Corps de l’article

Le passage de l’adolescence à l’âge adulte est une étape cruciale dans la vie d’une personne. Or, le contexte actuel, marqué par de profondes modifications socioéconomiques et la désynchronisation des repères traditionnels définissant l’âge adulte, présente des défis importants aux jeunes (Avery et Freundlich, 2009; Goyette, 2003; Osgood et coll., 2010; Mann-Feder et Goyette, 2019). Ainsi, plusieurs jeunes ont besoin de soutien de la part de leur réseau, au niveau émotionnel ou financier, dans les années suivant leur majorité (Arnett, 2000; Goyette et Frechon, 2013; Mann-Feder et Goyette, 2019). Certains chercheurs proposent le concept d’allongement de la jeunesse pour expliquer ce phénomène (Avery et Freundlich, 2009; Goyette et Frechon, 2013; Mann-Feder et Goyette, 2019).

Alors que la transition à l’âge adulte s’avère un défi de taille pour les jeunes de la population générale, les épreuves rencontrées par les adolescent.e.s dont les difficultés familiales ont entraîné des placements à majorité en milieu de vie substitut[1] semblent souvent insurmontables. Comparativement à leurs pairs, peu d’entre eux et elles bénéficient de soutien de la part de leur réseau à leur majorité, soit au moment où les services en protection de la jeunesse[2] prennent fin (Goyette et coll., 2007; Paulsen et Berg, 2016). Plusieurs rencontrent d’importants défis dans les années suivant l’atteinte de leur majorité (Batsche et coll., 2014; Goyette et Blanchet, 2018; Goyette et coll., 2019; Hook et Courtney, 2011; Jones, 2014; Osgood et coll., 2010; Scannapieco et coll., 2016).

Pour soutenir ces jeunes, différents pays ont développé des programmes de préparation à la vie adulte. Ces programmes visent notamment l’acquisition d’habiletés fonctionnelles, le développement personnel, la poursuite d’objectifs scolaires ou l’employabilité (Courtney, 2009; Healey, 2017). Au Québec, deux études ont mis en lumière que l’employabilité demeure l’objectif central dans ces programmes, alors que les jeunes placés présentent plusieurs besoins nécessitant une intervention de type multidimensionnel (Bernard, 2018; Goyette, 2003; Goyette et coll., 2005).

Notamment, le réseau social est un aspect central à prendre en compte, considérant que plusieurs jeunes doivent compter sur des soutiens externes dans les premières années suivant leur majorité (Arnett, 2000; Goyette et Frechon, 2013; Mann-Feder et Goyette, 2019). Or, pour les jeunes placés, la fin des services de la protection de la jeunesse signifie fréquemment la fin de l’accompagnement dont ils bénéficiaient de la part de leurs intervenant.e.s et de leurs milieux de placement (Goodkind et coll., 2011; Paulsen et Berg, 2016). Leurs parents, généralement eux-mêmes confrontés à des difficultés, ne parviennent pas à leur offrir le soutien nécessaire (Goyette et coll., 2007; Mann-Feder et Goyette, 2019).

Puis, l’employabilité est aussi une dimension essentielle, car l’emploi constitue un important facteur d’insertion sociale, en plus de permettre de subvenir aux besoins de base (Coles, 1995; Goyette et Blanchet, 2018). Plusieurs jeunes réalisant la transition à la vie adulte à partir d’un milieu de vie substitut éprouvent des difficultés à se trouver du travail et vivent dans des conditions de vie précaires (Osgood et coll., 2010; Pecora et coll., 2006; Reilly, 2003).

Finalement, le logement constitue une autre dimension incontournable, car il représente la base stable à partir de laquelle l’individu s’enracine dans son milieu de vie et sa communauté (Goyette, 2003). Or, plusieurs jeunes provenant d’un milieu de vie substitut sont confrontés à l’instabilité résidentielle et même à l’itinérance suite à leur sortie de placement (Fowler et coll., 2009; Goyette et coll., 2019; Osgood et coll., 2010).

