Corps de l’article

Introduction

Les fab labs et les médialabs se développent de plus en plus en bibliothèques publiques et les nouveaux projets en bibliothèques tendent à les inclure dans leurs locaux. Qu’en est-il des programmes d’animation dans ces laboratoires ? Y a-t-il des façons particulières d’animer ces nouveaux lieux et quel impact ont-ils sur les services offerts ? En prenant comme exemple le projet de médialab mis sur pied à la bibliothèque de Sainte-Julie, nous tenterons d’exposer les démarches et les observations qui ont permis la mise en place de ce nouveau service.

Les projets de fab labs/médialabs au Québec

À Sainte-Julie

À l’été 2015, la bibliothèque de Sainte-Julie, soutenue par le conseil de Ville, a déposé une demande de subvention auprès du ministère de la Culture et des Communications pour réaliser un projet de médialab. L’élaboration de ce projet faisait suite à la prise de conscience d’exemples inspirants de makerspaces ailleurs dans le monde et à une réflexion quant à l’utilisation des espaces informatiques de la bibliothèque. Puisque ceux-ci étaient de moins en moins utilisés, pourquoi ne pas les transformer en laboratoire d’innovation ou en espace créatif ? L’initiative proposée était en adéquation avec les exigences du ministère et les aspirations de la Ville : le projet a donc été accepté et un montant de 90 000 $ — assumé à hauteur de 50 % par le ministère — a été inscrit au budget 2016. Le médialab a été inauguré le 9 mai 2017 et dessert aujourd’hui une population d’environ 30 000 habitants.

Au Québec

Pendant l’année 2017, plusieurs projets de fab lab/médialab ont vu le jour dans les bibliothèques publiques du Québec grâce aux subventions accordées par le ministère de la Culture et des Communications en vertu d’ententes de développement culturel et aux termes du Plan culturel numérique[1]. En plus du médialab de Sainte-Julie, nommons, entre autres, le créalab de Repentigny, le fab lab de Brossard, le Bennyfab de Montréal, les médialabs de Québec (des bibliothèques Paul-Aimé-Paiement et Félix-Leclerc), le Square de BAnQ, le Studio de Laval, etc. On peut consulter la liste des différents ressources et milieux sur le wiki de Fab labs Québec[2].

Idéation d’un fab lab/médialab

Concevoir les bases d’un tout nouveau concept en bibliothèque est extrêmement stimulant. Il faut se renseigner sur les principes sous-jacents à l’élaboration d’un fab lab/médialab, en comprendre les finalités et les mettre en pratique. Comme nous l’explique Marjolaine Simon :

[…] le Fab Lab est avant tout un lieu d’expérimentation ouvert à tout individu, qu’il soit artiste, entrepreneur, retraité ou simple curieux. Conçu pour favoriser l’innovation, le Fab Lab n’est pas contraint par un cadre fixe, ce sont ses usagers qui le construisent au quotidien et le font évoluer. Lieu de rencontres et de partage, le Fab Lab fait partie des espaces « HOMAGO », terme utilisé pour désigner les trois usages principaux envisagés, mais non exclusifs : Hang-Out, le fait de traîner, source de lien social qu’il soit physique ou virtuel ; Mess Around, le fait de bricoler et de « dé-ranger » ; et Geek Out, le fait de chercher de l’information et des compétences dans un domaine d’intérêt spécifique. La caractéristique principale des usagers du Fab Lab est la volonté de « hacker » ou bidouiller, c’est-à-dire de comprendre le fonctionnement des dispositifs dans le but de les reproduire et de les détourner afin de créer de nouveaux objets ou de nouvelles idées.

Simon 2015, 100-101

Il existe plusieurs dénominations dans le monde du laboratoire en bibliothèques. On retrouve les fab labs, les médialabs, les makerspaces, les ruches d’art et autres labs et les formes hybrides. Le fab lab est un atelier ouvert de fabrication numérique, mais avant tout une communauté, tandis qu’un médialab est principalement un laboratoire d’expérimentation et de production multimédia. Le lexique à la fin du présent article permet de s’y retrouver et de faire ces distinctions parfois subtiles. Cela étant, le reste de cet article se concentrera principalement sur les fab labs et les médialabs.

