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1. Droit devant!

Combattez le réflexe naturel qui consiste à s’inspirer surtout de bibliothèques récentes. Ce serait un peu comme conduire une automobile en regardant dans le rétroviseur. Plutôt risqué. Il faut se rappeler que le délai entre la conception et l’inauguration d’un bâtiment est rarement en deçà de six ans. Bref, la bibliothèque que l’on admire aujourd’hui a été pensée il y six ans alors que celle que l’on conçoit sera prête dans six ans. Au mieux, 12 années se seront donc écoulées entre les deux, aussi bien dire une éternité dans le monde de l’information d’aujourd’hui.

Cette tendance à reproduire ce qui existe déjà est ce que j’appelle familièrement le « piège de l’assiette de spaghettis » dans laquelle un convive prend une bouchée après l’autre sans vraiment y penser. La meilleure stratégie pour contrecarrer ce piège est celle de la chaise berçante. Selon votre âge, imaginez-vous à la retraite ou transportez-vous dans un futur lointain, disons 30 ou 40 ans. Tentez ensuite d’imaginer ce que le monde est devenu… et remettez les compteurs à zéro.

Soyez avisés cependant que les résultats de cette stratégie peuvent être surprenants. Par exemple, la tendance actuelle dans le milieu universitaire est de construire de grandes bibliothèques situées au centre des campus. Or, on peut supposer qu’en 2050 la diffusion de l’information sera entièrement numérique, que les équipes des bibliothèques travailleront en étroite symbiose avec les membres de la communauté et que le recours à la collection imprimée sera vraiment occasionnel. Ne serait-il pas alors paradoxal que le personnel des bibliothèques soit logé au centre du campus alors qu’il ne sera même plus nécessaire de s’y rendre?

2. Sortez de votre cocon

Le monde ne se limite pas qu’aux bibliothèques. Les bars, les restaurants, les aéroports, les hôtels, les spas, les centres commerciaux, les cinémas, les cafés sont autant de lieux susceptibles d’être inspirants. Portez une attention particulière aux ambiances et à ce que vous ressentez, tentez de déterminer ce que vous aimez et de distinguer ce qui vous agresse. Prenez des photos pour appuyer votre propos le temps venu.

Vous savez comme moi que nos utilisateurs passent souvent plusieurs heures dans nos bibliothèques. Il est primordial que ce milieu soit agréable, convivial et vivant. Si l’audace peut être profitable, sachez aussi qu’elle peut intimider. Je n’ai toujours pas réussi à convaincre mes équipes d’installer de belles grandes chaises berçantes comme celles qui font le bonheur des voyageurs transitant par l’aéroport de Charlotte-Douglas en Caroline du nord. Donnez-vous le droit à l’erreur tout en respectant les limites d’autrui!

3. Jouez un coup d’avance (au moins)

Lorsqu’on s’embarque dans ces grands projets, il est facile d’y perdre son latin. Votre survie tient à quelques éléments clés :

  • une bonne compréhension des étapes usuelles que constituent la vision, l’élaboration du programme fonctionnel et technique, la préparation des fiches techniques, la confection des plans et de l’aménagement, la construction et le choix du mobilier;

  • une connaissance des échéanciers prévus et, surtout, des attentes des architectes à votre égard pour chaque étape;

  • un rôle précis et connu en ce qui a trait à la délégation de pouvoirs prévue pour ce projet dans votre établissement.

L’architecte est adepte de la charrette, ces périodes de travail intensif pour terminer à temps un mandat. Aussi, il compose bien avec la pression et préfère souvent attendre à la dernière minute, car une meilleure idée est toujours susceptible de survenir. D’une manière tout aussi générale, le bibliothécaire est davantage porté sur l’analyse et peut prendre un certain temps à développer une vision pour un projet de construction et de rénovation de bibliothèque. En fait, n’attendez pas le signal de l’architecte pour amorcer le travail, car il sera déjà trop tard pour vous!

4. Faites vos devoirs

J’ai déjà collaboré avec des firmes qui avaient de l’expérience dans des projets de construction ou de réaménagements de bibliothèques, mais jamais avec une firme spécialisée dans ce type de projet. Les firmes non spécialisées disposent d’un bagage d’expérience plus varié, ce qui est loin d’être un inconvénient. Par contre, le bibliothécaire tire avantage à s’impliquer activement dans le processus, car l’architecte dispose d’un temps limité à consacrer au projet. Plus il passera du temps à comprendre vos besoins, moins il pourra consacrer d’énergie au projet lui-même. Bref, la qualité du résultat final est directement liée à votre degré d’implication.

Comme je le mentionnais précédemment, l’architecte est un spécimen différent du bibliothécaire, ce qui le rend d’autant plus intéressant à côtoyer... Il est tout aussi important de bien saisir sa vision que de pouvoir exprimer clairement la sienne. Ne vous laissez pas distraire de vos besoins par l’imagination débordante de l’architecte... Inutile d’avoir un comptoir de prêt esthétique s’il n’est pas ergonomique. Le contraire est également vrai. Le beau peut être l’ami du bon. Même s’il faut parfois y mettre des efforts et faire preuve de ténacité, il est habituellement possible d’allier l’esthétisme souhaité par l’architecte avec les besoins opérationnels exprimés par le bibliothécaire. La solution passe par le dialogue.

5. Tous les goûts sont dans la nature!

Je n’ai jamais compris pourquoi certains usagers choisissent systématiquement de s’asseoir près des toilettes... et j’y ai renoncé. La leçon qu’il faut en tirer : prévoir des ambiances variées (luminosité, environnement sonore, couleurs, etc.) et penser à divers types de mobilier. Tous ne pensent pas comme soi... Si c’était le cas, nous prendrions tous nos vacances en même temps!

Les projets de construction ou de réaménagements font appel, en accéléré, à toutes les dimensions de la gestion et plus particulièrement au sens de la planification et de l’organisation, à l’esprit d’analyse et de synthèse, au sens de la décision, à la capacité de diriger et de motiver, au leadership, au travail en équipe, au sens de l’écoute et aux habiletés de communication. De plus, leurs retombées sont habituellement importantes : milieu de vie, renommée, recrutement et rétention pour les universités, vie culturelle et sociale pour les bibliothèques publiques, etc. Voilà pourquoi ces projets sont si captivants à mes yeux!