Les difficultés rencontrées par les jeunes placés en début d’âge adulte persistent en dépit des programmes de préparation à la vie adulte. La question se pose alors quant à l’efficacité de ces programmes. La prochaine section présente une recension des écrits sur le sujet, puis spécifie les buts et objectifs de la présente recherche. La méthodologie employée est ensuite abordée. La discussion se termine avec une présentation et une discussion des résultats.

Recension des écrits

Des revues systématiques et des méta-analyses se sont penchées sur l’efficacité des programmes de préparation à la vie adulte pour les jeunes placés. Dans leur revue systématique, Montgomery et ses collaborateurs (2006) ont identifié huit études, menées aux États-Unis et au Royaume-Uni, employant un devis non expérimental. Leurs résultats démontrent que certaines interventions visant à préparer les jeunes à la vie adulte semblent avoir un effet positif sur les dimensions évaluées, soit l’emploi, le logement et l’éducation. Or, l’emploi de devis non expérimentaux dans les études retenues atténue la généralisation des résultats. De façon similaire, d’autres revues systématiques sur le sujet ont souligné la présence de limites dans les études individuelles, dues notamment à la variabilité des dimensions mesurées et des programmes évalués et à la présence de faiblesses méthodologiques (par exemple, l’assignation non aléatoire des participant.e.s et l’emploi d’outils non validés) (Bussières et coll., 2015; Naccarato et DeLorenzo, 2008; Yelick, 2017).

Par ailleurs, deux méta-analyses ont mesuré l’efficacité des programmes de préparation à la vie adulte. Heerde et ses collègues (2018) ont identifié seulement huit études contenant suffisamment de données pour réaliser une méta-analyse. Les résultats démontrent que la participation à des programmes de préparation à la vie adulte pourrait être associée à des effets positifs sur les dimensions évaluées, soit l’emploi, le logement et l’éducation. Cependant, les devis méthodologiques employés et la variabilité des dimensions et des périodes de suivi dans les études limitent les résultats obtenus (Heerde et coll., 2018).

Dans sa méta-analyse, Healey (2017) a également sélectionné huit études. Ses résultats indiquent que les mêmes programmes semblent peu efficaces comparativement aux services réguliers pour préparer les jeunes placés à la vie adulte sur les dimensions de l’éducation, du logement, de l’identité, de l’emploi, des finances et des habiletés à la vie autonome. Toutefois, les programmes basés sur l’autodétermination et le développement d’un réseau social à travers un lien privilégié avec un ou une mentor.e ont démontré des résultats légèrement supérieurs aux autres programmes. L’autrice invite à la prudence dans l’interprétation des résultats obtenus, étant donné la petite taille des échantillons dans les études incluses dans sa méta-analyse (Healey, 2017).

But et objectifs de la présente recherche

La recension des écrits révèle que peu d’informations existent pour comprendre les programmes de préparation à la vie adulte, et plus particulièrement leur impact sur le réseau social des jeunes placés. Des études à ce sujet permettraient de mieux comprendre les aspects probants de ces programmes, leur fonctionnement et la façon de les améliorer, en tenant compte de l’évolution des besoins des jeunes.

La présente étude aspire à contribuer aux connaissances actuelles par la réalisation d’une méta-analyse sur les programmes de préparation à la vie adulte en s’appuyant sur des études évaluatives employant des devis de recherche expérimentaux ou quasi expérimentaux. Le premier objectif de l’étude est de mesurer si les programmes contribuent à préparer le passage à la vie adulte des jeunes placés en lien avec les dimensions du réseau social, de l’emploi et du logement, en considérant leur importance cruciale lors du passage à la vie adulte, tel que décrit précédemment. Le second objectif est d’émettre des recommandations afin de bonifier les programmes existants en fonction des résultats obtenus.

Cette recherche s’inscrit en continuité avec les revues systématiques et les méta-analyses recensées précédemment, en incluant les études parues entre 2010 et 2019. De plus, l’étude se penche sur la dimension du réseau social, qui n’a pas été considérée dans les méta-analyses antérieures.

