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La place des jeunes dans les sphères participatives est un sujet dans l’air du temps. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder aux discours politiques et médiatiques qui dessinent les jeunes comme un groupe désinvesti, traçant le portrait d’une jeunesse peu impliquée, individualiste, indifférente sur le plan politique et inactive face aux situations qui l’interpellent (Becquet et Goyette, 2014; Greissler, 2014a). Néanmoins, la participation des jeunes continue d’être valorisée, voire exigée socialement (Loncle, 2015).

Cet article présente les résultats d’une démarche de recherche menée dans le cadre d’une demande de mise en oeuvre, par la direction d’un organisme responsable de quatre Maisons de jeunes (MDJ)[1] situées dans des quartiers appauvris, d’un Conseil de jeunes (CJ)[2], soit une instance démocratique visant à favoriser une plus grande participation des jeunes aux processus décisionnels[3]. Proposés par le Cadre de référence sur les pratiques en Maison de jeunes (RMJQ, 2012), les Conseils de jeunes ont pour objectif d’assurer un espace d’implication réservé aux jeunes et ce afin de rejoindre les principes fondamentaux de la mission des Maisons de jeunes, notamment d’être des lieux d’apprentissage de la citoyenneté et d’éducation populaire.

Ce projet s’est échelonné sur plusieurs mois et le parcours documenté dans cet article vise à mieux comprendre comment se construit la participation des jeunes qui habitent dans des quartiers précaires, dans un contexte où une structure de participation leur est imposée.

L’article présente d’abord une recension des écrits sur le thème de la participation des jeunes et en dégage un cadre conceptuel s’appuyant sur trois logiques de cette participation. Après avoir exposé la méthodologie de la recherche, il propose une analyse en quatre phases du processus de mise en oeuvre du Conseil de jeunes. En dernier lieu, l’article examine les liens entre l’analyse du processus de mise en oeuvre et les logiques de la participation des jeunes.

Définir la participation des jeunes

À une ère où les parcours de vie des adolescents s’individualisent (De Singly, 2008) et sont marqués par l’incertitude et l’expérimentation (Richez, 2005), la participation apparaît comme un moyen d’accompagner les jeunes « dans leur conquête des attributs de l’âge adulte » (Hbila, 2012, p. 331) et de répondre à un objectif plus large d’intégration sociale (Loncle, 2008). Dans cette perspective, les appels à la participation dans les champs de l’intervention sociale jeunesse et de l’éducation ne cessent de s’accroître (Becquet et Goyette, 2014; Hbila, 2014; Loncle, 2008; Morissette, 2013).

Au Québec, les initiatives de participation visant l’apprentissage et l’exercice de la citoyenneté chez les jeunes sont nombreuses. Elles existent, par exemple, dans les écoles secondaires où des places leur sont réservées dans les conseils d’élèves et d’établissement (Vox Populi, 2019), dans les clubs, associations et comités locaux (CJG, 2018; YMCA, 2019), ou encore dans les organismes communautaires qui s’adressent à cette tranche d’âge (RMJQ, 2012). Quant aux Maisons de jeunes, elles se donnent pour mission spécifique de « tenir un lieu de rencontre animé où les jeunes […] pourront devenir des citoyens critiques, actifs et responsables » (RMJQ, 2012, p. 7).

S’il semble y avoir consensus quant à l’importance de la participation des jeunes, il est possible d’en distinguer des conceptions différenciées, dès lors qu’elle est suscitée dans des contextes spécifiques. Globalement et d’une manière quasi générique, la participation renvoie à une forme d’engagement : une manière de contribuer à des actions collectives ou individuelles (Greissler, 2014a). Cependant, la participation des jeunes demeure un concept large et polyforme. Pour certains, elle signifie « donner de son temps personnel » dans le but d’améliorer la vie collective et reconnaît l’action bénévole, formelle ou informelle, comme une forme de participation (Gaudet, 2012). Pour d’autres, elle renvoie davantage à l’implication des jeunes dans un processus décisionnel, par l’entremise d’un lieu de délibération démocratique (Fortin-Débart et Girault, 2009, p. 130; Mercier, Bomque et St-Germain, 2009; RMJQ, 2012; Vox Populi, 2019). Certains y associent aussi l’objectif d’influencer les orientations de la société (CJG, 2018; Gauthier et Piché, 2001), alors que d’autres y réfèrent plus largement et préfèrent le terme engagement pour traduire l’idée d’une implication active sur les plans politique (Quéniart et Jacques, 2004) ou communautaire (YMCA, 2019).

