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Introduction

Les géants en technologie tels que Amazon, Google et Facebook, pour ne citer qu’eux, les appareils mobiles, surtout les téléphones intelligents, et bientôt l’intelligence artificielle et l’Internet des objets ont une influence majeure sur la façon dont les citoyens perçoivent nos services et interagissent avec ceux-ci. En 2018, près de trois adultes québécois sur quatre (73 %) possédaient un téléphone intelligent (CEFRIO, 2018). Non seulement les citoyens s’attendent à trouver nos services sur leur téléphone intelligent, mais, en plus, ils s’attendent à ce que ces services soient performants et qu’ils les aident. Peu importe que nous ayons les moyens ou pas de réussir, s’adapter rapidement à des changements continuels est le grand défi de toutes les industries ; le secteur public et le milieu documentaire n’y échappent pas.

Dans cet article, nous expliquons comment Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) planifie tirer son épingle du jeu en mettant ses usagers au centre de sa stratégie de transformation numérique. La première partie sera consacrée à expliquer quel contexte nous amène à essayer de mieux comprendre nos usagers en réalisant des personas. Dans la deuxième partie, parce que l’utilisation de personas est une méthode récente en bibliothèque, nous regarderons ce que sont les personas en conception centrée sur l’expérience utilisateur (en anglais, UX design)[1], comment on les conçoit, quels sont leurs avantages et inconvénients potentiels. Puis, nous présenterons le résultat de notre étude et ce qu’il nous reste à apprendre. Nous parlerons des défis qu’implique la priorisation de publics aux besoins parfois divergents, dans le cadre de l’amélioration de nos services en ligne. Enfin, nous exposerons comment nous nous servirons de nos personas dans les mois à venir. Nous présenterons donc le processus d’analyse dans lequel nous sommes engagés dans le cadre de la transformation numérique gouvernementale.

Suivre le mouvement

Les changements que la technologie entraîne dans la société en sont à leurs débuts, et cela, les gouvernements l’ont compris. Dans ce mouvement de « transformation numérique », BAnQ arrime ses priorités et ses choix stratégiques aux orientations gouvernementales.

L’ensemble des organisations publiques seront appelées à reprendre ces grandes ambitions et ces cibles dans leur plan de transformation et à les bonifier avec des cibles propres à leur mission.

Secrétariat du Conseil du trésor, 2019

Des actes concrets pour améliorer l’expérience en ligne de nos usagers

Bien que nos usagers déclarent, dans un récent sondage sur la satisfaction de la clientèle[2], être plutôt satisfaits de nos services en ligne, nous sommes forcés de constater que notre portail web ne répond plus adéquatement aux exigences du xxie siècle. Ne s’inscrivant pas dans une dynamique innovante pensée pour des citoyens numériques, notre portail web est pourtant notre porte d’entrée virtuelle principale. Dans ce contexte, en janvier 2019, le président et directeur général de BAnQ, Jean-Louis Roy, a donné à la firme Antès le mandat de faire un diagnostic de l’expérience utilisateur en ligne et de la gouvernance numérique à BAnQ. Antès est une firme de consultation en planification stratégique qui intervient en amont, dans le but de maximiser le potentiel de réussite des projets. Dans leur rapport final, les consultants, en collaboration avec les cadres et certains professionnels de BAnQ, ont formulé des recommandations et livré une première série de personas, pour une meilleure compréhension de nos publics et de leur capacité à s’adapter à l’évolution des usages.

Une nouvelle direction pour accomplir notre objectif : la Direction de la stratégie numérique

La première phase du développement de cette direction porte sur l’expérience client en ligne, mais, à terme, son domaine de compétence s’étendra également à l’intelligence d’affaires[3] et à l’expérience client in situ. L’objectif est de construire un écosystème numérique, dont le portail web, par une approche omnicanale[4] où l’usager est au centre de tout.

Une méthode de conception centrée sur l’usager : les personas

Que sont les personas ?

Avant tout, existe-t-il plusieurs types de personas ?