À Sainte-Julie

Avant de mettre sur pied un projet d’espace de création, la bibliothèque de Saint-Julie a voulu connaître les besoins de ses usagers. Elle souhaitait appliquer une façon de penser différente, qui implique l’usager dans le processus d’idéation des nouveaux espaces. Elle voulait solliciter le citoyen afin qu’il puisse partager ses idées et participer à leur orientation. Pour ce faire, des démarches de consultation ont été entreprises auprès du public, en groupes de codesign-cotravail et par sondage. De plus, une recension de ce qui pouvait être offert sur le territoire a été réalisée ainsi qu’une revue de littérature sur le sujet. L’ensemble de ces moyens a permis d’obtenir des résultats intéressants.

Résultat des enquêtes auprès des usagers

À Sainte-Julie

Ces recherches ont fait ressortir que le concept de fab lab/médialab, ses outils et sa façon d’être étaient alors à peu près inconnus du public. Aujourd’hui encore, cette connaissance semble limitée. Néanmoins, après les explications d’usage auprès des groupes rencontrés, les idées ont jailli et l’enthousiasme a été au rendez-vous. Les besoins exprimés étaient surtout de l’ordre des innovations technologiques, soit l’utilisation d’équipement audiovisuel, de caméra, de montage audio et de logiciels connexes pour en faire des créations multimédias, principalement dans les projets vidéo. Nous avons remarqué une grande curiosité à l’égard de l’imprimante 3D (Ville de Sainte-Julie 2017. Sondage médialab) et une fébrilité face aux possibilités de la découpeuse laser (Bibliothèque de Sainte-Julie 2017. Groupe de co-design). Nous avons aussi noté que les parents se montraient intéressés pour leurs enfants : « Très intéressant, car mon garçon étudie en multimédia au cégep et pourrait utiliser ce genre de service dans le cadre de son DEC. » Ou encore : « Un lieu où mes adolescents pourront enfin utiliser des équipements de création artistiques non disponibles à la maison. » (Ville de Sainte-Julie. 2017. Sondage médialab) Un des éléments qui ont également joué en faveur de l’établissement d’un médialab plutôt que d’un fab lab à Sainte-Julie est la présence sur le territoire du programme d’intégration des technologies (DTIC) offert à l’école secondaire. Les jeunes qui fréquentent ce programme d’études développent des bases en multimédia et la bibliothèque souhaite devenir une extension à leur imagination en leur offrant des moyens de création, d’expérimentation et d’apprentissage. En outre, la collaboration avec le milieu scolaire demeure un objectif pour la bibliothèque et un moyen d’amener les jeunes à utiliser ses services.

Forte de ces constats, la bibliothèque de Sainte-Julie a ainsi pu élaborer l’idée de son médialab.

Place au médialab : Apprendre — Créer — Innover — Partager

À Sainte-Julie

La philosophie et les grandes lignes du médialab ont été élaborées en fonction de l’information colligée. Voici comment la bibliothèque de Sainte-Julie définit son médialab : « Le médialab de Sainte-Julie se veut un lieu citoyen, de rassemblement, de discussion, d’échange, un endroit facilitant les rencontres entre les communautés d’apprentissage, de savoir et de découverte. Ce lieu permet de partager ses connaissances et ses expériences. » (Bibliothèque de Sainte-Julie. 2017. Signet publicitaire) Sa philosophie se fonde sur le précepte suivant : apprendre à apprendre, en offrant la possibilité d’innover et d’expérimenter. Ces objectifs sont mis en application par l’entremise de projets comme la conception de projets musicaux, l’enregistrement de créations musicales, la conception de projets cinématographiques et l’innovation technique.

Nous voulions aussi concevoir un espace création qui s’adresse à tous les citoyens de Sainte-Julie, bien qu’une attention particulière ait été portée à la clientèle adolescente, aux jeunes adultes et aux jeunes entrepreneurs, soit en les sollicitant directement ou en axant la publicité en conséquence. Dans une plus large mesure, le médialab est ouvert à tous ceux qui sont curieux, « patenteux » ou créatifs. Avec l’expérience, nous remarquons que les adolescents et les jeunes adultes sont au rendez-vous, de même que les familles, en particulier les pères et leurs fils. Nos utilisateurs ont la plupart du temps des projets précis en tête et présentent régulièrement un profil technique et, sans avoir été nécessairement ciblés, les hommes récemment retraités répondent à l’appel avec enthousiasme.

