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Alors que l’ère du numérique est sur le point de supplanter celle de l’impression, la construction d’une nouvelle bibliothèque apparaît comme un geste de résistance.[1] 

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, élévation principale

Photo : Julien Perron-Gagné

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Historique

La construction d’une nouvelle bibliothèque dans l’arrondissement de Saint-Hubert est survenue en même temps que la création du réseau des bibliothèques publiques de la Ville de Longueuil, structure organisationnelle qui a centralisé la gestion des dix bibliothèques des trois arrondissements. Les deux actions simultanées démontraient la volonté marquée de la municipalité de se positionner dans le dossier des bibliothèques publiques. Longtemps parents pauvres dans le paysage québécois, les bibliothèques de la cinquième plus grande ville du Québec ont gravi un échelon important en devenant la cinquième plus vaste (4 000 m2) bibliothèque publique au Québec et la deuxième dans la région métropolitaine de Montréal.

Vision

Reconnaître la place et l’importance d’une bibliothèque publique dans la vie citoyenne, à la fois comme symbole de la connaissance, de la pérennité du savoir et comme lieu de fréquentation des citoyens, donner à la communauté un lieu déconnecté du marchandage urbain et branché sur l’univers et la fascination de la découverte, telle était la vision de départ.

La présence d’une bibliothèque dans une municipalité est porteuse de symbole, d’identification et de créativité. L’édifice, s’inscrivant dans le patrimoine bâti d’une ville, se doit d’être convivial, esthétique et audacieux. Convivial et esthétique, pour accueillir les citoyens, pour donner à la lecture et à la réflexion leurs propres espaces et pour faire en sorte que le citoyen s’y sente suffisamment confortable pour y passer quelques heures. Audacieux, pour bien ancrer la bibliothèque dans le XXIe siècle, pour démontrer l’importance symbolique de sa présence dans la vie des citoyens et pour faire en sorte que son architecture se démarque dans l’uniformité du paysage des banlieues. Avec ce projet, il était permis de rêver à un bâtiment qui traduise la vision d’un lieu rassembleur, troisième lieu de vie, sorte de carrefour communautaire conjugué à un lieu de diffusion du savoir, où le citoyen se situe au coeur des préoccupations.

Troisième lieu de vie

La bibliothèque publique est de plus en plus perçue comme troisième lieu de vie après le domicile et le travail. Traduire ce concept en espace consiste à tenter de définir l’âme du lieu, la vie sous-jacente entrevue, le désir pour les citoyens de s’approprier cet ensemble. Le lecteur est multiple, la lecture est plurielle. L’importance accordée au troisième lieu de vie permet de concevoir l’espace de façon plus précise en fonction des besoins des multiples lecteurs. Transposer ces besoins différents dans le bâtiment contribue à faire de ces lieux autant d’expériences uniques qui retiennent le citoyen et lui donnent envie d’y revenir.

Plus je lis et plus je change. Plus mes lectures sont variées et plus j’acquiers la capacité de percevoir le monde de multiples points de vue. […] La lecture est une écoute créatrice qui modifie le lecteur.[2] 

L’ambiance et la définition des différentes zones doivent contribuer à cette transformation. Plus le lieu est attrayant, plus il sera fréquenté. La localisation de la bibliothèque dans le Parc de la Cité, la fenestration de l’édifice ouvrant vers la forêt qui se modifie au gré des saisons, la transparence des espaces se liant les uns aux autres, voilà autant d’atouts propres à renforcer le désir d’y séjourner quelque temps.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, élévation principale

Photo : Julien Perron-Gagné

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, salle de travail d’équipe

Photo : Marc Cramer

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La lecture est plurielle

Intellectuelle, réflexive, éducative, informationnelle, divertissante, autant de facettes de la lecture qui commandent des environnements différents.