Le concept de persona est utilisé depuis longtemps en marketing. Il est le résultat d’une analyse basée sur une étude de marché qui dégage des « personas-acheteurs » selon des valeurs sociodémographiques reliées au pouvoir d’achat. Ce sont des représentations fictives qui permettent aux équipes de création d’ajuster leurs outils de communication en fonction des désirs anticipés des clients cibles. Le but est de vendre des produits ou des services mis sur le marché grâce au message publicitaire et au positionnement de la marque.

Les personas dans le domaine de l’expérience utilisateur

Au cours des 15 dernières années, des personas propres à la conception d’interfaces numériques sont apparus. Ces personas sont des « modèles de représentation » du public basés sur les recherches et les données. Ils sont basés sur le schéma mental[5] des usagers, autrement dit, sur la façon dont les usagers se comportent avec des interfaces numériques, sur ce qu’ils en font et pourquoi ils le font. Au sens plus large, ils visent à donner vie à des personnalités fictives, cherchant à susciter l’empathie pour que les équipes de conception et les parties prenantes puissent imaginer de nouvelles approches et de nouvelles solutions aux problèmes.

Le concept de persona aurait été créé accidentellement par un concepteur de logiciel dans les années 1990, Alan Cooper, alors qu’il tentait d’expliquer à des ingénieurs, avec beaucoup de difficulté, des scénarios d’utilisation réelle du logiciel qu’ils avaient conçu (Cooper, 2008).

Une grande quantité de variables peut influencer les modèles de comportements des publics et la perception qu’ils ont des interfaces. Toutefois, lorsqu’on construit des personas dans le domaine de l’expérience utilisateur, certains paramètres sont presque incontournables : l’aisance avec les interfaces numériques, le type de personnalité et l’objectif principal qui pousse une personne à utiliser un produit numérique.

Comment les développe-t-on ?

Il existe plusieurs méthodes pour créer des personas. Les plus courantes dans la documentation sont les méthodes permettant de recueillir des données qualitatives, puisque ce sont les seules propres à expliquer les comportements. Ce sont par exemple des études ethnographiques[6] sous forme d’observation directe sur le terrain ou avec des entretiens individuels. Ces données pourront être combinées ou pas avec des données quantitatives à l’aide de sondages pour en vérifier la valeur statistique.

Une fois les données recueillies, l’équipe ou l’expert qui a fait l’étude construit des fiches de synthèse. Au préalable, il est important d’établir des variables comportementales et de motivations qui seront essentielles pour différencier les personas. On place ensuite les participants sur une échelle allant d’un extrême à l’autre pour chaque variable (figure 1) et l’on obtient des profils. À partir de ces profils, on crée des fiches de personas, dans lesquelles on décrit les besoins, les motivations, les désirs et les préoccupations des usagers. Il est très commun d’y ajouter une photographie, un prénom, une citation pertinente du participant et quelques informations démographiques pour rendre la personnification plus réaliste et faciliter son appropriation par les différentes équipes. Cependant, ces pratiques sont remises en question au sein de la communauté d’experts de l’expérience utilisateur, tel que mentionné par Indi Young (2016), car elles prêtent à confusion, pouvant laisser croire qu’il s’agit d’une étude sociale démographique et faisant naître des préjugés liés à l’âge et au genre ou encore à l’ethnicité. Pourtant, de récentes études montrent que l’utilisation de photographies dans les fiches de personas, particulièrement dans leur contexte d’utilisation, augmente le niveau d’attention des personnes qui les lisent et contribuent sans conséquences négatives à leur adoption (Salminen et al., 2019).

Figure 1

Démarche de détermination des profils de personas

Démarche de détermination des profils de personas
Lallemand et Gronier, 2018, p. 315

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En fonction du niveau de précision de l’analyse, on peut obtenir un nombre important de personas ; toutefois, afin de conserver les bénéfices de la méthode, il est conseillé de concevoir le minimum nécessaire.

Évidemment, pour un service grand public en ligne, les règles sont un peu différentes, et c’est ce que nous allons approfondir et présenter au fil de cet article.