La mission des bibliothèques publiques

On doit se réjouir d’un tel engouement, mais une interrogation demeure relativement à la mission des bibliothèques publiques. L’intégration d’un tel espace dans nos services fait-elle partie de notre mission ? Voici ce qu’en dit Marjolaine Simon :

Selon le Manifeste de l’UNESCO pour la bibliothèque publique (1994), l’institution doit être la porte locale d’accès à la connaissance et à même de diffuser au mieux savoirs et compétences. Dans cette idée, les bibliothèques peuvent trouver dans un Fab Lab une nouvelle expression de la diffusion des connaissances au sens large et de la culture scientifique en particulier. En créant un espace d’échanges ouvert à tous, selon les préconisations du MIT, et gratuit, la bibliothèque remplit sa mission d’ouverture tout en s’adaptant à son temps.

Simon 2015, 103

En plus de cela, nous proposons de mettre l’accent sur les objectifs d’éducation et d’apprentissage continu qui font des bibliothèques publiques des lieux privilégiés qui permettent au grand public de progresser et de découvrir les possiblités qui s’offrent à lui. Au reste, il y a suffisamment de place, de besoins à combler et de travail de coopération à accomplir dans les différents milieux qui composent la société pour qu’un ensemble d’institutions ou de regroupements diversifiés puisse développer ses propres espaces de création sans empiéter sur les plates-bandes des autres.

Les espaces de créativité

Pour développer ces espaces de créativité, il est important d’élaborer un programme fonctionnel et technique (PFT). Cette planification des lieux est des plus stimulantes : elle permet de bien penser et situer les services selon le nombre de mètres carrés disponibles. Un exemple de planification d’aménagement optimal des espaces se trouve dans le document de Benjamin Bond pour le médialab de BAnQ[3].

En outre, pour mieux concevoir les espaces nécessaires à un fab lab/médialab, particulièrement en matière de dimensions appropriées aux milieux ou aux services offerts, la Figure 1 présente une référence tirée de L’incubation de Fab Lab en bibliothèque de Marie D. Martel (2017).

fIGURE 1

Tableau des dimensions de fab lab

Tableau des dimensions de fab lab

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À Sainte-Julie

Pour constituer le médialab de Sainte-Julie, nous avons préparé un PFT en tenant compte des besoins des usagers. Ce document a servi de base au travail collaboratif entre les différents services de la Ville (bibliothèque, infrastructures, technologies de l’information) et l’architecte. Nous avons ainsi pu élaborer le projet d’aménagement du local et, par la suite, réaliser, à l’interne, le mobilier et les travaux de construction. Cette collaboration a permis de revoir l’emplacement original (le laboratoire informatique) et d’en choisir un plus approprié (un espace chez les jeunes).

Le médialab maximise l’espace disponible, soit 20 m2, et autorise la disposition de plusieurs équipements de fabrication et audiovisuels. On peut également y délimiter des zones : une zone de fabrication et des zones de production musicale et vidéo. Le local étant situé au rez-de-chaussée, il offre beaucoup de souplesse pour le déplacement des équipements. En plus, la fenestration permet au personnel d’assurer une surveillance à distance. L’accès facile à la salle multifonctionnelle permet également de recevoir de plus grands groupes pour des sessions de formation, en particulier avec le milieu scolaire.

fIGURE 2

Plan du médialab de Sainte-Julie

Plan du médialab de Sainte-Julie

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L’équipement

Faire les achats d’équipement pour un fab lab/médialab n’est pas nécessairement une compétence innée chez les bibliothécaires. Comment savoir quels logiciels, quelles imprimantes 3D ou quelles découpeuses vinyle acheter ? Vaste question ! L’aide de consultants ou de spécialistes dans le domaine est nécessaire pour bien tout cerner et pour faire des achats judicieux. Parfois, au sein même des équipes, on retrouve du personnel qui possède des connaissances dans ces domaines, qui pourront être mises à profit.

