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Vous avez connu une longue carrière dans le monde de la documentation. Pouvez-vous nous en présenter le déroulement?

J’ai commencé le lundi 1er juin 1970 comme commis de bureau à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale (BAN). Je devais y rester deux mois. L’emploi s’est transformé en poste à mi-temps pendant trois ans. Ce qui m’a permis de compléter ma licence (baccalauréat) en histoire à l’Université Laval tout en travaillant. J’ai quitté ce poste en août 1973 pour aller faire ma maîtrise en bibliothéconomie à l’Université de Montréal. Par chance, André Beaulieu, qui préparait une bibliographie des brochures québécoises, m’avait obtenu un contrat d’un an pour dépouiller le fonds québécois des brochures de la Bibliothèque nationale à Montréal.

Je suis revenu travailler à la BAN en juillet 1975 comme bibliothécaire de référence, poste que j’ai quitté pour passer au programme de reconstitution des débats en décembre 1981. L’arrêt du programme en 1986 m’a fait retourner à la Bibliothèque nationale, à la Référence des monographies, où j’ai travaillé jusqu’en avril 1990. J’ai alors terminé mon doctorat en histoire du livre à l’Université Laval [NDLR : La thèse a été publiée sous le titre Livre et politique au Bas-Canada 1791-1849 aux Éditions Septentrion en 1991].

Par la suite, j’ai travaillé douze mois au ministère des Communications (bibliothèque administrative), une autre année au Service de référence de la BAN, puis retour au Service de reconstitution des débats. J’y suis resté jusqu’à la fin, c’est-à-dire en 2005. Mes dernières années ont été consacrées à la rédaction de l’ouvrage collectif Québec, quatre siècles d’une capitale, une contribution de l’Assemblée nationale au quatrième centenaire de la ville de Québec.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier?

Le travail de restauration de la mémoire parlementaire par la reconstitution des débats est assurément le travail dont je tire le plus de fierté. Il a occupé plus de 25 ans de ma vie professionnelle.

Cette réalisation est-elle importante pour le milieu documentaire et pour les chercheurs?

Elle est d’abord importante pour le Québec lui-même et vise à combattre l’amnésie collective et l’aliénation qui nous guettent depuis toujours. L’ignorance du passé politique est un terreau fertile pour les démagogues et les populistes de tout genre. La science et la conscience du passé par un recours aux sources permettent de se défendre et, quelquefois, de redresser la tête.

Mais le corpus des débats parlementaires demeure surtout un outil pour les chercheurs qui étudient soit un problème précis ayant soulevé des débats à un moment précis, soit l’évolution d’un plus vaste dossier politique sur une longue période. Les sujets sont nombreux et quiconque étudiera, à l’avenir, un aspect de la société québécoise contemporaine aura intérêt à consulter le corpus. On y trouve matière pour les biographies des personnalités politiques, les questions de droit, d’économie, de culture, les problèmes sociaux, l’agriculture, l’environnement, la famille, les mentalités, la morale politique, l’évolution des structures de l’État, des programmes sociaux, l’instruction publique, la langue française, etc. Pour le chercheur curieux, la lecture des introductions historiques qui accompagnent les sessions reconstituées et la consultation des index permettent de mesurer la richesse de la collection.

Vous avez une profonde connaissance des corpus documentaires québécois. Y aurait-il des secteurs à privilégier et à enrichir, des tables alphabétiques à dresser, des collections à numériser, etc.?

Je crois que l’Assemblée nationale n’a pas fini de mettre en valeur la richesse de son passé et bien des chantiers pourraient être poursuivis. Pour les débats parlementaires du XIXe siècle, il reste encore du travail de mise en valeur à accomplir. Pour la période de l’Union (1841-1867), il serait utile de compléter et de diffuser l’édition des débats qui avait été entreprise par Élizabeth Gibbs à l’Université Concordia dans les années 1970. Le projet pourrait même être financé conjointement par Québec et Toronto, puisque ce Parlement réunissait les députés des deux provinces.

Les historiens de la Bibliothèque travaillent en ce moment à préparer une encyclopédie en ligne sur le parlementarisme québécois. Cet outil sera sans doute le grand chantier des prochaines années à l’Assemblée nationale et ouvrira de nouvelles perspectives à la recherche.

Comment voyez-vous le contexte de l’époque, les moyens dont vous disposiez par rapport à ce que l’on observe actuellement ?

Quand je pense à ce qu’était la bibliothéconomie québécoise à mes débuts et l’état de la profession dans les années 2010, je crois avoir été témoin d’une révolution et être passé d’un monde à un autre. Il me faudrait un solide rattrapage de formation si je devais redevenir demain bibliothécaire de référence à l’Assemblée ou à la Bibliothèque nationale. On a connu des changements fondamentaux dans les règles et les méthodes de travail. C’est une chance historique d’avoir vécu ces changements, car aucune génération de bibliothécaires n’a connu une telle révolution depuis celles des XVe et XVIe siècles, lesquelles ont dû s’adapter à l’arrivée du livre imprimé. Le bibliothécaire du XXIe siècle n’est plus le gardien de la mémoire du monde, mais son diffuseur. L’immensité documentaire, désormais accessible en quelques clics du bout des doigts, oblige plus de rigueur, de discernement, de sens critique pour que le bibliothécaire du nouveau millénaire demeure un bon guide professionnel. Je crois que le métier va trouver de nouveaux défis et de nouveaux horizons en sachant s’adapter aux changements actuels.