La lecture intellectuelle, réflexive et éducative s’affirme dans la grande salle de lecture. L’idée de regrouper les tables de travail plutôt que de les disséminer à travers le bâtiment vise à imposer la quiétude propice au travail intellectuel. Le silence va de soi dans cette partie, ce qui nous porte à dire qu’un bon aménagement induit une bonne compréhension des différentes zones. Le citoyen reconnaît rapidement les aires silencieuses et animées et a tendance à les respecter.

La lecture informationnelle trouve son assise à la fois sur Internet, dans la consultation des bases de données ou en furetant dans les rayons. À cet effet, et pour rendre l’expérience de bouquinage plus confortable, l’architecte a intégré l’éclairage au rayonnage. Ceci permet une meilleure diffusion de l’éclairage, peu importe l’endroit où l’on bouquine. Également, l’insertion de tablettes rétractables dans le rayonnage permet de déposer et de feuilleter les volumes pour une consultation rapide, contribuant ainsi à rendre l’expérience de consultation plus conviviale.

La lecture divertissante s’exprime dans les différents fauteuils répartis dans plusieurs espaces, toujours à proximité d’un éclairage naturel. Certains citoyens s’offrent le plaisir de venir faire quelques heures de lecture hors de la maison, dans un lieu stimulant. Bien que la lecture soit un geste individuel, le citoyen, dans son besoin de grégarisme, aime bien sentir la présence de ses semblables autour d’une action commune.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, aire de lecture, section jeunes

Photo : Marc Cramer

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Le lecteur est multiple

Enfants, adolescents, étudiants, adultes, parents, retraités, aînés, nouveaux arrivants, autant de clientèles différentes qui se retrouvent dans la multiplicité des lieux, autant de besoins spécifiques à satisfaire. Voici un exemple de zone définie de façon spécifique : les parents qui accompagnent leur enfant à l’heure du conte. Dans la section des jeunes, hormis la zone d’animation que l’on retrouve dans toutes les bibliothèques, un espace pour les parents a été aménagé. Une petite collection parentale leur permet de bouquiner en attendant leur enfant. Dans ce secteur, le mobilier a été choisi afin de faciliter le rapprochement parents-enfants et tenter de recréer un espace douillet rappelant le confort domestique. Des causeuses y prennent ainsi place, facilitant la proximité souhaitée pour faire la lecture de contes aux enfants.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, section jeunes

Photo : Julien Perron-Gagné

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Du troisième lieu de vie, la bibliothèque devient aussi un carrefour communautaire. La meilleure représentation en est le rez-de-chaussée, à la croisée du comptoir de prêt, de l’espace presse, de l’espace jeunes, de la terrasse et à proximité de la salle multifonctionnelle. Ce carrefour est le lieu central où se croisent les citoyens de toutes générations avides de connaissances et qui prennent plaisir à y retrouver le voisinage.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, terrasse intérieure

Photo : Julien Perron-Gagné

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Réalisation du projet, programme fonctionnel et technique, concours

Après avoir bien établi la vision du projet, l’étape suivante est la mise en forme du projet dans l’élaboration du programme fonctionnel et technique. Celui-ci consiste à transposer notre rêve en fiches techniques. Cette étape est déterminante pour la bonne compréhension de notre projet auprès des architectes et des autres professionnels. Elle prend d’autant plus son importance lors d’un concours d’architecture où les rencontres et les explications verbales supplémentaires ne sont pas permises. Traduire une vision aussi claire et précise que possible de chaque secteur est indispensable : décrire la fonction de celui-ci, son importance relative et absolue dans l’ensemble du projet, l’ambiance souhaitée, l’éclairage, la superficie, les relations de fonctionnalité avec les autres secteurs, les matériaux, le niveau sonore souhaité, rien n’est superflu à spécifier.