À Sainte-Julie

Pour établir la liste d’équipements nécessaires, la bibliothèque de Sainte-Julie a visité les différents fab labs communautaires déjà existants. Nous avons fait appel à nos collègues de bibliothèques qui travaillaient à des projets similaires, mais aussi à nos collaborateurs de la télé communautaire et à d’autres fournisseurs de la Ville et de la bibliothèque. Bref, collaborer, échanger de l’information et avoir un réseau de contacts a pu faire progresser et concevoir le projet de façon optimale.

En fonction des besoins exprimés par la population, le choix des équipements du médialab a été arrêté selon les axes suivants : la production musicale, photo et vidéo ; les machines et outils de fabrications ; les ensembles de création comme les Legos et les Little Bits ; et les équipements et les logiciels informatiques nécessaires au bon fonctionnement du médialab. On trouvera ci-après un tableau présentant les divers équipements du médialab de Sainte-Julie.

Tableau 1

Équipements du médialab

Équipements du médialab

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L’équipe

Pour mener à bien ce genre de projet, l’apport de tous les intervenants est primordial. Le travail de collaboration avec les différents services de la ville est fondamental. L’expertise des infrastructures est indispensable pour la réalisation du lieu dédié au médialab et la conception de ses meubles sur mesures, et pour tisser le lien avec les professionnels en électricité, en ventilation, etc. Les connaissances du personnel des technologies de l’information et des télécommunications (TIT) sont essentielles pour la mise en réseau des équipements, l’installation des logiciels et le soutien technique du matériel informatique. L’appui du personnel de la bibliothèque est également crucial : celui-ci est la courroie de transmission qui assure le succès d’une telle entreprise auprès de la population, sans compter les connaissances qu’il peut transmettre aux usagers…

Pour un projet de cette ampleur, l’embauche d’une personne dédiée au fab lab/médialab est incontournable. En effet, ces espaces sont des entités en soi à l’intérieur des bibliothèques ; des services qui ont une vie propre. Pour leur permettre d’évoluer, l’emploi d’une personne qui sera dédiée au service est indispensable, et ce, très tôt dans le projet.

Ce type d’emploi n’existait pratiquement pas en bibliothèque, auparavant. Les différentes bibliothèques du Québec ont donc dû réfléchir aux compétences et aux qualifications recherchées afin d’identifier les compétences-types pour le poste. Peu ou pas de descriptions de postes n’existaient, voire de titres. Les bibliothèques du Québec ont donc fait preuve d’imagination et, selon leurs besoins, ont créé les postes qui leur étaient nécessaires. Ainsi, bibliothécaires ou non à la base, des coordonnateurs, des chefs de section, des fab managers, des animateurs et des responsables sont apparus dans les fab labs/médialabs.

À Sainte-Julie

À la bibliothèque de Sainte-Julie, un animateur a été embauché 12 heures par semaine pour donner vie à l’espace médialab. Ce nombre d’heures est restreint, mais comme pour toute autre municipalité, la bibliothèque doit composer avec des contraintes financières. Les caractéristiques recherchées pour l’emploi étaient multiples : avoir des connaissances en création musicale, en audiovisuel et avec les outils de fabrication ; avoir des aptitudes en animation ; avoir de la facilité à transmettre ses connaissances et surtout être curieux ; aimer apprendre ; avoir l’esprit d’innovation et adhérer à l’esprit de collaboration afin de partager ses connaissances. Une personne possédant toutes ces compétences n’est pas facile à trouver, mais les candidats provenant de programmes d’études en média interactifs (ou similaires) présentent des atouts intéressants. Dans notre cas, notre choix s’est plutôt concentré autour du partage de la vision du médialab, de la curiosité, de la capacité et de la volonté à apprendre, de la facilité à communiquer sa passion et ses apprentissages, et le fait d’avoir d’excellentes bases dans l’un ou l’autre des éléments constitutifs (voire plus) qui composent le médialab (le reste pouvait être appris au fur et à mesure).

