manière périphérique ou non explicite par les répondants. La conception moins exhaustive de la culture a fait en sorte que plusieurs informations ont été obtenues par le biais d’autres questions traitant de sujets connexes. Il est possible qu’une grille d’entrevue mieux construite ait suscité plus de liens conceptuels chez les répondants et donc généré plus de réponses. Finalement, il se peut également que les postures d’ouverture et d’empathie qui sous-tendent les bienfaits identifiés des pratiques de partage culturel et de la prise en compte de la culture influencent davantage l’alliance thérapeutique que les actions elles-mêmes. En effet, une posture similaire envers un receveur de services issu de tout groupe de population pourrait favoriser l’établissement de l’alliance compte tenu de l’intérêt porté pour l’expérience de la personne (Saint-Jean et Dufour, 2018).
Implications pour la pratique et la recherche
Les résultats permettent d’en savoir davantage sur les pratiques favorisant l’établissement de l’alliance thérapeutique auprès des jeunes de MEC en contexte de protection. Ils permettent d’offrir des pistes de réflexion afin de modifier et bonifier la formation à la compétence culturelle offerte aux intervenants. Cette formation devrait mettre l’accent sur la compréhension même de la notion de culture afin que les intervenants puissent mieux évaluer son importance dans leurs interventions. Sur le plan de la recherche, il serait pertinent de poursuivre le développement des connaissances entourant l’alliance thérapeutique auprès des populations de MEC afin de valider les interventions conduites et d’en comprendre davantage sur les dynamiques relationnelles à l’oeuvre. Les points de vue originaux des adolescents de MEC en contexte de protection, mis en interaction avec les points de vue des intervenants, ont également permis de mettre en lumière la richesse d’une analyse dyadique, qui pourrait gagner à être utilisée dans les recherches ultérieures.
Conclusion
La culture peut avoir une influence autant sur le contact que le contrat établi dans la relation jeune de MEC-intervenant en contexte de protection de la jeunesse. Dépendamment de l’usage qu’en fait l’intervenant, la culture peut devenir un levier ou un obstacle à l’intervention. Toutefois, le rôle que la culture et sa prise en compte ont à jouer dans la relation et dans l’intervention est relatif. Il est donc primordial que les intervenants évaluent préalablement la place que doivent prendre les interventions liées à la culture dans chacune de leurs rencontres interculturelles. Toutefois, bien que la culture puisse être à l’oeuvre, une vision étroite de ce paramètre ne permet pas de l’évaluer et d’y répondre adéquatement. Comprendre l’ensemble des facettes pouvant être touchées par la culture est nécessaire afin d’intervenir de manière optimale auprès des groupes de MEC.
Parties annexes
Note biographique
Gary Saint-Jean, Ph. D., est psychologue et consultant transculturel au CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (Centre Jeunesse de Montréal) et chargé de cours à l’Université de Montréal. Sarah Dufour, Ph. D., est professeure titulaire à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.
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