Dans les écrits s’intéressant aux jeunes en situation de précarité, cette notion tend à être définie au sens de « prise de position », ce qui permet de considérer une composante individuelle qui ne renvoie pas nécessairement à l’affiliation formelle et continue à un groupe ou une organisation (Greissler, 2014b, p.5). En parallèle, les écrits qui s’intéressent à la participation des jeunes de quartiers défavorisés mettent en lumière certains freins à leur engagement au sein d’espaces participatifs. On y discute entre autres d’inégalités sociales dans le processus de socialisation, d’opportunités et de ressources limitées, de rapports méfiants vis-à-vis les décideurs, de difficultés personnelles, de l’absence de bénéfices liés à la participation ou encore d’un sentiment d’impuissance (Benedicto et Moran, 2016; Carrel, 2007; Greissler, 2014b; Hbila, 2012, 2014). Alors qu’ils « se tiennent ou, sont tenus » éloignés des dispositifs de participation (Carrel, 2007, p. 8), les jeunes de quartiers appauvris continuent d’être la cible d’injonctions à la participation dans des structures participatives déjà en place (Becquet et Goyette, 2014; Hbila, 2014). Or, ces espaces participatifs, qui s’adressent plus largement à des jeunes déjà politisés (Loncle, 2008, 2015), peinent à maintenir la participation des jeunes de milieux précaires qui souvent ne s’y reconnaissent pas (Becquet et Goyette, 2014; Hbila, 2014). Enfin, à notre connaissance, peu de recherches se sont intéressées à la manière dont la participation de ces jeunes est construite dans des structures qui ont été pensées pour eux (et non par eux).

Un cadre conceptuel pour distinguer les logiques de la participation des jeunes

Les écrits disponibles permettent de distinguer certaines logiques dans lesquelles s’inscrit la participation des jeunes. En les décrivant ici, nous nous inspirons notamment des travaux de Patricia Loncle (2008), sur les expériences locales des jeunes en Europe, qui mobilisent deux courants distincts – décrits par Beresford (2002) – pour catégoriser les formes d’appel à la participation. Ces travaux décrivent une approche démocratique de la participation qui « vise à accroître la liberté et comprend une activation personnelle et politique » (p. 41) et une approche consumériste de la participation davantage « compatible avec le maintien de services et de politiques déterminés par la vision des metteurs en oeuvre […] et sans implication en termes de partage du pouvoir » (p. 41). À partir de ces travaux et de plusieurs autres, nous avons élaboré une typologie mettant en lumière trois logiques qui éclairent les conditions de la participation des jeunes. Cette typologie est par la suite utilisée pour analyser l’expérience de la mise en oeuvre d’un Conseil de jeunes.

La logique fonctionnelle

La participation des jeunes peut s’inscrire dans une logique fonctionnelle, dans la mesure où elle comporte une dimension utilitaire pour ses promoteurs (Loncle, 2008). Les décideurs et les autorités, en mettant de l’avant un désir d’impliquer les jeunes de manière essentiellement consultative, retirent un certain bénéfice de leur participation, à l’échelle organisationnelle ou à l’échelle sociétale (Beresford, 2002; Loncle, 2008). Plusieurs initiatives dans le domaine de l’éducation et de l’intervention sociale jeunesse véhiculent une telle logique fonctionnelle.

Surtout identifiée dans les écrits portant sur les jeunes dits en difficulté, cette logique de la participation constitue le plus souvent un moyen de canaliser l’énergie des jeunes dans quelque chose qui semble plus utile et productif que les activités auxquelles ils s’adonnent habituellement (Benedicto et Moràn, 2016) et une manière de « réparer » les liens affaiblis qui les unissent aux institutions (Becquet, 2002; Hbila, 2012, 2014; Loncle, 2008). Il s’agit alors de créer un dialogue avec eux et de les associer aux décisions qui les concernent. Il importe néanmoins de se demander à qui peut profiter cette réconciliation avec les institutions. À cet égard, certains écrits suggèrent que l’engagement des jeunes dans différentes sphères participatives est particulièrement convoité par les décideurs lorsque leurs actions se butent à certaines limites (Hbila, 2014; Guillaume et Quiénart, 2004). Guillaume et Quiénart (2004) affirment que l’engagement qui émerge dans de tels contextes répond à une sorte d’appel à la responsabilisation. La participation aurait alors surtout comme finalité de soutenir les autorités en légitimant leurs décisions.

Enfin, la logique fonctionnelle peut aussi renvoyer à un objectif de socialisation des jeunes par l’action sociale (Loncle, 2008; Rabello de Castro, 2016). S’appuyant sur la participation en tant que vecteur de socialisation, on nourrit un objectif d’insertion sociale (Hbila, 2012); la participation prend alors davantage l’apparence d’un mécanisme de reproduction sociale, car elle devient un moyen pour former des citoyens qui adoptent des conduites conformes aux normes sociales dominantes (Carrel, 2013).

La logique critique

La participation des jeunes peut aussi s’inscrire dans une logique critique, dans la mesure où elle s’inscrit d’abord dans un dispositif d’intervention offrant aux jeunes l’opportunité de prendre la parole et d’influencer réellement, c’est-à-dire la possibilité d’exercer un pouvoir d’action. Cette manière d’aborder la participation diffère d’un rapport utilitaire à l’engagement des jeunes, dans la mesure où elle crée un espace de prise de position critique dans l’espace social (Giraud, 2011). Elle permet de considérer l’expression d’opinions et la défense d’idées comme une forme de participation (Guillaume et Quiénart, 2004) par laquelle les jeunes se sentent entendus (Benedicto et Moràn, 2016).