Quels sont les principaux avantages de l’utilisation des personas ?

La communication

Lorsqu’elles sont bien conçues, les fiches de personas facilitent la communication. Un des principaux avantages de la création de personas est de permettre d’avoir des images partagées de qui sont les usagers, ce qui empêche d’avoir des désaccords sur ce que veulent les usagers, ou encore de concevoir en fonction de ses propres besoins. Afin de communiquer ces représentations aux équipes de conception et de développement, il est suggéré de les afficher dans une salle commune ou bien un endroit passant pour que le plus grand nombre de personnes possible puisse s’approprier l’information.

La priorisation

Les bonnes pratiques indiquent de prioriser les personas en catégories telles que primaire, secondaire et supplémentaire, ou toute autre catégorie selon la nature du projet. Une catégorie peut contenir plusieurs personas. La catégorie primaire contient des personas pour lesquels le système doit considérer tous les besoins. La catégorie secondaire est constituée de personas qui ont des objectifs communs à ceux de la catégorie primaire, mais possèdent certaines caractéristiques différentes. La solution numérique doit répondre à leurs besoins, mais sans négliger ceux du groupe primaire. Enfin, la catégorie de personas supplémentaire est un groupe de personas dont les besoins sont très différents de ceux des catégories primaire et secondaire ; la solution numérique doit répondre à leurs besoins, mais sans nuire à ceux des catégories primaires et secondaires.

La génération d’idées

On peut se servir des personas pour rendre plus efficaces les séances de remue-méninges. En effet, lorsqu’on a mémorisé les besoins principaux des usagers, il est plus facile de savoir quelles solutions proposer pour satisfaire leurs objectifs.

La vérification

Le quatrième avantage principal est que les personas servent d’aide pour scénariser des expériences. On imagine des scénarios pour chacun d’eux et on vérifie si les fonctionnalités et les solutions générées répondent bien à leurs besoins.

Quels sont les principaux défauts et limites de la création de personas ?

L’adoption

Un des plus gros défis est que les parties prenantes adoptent les personas et reconnaissent qu’ils représentent bien les besoins des publics cibles. Il y a souvent des croyances internes sur qui sont les usagers et quels sont leurs besoins. Il est nécessaire de bien expliquer que les personas ont été créés grâce à des recherches utilisateurs et à des données probantes.

L’oubli de publics

Si les personas permettent de prioriser les scénarios d’utilisation, on peut se demander si mieux comprendre certains usagers ne mène pas à en oublier d’autres, les usagers se situant plutôt dans les extrêmes, par exemple, ou ceux qui ont des besoins très spécialisés. Il existe cependant des moyens d’inclure ces types de publics avec des études complémentaires, et c’est ce que nous allons préciser plus loin dans cet article.

Notre étude sur les personas

Objectif de l’étude

Sur la base d’une méthode mixte[7] séquentielle explicative[8] s’appuyant sur des données actives, l’étude, réalisée en deux phases distinctes, avait pour objectif de découvrir les schémas mentaux de nos usagers par rapport à l’usage des services de bibliothèques et d’archives en général, et pas seulement par rapport à l’utilisation des services en ligne de BAnQ.

Méthodologie

La collecte et l’analyse des données quantitatives dans la première phase ont été suivies par la collecte et l’analyse de données qualitatives, qui s’appuyaient sur les résultats de la première phase.

La première phase a consisté à créer des profils statistiques basés sur la recherche quantitative par occurrence[9], c’est-à-dire aux nombres de réponses similaires. Un questionnaire composé de 40 questions fut élaboré. Le questionnaire ainsi que l’analyse des résultats, fruits d’une collaboration entre les consultants de la firme Antès et un groupe de chercheurs du CRchum, ont été réalisés avec l’outil Polygon. Parmi ce groupe de chercheurs se trouvaient un statisticien, un psychologue, un docteur en santé publique et un expert en recherche utilisateur ; ils ont bâti une structure de données. Les questions, rédigées en collaboration avec le psychologue, se divisaient en trois catégories : standardisées en psychométrie (par exemple : extraversion, anxiété), démographiques et contextuelles par rapport à l’usage du service dans son domaine. Toutes les questions étaient déclinées en deux types différents, soit structurantes et descriptives. Ce sont les réponses aux questions structurantes qui ont permis de créer les silhouettes statistiques[10]. Elles s’articulaient autour de quatre axes : l’acquisition de la connaissance, le caractère introverti ou extraverti des usagers, leur niveau d’habileté avec les technologies et leur « comportement de recherche » (exploratoire ou spécifique).

