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Introduction

La bibliothèque en milieu carcéral joue un rôle essentiel ; elle est une fenêtre ouverte sur le monde extérieur et l’imaginaire. Elle comble ainsi les besoins au plan des loisirs, de la culture, de l’éducation et de la réhabilitation des personnes incarcérées. Cette importance est régulièrement soulignée dans divers écrits, y compris des documents émanant d’organisations telles que la Fédération internationale des associations et institutions des bibliothèques (IFLA).

Au Québec, la loi S-40.1 sur le système correctionnel prévoit, pour les 18 établissements de détention provinciaux où les personnes incarcérées purgent une peine de moins de deux ans, qu’

un programme d’activités doit proposer aux personnes contrevenantes des activités de formation académique, professionnelle et personnelle, des activités de travail, rémunérées ou non, et des activités sportives, socioculturelles et de loisir

LégisQuébec, point 76, 2022

La bibliothèque en milieu carcéral au Québec devrait être impliquée dans plusieurs de ces différentes activités. Au Canada, dans les prisons fédérales où les sentences sont de plus de deux ans, des rapports ont été publiés pour en améliorer les services (Nason, 1981 ; Peat et al., 1984) ainsi que deux études qui présentent les points forts et les points faibles des services de bibliothèque dans les prisons fédérales du Canada (Curry et al., 2003 ; Ings et Joslin, 2011). On constate aussi qu’un espace doit être dédié à des services de bibliothèque.

Le présent article est une synthèse du mémoire rédigé en 2022 par Romy Otayek (Otayek, 2022), sous la direction de Marie D. Martel et Christine Dufour, lors de ses études à la maîtrise à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information à l’Université de Montréal. Il présente un aperçu de la revue de la littérature et des résultats obtenus. La recherche portait sur les services de bibliothèque offerts dans les établissements de détention au Québec de juridiction provinciale et visait à brosser un portrait actuel de la situation des bibliothèques dans le milieu carcéral québécois. Plus précisément, les objectifs de la recherche étaient de :

  • Décrire les services de bibliothèques dans les établissements de détention de juridiction provinciale au Québec ;

  • Mettre en lumière la gestion et l’organisation des bibliothèques dans les établissements de détention de juridiction provinciale au Québec ;

  • Décrire les rôles de la bibliothèque dans les établissements de détention de juridiction provinciale au Québec.

Dans des pays qui partagent avec le Canada et le Québec une certaine culture bibliothéconomique, comme c’est le cas des États-Unis, du Royaume-Uni, et de la France, des recherches ont été publiées sur les bibliothèques de prison (Bowden, 2002 ; Bowe, 2011 ; Cramard et McLoughlin, 2011). En revanche, il en existe très peu au Canada et aucune au Québec depuis près de cinquante ans. Une étude québécoise d’André Castonguay datant de 1973 soulignait déjà des lacunes en matière d’accès à l’information pour les détenus de la prison de Bordeaux (Castonguay et al., 1973).

Survol de la revue de la littérature

La revue de la littérature a porté sur des études publiées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et au Canada. Ces pays ont été retenus en raison de la proximité géographique, mais aussi historique et professionnelle entretenue avec le Québec. Cette recension a également inclus les publications des associations et des organismes comme l’IFLA, l’UNESCO et l’ONU sur le sujet.

Plusieurs bases de données ont été consultées en bibliothéconomie, en criminologie, en sociologie et en éducation afin de bien couvrir le sujet : Library and Information Science Abstracts, Library, Information Science & Technology Abstracts, Library Literature and Information Science, ERIC, Sociological Abstracts, Criminal Justice Abstracts et Web of Science. Cent-trente-huit références, majoritairement en anglais, ont été retenues et analysées.