Dans une telle perspective, la participation peut avoir une finalité réparatrice, principalement pour les jeunes dits en difficulté, qui se sentent généralement dépourvus de pouvoir (Loncle, 2015; Walther, Bois-Reymond et Biggart, 2006). Lorsque ces jeunes ont le sentiment que leur parole a du poids et qu’elle est à l’origine de changements, leurs expériences de participation leur permettent de vivre des réussites et de développer un sentiment de compétence, car ils se sentent en mesure d’agir et légitimes de le faire (Boudreau, Jahni et Chatel, 2011).

La logique émancipatrice

Dans une logique émancipatrice, la participation apparaît comme un outil mobilisé par des groupes sociaux ou des communautés qui revendiquent pour exiger du changement. Cette logique, plus militante que les deux précédentes, exprime un idéal souhaité par des communautés opprimées. Elle renvoie typiquement au militantisme traditionnellement reconnu comme une participation active et soutenue à une cause initiée par les communautés elles-mêmes (Greissler, 2014b; Loncle, 2008; Pennec, 2004). Y sont associées des actions telles que des manifestations ou l’implication dans des mouvements sociaux, des partis politiques ou des organisations sociales (Greissler, 2010; Lardeux, 2016).

Cette logique va donc au-delà d’une plateforme d’expression. Elle renvoie à l’action de « se battre pour défendre ses idées » (Quiénart et Jacques, 2004, p. 15) et conçoit la participation comme l’exercice d’une citoyenneté active dans le but de passer d’un état à un autre dans une perspective d’affranchissement d’un groupe ou d’une communauté (Guillaume et Quiénart, 2004). En ce sens, la participation émancipatrice se pose comme étant uniquement au service de ceux qui la pratiquent (Hbila, 2014).

Méthodologie

Afin de mieux comprendre l’expérience de participation des jeunes, cet article s’appuie sur une méthode que nous qualifions d’observation participante réflexive. Cette démarche a permis de lier l’observation participante, qui favorise une interprétation fine et précise des pratiques dans un contexte situé (Le Breton, 2004; Martineau, 2005) à une posture réflexive qui stimule une attitude interrogative et qui incite à questionner ses pratiques (Tourrilhes, 2018). Cette approche est d’autant plus pertinente, voire nécessaire, dans un contexte où nous étions engagée dans cette démarche à titre d’intervenante et de chercheure[4]. Le travail réflexif a ainsi permis une certaine distanciation avec la situation et les évènements liés à la mise en oeuvre du CJ (Tourrilhes, 2018). Cette posture et cette approche de l’intervenante-chercheure ont aussi permis de mettre en évidence le point de vue des acteurs et les logiques, en apparence contradictoires, qui se sont entremêlés, dans la mise sur pied de ce dispositif de participation structuré.

L’ensemble de la démarche est né d’une demande de mise sur pied d’un CJ, formulée par l’équipe de gestion d’un organisme responsable de quatre MDJ à l’intervenante-chercheure (qui était alors une intervenante au sein de l’organisme). Nous avons décidé qu’avant d’initier formellement la mise sur pied du CJ, il faudrait rencontrer les jeunes afin de discuter avec eux de leurs perceptions de leur place dans l’organisme et des moyens qu’ils mobilisaient pour y participer. Ensuite, tout au long de l’élaboration du projet, l’intervenante-chercheure a participé à une quinzaine de rencontres regroupant d’une part les jeunes et d’autre part les intervenants ou l’équipe de gestion. Elle a donc été impliquée à titre d’intervenante responsable du CJ. Au cours de la démarche, de janvier à mai 2018, l’intervenante-chercheure a rencontré une quarantaine de jeunes, garçons et filles, tous et toutes âgés de 11 à 18 ans, qui ont participé, de près ou de loin, à la mise en oeuvre du projet[5].

La cueillette de données s’est réalisée au moyen de la tenue d’un journal de bord dans lequel nous notions nos observations, nos réflexions ainsi que celles des jeunes, dans l’objectif de maintenir une sorte de « dialogue » entre l’intervenante-chercheure et les données (Clarke, 2005). L’usage de ces notes de terrain s’inscrit dans une démarche d’observation participante, mais aussi dans un objectif de réflexivité tout au long du processus (Caratini, 2004; Martineau, 2005).

Une première analyse a été effectuée tout au long de la collecte de données afin d’identifier les besoins et les intérêts des jeunes par rapport au CJ. Ensuite, un deuxième niveau d’analyse a permis de distinguer des conceptions multiples et parfois partagées de la participation des jeunes chez les différents acteurs impliqués (jeunes, intervenants, équipe de gestion). Puis, afin de clarifier les processus à l’oeuvre et de mieux comprendre le mouvement de la participation des jeunes, nous avons regroupé les données produites selon quatre grandes étapes de la mise en oeuvre du CJ. Enfin, nous avons développé une analyse qui croise ces données et les logiques de la participation discutées plus haut.