C’est ensuite grâce à la contribution du statisticien responsable d’assembler la librairie de scripts à partir de la librairie R[11] que Polygon crée des dendrogrammes[12] permettant de voir apparaître les silhouettes statistiques et de décider combien de personas il y aura. L’analyse des résultats a permis aux consultants et au statisticien de dégager quatre personas.

Le sondage en ligne avait été diffusé sur nos divers canaux : site web, édifices, infolettre et réseaux sociaux, et avait recueilli environ 9000 réponses en une semaine, dépassant très rapidement le taux de saturation de données à atteindre, c’est-à-dire environ 500 réponses. Ce taux de réponse, considéré comme élevé, est caractéristique des sondages déployés à BAnQ au cours des deux dernières années, puisque nos usagers ont très largement participé aux trois derniers sondages. Cela révèle un fort attachement à l’institution de la part des usagers.

Dans la deuxième phase, une série d’entretiens en face à face[13] fut réalisée avec deux personnes par profil de personas dégagé. Les consultants ont rencontré ces usagers pour en comprendre plus finement l’histoire personnelle. L’analyse qualitative a aussi permis de valider les résultats obtenus quantitativement.

Il est à noter que cette étude en deux phases débutant par la méthode quantitative, moins commune dans l’étude de personas, cherche à s’affranchir de potentiels biais cognitifs[14] et de l’aspect chronophage d’une étude s’appuyant sur les données qualitatives.

Quatre personas sont donc le résultat de l’analyse finale.

Nos personas

Nos quatre personas se distinguent par des personnalités, des motivations et des attitudes face au numérique tout à fait différentes.

Tel qu’illustré par le diagramme de Kiviat, ils sont tous très convaincus de l’importance de la culture générale, mais ne s’inscrivent pas sur les mêmes échelles de valeurs quant à la diversité de leurs intérêts, leur attrait pour les interfaces numériques et leur aisance avec celles-ci, ainsi que leur comportement de recherche (figure 2).

Figure 2

Rapport d’analyse Profil de Kiviat

Rapport d’analyse Profil de Kiviat
Antès, 2019b

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Ce que nous avons appris, ce qu’il nous reste à apprendre

La révélation la plus surprenante du sondage en matière de comportement est le fort pourcentage de nos usagers en ligne qui expriment un besoin de découvertes et de nouveautés. En effet, le public avec des besoins de recherche spécifiques est bien connu des services aux usagers, et pour cause puisque environ 25 % des usagers, personnifiés par la fiche de synthèse appelée Denis (voir figure 3), sont dotés d’une personnalité extravertie, n’aiment pas du tout le changement et sollicitent régulièrement le service aux usagers autant en ligne que par téléphone. En parallèle, 50 % de notre public, plus à l’aise avec notre offre numérique et représenté par les personas appelés Rachel et Neil, demande peu d’aide et tente de se divertir grâce à l’exploration de nouveaux contenus. Quant au persona appelé Nathalie, il est très discret, n’utilise nos produits numériques que pour chercher des informations pratiques et abandonne très vite si ça ne fonctionne pas, sans demander aucune aide.

Figure 3

Exemple de fiche de persona : Denis

Exemple de fiche de persona : Denis
Antès, 2019a

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Dépasser la complexité induite par la diversité de nos publics

Nos publics

La Bibliothèque nationale et les Archives nationales intéressent beaucoup les chercheurs, les étudiants, les citoyens passionnés d’histoire, les généalogistes et historiens de famille ainsi que les recherchistes de toutes sortes, tandis que la Grande Bibliothèque s’adresse à presque tout le monde grâce à une offre sur place et en ligne très diversifiée. Notre offre de service est très vaste, et cela sans parler des publics professionnels du milieu de l’édition, des archives, des bibliothèques, de l’éducation et du gouvernement. Représenter l’exhaustivité de notre public à travers une seule étude serait presque impossible.