Méthodologie

Cette section présente la stratégie de recherche dans la littérature et les critères d’inclusion des études pour la revue systématique. La démarche employée pour la méta-analyse y est aussi expliquée.

Stratégie de recherche de la littérature

Une revue systématique a été effectuée sur les dix bases de données suivantes : Sociological Abstracts, Social Work Abstracts, Social Services Abstracts, Social Sciences Abstracts, PubMed, PsycINFO, International Bibliography of the Social Sciences (IBSS), Family Studies Abstracts, ERIC, et CINAHL.

Les mots-clés et la stratégie de recherche suivants ont été employés : “aging out” OR “independent living” OR emancipat* OR selfsufficien* OR autonomy OR independen* OR adulthood OR “transition to adulthood” OR “emerging adulthood” OR transition* OR aging OR respons* OR empowerment AND program* OR intervention* OR service* OR support* AND adolescent* OR juvenile OR teen* OR youth OR “young adult” OR child* OR adolescen* OR “young adult*” OR “young people” AND “child welfare” OR “foster care” OR placement OR “foster child” OR “foster youth” OR “child care services” OR “child protection” OR “aging out youth” OR “leaving care” OR “aging out of care” OR foster* OR neglected.

Critères d’inclusion et d’exclusion

Les critères suivants ont été employés pour la revue systématique :

  • Population ciblée : jeunes, suivis en protection de la jeunesse et placés dans un milieu de vie substitut, qui se préparent à la transition ou sont en processus de transition vers la vie adulte.

  • Intervention : toute intervention de préparation à la vie adulte pour les jeunes placés visant les objectifs suivants : préparer et encadrer le passage à la vie autonome des jeunes (incluant le fait de trouver et d’entretenir un logement), les intégrer au marché du travail et les aider à développer des réseaux de soutien.

  • Comparateur : comparaison entre, d’un côté, les jeunes réalisant la transition à l’âge adulte à partir d’un milieu de vie substitut et bénéficiant d’une intervention spécifique visant à les préparer à la vie adulte et, de l’autre, les jeunes effectuant la transition à l’âge adulte à partir d’un milieu de vie substitut ayant reçu les services réguliers.

  • Résultats d’intérêt : mesure de succès des interventions corrélée au fait d’occuper un emploi à temps partiel ou à temps plein suivant la majorité (dimension de l’emploi), d’habiter un logement stable (dimension du logement) et de bénéficier d’un réseau social (dimension du réseau social).

  • Durée de l’intervention : celle-ci débute avant la majorité et se poursuit idéalement au moins un an après l’atteinte de la majorité.

  • Milieux d’intervention : les systèmes de protection de la jeunesse en Amérique du Nord et en Europe.

  • Étendue de la période des publications retenues : du 1er janvier 2010 au 20 mai 2019.

  • Langue : français ou anglais.

  • Devis des études : études expérimentales ou quasi expérimentales qui comparent un groupe de jeunes ayant bénéficié d’une intervention spécifique de préparation à la vie adulte avec un groupe contrôle ayant reçu les services réguliers. Les participant.e.s ont été affecté.e.s au groupe traitement ou au groupe contrôle aléatoirement (aléatoirement signifie que les jeunes ont la même probabilité de se retrouver dans le groupe de traitement que le groupe contrôle). Dans le cas contraire, les caractéristiques avant l’intervention de chaque groupe sont décrites. Les études qui mesurent un même groupe avant et après l’intervention ont été exclues.

  • Données statistiques : études qui rapportent les tailles d’effet des interventions ou des données quantitatives suffisantes pour pouvoir calculer la taille d’effet pour les dimensions pertinentes à la présente recherche (emploi, logement, réseau social).

Les études sélectionnées lors de la revue systématique ont été codées par une seule personne à partir d’un canevas d’extraction de données qui a été raffiné durant le processus de codage.