Au Québec

D’autres bibliothèques ont embauché des gestionnaires de fab lab/médialab pour développer leur offre de services et établir des contacts avec les différentes communautés sur leurs territoires. Le rôle du personnel des fab labs/médialabs est en évolution. Comme le mentionne Marjolaine Simon : « Personne ne naît Fab Manager ou forgeur numérique, la connaissance des machines et des logiciels nécessitant un temps de formation tout autant que la gestion du Fab Lab qui va au-delà de l’animation des ateliers, pratique déjà courante dans les bibliothèques et EPN. » (Simon 2015, 106)

À Sainte-Julie

À Sainte-Julie, le fait d’avoir un animateur à temps partiel permet d’offrir des sessions d’animation très appréciées et vivantes. On constate toutefois que seul celui-ci a développé l’expertise spécifique et nécessaire, ce qui précarise la pérennité des activités d’animation. En effet, l’animateur a très peu de temps à consacrer au développement des services offerts, car il doit se concentrer à la prestation des activités. Ce développement est plutôt assumé par la bibliothécaire en chef pour le moment (en plus de la gestion et du développement global du médialab). Dans ce contexte, le travail de l’équipe devient crucial au bon fonctionnement du laboratoire, et ce, tant du côté du personnel de l’aide au lecteur que de celui du comptoir du prêt, chacun ayant des tâches complémentaires au fonctionnement. La présence d’une « remplaçante » en la personne de la bibliothécaire adjointe, qui doit suppléer à l’animateur en cas d’absence, est aussi nécessaire.

Étant donné l’amplitude des heures d’ouverture du médialab (54 heures), le personnel de l’aide au lecteur devient également un acteur clé. Il peut répondre aux questions des usagers, veiller à les orienter et à les installer dans le médialab pour assurer leur autonomie et faire en sorte qu’ils utilisent les équipements de façon sécuritaire. Pour bien le préparer à ces tâches, un travail de sensibilisation a été réalisé. Comme le mentionne Marjolaine Simon :

En premier lieu, la culture scientifique et par extension, technologique est une dimension peu explorée par les bibliothèques en dehors d’établissements spécialisés. Centrée sur la culture livresque, l’institution bibliothèque peine souvent à s’approprier les nouveaux codes de l’information ainsi que les technologies innovantes. Dans ce cadre, l’ouverture d’un Fab Lab pourrait générer des craintes de la part des agents qui ne se jugeraient pas aptes à assurer ce service, faute de connaissances et de compétences suffisantes. Si l’on ne peut nier que disposer d’un ou plusieurs personnels ayant une appétence pour le numérique et la « bidouille » soit un atout certain pour la mise en place d’un Fab Lab, la curiosité du bibliothécaire doit lui permettre de s’adapter à ces nouveaux usages et surtout aux nouveaux besoins des publics afin de les satisfaire.

Simon 2015, 104

Ainsi, durant toute une année, le personnel a été initié au concept du médialab par des visites, des réunions et des sessions de formation aux équipements, mais aussi en l’invitant à prendre part à l’écriture des politiques et procédures d’utilisation des équipements (il n’y a pas nécessairement de charte pour un médialab, contrairement au fab lab[4]), au choix du matériel promotionnel et du logo et à la mise en pratique des projets à réaliser (p. ex. imprimer des objets à l’aide de l’imprimante 3D, concevoir des booktubes avec le matériel vidéo). Cela fait, les bases d’un espace d’expérimentation et de discussion étaient en place. Le personnel a pu alors s’approprier les lieux, en faire la promotion et se familiariser avec un service qui lui était totalement inconnu auparavant. Ces essais ont pu réduire les craintes et les appréhensions envers la nouveauté. La réception et l’engouement vis-à-vis du projet ont été des plus positifs. Plusieurs membres du personnel ont même assisté de leur propre chef à des présentations données par l’animateur, par simple curiosité. En bref, le personnel est un atout majeur pour la réussite d’une telle implantation. Il faut savoir l’impliquer dès le début, ne pas hésiter à dispenser de la formation et être à l’écoute des commentaires.