Vous avez été fort actif au sein des associations professionnelles. Quels souvenirs en gardez-vous?

J’ai collaboré quelques années avec le comité de rédaction de la revue Documentation et Bibliothèques. J’ai aussi donné un peu de temps au comité des admissions professionnelles de la Corporation des bibliothécaires. Mais ce dont je suis le plus heureux, c’est d’avoir participé à la création de l’Association québécoise d’étude de l’imprimé (AQÉI) en 1987 avec Jacques Michon de l’Université de Sherbrooke et d’autres chercheurs en histoire du livre. Cette association est restée petite. Cependant, elle occupe un créneau de recherche bien marqué. De jeunes chercheurs en sont rapidement devenus membres et poursuivent toujours un travail de mise en commun interdisciplinaire des travaux en histoire de la communication imprimée.

Quel est l’apport de l’AQÉI depuis sa mise sur pied?

L’AQÉI et la chaire de l’Université de Sherbrooke sur l’histoire de l’édition et la sociologie du littéraire ont contribué à réunir des chercheurs de diverses disciplines allant des techniques typographiques à l’histoire littéraire en passant par l’histoire du livre et des bibliothèques. Et à créer un secteur dynamique et cohérent.

Devrait-il y avoir plus de relations entre l’AQÉI et l’ASTED?

L’ASTED a accompagné les débuts de l’AQÉI et plusieurs conférences données aux rencontres de l’AQÉI ont ensuite été publiées sous forme d’articles dans les pages de Documentation et bibliothèques. Il ne tient qu’aux responsables de multiplier encore les occasions de collaboration et d’échanges.

Quelles sont vos perceptions à l’égard de l’évolution en cours (numérisation, réseautage, etc.) et de l’avenir du monde de l’information documentaire ?

Je trouve l’avenir documentaire plutôt enthousiasmant. Je me réjouis de voir de jeunes professionnels qui, tout en prenant le virage de l’avenir et des nouvelles technologies, sont conscients de la valeur du patrimoine dont ils sont responsables et qui savent le faire connaître au plus grand nombre.

Auriez-vous des réalisations à citer en exemples?

Le projet d’encyclopédie parlementaire, évoqué plus haut, en est assurément un pour la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Mais je crois que la diffusion en ligne des catalogues de bibliothèques et la numérisation de nombreuses collections d’imprimés ou d’archives de plus en plus accessibles permettent des recherches qui auraient été impossibles ou du moins très difficiles à réaliser il y a encore un quart de siècle.

Comment résumeriez-vous les convictions ou les idées qui vous ont animé tout au long de votre parcours professionnel?

Mon travail de bibliothécaire et ma formation d’historien m’ont toujours dicté l’importance de souligner le rôle des bibliothécaires et des établissements documentaires dans l’évolution de la société québécoise depuis ses origines. J’espère avoir un peu contribué à donner aux bibliothécaires et aux professionnels de la documentation un peu de conscience et de fierté en raison du rôle qu’ils ont à jouer dans le monde.

Y a-t-il des modèles du milieu québécois qui vous ont inspiré et que vous recommanderiez à ceux qui prennent le relais?

Je crois que chaque génération produit son lot de bons professionnels qui laissent leurs empreintes au sein des institutions. On doit aux écoles de bibliothéconomie de l’Université de Montréal et de l’Université McGill et ainsi qu’aux cégeps, lesquelles offrent des programmes de techniques de documentation, la formation d’un personnel compétent pour les bibliothèques québécoises depuis maintenant un demi-siècle. On doit aussi à Denis Vaugeois, qui fut ministre de la Culture il y a 35 ans, l’impulsion qui a permis un sérieux rattrapage dans le domaine des bibliothèques publiques.

Et la retraite?

Elle a débuté en 2010 mais je reste actif. Avec la Société des Dix, dont je suis membre depuis 1993, j’ai continué des travaux en histoire du livre et des bibliothèques que publient Les Cahiers des Dix. Je poursuis aussi une recherche à plus long terme Pierre-Stanislas Bédard (1762-1829), un pionnier de la démocratie québécoise qui fut également, en son temps, un grand lecteur et un bibliophile dynamique. Il a contribué à la création de la bibliothèque parlementaire du Bas-Canada (1802) et à celle du Barreau de Québec (1811). D’autres projets de publication et des activités de bénévolat dans quelques bibliothèques (dont celle de Sainte-Pétronille à l’Île d’Orléans) occupent bien mon temps.

Des lecteurs des bibliothèques où vous êtes passé vous consultent-ils encore? Avez-vous gardé des liens avec le milieu?

Cela arrive à l’occasion et je ne passe pas un mois sans retourner faire des recherches à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. À chaque fois, je pense au temps qui passe et au temps qui dure, selon le mot de Jean d’Ormesson. Je vois de jeunes bibliothécaires et leurs aînés à l’oeuvre et je sais qu’ils passeront à leur tour le flambeau. Je les vois enrichir et transmettre l’héritage documentaire de la pensée humaine mise à la disposition de tous dans les bibliothèques. Ainsi, ils animent et éclairent notre monde.