Méta-analyse

Calcul de la taille d’effet. Pour calculer la taille d’effet des interventions de préparation à la vie adulte sur les dimensions pertinentes à la présente recherche (emploi, logement, réseau social), la statistique g de Hedges a été employée. Cette statistique permet une meilleure estimation de la taille d’effet lorsque les échantillons sont très petits (moins de 20 sujets) et lorsqu’il y a une grande différence entre les tailles des échantillons dans le groupe traitement et le groupe contrôle, comme c’est le cas dans la présente recherche.

Modèle à effet fixe. Les tailles d’effet des études individuelles ont été regroupées selon les trois dimensions identifiées pour cette recherche. Puis, le modèle à effet fixe a été employé pour pondérer les tailles d’effet individuelles obtenues pour chaque dimension. Le modèle à effet fixe a été choisi au lieu du modèle à effet aléatoire, car nous supposons que les études incluses dans la méta-analyse sont relativement homogènes en ce qui a trait à l’intervention, à la population et aux effets mesurés. Ceci est justifié par la faible hétérogénéité de chaque dimension évaluée.

Afin de réaliser la méta-analyse pour chaque dimension, les logiciels RevMan 5 (The Cochrane Collaboration, 2014) et OpenMeta[Analyst] (Wallace et coll., 2012) ont été utilisés.

Évaluation de l’hétérogénéité. L’hétérogénéité a été mesurée de trois façons : par le test du chi carré (Q), le test statistique d’hétérogénéité de I2 et le graphique en forêt. Les lignes directrices suivantes, tirées du guide de Higgins et Green (2011), sont utilisées pour interpréter le test du I2 : une valeur de 0 à 40 % indique une hétérogénéité peu importante; une valeur de 30 à 60 %, une hétérogénéité modérée; une valeur de 50 à 90 %, une hétérogénéité importante; enfin, une valeur de 75 à 100 %, une hétérogénéité considérable. Les résultats de l’évaluation de l’hétérogénéité sont rapportés individuellement pour chaque dimension dans la section des résultats.

Évaluation du risque de biais. Pour déterminer le risque de biais dans les études incluses dans la méta-analyse, le tableau d’analyse des biais de Cochrane Collaboration (Higgins et Green, 2011) a été utilisé. Cet outil permet d’évaluer six sources de biais pour chaque étude : biais de sélection, biais de performance, biais de détection, biais dû à l’attrition, biais de déclaration et autres sources de biais.

Résultats

Résultats de la revue systématique

La recherche sur les bases de données a permis d’identifier 1313 résultats. En excluant les doublons, un total de 977 études a été retenu. Six références additionnelles ont été trouvées en scrutant la bibliographie de deux revues systématiques (Bussières et coll., 2015; Yelick, 2017) et deux méta-analyses identifiées lors de la recension des écrits (Healey, 2017; Heerde et coll., 2018). Une recherche avec des termes plus généraux sur Google Scholar a permis de repérer une étude supplémentaire, portant à sept le nombre total d’études repérées à partir d’autres sources. Au final, la recherche a produit un total de 984 résultats.

Une première lecture des titres et résumés a permis d’exclure 941 études, car elles ne répondaient pas aux critères d’inclusion. Les 43 études restantes ont été lues dans leur totalité. De ces 43 études, neuf ont été sélectionnées pour la méta-analyse.

Études incluses dans la méta-analyse

Neuf études ont été sélectionnées pour la méta-analyse. Toutes ces études ont été menées aux États-Unis. Le tableau 1 présente les caractéristiques des études retenues. Les trois dernières colonnes du tableau n’affichent pas une liste exhaustive des dimensions mesurées, mais plutôt celles jugées pertinentes pour la présente recherche. Chaque dimension est mesurée dans cinq des neuf études retenues; ainsi, la dimension de l’employabilité est mesurée dans cinq études individuelles, celle du réseau social dans cinq études individuelles et celle de l’emploi dans cinq études individuelles.

Le rapport de Courtney et coll. (2011b) et l’article de Greeson et coll. (2015b) utilisent les données de la même recherche qui porte sur le Massachusetts Adolescent Outreach Program for Youths in Intensive Foster Care (MA Outreach). Toutefois, Courtney et coll. (2011b) mesurent l’effet du programme sur les dimensions de l’emploi et du logement, alors que Greeson et coll. (2015b) mesurent l’effet du programme sur la dimension du réseau social.