Avec l’ensemble des compétences développées par le personnel et grâce à la présence d’un animateur motivé et dynamique, la bibliothèque de Sainte-Julie a pu réfléchir au programme d’animation à mettre sur pied au médialab, à comment l’animer, à comment le faire connaître et à comment le faire progresser.

L’animation au médialab

Y a-t-il des façons particulières d’animer ces nouveaux lieux ? Et quels en sont impacts sur les services offerts ?

Nous savons que les bibliothèques sont des lieux d’initiation et d’expérimentation. Le travail des professionnels en bibliothèques en est aussi un de littératie numérique tout comme de médiation numérique. Les bibliothèques ont une histoire riche en animation de toutes sortes, en heures du conte, en conférences, en jeux vidéo et plus encore. Elles restent à l’affût de ce qui peut plaire et satisfaire les besoins de ses usagers. Les fab labs/médialabs ne font pas exceptions à cela. La différence entre l’offre de service classique en bibliothèque et les fab labs/médialabs se situe principalement dans l’approche et les équipements utilisés.

Comment l’expérience fab lab/médialab se vit-elle pour les citoyens ? Souvent par la mise sur pied d’ateliers de fabrication numérique qui mettent de l’avant le concept du DIY (Do It Yourself), ou du « faire soi-même », mais aussi par le concept HOMAGO, comme nous l’explique Benjamin Bond : « […] le concept d’HOMAGO permet de redéfinir de façon radicale les situations d’apprentissage des jeunes. » (Bond 2015, 10)

[…] HAnging out, désigne un mode de participation centré sur la socialisation. Messing Around, que l’on pourrait traduire par bricolage ou bidouillage, désigne un mode de participation nécessitant un plus grand engagement de la part des jeunes. Geeking Out, vocable difficilement traduisible qui désigne un genre d’engagement avec les nouveaux médias beaucoup plus intensif ainsi qu’un approfondissement des connaissances dans un domaine précis.

Bond 2015, 15-17

L’animation en situation de lab se distingue du cadre usuel de la bibliothèque. Ce qu’on recherche, c’est l’expérimentation avec les pairs. La flexibilité et le mode évolutif sont de mise pour créer et mettre de l’avant des projets innovants.

Comme le mentionne Benjamin Bond : « Il y a autant de modèles d’ateliers de fabrication différents qu’il y a d’ateliers. Le succès ne dépend pas de l’espace ni du matériel, mais de la qualité de l’animation… » (Bond 2015, 60)

Le succès de cette démarche d’animation est très certainement lié à la présence d’un animateur dédié. Sans animateurs et sans animation de qualité, un fab lab/médialab ne peut pas croître et évoluer. Alors, comment maximiser les ressources et quels éléments spécifiques doit-on y retrouver ?

En effet, si une imprimante 3D peut constituer un « produit d’appel » permettant d’aiguiser la curiosité du public lors d’un événement particulier, la simple détention de cette machine ne saurait constituer un usage pérenne du Fab Lab et de la bibliothèque chez des personnes ne la fréquentant pas auparavant.

Simon 2015, 112

On retrouve divers types d’activités d’animation dans plusieurs bibliothèques : camps de jours en fab lab l’été, ateliers sur différents sujets, activités libres, clubs électroniques, robotiques, de jeux vidéo, de modélisation, plateforme de partage de créations, concours de création, etc. Tous méritent d’être exploités.

À Sainte-Julie

La bibliothèque de Sainte-Julie a pris le parti d’offrir une programmation variée, gratuite et ouverte à tous. Elle permet également, en tout temps, l’accès autonome au médialab afin de répondre au plus grand nombre de besoins exprimés par ses usagers.

La programmation offerte aux usagers se décline en quatre thèmes : 1. Atelier libre ; 2. Atelier dirigé ; 3. Certification et 4. Conférence. L’animateur est présent pour les trois premiers thèmes, sur une période de 12 heures dans la semaine, au local du médialab. Le médialab accueille un maximum de quatre usagers en même temps.

  1. Les ateliers libres sont conçus pour expérimenter avec les usagers sur le sujet de leur choix en présence de l’animateur.