Commencer par le grand public

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, c’est à la fois une bibliothèque nationale, des archives nationales, une bibliothèque publique et une bibliothèque virtuelle disponible pour le monde entier. Il a été décidé que notre première étude sur les personas porterait dans un premier temps sur le grand public adulte (18 ans et plus).

Dans le cadre de l’optimisation de nos produits numériques, nous nous interrogeons sur la façon d’architecturer nos services en ligne pour qu’ils répondent efficacement aux besoins du grand public en priorité, et ce, peu importe la raison pour laquelle une personne se trouve sur notre site web, et peu importe l’appareil utilisé.

Nous ne serons pas en mesure d’améliorer tous les services en ligne à la fois. En revanche, mieux comprendre où se trouvent les points de chevauchement entre les différents services et quels sont les besoins de chaque public nous aidera à atteindre notre objectif.

Est-ce que tout le grand public est représenté ?

Plusieurs catégories composent le grand public : les adultes, les parents, les adolescents, les enfants, les aînés, les nouveaux arrivants, les personnes avec des limitations visuelles, auditives ou cognitives, ainsi que les personnes ayant des situations de handicap. Pourtant, ces catégories ne sont pas toutes représentées dans notre étude sur les personas. Une des principales raisons est qu’elles ont des parcours d’expérience précis et que BAnQ offre à la plupart d’entre elles des produits numériques spécifiques qui ont été exclus du sondage (la section jeunesse du portail, par exemple). Afin de résoudre ce problème de représentation, nous allons poursuivre nos analyses avec des recherches pour chacun des groupes nommés précédemment. Pour ce faire, à l’exception des enfants, pour qui nous ferons des études ultérieures, nous allons recruter des utilisateurs et procéder à des entretiens en face à face et compléter notre portrait de personas. À partir de ces rencontres individuelles, nous allons également concevoir des parcours utilisateurs omnicanaux[15] (voir figure 4). Ces cartographies d’expérience illustreront comment les citoyens interagissent avec BAnQ, quels sont les services et les canaux qu’ils utilisent : sur place, à la maison, avec un ordinateur ou une tablette, ou encore au téléphone. Nous chercherons à comprendre quels sont les problèmes soulevés, ce que nos usagers tentent d’entreprendre et quelles émotions les accompagnent tout au long de leurs interactions avec notre offre numérique.

Figure 4

Exemple de parcours utilisateur

Exemple de parcours utilisateur
Interaction Design Foundation, s. d.

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Les usagers qui utilisent nos services pour leur travail

Les usagers qui utilisent nos services pour leur travail ont des besoins de recherche spécifiques. Ils seront aussi recrutés pour des entrevues individuelles et invités à participer à des entrevues qui nous permettront de mieux comprendre leur processus de recherche. Nous ferons alors des diagrammes de processus de recherche pour chacun de ces profils de « chercheurs ».

Les citoyens avec des difficultés de lecture et d’écriture

Selon une étude menée par Statistique Canada en 2013, on peut affirmer qu’il existe au Québec un fort pourcentage d’analphabètes fonctionnels : environ 52 %. On peut supposer que nos usagers ayant des difficultés d’écriture et de lecture n’ont pas pu répondre au sondage en ligne ou qu’ils sont peu nombreux à utiliser nos services en ligne. Donner accès à la culture à tous est un des piliers de nos missions. Nous prévoyons, par conséquent, réaliser des tests utilisateurs lorsque nous serons plus avancés dans la conception de notre produit afin que ce public soit pris en compte de manière adéquate dès le début de la conception.

L’accessibilité et le design pour les extrêmes

Avec un public aussi vaste, on peut se demander à juste titre si cela ne serait pas plus simple de concevoir pour tout le monde dès le départ. Mais est-ce possible ?