Si les bibliothécaires participent à l’élaboration du programme fonctionnel et technique, leur présence ne semble pas aller de soi lors des prochaines étapes. Et pourtant, elle est essentielle tout au long du processus. Elle est même décisive dès le début, tant auprès des autres professionnels de la municipalité, des architectes que des ingénieurs afin de les informer de ce qu’est une bibliothèque publique du XXIe siècle, trop souvent perçue comme un entrepôt de livres. Il faut aussi bannir l’idée selon laquelle, avec le numérique, on n’a plus besoin de bibliothèques. Notre rôle à cette étape-ci est de sensibiliser les professionnels de la ville à la mission des bibliothèques afin qu’ils soient porteurs de celle-ci dans leurs propres équipes de travail.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, maquette phase concours

Photo : Manon Asselin

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La participation des bibliothécaires est tout aussi primordiale dans le déroulement du concours d’architecture afin qu’ils apportent leur expertise dans l’analyse des projets et identifient celui qui est le plus conforme à leur vision. Il arrive d’avoir à convaincre les autres membres du jury que certains aspects, parfois plus séduisants, risquent de compromettre des fonctionnalités bibliothéconomiques. C’est pourquoi il faut avoir une vision claire de ce qui est souhaitable et pouvoir influencer le processus dès cette étape.

Une fois l’architecte désigné, les modifications à apporter au projet doivent être mineures, car le concours a été remporté sur un concept précis. Toutefois, en cours de route, il se présente toujours des imprévus, des situations particulières ou des différences de points de vue qui font en sorte que certaines modifications doivent être apportées. C’est pourquoi la présence des bibliothécaires aux réunions de chantier est incontournable, surtout lorsqu’il est question de design. Encore ici, il s’agit d’influencer le processus pour mettre de l’avant les aspects positifs de tel aménagement versus tel autre en fonction de notre vision et d’être partie prenante des décisions pour résoudre les problèmes qui surgissent. Voici deux exemples où des modifications ou des améliorations ont été apportées pendant les réunions de chantier.

L’acoustique de l’édifice a été une de nos préoccupations constantes, compte tenu de la quantité de fenêtres et de murs rideaux dans le bâtiment. Face à cette situation, l’architecte a trouvé une solution qui a permis d’atténuer la propagation du son : utiliser les panneaux latéraux des rayonnages comme coupe-bruit. Il s’agissait d’incorporer une feuille de feutre derrière le panneau et de perforer celui-ci de multiples petits trous. Le résultat est séduisant et permet également d’apporter une touche de rose, de gris ou de vert dans certains secteurs.

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Bibliothèque Raymond-Lévesque, aide au lecteur

Photo : Julien Perron-Gagné

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Nous cherchions à créer, par des expositions thématiques, une sorte de trajet du lecteur qui susciterait son intérêt et stimulerait sa curiosité lors de son parcours en bibliothèque. L’architecte a eu l’idée d’intégrer un présentoir à même le comptoir d’aide au lecteur, libérant ainsi de l’espace au sol. Ceci a également permis une interaction intéressante entre les usagers et le personnel de l’aide au lecteur au sujet des expositions présentées et a contribué au dynamisme de la bibliothèque.

Conclusion

Les citoyens se sont bien approprié la Bibliothèque Raymond-Lévesque. Depuis son ouverture, la fréquentation s’est accrue de 15 % et sa popularité ne se dément pas. Sa localisation à l’orée d’un boisé et sa fenestration qui s’ouvre sur la nature contribuent à sa popularité. Issu de la créativité de l’architecte et de son talent à traduire la vision d’un lieu dans l’espace, le bâtiment final est le fruit de la collaboration d’une équipe multidisciplinaire.

Parcours parsemé de découvertes. La fascination, après des mois de labeur sur des plans bidimensionnels, de voir jaillir la troisième dimension. L’espace qui bascule et qui s’ouvre, le volume qui se crée dans l’odeur de béton fraîchement coulé, le côté brut de la matière contribuent à faire de cette expérience architecturale un événement de création inoubliable.