  2. Les ateliers dirigés sont conçus par l’animateur et portent sur des thèmes précis relatifs aux équipements et aux logiciels. Les plages horaires des thèmes sont déjà prévues. (Une réflexion a toutefois été engagée pour évaluer la pertinence de fixer préalablement les plages horaires.)

  3. Les certifications sont délivrées par l’animateur pour les équipements sensibles, soit l’imprimante 3D, la découpeuse vinyle et la presse à chaud, afin que les usagers puissent les utiliser de façon autonome (sans la présence de l’animateur).

  4. Les conférences qui portent sur les équipements du médialab sont offertes de manière habituelle sur des thèmes précis et par différents spécialistes. Elles sont ouvertes à tous et peuvent avoir lieu dans la salle multifonctionnelle, qui accueille de grands groupes. Voici quelques exemples de conférences qui ont eu lieu : Sporobole, Centre Turbine, la SAT, etc.

Pour maximiser l’utilisation du médialab, on peut y accéder pendant toutes les heures d’ouverture, soit 54 heures par semaine. Quatre usagers peuvent s’installer simultanément dans le médialab et en raison de la proximité de la salle multifonctionnelle (50 places assises), on peut y déplacer avec facilité l’ensemble des équipements. Les meubles et les accessoires ont été pensés et conçus de manière à optimiser les déplacements et à être les plus conviviaux possible ; tout est sur roulettes.

L’objectif de la bibliothèque est de rendre l’usager autonome afin qu’il puisse utiliser le médialab à tout moment, sans supervision directe. Sur ce plan, la certification est nécessaire pour se servir seul des équipements sensibles. Pour assurer la sécurité de tous, différents formulaires relatifs au risque et à l’utilisation du médialab doivent être signés par l’usager. De plus, divers outils ont été créés pour favoriser l’apprentissage individuel ou en groupe sur le matériel. Il y a par exemple des fiches d’utilisation de l’équipement[5] ou encore des manuels d’utilisation ou des tutoriels faciles d’accès pour l’usager. Le libre-accès au médialab se déroule admirablement bien depuis ses débuts : les gens sont fiers de participer au projet et aucun bris, vol ou acte vandalisme n’est survenu. Le médialab appartient à tous et tous y font attention.

La programmation du médialab de la bibliothèque de Sainte-Julie demeure en évolution et celui-ci continue d’être une source d’apprentissages et d’adaptation à la demande. Pour bien prendre le pouls, des questionnaires d’opinion sont remis aux usagers après les ateliers et des ajustements sont apportés, au fur et à mesure. Le format et la pertinence des activités sont constamment évalués. De façon générale, on constate que chacun des types d’ateliers rejoint son public et répond aux différents besoins, et que tous y trouvent leur compte.

Avoir un médialab en bibliothèque change l’angle d’approche de l’offre de services d’une bibliothèque. Nous croyons que notre écoute des besoins des usagers s’est améliorée, que notre sensibilité à la littératie numérique s’est grandement accrue et que nous pouvons répondre aux questions de la population. Les demandes des usagers se précisent aussi : ceux-ci veulent des ateliers spécifiques à leurs besoins, exigent beaucoup de la part de l’animateur et aimeraient participer à plus d’ateliers « individuels » ou en privé. Nous poursuivons notre réflexion quant aux services offerts et à offrir et à la façon de les concevoir.

Nous aimerions sans conteste tisser un lien de collaboration durable et évolutif avec le monde scolaire, en particulier l’école secondaire. Une sorte d’échange entre les projets proposés à l’école, ceux de la bibliothèque et ceux propres aux jeunes. Parallèlement, nous aspirons aussi à créer des groupes d’entraide bénévoles pour faire vivre le médialab dans la communauté.

Conclusion

La mise sur pied d’un fab lab/médialab présente de nombreux défis, tant sur la façon de penser les services et le rôle joué par les citoyens qu’en matière d’offre de services et de leur pérennité. L’image des bibliothécaires est aussi en évolution : il faut savoir faire preuve d’innovation, de flexibilité et d’imagination.

Assurer l’implication des usagers et les fidéliser est un défi auquel nous travaillons afin de pouvoir créer des communautés d’apprenants fortes, qui acquièrent et partagent des connaissances. Avoir les ressources financières et humaines pour développer les programmes et faire progresser les fab labs/médialabs est un autre défi qui garantit la croissance de l’offre de services de la bibliothèque. Assurer la pérennité des équipements et des logiciels est aussi un enjeu qui nécessite réflexion.

