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Quel livre exceptionnel ! Voici un projet original qui met en valeur le patrimoine documentaire québécois du XXe siècle et qui devrait intéresser autant les spécialistes que le grand public à qui d’ailleurs ce livre s’adresse en premier lieu. Initiateur du projet, Claude Corbo est professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis 1969. On lui doit plusieurs oeuvres de compilation dont Monuments intellectuels québécois du XXe siècle — Grands livres d’érudition, de science et de sagesse (Sillery, Septentrion, 2006) et Le Rouge et le bleu. Une anthologie de la pensée politique au Québec de la Conquête à la Révolution tranquille (Montréal, PUM, 1999). La collaboratrice au projet, Sophie Montreuil, est directrice de la recherche et de l’édition à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et rédactrice en chef des revues À Rayons ouverts et Revue de BAnQ.

Claude Corbo et Sophie Montreuil ont réuni vingt auteurs et ont demandé à chacun de présenter un livre remarquable du Québec contemporain tiré des collections patrimoniales de BAnQ. L’originalité de ce projet tient en partie au fait que Corbo, à qui l’on doit la sélection finale des vingt livres, ne se soit pas limité aux classiques de la littérature québécoise qui ont été réédités à maintes reprises et que l’on retrouve dans de nombreuses anthologies. Le contenu du livre choisi et la notoriété de son auteur ne sont pas les seuls critères qui ont été retenus pour constituer la liste. L’accent a aussi été mis sur les livres qui ont contribué au fil des ans à façonner l’art du livre au Québec, des livres qui se démarquent par leur forme matérielle ou encore par l’impact qu’ils ont eu sur le développement de l’édition au Québec. Laissons Claude Corbo en présenter les principales balises : « Les livres retenus pour le présent projet sont plutôt marquants à divers autres égards : leurs caractéristiques matérielles, le papier choisi, leur typographie, leur illustration, leurs dimensions, leur caractère novateur, leur style original, la place qu’ils occupent dans l’histoire de l’édition, leur influence, leur exceptionnelle rareté ou leur destin singulier. […] Le contenu comme tel n’a donc pas été un critère de choix déterminant » (p. 2). La prémisse de ce projet constitue donc une proposition intéressante et originale qui, à notre connaissance, n’avait jamais été réalisée au Québec.

Chaque livre fait l’objet d’un chapitre abondamment illustré de photographies en couleurs de l’ouvrage, notamment la première de couverture et une sélection de pages particulièrement parlantes et évocatrices. De belle facture, imprimé sur papier glacé et offrant une présentation graphique harmonieuse, cet ouvrage saura plaire aux amateurs de livres rares et anciens et à ceux qui s’intéressent à l’histoire littéraire ainsi qu’à l’évolution de l’édition québécoise. Les amateurs d’histoire de l’art y trouveront aussi leur compte puisque nombre des oeuvres présentées dans ce collectif ont fait appel à des artistes et artisans reconnus, comme l’illustrateur Henri Julien, les peintres Horatio Walker, Alfred Pellan et Claude Dulude, le graveur Edwin H. Holgate, le caricaturiste Robert La Palme et quelques autres. Seul bémol, la première de couverture, dans des tons de gris et dont la mise en page plutôt austère ne reflète pas la beauté de l’ouvrage, ni son caractère unique.

Rédigé par un spécialiste, chaque chapitre est conçu suivant une structure commune. Dans un premier temps, l’auteur du livre « remarquable » est présenté, ainsi que ses collaborateurs s’il y a lieu (peintres, graveurs et autres artisans ayant participé à la conception). Dans un deuxième temps, une description physique du livre est proposée, suivie d’une description de la place qu’il a occupée dans le champ éditorial et intellectuel de son époque, des conditions particulières de sa conception, de sa rédaction et de sa publication. Si on trouve dans la liste certains classiques comme La chasse-galerie d’Honoré Beaugrand (présenté par Aurélien Boivin), les Poésies d’Émile Nelligan (Pascal Brissette et Audrée Wilhelmy), La flore laurentienne de Frère Marie-Victorin (Yves Gingras) et les Oeuvres d’Hector de Saint-Denys Garneau (François Dumont), des oeuvres moins connues y sont également présentées, comme le Vitrail de Cécile Chabot (Daniel Chouinard) et le Ristontac d’Andrée Maillet (Pascale Ryan), ainsi que des oeuvres plus connues mais rarement traitées dans les anthologies comme le Dictionnaire général de la langue française au Canada de L.-A. Bélisle (Josée Vincent), Coffin était innocent de Jacques Hébert (Pierre Hébert) ou encore le Dictionnaire thématique visuel de Jean-Claude Corbeil (Monique Cormier). La poésie occupe une place de choix dans cette sélection d’ouvrages : près de la moitié des titres retenus appartiennent à ce genre littéraire. On y trouve aussi des essais comme L’île d’Orléans de P.-G. Roy (Marcel Lajeunesse), des recueils d’illustrations, comme l’Album Henri Julien (Stéphanie Danaux), et un atlas, celui de Marcel Trudel (Jean-François Palomino).

En postface, le professeur Jacques Michon signe un texte analytique qui, tout en évoquant chacun des vingt livres présentés dans ce collectif, dégage une vision d’ensemble de l’évolution de l’art du livre au Québec au XXe siècle. Très réussi, cet exercice permet de constater, entre autres, le long chemin parcouru sur le plan des innovations techniques en un peu plus d’un siècle entre la parution de La chasse-galerie d’Honoré Beaugrand (1900) et les dernières éditions du Dictionnaire visuel (2011) de J.-C. Corbeil.

Accessible à toutes les bourses (40 $ pour la copie papier et 30 $ pour le document numérique en format PDF), Livres québécois remarquables du XXe siècle marquera l’histoire du livre et de l’édition au Québec tant par la richesse de son contenu que par son approche novatrice.

En terminant, nous nous permettons de nommer les autres auteurs ayant commenté les ouvrages retenus, car sans leur travail d’analyse critique et historique, ce livre n’aurait pas la profondeur qui le caractérise. Il s’agit de Renée Legris pour Metropolitan Museum de Robert Choquette ; Claude Fournier pour Poèmes d’Alain Grandbois ; Martin Doré pour Oeuvres poétiques complètes de Victor Hugo ; Danielle Léger pour Le voyage d’Arlequin d’Éloi de Grandmont ; Mariloue Sainte-Marie pour Midi perdu de Roland Giguère ; Hélène Samson pour Portrait of a Period de J. Russell Harper et Stanley Triggs ; Robert Lahaise pour L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois de Robert-Lionel Séguin ; enfin, de Robert Melançon pour écRiturEs de Paul-Marie Lapointe.