Ce processus de recherche a suivi une démarche inductive, sans cadre conceptuel préalablement établi. Il est important de noter que la typologie des logiques de la participation a été considérée a posteriori, comme une manière efficace de contraster théorie et pratique de la participation des jeunes. Ce procédé analytique nous a permis de mieux situer les pratiques étudiées et de proposer des pistes d’intervention en matière de participation des jeunes.

Un processus en quatre phases pour mieux comprendre la participation des jeunes

Dans cette section, nous décrivons l’implantation du CJ en quatre phases afin d’analyser comment se construit la participation des jeunes dans un contexte où, rappelons-le, l’objectif final (la création du CJ) avait été défini par d’autres dès le départ (l’équipe de gestion des MDJ). D’emblée, il nous est apparu nécessaire de vérifier si ce projet répondait aux besoins des jeunes (phase exploratoire) et de les consulter afin que le champ d’action et le fonctionnement du CJ s’inspirent de leurs points de vue (phase d’élaboration). Ensuite, nous avons cherché à établir formellement la marge de manoeuvre et les activités éventuelles du CJ en consultant l’équipe de gestion (entente de fonctionnement), avant de débuter concrètement les activités du CJ (phase de pérennisation).

La phase exploratoire

Afin de déterminer si les jeunes percevaient de leur côté un problème d’absence d’engagement et souhaitaient participer davantage à la MDJ, nous nous sommes déplacés dans chacune des quatre MDJ pour discuter informellement avec eux. Nous avons alors constaté un mécontentement des jeunes vis-à-vis certaines décisions de l’organisme : « Pourquoi vous avez vendu l’ancienne van [camionnette], il y a moins de place dans celle-là! », « C’est d’la marde que [la Maison de jeunes] soit fermée après les sorties » (extrait du journal de bord, 10 janvier 2018). De telles insatisfactions ont tendance à être perçues par l’équipe d’intervenants comme des plaintes parfois injustifiées et une absence de reconnaissance de leur travail. Aussi, lorsque nous avons demandé aux jeunes comment il était possible pour eux de s’impliquer, ils ont répondu qu’ils pouvaient exprimer leurs désaccords au sujet de décisions prises par l’organisme et faire part de leurs demandes auprès des gens qui avaient ce pouvoir. Dans l’échange suivant, que nous avons retranscrit à la fin d’une soirée en MDJ, un jeune mentionne que son principal moyen pour exprimer ses besoins est d’en aviser les intervenants, qui à leur tour, peuvent interpeller les personnes concernées.

Sara : Admettons que quelque chose te gosse [te dérange] ou que tu veux quelque chose pour la Maison de jeunes, du matériel, faire une activité, n’importe quoi…Comment tu t’y prends pour que ça se passe ?

Michel : On le dit aux animateurs [intervenants] pour qu’eux, ils e disent à Catherine [coordonnatrice].

Sara :Ok pis si ça marche pas ?

Michel : Ben on l’dit encore mais souvent ça change rien.

extrait du journal de bord, 31 janvier 2018

Bien qu’ils ne soient pas toujours reconnus comme tels, ces commentaires et bien d’autres du même style reflètent à notre avis une forme de prise de position. Ainsi, alors que l’organisme souhaitait plus d’engagement de la part des jeunes, force est de constater qu’un désir de participer les habitait déjà.

Toutefois, l’extrait du journal de bord présenté plus haut témoigne aussi d’un sentiment de ne pas être considérés dans les décisions qui les concernent. Leurs opinions et leurs besoins différaient du fonctionnement établi et plusieurs de leurs idées n’avaient pas vu le jour. Ils avaient tendance à croire que leur parole ne « change[ait] rien » et n’avait pas d’influence dans le processus décisionnel. Plus spécifiquement, les jeunes ont souligné leur absence de pouvoir en tant que participants aux activités, la prise de décision étant réservée « aux monsieurs qui portent des cravates ». Certains jeunes ont aussi expliqué qu’à leurs yeux, la gratuité des activités en MDJ faisait en sorte qu’ils ne pouvaient pas être impliqués dans la prise de décisions et qu’ils étaient obligés d’en accepter les résultats. Tous ces constats renvoient au fait que les jeunes associent la prise de décisions à des positions plus élevées dans la structure hiérarchique de l’organisme.

Nous avons retenu de cette phase exploratoire qu’il existait bel et bien chez les jeunes un désir de participer, mais aussi une croyance qu’ils n’avaient pas de légitimité pour le faire ni de plateforme pour être entendus. Le projet de CJ semblait donc répondre à un besoin des jeunes, surtout dans la perspective où ils souhaitaient avoir une tribune pour se faire entendre. Pour sa part, l’organisme désirait que leur implication dépasse celle de la prise de parole et qu’ils s’engagent plus résolument dans la planification et l’organisation des activités.