D’autres sociétés et institutions s’adressant également au grand public (Radio-Canada et Desjardins en sont deux exemples) ont les mêmes préoccupations. Comment arrivent-elles à relever ce défi tout en offrant des canaux personnalisés à leur public ?

Malgré la place prédominante du UX dans le numérique, nous avons encore trop souvent tendance à créer des solutions pour l’utilisateur moyen. Pourtant, cet utilisateur moyen est un mythe, il n’existe pas. Si vous en croisez un, présentez-le-moi, je veux le rencontrer !

Levasseur, 2019

La réponse tend vers le développement de canaux personnalisés qui intègrent, dès le démarrage des activités de conception, l’accessibilité et le design pour les extrêmes.

Le design pour les extrêmes, c’est avoir conscience que, lorsqu’on s’adresse au grand public, on doit répondre aux besoins d’usagers aux profils hétérogènes plutôt qu’à ceux d’un usager « moyen ». Un peu comme le design universel répond aux besoins de tous lorsqu’on construit des lieux physiques, on conçoit des solutions numériques utilisables par tous, nécessitant le moins possible d’adaptation ou de conception particulière. Une majorité de scénarios d’utilisateurs sont intégrés dès le début de la conception du projet de façon à penser l’usage de l’outil par tous. Le grand avantage de cette approche est qu’elle permet d’améliorer l’expérience numérique pour tout le monde.

En effet, depuis l’arrivée des ordinateurs portables, des tablettes et des téléphones intelligents, nous connaissons tous des situations qui nous imposent des limites : écran et clavier trop petits, soleil dans les yeux, vent dans les cheveux, froid aux doigts, bébé dans les bras, mauvaise connexion Internet, sans parler de la multiplication des canaux de contenus numériques que nous consultons et avec lesquels nous interagissons : sites web, courriels, applications mobiles, réseaux sociaux, dispositifs d’écoute de musique et de films en ligne, etc. Ce contexte fait naître de nouvelles tendances de conception vers la simplification des expériences et des interfaces : des appels à l’action faciles à repérer et à utiliser, des mots simples, des textes plus courts et plus gros, des images claires, des séquences d’interactions plutôt que de longs processus, entre autres.

Autrefois pensée seulement pour les personnes en situation de handicap, l’accessibilité devient maintenant utile à tout le monde.

Mise en pratique

Dans les mois à venir, comment allons-nous nous servir de nos personas ?

L’empathie comme moteur de la génération d’idées

L’empathie, c’est-à-dire la capacité de se mettre à la place des autres, est une qualité qui s’associe de manière très naturelle au processus en cours. Nous sortons en quelque sorte de nos propres souliers pour nous mettre dans la peau de nos usagers. Pour éviter les résistances et les incompréhensions par rapport à la création des personas, les bonnes pratiques indiquent que les parties prenantes participent activement à des ateliers de design thinking[16]. Avec la firme Antès, nous avons commencé à imaginer des cartes de valeurs pour nos personas (voir figure 5) avec un groupe composé de professionnels de toutes les unités administratives de BAnQ. Nous avons représenté ce que les usagers pensent, quels sont leurs désirs, leurs objectifs, ce qu’ils considèrent comme des gains ressentis et leurs frustrations. Grâce à ce travail, nous avons ensuite pensé à des produits pour chacun d’eux (voir figure 6) et priorisé leurs objectifs en fonction de nos propres objectifs institutionnels.

Figure 5

Carte de valeurs proposée pour le persona Denis

Carte de valeurs proposée pour le persona Denis
Antès, 2019b

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Figure 6

Produits et services imaginés pour le persona Denis

Produits et services imaginés pour le persona Denis
Antès, 2019b

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Ainsi, on peut se rendre compte que les personas sont de très bons outils pour la génération d’idées en séance de remue-méninges. Les dialogues ne s’articulent plus alors autour de nos propres perceptions ou besoins, mais en fonction des besoins des usagers.