Six études ont utilisé un devis expérimental et trois études ont utilisé un devis quasi expérimental avec assignation non aléatoire des participant.e.s aux groupes. Les participant.e.s dans le groupe contrôle et le groupe traitement étaient comparables dans ces études. Dans le cas contraire, des pondérations statistiques ont permis de corriger les différences. La taille des échantillons variait de 24 à 4206 jeunes.

Le tableau 2 décrit les caractéristiques des programmes offerts aux participant.e.s dans le groupe traitement.

Tableau 1

Caractéristiques des études retenues pour la méta-analyse

Caractéristiques des études retenues pour la méta-analyse

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des études retenues pour la méta-analyse

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des études retenues pour la méta-analyse

Légende

N : taille de l’échantillon total

S. O. : dimension non mesurée dans l’étude

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Tableau 2

Caractéristiques des programmes

Caractéristiques des programmes

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des programmes

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des programmes

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des programmes

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Résultats de la méta-analyse

Pour interpréter les tailles d’effet obtenues, les lignes directrices suivantes ont été suivies (Glen, 2016) : un g de Hedges d’une valeur de 0,2 indique une taille d’effet faible; une valeur de 0,5, une taille d’effet modérée; et une valeur de 0,8, une taille d’effet forte. L’intervalle de confiance pour tous les résultats est de 95 %. L’évaluation de l’hétérogénéité est illustrée pour chaque dimension individuelle (emploi, logement, réseau social).

Dimension de l’emploi. Un total de 10 sous-dimensions relatives à l’emploi ont été évaluées à travers cinq études. Les sous-dimensions et les résultats de la méta-analyse sont présentés dans la figure 1. La taille d’effet pondérée pour cette dimension est de 0,07 (p = 0,009). Ce résultat signifie que les programmes de préparation à la vie adulte évalués dans les cinq études n’ont qu’un très faible effet favorisant le groupe traitement pour la dimension de l’emploi.

La valeur de p pour le test du chi carré est de 0,755, correspondant à une hétérogénéité faible. La valeur du test de I2 est de 0 %, indiquant elle aussi une hétérogénéité peu importante. En d’autres mots, il y a peu de variabilité clinique ou méthodologique entre les cinq études pour la dimension de l’emploi. Par conséquent, la différence entre les effets mesurés dans les études individuelles est attribuable à des erreurs aléatoires ou au hasard.

Figure 1

Résultats de la méta-analyse pour la dimension emploi

Résultats de la méta-analyse pour la dimension emploi

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Dimension du logement. Une première taille d’effet pondérée pour la dimension du logement a été calculée à partir de cinq études. Toutefois, nous avons dû exclure l’étude de Lim et coll. (2017), car la valeur de p pour le test du chi carré y était inférieure à 0,001, indiquant la présence d’hétérogénéité. Une nouvelle méta-analyse, excluant cette étude, a donc été réalisée. Les résultats de cette méta-analyse et les 15 sous-dimensions mesurées sont illustrés dans la figure 2.

Suite à l’exclusion de l’étude de Lim et coll. (2017), la valeur de p pour le test du chi carré est de 0,932, signifiant une hétérogénéité faible. La valeur du test I2 est de 0 %, indiquant aussi une hétérogénéité peu importante. La valeur de la taille d’effet pondérée est de −0,11 (p < 0,001). Cette valeur est négative, car la participation à un programme de préparation à la vie adulte devrait réduire l’instabilité de logement. Le résultat obtenu signifie que les programmes de préparation à la vie adulte évalués dans les quatre études n’ont qu’un faible effet favorisant le groupe traitement.