La phase d’élaboration

En considérant la situation et les points de vue exprimés par les jeunes, nous leur avons proposé le projet de CJ. Au début, plusieurs se sont montrés méfiants et ont questionné les intentions sous-jacentes. Certains ont dénoncé l’inutilité d’une telle plateforme qui, selon eux, ne serait pas davantage considérée dans la prise de décisions. L’expression « ça ne changera rien » revenait encore et encore. De telles observations ont aussi été faites par Becquet (2002), qui explique l’absence de confiance des jeunes en l’efficacité des instances participatives par la crainte que leur parole soit instrumentalisée.

Toutefois, au fil des discussions et grâce au travail des intervenants qui soulignaient aux jeunes l’occasion qu’ils auraient de prendre la parole, les jeunes se sont montrés intéressés à en savoir plus. Nous avons donc invité tous les jeunes à une rencontre dont les objectifs étaient de leur présenter ce qu’est un CJ et d’en élaborer une formule qui soit à leur image. Au total, 14 jeunes s’y sont présentés.

Au début de cette rencontre, nous avons voulu expliquer aux jeunes le fonctionnement du processus de prise de décisions au sein de l’organisme, au moyen d’un organigramme, de manière interactive et accessible. Toutefois, à ce moment, le motif de leur présence à cette rencontre semblait tout autre. Un extrait du journal de bord permet d’illustrer ces propos :

La présence de quatorze jeunes m’a d’abord amenée à prendre pour acquis que le projet les intéressait, puis, j’ai senti la pression de devoir les convaincre. Comme s’ils me testaient, moi, ou la pertinence du projet. Comme j’avais prévu consacrer cette rencontre à l’élaboration d’une formule pour le CJ, aucun moment n’était prévu pour qu’ils puissent formuler des demandes ou nommer leurs besoins. C’est pourtant ce qui semblait motiver la présence de plusieurs jeunes ce soir. Après avoir fait part de cette observation aux jeunes, j’ai pris un moment pour écouter leurs demandes et noter leurs besoins en leur demandant : « Maintenant que j’ai tout noté ça, vous voulez que je fasse quoi avec ? » Les réponses ont été simples : « le faire », « le dire à Catherine [coordonnatrice] », « le dire à la madame qui a les cheveux gris [directrice] ». Cette discussion m’a permis de faire le pont avec l’organigramme et les lieux de prise de décisions dans l’organisme (dont ils étaient très peu informés) en soulignant l’absence d’un endroit où les jeunes pouvaient se faire entendre.

extrait du journal de bord, 22 février 2018

Ainsi, à l’aide d’un grand tableau, de quelques crayons et de plusieurs dessins, les jeunes ont été guidés dans leurs réflexions, de manière à comprendre la distribution du pouvoir dans l’organisme. Nous avons alors constaté que les jeunes n’avaient pas, ou avaient très peu, de connaissances concernant le fonctionnement d’un organisme communautaire et que plusieurs d’entre eux ignoraient la présence d’une direction, d’un conseil d’administration (CA) et d’une assemblée générale annuelle.

Les jeunes ont donc été amenés à constater ce qu’ils savaient déjà, soit qu’ils ne bénéficiaient d’aucune plateforme facilement accessible pour participer. C’est à partir de ce moment que la présence d’un CJ est apparue à leurs yeux comme étant pertinente. Nous nous sommes alors attardés ensemble aux fondements et aux objectifs du CJ. Nous avons demandé aux jeunes d’expliquer, à la lumière de ce qu’ils savaient, à quoi pourrait servir le CJ. Ils ont notamment identifié l’organisation d’ateliers, de sorties et d’activités de financement. L’accent que les jeunes ont placé sur un objectif de représentation a aussi retenu notre attention. Selon eux, le CJ devait servir à « représenter » tous les jeunes afin que leurs opinions et leurs demandes puissent être « proposées, expliquées et défendues ». La Figure 1, élaborée avec les jeunes et analysée plus loin, permet d’en faire le constat. À l’évidence, l’appréciation positive qu’avaient les jeunes du projet de CJ résidait dans le fait que sa mise en place créerait un lieu d’expression et de défense de leurs idées, ce qui a été noté dans d’autres études (Benedicto et Moràn, 2016; Guillaume et Quiénart, 2004).

Ensuite, nous nous sommes penchés sur une éventuelle méthode de fonctionnement. Nous leur avons demandé : « Selon vous, qu’est-ce que ça prendrait pour qu’une rencontre du CJ se déroule bien ? ». Les jeunes ont d’abord identifié quelques éléments tels qu’un lieu de rencontre et du matériel, mais ils ont poussé leur réflexion jusqu’à définir les qualités recherchées chez les jeunes qui en seraient les membres. Parmi les caractéristiques identifiées, ils ont nommé « l’engagement », qu’ils ont défini en fonction de l’implication dans l’organisation d’activités et la participation à celles-ci. Puis, ils ont spontanément évoqué une série de rôles qu’ils jugeaient nécessaires : un « leader », un « responsable des notes », un « responsable du budget » et des « participants ». Nous avons indiqué aux jeunes que ces rôles reflètent les postes généralement occupés dans un conseil d’administration (président, secrétaire, trésorier, administrateurs) et ils ont peu à peu intégré ces mots à leur langage à partir de cette rencontre. Ces nouveaux rôles semblaient leur apporter un sentiment de fierté. En effet, alors que l’intervenante-chercheure ramenait les jeunes à leur MDJ à la suite d’une rencontre du CJ, les jeunes ont évoqué le sentiment d’être « importants », des « genre de chefs de l’[organisme] ».