Devant l’ensemble de ces défis, nos qualités de « patenteux » et de débrouillards continueront de nous faire apprendre, mais nous devons néanmoins réfléchir à la suite des choses, afin de demeurer au coeur de la société de demain.

Par la mise sur pied d’un espace créatif, tous ont pu bénéficier de différents apprentissages, apportés par tous les intervenants en jeu. Nous réitérons donc l’importance de bien choisir les personnes qui seront responsables des laboratoires, car elles sont le gage du succès.

Pour terminer, la conception d’un fab lab/médialab est un travail en progression, à la fois modulable et flexible, qui démocratise l’univers numérique et technique. Cet espace permet d’explorer de nouveaux champs du savoir et de partager de nouvelles connaissances. Les bibliothèques rejoignent ainsi de nouveaux publics et projettent une image d’innovation et d’avant-garde. Les laboratoires dans les bibliothèques du Québec ont donc un avenir des plus prometteurs. Par leurs programmes d’animation, ils sauront gagner un public diversifié et promouvoir l’accès démocratique au savoir comme le mettent de l’avant les bibliothèques publiques.

Lexique

« […] un fab lab est un atelier ouvert de fabrication numérique, mais avant tout une communauté ; […] un médialab est un laboratoire d’expérimentation et de production multimédia ; […] un makerspace est un environnement collaboratif d’apprentissage où les gens partagent du matériel et acquièrent de nouvelles compétences. »

Le médialab — fait davantage la promotion des technologies médiatiques de représentations visuelles, sonores et vidéo, que la promotion de la création de produits physiques — il s’inscrit cependant dans la mouvance du Do It Yourself en encourageant la création autonome, le partage de connaissances à l’intérieur d’une communauté d’utilisateurs et l’apprentissage de nouvelles compétences par le « faire soi-même ».

Les fab labs — ont une charte d’utilisation qui guide la philosophie du milieu, dont l’engagement d’être ouvert au public et de documenter les usages et les apprentissages — ils offrent un accès à des applications conçues en collectivité par le réseau facilitant l’apprentissage et l’appropriation du numérique, par exemple pour le « code source ouvert » ou open source, une licence de logiciel qui offre les possibilités de libre redistribution, d’accès au code source et de création de travaux dérivés.

Les makerspaces — « […] ne sont pas nécessairement gérés par une entité qui fédère les activités et l’accès aux outils — ils n’incluent pas une programmation, mais offrent surtout la location d’un espace qui regroupe des gens qui partagent des intérêts — ils n’ont pas l’engagement d’être ouverts au public — ils n’ont pas l’engagement de documenter les usages et les apprentissages — ils ne sont pas interstructurés/interconnectés globalement et internationalement (ils agissent davantage à l’échelle locale, sans nécessairement être attachés à un réseau) — chacun y défraie les coûts de son espace. » (Communautique 2016, 19)

Les ruches d’art : « Le réseau des ruches d’art relie une multitude de petits espaces régénératifs d’art communautaire, avec l’objectif de bâtir des solidarités à travers la distance géographique. Cette initiative vise à renforcer et à promouvoir les bienfaits de ces ateliers collectifs inclusifs et accueillants, à travers le Canada et le monde. Aussi connus sous le nom de “maisons publiques”, ces tiers-espaces créent de multiples occasions de dialogue, de partage de savoir-faire et de création artistique, entre des gens de divers horizons socio-économiques, âges, cultures et capacités. » (Les Ruches d’Art 2018)

Homago : « […] HAnging out, désigne un mode de participation centré sur la socialisation. Messing Around, que l’on pourrait traduire par bricolage ou bidouillage, désigne un mode de participation nécessitant un plus grand engagement de la part des jeunes. Geeking Out, vocable difficilement traduisible qui désigne un genre d’engagement avec les nouveaux médias beaucoup plus intensif ainsi qu’un approfondissement des connaissances dans un domaine précis. » (Bond 2015, 15-17)