Figure 2

Résultats de la méta-analyse pour la dimension du logement, en excluant l’étude de Lim et coll. (2017)

Résultats de la méta-analyse pour la dimension du logement, en excluant l’étude de Lim et coll. (2017)

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Dimension du réseau social. Un total de 11 sous-dimensions relatives au réseau social ont été évaluées à travers cinq études. La figure 3 présente les sous-dimensions mesurées et les résultats de la méta-analyse. La taille d’effet pondérée est de 0,03 (où p = 0,291). Ainsi, aucun effet significatif des programmes de préparation à la vie adulte n’a été identifié pour la dimension du réseau social. La valeur de p pour le test du chi carré est de 0,952, signifiant une hétérogénéité faible. La valeur du test de I2 est de 0 %, indiquant là aussi une hétérogénéité peu importante.

Figure 3

Résultats de la méta-analyse pour la dimension du réseau social

Résultats de la méta-analyse pour la dimension du réseau social

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Discussion

Principaux constats

Dans le cadre de la présente recherche, des études employant une méthodologie rigoureuse ont été sélectionnées pour la méta-analyse. Afin d’assurer une uniformité des programmes recensés, un des critères de sélection requérait que les programmes partagent des objectifs communs. Malgré notre intention de cibler des programmes similaires, des disparités demeurent, faisant en sorte qu’il est difficile de se prononcer sur l’efficacité globale des programmes. Ce constat rejoint celui des méta-analyses et revues systématiques sur le même sujet (Bussières et coll., 2015; Healey, 2017; Heerde et coll., 2018; Montgomery et coll., 2006; Naccarato et DeLorenzo, 2008; Yelick, 2017).

La revue systématique a permis d’identifier neuf études aux données suffisantes pour réaliser une méta-analyse. Les résultats indiquent que les programmes de préparation à la vie adulte ont un très faible effet favorisant le groupe traitement pour les dimensions de l’emploi et du logement, comparativement aux services habituels (services réguliers en protection de la jeunesse). Aucun effet significatif n’a été trouvé pour la dimension du réseau social.

Ces résultats peuvent possiblement être expliqués par la courte durée des programmes, qui n’englobent que partiellement la période de post-placement durant laquelle ces jeunes sont particulièrement vulnérables (Avery et Freundlich, 2009; Keller et coll., 2007; Scannapieco et coll., 2016). Deux programmes, le LifeSkills Training Program (LST) et le Caring Adults “R” Everywhere (CARE), ne durent que quelques semaines. Le LST, en plus d’être de très courte durée, néglige (du fait de sa modalité d’application en salle de cours) l’aspect relationnel du passage à la vie adulte, aspect pourtant essentiel pour accompagner les jeunes dans leur cheminement vers la vie adulte (Goyette, 2006; Mann-Feder et Goyette, 2019; Propp et coll., 2003).

Dans sa méta-analyse, Healey (2017) constate que les programmes qui adoptent une approche relationnelle semblent avoir obtenu des résultats légèrement supérieurs aux autres programmes. Des recherches évaluatives supplémentaires devraient se pencher sur ce sujet; plusieurs auteurs montrent déjà l’effet positif des relations sociales dans le soutien aux transitions à la vie adulte des jeunes sortant de placement (Avery, 2011; Mann-Feder et Goyette, 2019; Mota et Matos, 2014; Osgood et coll., 2010).

Par ailleurs, nos résultats diffèrent de l’étude de Heerde et coll. (2018) qui conclut que la participation à des programmes de préparation à la vie adulte pourrait avoir des effets positifs. Cette disparité entre nos résultats et ceux de Heerde et coll. s’applique aux dimensions de l’emploi et du logement, communes aux deux études. Il s’agit potentiellement d’une disparité d’ordre méthodologique. Par exemple, une des études incluses dans la méta-analyse de Heerde et coll. (2018) est celle de Brown et Wilderson (2010); or, nous avons exclu cette dernière étude, car le groupe traitement et le groupe contrôle y ont reçu une intervention similaire. Ainsi, en utilisant des critères d’inclusion plus étroits, nous n’avons trouvé qu’un très faible effet positif des dimensions de l’emploi et du logement sur les programmes analysés.