À la suite de cette rencontre d’élaboration, nous avons rédigé des documents officiels (voir un extrait à la Figure 1) en vue de consigner par écrit les éléments élaborés en partenariat avec les jeunes; ces documents tiennent aussi compte d’éléments jugés importants par l’équipe de gestion (voir la prochaine section). Ils ont alors été proposés aux jeunes, qui les ont acceptés à la première rencontre officielle du CJ.

Figure 1

Extrait du document explicatif du CJ réalisé avec les jeunes

Extrait du document explicatif du CJ réalisé avec les jeunes

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L’entente de fonctionnement

La fin de la phase d’élaboration a été marquée par une entente avec l’équipe de gestion de l’organisme au sujet du fonctionnement du CJ. Ainsi, suivant la rencontre d’élaboration que nous venons de décrire, les orientations formelles du CJ ont été discutées avec l’équipe afin de préciser la portée de ses actions. L’organisme n’ayant pas l’habitude d’inclure les jeunes dans ce type de rencontre, celle-ci s’est déroulée uniquement en présence de l’intervenante-chercheure. En l’absence d’une définition claire et précise des actions du CJ, l’équipe de gestion a proposé qu’il ait la responsabilité d’organiser quatre activités durant l’année : les fêtes d’Halloween et de Noël, l’assemblée générale annuelle des jeunes (AGAJ) qui a pour but de recueillir des idées pour la planification estivale, ainsi qu’une activité au choix. L’entente de fonctionnement qui a découlé de cette rencontre prévoit que le CJ bénéficie d’une certaine autonomie décisionnelle pour chacune des activités en fonction d’un budget alloué par la direction. Si cela semble réduire considérablement le pouvoir d’action des jeunes, l’objectif de l’équipe de gestion était de favoriser leur mobilisation par l’entremise de ces activités, afin qu’ils prennent confiance en leurs moyens, développent un pouvoir de recommandation et proposent eux-mêmes des projets qui les interpellent.

L’entente de fonctionnement permet au CJ d’être une plateforme d’expression et un lieu d’influence et de recommandation principalement en ce qui concerne le choix des activités réalisées en MDJ. Une plus grande marge de manoeuvre ainsi qu’un plus grand rôle du CJ dans le fonctionnement de l’organisme auraient pu être souhaités. Ainsi, ce qui, à l’origine, a été présenté aux jeunes comme une opportunité de participer au processus décisionnel de l’organisme, est davantage devenu un espace d’organisation encadré dans lequel ils sont relativement libres de prendre des décisions. Dans cette optique, l’essentiel du pouvoir continu de résider entre les mains des adultes (intervenants, coordination, direction, CA) selon une conception hiérarchique de la prise de décisions. Cela renvoie à une logique fonctionnelle de la participation des jeunes et se traduit par une nécessité du CJ de rendre des comptes. Ainsi, ses membres doivent faire preuve de bonne volonté et montrer aux « vrais » décideurs que le CJ répond aux attentes s’ils veulent maintenir et éventuellement élargir leur champ d’action.

Dans l’ensemble, l’entente de fonctionnement entérinée lors de la mise sur pied du CJ reposait sur la poursuite d’un intérêt commun, celui de la participation des jeunes. Toutefois, les disparités d’application révèlent des motivations différenciées entre les jeunes et l’équipe de gestion au sujet de la légitimité du dispositif de participation.

La phase de pérennisation

La phase de pérennisation a débuté après la mise en oeuvre de l’entente de fonctionnement. Au moment de rédiger cet article, cette phase durait depuis quelques mois. Depuis sa mise sur pied, nous avons remarqué que le CJ est de plus en plus utilisé à des fins autres que l’organisation d’activités. Il est sollicité par des jeunes qui n’y siègent pas nécessairement, ce qui témoigne de sa pertinence pour l’ensemble des jeunes. Par exemple, les jeunes d’une des Maisons ont proposé que le CJ rédige une lettre à l’intention de la direction afin de demander, arguments à l’appui, un nouveau panier de basketball. Cet exemple porte à croire que les connaissances qu’ont acquises les jeunes par l’entremise du CJ au sujet du fonctionnement décisionnel de l’organisme leur donnent un sentiment de compétence pour prendre la parole et faire valoir leurs idées. Ainsi, au-delà des activités que le CJ a été appelé à organiser par l’équipe de gestion, il semble fournir un véritable espace pour s’exprimer et demander des changements, même si ces changements sont pour l’instant à petite échelle.