Créer des parcours utilisateurs et innover grâce au design thinking

« Personas without scenarios are like characters with no plot. »

Goodwin, 2009, p. 308

Vous l’avez maintenant compris : les personas sont en réalité un point de départ. Une des composantes essentielles aux personas est la scénarisation et la vérification des expériences que nous allons concevoir. En plus de scénariser les expériences dans le contexte de l’utilisation de nos services, nous allons créer des parcours utilisateurs. Ces parcours utilisateurs seront des outils efficaces pour déceler les problématiques et les possibilités d’améliorations. Réalisés à la suite des entrevues qualitatives, ils seront faits pour chacun de nos personas grand public. Ces cartographies d’expérience nous serviront de support à l’innovation pendant des ateliers de design thinking. Les ateliers seront effectués en collaboration avec des professionnels de tout genre : des développeurs, des membres de l’équipe de stratégie et de celle des communications, des employés des services aux usagers et des professionnels de chaque unité.

Assurer une représentativité équitable dans la prise de décision de conception et lors de prochaines études

Rappelons que l’étude des personas nous a indiqué que nos usagers se divisent en deux groupes distincts dans une proportion presque égale : les usagers qui ont des besoins de découverte de nouveaux contenus et ceux qui ont des besoins de recherche spécifiques. Dans ce contexte, nous allons nous assurer d’avoir une bonne représentativité de ces deux groupes lorsque nous allons concevoir notre produit, mais également de recruter des participants aux entrevues qualitatives qui correspondent aux profils des personas déterminés.

Prioriser nos personas pour aider à concevoir des expériences en ligne efficaces

Un autre des bénéfices de faire des personas est de pouvoir les prioriser par catégories. Lorsqu’on parle de priorisation, cela ne signifie pas que certains profils ou certains publics sont moins importants. La question que nous nous poserons est : quels sont les usages pour nos publics cibles ? Avec nos personas en tête, nous pourrons scénariser des séquences de tâches et concevoir notre produit numérique afin de satisfaire les personas de la catégorie primaire, sans rendre insatisfaits ceux du groupe secondaire, puis ceux de la catégorie supplémentaire. L’idée est d’inclure tout notre public, mais en ayant une image claire et précise des besoins de nos usagers selon leurs profils, car concevoir la même solution pour tout le monde ne satisfait personne.

Conclusion

Nos personas sont en réalité un point de départ. Cette étude placée dans le cadre de « l’acquisition de connaissance » nous a permis de mettre en lumière, très schématiquement, qu’environ 50 % de notre public est plutôt à l’aise avec les interfaces numériques, demande peu d’aide et cherche à se divertir tout en se cultivant, alors que l’autre moitié, moins à l’aise avec les interfaces numériques, a des besoins de recherche et des intérêts plus précis, et utilise nos services en ligne avec un peu moins de plaisir. Ce premier éclaircissement nous permet déjà d’entrevoir des pistes de conception davantage basées sur la découvrabilité d’une part et sur un meilleur accompagnement de l’autre. Nous poursuivrons cette étude par des recherches complémentaires : des entretiens en face à face et des parcours utilisateurs omnicanaux. Cela nous permettra d’obtenir un portrait juste du grand public, y compris des publics plus aux extrêmes, et de mieux comprendre le contexte d’utilisation de nos services et les problèmes reliés à ceux-ci. Nous les traiterons dans des ateliers de design thinking menés par une équipe multidisciplinaire. Enfin, nous allons concevoir notre produit numérique à partir de données probantes, en écoutant nos usagers, et nous aurons le souci d’inclure les profils hétérogènes à la base de notre stratégie de produit.

Loin d’être réservées aux institutions avec des moyens financiers importants, l’innovation numérique et la mise en pratique des méthodes de conception centrées sur les usagers sont également possibles avec des moyens plus modestes, l’essentiel étant de se faire accompagner par des experts. BAnQ, avec sa pléiade de publics, est toute désignée pour épouser ces méthodologies, qui l’aideront sans aucun doute à adopter le point de vue des usagers et des perspectives stimulantes dans le contexte de la transformation numérique gouvernementale.