Recommandations pour la pratique

Il est primordial d’offrir aux jeunes placés des services qui prennent en considération la réalité actuelle du passage à la vie adulte, caractérisée par un « allongement de la jeunesse » (Avery et Freundlich, 2009; Goyette et Frechon, 2013; Mann-Feder et Goyette, 2019). En ce sens, depuis plusieurs années, les chercheurs et chercheuses mettent de l’avant l’importance de prolonger les services au-delà de la majorité afin d’inclure la période de post-placement (Courtney, 2009; Goyette et coll., 2005; Jones, 2014; Leroux et coll., 2020; Strahl et coll., 2020). Cette période, marquée par la fin abrupte des services en protection de la jeunesse, est souvent la plus éprouvante pour les jeunes. Leroux et coll. (2018) soulignent que le prolongement des services est susceptible d’apporter plusieurs bénéfices, notamment celui d’augmenter la probabilité que les jeunes obtiennent un diplôme d’études secondaires ou professionnelles, de diminuer leur détresse psychologique et de réduire ou d’éviter leurs épisodes d’itinérance.

De plus, il est essentiel de tenir compte des besoins des jeunes placés suivant une perspective multidimensionnelle, non uniquement centrée sur l’employabilité (Bernard, 2018; Goyette, 2003; Panet-Raymond et coll., 2004; Strahl et coll., 2020). Ces recherches recommandent entre autres d’offrir aux jeunes l’accès à des milieux d’hébergement afin de faciliter leur insertion résidentielle et de consolider leurs acquis (Courtney, 2009; Goyette et coll., 2005). Une perspective multidimensionnelle implique aussi de considérer les relations sociales avec l’entourage et la communauté et d’aborder les difficultés psychosociales déjà présentes (Goyette, 2003; Panet-Raymond et coll., 2004).

Dans un contexte où plusieurs jeunes nécessitent du soutien au début de l’âge adulte, il est essentiel de s’attarder plus particulièrement au rôle central des réseaux sociaux dans le cheminement vers la vie adulte et d’incorporer la notion d’interdépendance parmi les services offerts (Coles, 1995; Goyette, 2006; Mann-Feder et Goyette, 2019; Propp et coll., 2003). Ceci passe notamment par un changement de mentalité, par lequel la notion d’interdépendance est amenée à remplacer celle d’indépendance et d’autosuffisance dans notre conception de l’âge adulte. Cette nouvelle perspective doit être visible dans le suivi offert aux jeunes tout au long de leur parcours en protection de la jeunesse — et après. En outre, les évaluations des programmes de soutien au devenir des jeunes placés devraient intégrer le rôle des relations sociales dans la transition à l’âge adulte, par exemple en s’intéressant à l’impact de la continuité relationnelle et d’un soutien continu des personnes significatives dans la trajectoire des jeunes (Propp et coll., 2003).

L’accompagnement des jeunes nécessite aussi l’accès à des services adaptés à leurs besoins et à leur réalité, tant au sein des services de la protection de la jeunesse que dans les autres services offerts dans la communauté. À ce propos, Strahl et coll. (2020) suggèrent que les difficultés rencontrées par les jeunes après leur sortie de placement reflètent possiblement les lacunes des services existants. De surcroît, il faut proposer aux jeunes des options attrayantes qui encourageront leur implication dans les services offerts. À ce sujet, Goyette et coll. (2008) indiquent que les groupes d’entraide et la pair-aidance par des jeunes ayant des parcours similaires pourraient constituer des pistes prometteuses. En effet, ce type d’approche a le potentiel d’être moins intimidant pour les jeunes et de les inciter à utiliser davantage les services disponibles (Goyette et coll., 2010). De plus, la pair-aidance et les groupes d’entraide permettraient de mettre en valeur le rôle actif des jeunes dans leur trajectoire et leur « capacité à être des ressources » et non pas seulement un objet d’intervention (Goyette et coll., 2008).

Forces et limites de l’étude

Dans cette recherche, nous n’avons retenu que les études évaluatives comparant des groupes semblables. Malgré cette précaution, il n’est pas possible de contrôler la contamination qui peut survenir lorsque des jeunes du groupe contrôle ont accès, à partir d’autres sources comme les organismes communautaires, à des services qui offrent des activités comparables à celles dont bénéficient les jeunes du groupe traitement (Bussières et coll., 2015). Cette contamination toujours possible fait en sorte qu’il est difficile d’isoler l’effet du programme évalué.