Il importe de noter que la pérennisation du CJ repose non seulement sur les jeunes mais aussi sur le type d’accompagnement qui leur est fourni par les adultes. Tout au long du processus de mise en oeuvre du CJ, nous avons adopté une posture de soutien et avons porté un intérêt particulier aux attentes des jeunes sans leur imposer nos propres attentes et ambitions. Nous avons accepté que nos idées soient remises en question et même désapprouvées. Afin de laisser aux jeunes une plus grande marge de manoeuvre décisionnelle, ils ont pu faire leurs propres démarches, se tromper, se rendre compte de leurs erreurs et se réajuster.

L’extrait suivant fait état de la posture qu’a adoptée l’intervenante-chercheure vis-à-vis certaines décisions prises par les jeunes :

En lisant la liste d’achats à la suite de la rencontre d’hier, j’ai réalisé que [les jeunes] avaient prévu beaucoup trop de hot-dog pour l’AGAJ. Je me suis demandé si je devais soumettre la liste d’achats de cette manière ou modifier les quantités. Quel message j’envoie aux jeunes si je modifie leur liste sans les consulter et que j’assume que je sais mieux qu’eux les quantités nécessaires? Lorsqu’ils se rendront compte que j’ai changé les quantités, vont-ils le recevoir comme un manque de confiance de ma part, indépendamment du fait qu’ils aient raison ou non? Je me suis demandé : vont-ils se sentir considérés? La réponse a été non. J’ai donc soumis la liste telle quelle.

extrait du journal de bord, 25 mai 2018

Lors de l’AGAJ, les jeunes se sont vite rendu compte qu’il y avait trop de nourriture. Ils ont proposé de congeler les surplus en vue d’une levée de fonds ou d’une prochaine activité en MDJ. Dans d’autres situations, nous avons senti que les jeunes avaient besoin d’être guidés dans leur démarche. Par exemple, dans le cadre de cette même activité, les jeunes se sont penchés sur la portion du budget qui serait allouée au repas, sans avoir considéré les dépenses pour le matériel nécessaire à différents jeux qui auraient lieu lors de cette journée. Lorsque l’intervenante-chercheure a attiré leur attention sur le fait qu’il ne resterait plus suffisamment d’argent pour les jeux, ils lui ont demandé « Combien ça coûte pour les activités? » Elle leur a suggéré de faire une liste de tout le matériel dont ils avaient besoin, puis de vérifier ce qu’ils avaient déjà dans leur MDJ et finalement de prévoir au budget l’achat du matériel supplémentaire.

Un besoin d’encadrement existe aussi pour le bon fonctionnement des rencontres. Un extrait du procès-verbal (Figure 2) de la première rencontre du CJ permet d’en rendre compte, lorsqu’un jeune a demandé que l’intervenante-chercheure « fasse sortir » les jeunes qui nuisaient au bon déroulement de la rencontre :

Figure 2

Extrait du procès-verbal de la première rencontre officielle du CJ

Extrait du procès-verbal de la première rencontre officielle du CJ

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Cette conception de l’accompagnement implique d’accepter l’idée que les jeunes feront usage du CJ d’une façon qui diffère des attentes des intervenants et de demeurer disponible pour répondre à leurs besoins; il apparaît donc important de trouver un juste milieu entre marge de manoeuvre et encadrement.

Enfin, nous notons que le clivage entre les attentes organisationnelles et les attentes des jeunes comporte des risques. Dans un contexte où l’aspect consultatif du CJ paraît modeste, les jeunes pourraient se retrouver insatisfaits devant l’insuffisance du poids accordé à leurs propos et se désintéresser du dispositif, comme l’ont noté Becquet (2002) et Hbila (2014); l’absence de résultats pourrait aussi intensifier un sentiment d’indignation déjà présent. Pour l’instant toutefois, les jeunes semblent satisfaits avec le pouvoir de recommandation et d’organisation qu’ils détiennent. Somme toute – et malgré ces mises en garde au sujet de la pérennisation du projet – le CJ semble répondre de façon positive à un objectif de participation en permettant aux jeunes de mieux connaître les processus décisionnels et de développer des moyens concrets pour s’investir dans un espace de parole démocratique et expérimenter une certaine autonomie dans la prise de décision.

Le Conseil de jeunes, une logique de participation bricolée

Le processus de mise en oeuvre du CJ renvoie essentiellement à un profil de participation « suscitée [et] accompagnée » (Greissler, 2014b, p. 6). Cependant, cette attitude plus dirigiste de l’organisme ne doit pas faire oublier que le processus a clairement permis aux jeunes d’accroître leur pouvoir d’action, d’exercer des rôles qu’ils ont définis eux-mêmes et de participer au développement de leur milieu. Dans la mesure où le rôle des jeunes et leur appropriation du projet et du CJ lui-même ont évolué au fil des mois, nous considérons que le processus s’apparente à une sorte de « bricolage » dans lequel certaines orientations du processus et du CJ relèvent d’une logique fonctionnelle, alors que d’autres renvoient davantage à une logique critique, voire à une logique émancipatrice.