Par ailleurs, les résultats de la revue systématique sont limités par l’emploi d’une stratégie par mots-clés et par les bases de données consultées; bref, il est possible qu’en ayant employé d’autres mots-clés ou en ayant consulté d’autres banques de données nous ayons trouvé des articles supplémentaires à ajouter à la méta-analyse. Ainsi, des études supplémentaires auraient pu être identifiées avec des mots-clés ou des bases de données ciblés différemment.

Plus spécifiquement, en ce qui a trait à la méta-analyse, seulement cinq études ont été incluses afin de calculer les tailles d’effet pondérées pour chaque dimension individuelle. Les échantillons de certaines de ces études étaient particulièrement petits, soit n = 24 pour l’étude de Greeson et Thompson (2017) et n = 50, suite à l’attrition, dans celle de Jones (2011).

Finalement, nous avons observé une variation dans les temps de mesure (follow-up period) et les dimensions mesurées entre les études. Les temps de mesure variaient de un à quatre ans après le temps zéro. Cette variabilité peut causer des tailles d’effet différentes, la situation n’étant pas la même une ou quatre années après le début de l’étude. Dans l’intervalle, d’autres facteurs (par exemple, la maturation ou des événements particuliers survenant au cours de la vie) peuvent influencer les résultats. Concernant les dimensions rapportées dans les études, on remarque un manque d’uniformité dans la façon dont les recherches individuelles mesurent des dimensions semblables. Par exemple, pour la dimension du logement, certains chercheurs mesurent l’instabilité de logement, d’autres le nombre de mois à l’adresse actuelle ou le taux d’itinérance. Il devient alors difficile de comparer les résultats de ces études et d’en dégager une taille d’effet globale sur une dimension donnée.

Recommandations pour les recherches futures

L’ensemble des études incluses dans la méta-analyse évaluait des programmes états-uniens, ce qui rend la généralisation des résultats en dehors de ce contexte géographique et culturel difficile. Afin de mieux informer la recherche et la pratique au Québec et au Canada, il serait intéressant de réaliser une évaluation du Programme Qualification des Jeunes (PQJ), un programme québécois de préparation à la vie adulte, ainsi qu’une évaluation de programmes similaires à travers le Canada. Ces évaluations devraient se baser sur des devis expérimentaux et quasi expérimentaux, afin de pouvoir, ultimement, les intégrer dans des méta-analyses. Aux États-Unis, les travaux de Courtney et coll. (2019) s’inscrivent dans cette pratique et pourraient inspirer chercheurs et chercheuses. L’objectif est de contribuer à une amélioration continue des politiques et des services dispensés auprès d’une tranche particulièrement vulnérable de la population, afin de leur offrir des conditions optimales pour se développer et s’établir en tant qu’adultes.

Il serait aussi intéressant de vérifier si les programmes de préparation à la vie adulte adoptant une approche relationnelle sont réellement prometteurs, comme le suggère la méta-analyse de Healey (2017). D’autre part, dans notre étude, nous n’avons trouvé aucun effet des programmes sur la dimension du réseau social; cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’y en a aucun. En effet, des raisons méthodologiques pourraient expliquer l’obtention de ce résultat (par exemple, la manière dont cette dimension est mesurée à travers les études). Étant donné l’importance croissante pour les jeunes du réseau social dans un contexte d’allongement de la jeunesse, nous pensons que des recherches supplémentaires devraient se pencher sur ce sujet.

En terminant, il est important de rappeler que la population de jeunes placés qui transitent vers l’âge adulte n’est pas homogène. Les recherches futures devraient s’intéresser aux besoins spécifiques de jeunes placés appartenant à des groupes précis, tels que les jeunes autochtones, les jeunes LGBTQ+ et les jeunes immigrants, et se pencher sur l’adéquation entre les besoins de ces jeunes et les programmes de préparation à la vie adulte actuellement offerts.