Sur le plan de la logique fonctionnelle, le projet tel que conçu par l’équipe devait servir à influencer les conduites des jeunes en les positionnant comme des acteurs principaux de leur situation dans les MDJ. Dans cette perspective, les jeunes seraient davantage « responsabilisés » au sein de l’organisme en raison de la possibilité de s’engager dans le CJ. La participation des jeunes est ainsi profitable aux décideurs parce qu’elle opère une sorte de réconciliation entre les volontés de l’équipe de gestion et celles des jeunes. D’une part, elle vise à susciter le soutien des jeunes pour les décisions prises par l’équipe de gestion. D’autre part, l’incitation à la participation formelle des jeunes constitue une façon de canaliser des formes de participations perçues comme étant dérangeantes ou désorganisées.

Cependant, la position qu’adoptent les jeunes sur ce même projet met davantage en relief une logique critique de la participation. Comme nous l’avons vu plus haut, ces jeunes qui avaient rarement accès à une tribune pour prendre la parole y ont vu une opportunité, dès la première rencontre, de prendre position à l’égard de situations qui les concernaient ou qui les dérangeaient. Le projet de CJ prend ici un sens particulier dans la mesure où il crée un espace ouvert à leur parole, dans un milieu économiquement précaire où de telles opportunités se font généralement rares (Walther et coll., 2006). Ainsi, l’utilisation qu’ils ont faite du projet de CJ est plutôt ancrée dans une vision où des acteurs se mobilisent pour prendre parole. L’évolution des perspectives des jeunes impliqués dans le projet montre qu’il a permis de nourrir chez plusieurs un sentiment de confiance en leurs capacités à s’exprimer, à faire des choix et à occuper un rôle actif dans l’organisme.

Enfin, certains éléments documentés plus haut rappellent une conception plutôt émancipatrice de la participation des jeunes. Les jeunes semblent, en effet, de plus en plus enclins à souhaiter que soit reconnue la légitimité de leurs démarches. Reprenons ici l’exemple des jeunes qui souhaitent obtenir un panier de basketball. Devant l’absence de réponse par l’équipe de gestion, les jeunes ont décidé de s’adresser à la direction de l’organisme en lui présentant une liste d’arguments. Ce passage de la prise de parole à l’action concrète et organisée renvoie à une logique émancipatrice, même s’il s’agit d’un enjeu à portée sociale limitée.

En somme, en s’appropriant le mécanisme de participation dont le démarrage et les balises avaient été définis par l’équipe de gestion, les jeunes l’ont, entre autres, considéré comme un lieu d’exercice de leurs capacités d’organisation (comme le souhaitait l’équipe de gestion), mais ils l’ont aussi utilisé comme un lieu de prises de parole et de position, puis comme un espace pour mener des actions concrètes de changement. Sachant que les dispositifs structurés comportent plusieurs limites à la participation des jeunes en situation de précarité, qui peuvent être déçus lorsque les formes de participation qui en émergent s’éloignent de leurs attentes (Becquet, 2002; Carrel, 2013; Greissler, 2014a; Hbila, 2012, 2014), ce constat ressort comme un élément important. Se l’étant approprié comme un lieu pour prendre la parole, prendre position et agir, les jeunes ont fait correspondre ce dispositif à leurs besoins. En fin de compte, c’est ce qui permet de maintenir leur participation et d’éviter qu’ils s’en désintéressent. Il reste à déterminer si les actions de changement à petite échelle pourraient éventuellement s’élargir, aux champs de l’organisme ou du quartier par exemple.

Il faut souligner que ni l’une ni l’autre des trois logiques en présence n’était fixée au cours du processus de mise en oeuvre du CJ et que celles-ci ne nous paraissent pas non plus fixées une fois pour toutes dans son fonctionnement actuel. Le déplacement d’une logique à une autre ne semble ni linéaire ni irréversible et chacune des logiques semble pouvoir coexister au sein du même mécanisme de participation. Toutefois, il est essentiel que les perspectives des jeunes, des intervenants et des décideurs soient considérées conjointement pour éviter que le projet de CJ ne stagne ou ne se replie sur une logique essentiellement fonctionnelle.

Conclusion

Dans l’ensemble, l’étude de ce processus a permis de constater que la participation des jeunes se construit, au sein d’un dispositif structuré, à partir de conceptions hétérogènes des acteurs impliqués. En l’occurrence, nous avons pu montrer que les logiques fonctionnelle, critique et émancipatrice de la participation des jeunes ne sont pas exclusives les unes des autres et qu’elles peuvent, au contraire, être mobilisées conjointement dans un seul et même dispositif de participation. La réalisation d’un tel projet, dans lequel l’ensemble des parties y trouve son compte, n’a pas été simple. Le rôle de l’accompagnement étant essentiel, il exige une connaissance approfondie du contexte organisationnel, une posture réflexive, une écoute attentive de tous les instants et un positionnement clair quant aux intentions des uns et des autres. Alors que la participation des jeunes est de plus en plus convoitée par les décideurs, il importe de rappeler que les mécanismes et les logiques qui la produisent ne sont ni simples ni linéaires.