Les différentes lectures effectuées ont permis d’appréhender la situation des bibliothèques en milieu carcéral aux États-Unis. Depuis le xxe siècle, la majorité des établissements correctionnels disposent d’une bibliothèque et il existe des catalogues publiés et des rapports sur les bibliothèques de prison (Wilkins, 1977 ; Vogel, 2009). Dès les années 1970, l’étude de Marjorie LeDonne révèle que les services offerts en milieu carcéral sont inadéquats et qu’ils devraient être améliorés, entre autres, au plan des ressources qui sont offertes. Trente ans plus tard, en 2002, Bowden mène une autre étude dans le but de décrire l’utilisation de la technologie dans les prisons américaines et elle conclut alors que l’accès à Internet est très limité. De son côté, toujours en contexte américain, Suzanna Conrad réalise une étude en 2012 sur le développement des collections et constate que la censure est régulièrement pratiquée sous le couvert de maintenir la sécurité de l’établissement. Ces pratiques censoriales sont également observées, plus récemment en 2021, par Jennifer Elaine Steele, dans plusieurs établissements à travers le pays. On constate, par conséquent, que la censure et l’introduction des nouvelles technologies font partie des différents défis auxquels sont confrontés les bibliothèques de prison aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, une politique adoptée en 1964 établit l’importance d’offrir des services de bibliothèque dans les prisons et celle de créer un lien avec la bibliothèque publique (Bowe, 2011 ; Pérez Pulido, 2008). Ce document de cadrage exige aussi que toutes les prisons détiennent une bibliothèque dans leur enceinte. En 2011, Bowe publie une recherche sur l’état des services de bibliothèque offerts dans les établissements correctionnels à travers le Royaume-Uni et conclut que le développement des collections se doit de refléter la réalité et la diversité de la population carcérale. De leur côté, en Écosse, Cheryl Canning et Steven Buchanan (2018) ont étudié le comportement informationnel des personnes détenues et constatent que l’information touchant les besoins émotionnels, la santé mentale et la réhabilitation n’est pas suffisante. Finlay (2018), dans son étude sur les prisons pour femmes dans le nord de l’Irlande, fait état d’une légère amélioration grâce aux changements apportés dans les politiques, mais il semble que la bibliothèque de prison soit alors trop rarement évoquée. Selon Anne Marie McInerney (2019), le budget est insuffisant et des lignes directrices devraient être adoptées. Là encore, les nombreuses restrictions imposées sont autant de défis à relever pour améliorer les services offerts aux personnes détenues.

En France, les premières mentions de la bibliothèque de prison remontent au xixe siècle. Des politiques et des cadres législatifs sont adoptés au cours du xxe siècle et, à partir des années 1980, les hôpitaux et les établissements correctionnels se dotent de bibliothèques. Il manque aux bibliothèques de prison un budget adéquat, des ressources informatiques en quantité suffisante ainsi qu’un meilleur accès aux services (Cramard et McLoughlin, 2011). En France, une distinction est faite entre un « accès direct » à la bibliothèque et un « accès libre » où la personne détenue peut se rendre librement à la bibliothèque de son établissement sans être accompagnée par un surveillant (Terrusse, 2015). Les activités culturelles font partie du Code de procédure pénale et doivent se rapprocher de ce qui se fait dans les bibliothèques publiques, ce qui procure l’occasion aux personnes détenues de s’ouvrir au monde extérieur et de socialiser (Bürki, 2013 ; Pineau, 2015). Cramard (2008) souligne la lenteur des changements apportés dans les bibliothèques de prison en France.

Au Canada, deux études majeures ont été publiées, soit en 2003 et en 2011. Des guides et des rapports ont également été publiés au cours du xxe siècle et recommandent d’offrir des services de bibliothèque qui se rapprochent des services offerts dans les bibliothèques publiques (Nason, 1981). On préconise, en outre, l’embauche de bibliothécaires qualifiés (Nason, 1981 ; Peat et al., 1984). Un guide national pour les bibliothèques de prison est adopté en 2012 pour les responsables de la bibliothèque (Service Correctionnel Canada, 2012). L’étude de 2001 publiée par Curry et al. en 2003 fait état des services de bibliothèque offerts dans les établissements fédéraux à travers le pays tant pour les hommes que pour les femmes. Les chercheurs dénoncent l’absence d’un accès à Internet et, plus généralement, des limites en matière d’accès à l’information pour les détenus, en particulier pour ceux ayant une plus faible littératie. De leur côté, Catherine Ings et Jennifer Joslin, en 2011, proposent une chronologie du développement des bibliothèques de prison entre 1980 et 2010. Elles concluent que, de façon générale, et malgré quelques avancées, les bibliothèques n’arrivent pas à atteindre les objectifs formulés dans les recommandations concernant le budget, l’embauche de personnel et la proposition d’activités. Depuis, aucune étude d’envergure n’a été publiée sur les bibliothèques de prison au Canada.

Au Québec, deux études se sont intéressées au contexte québécois. Anne M. Galler et Joanne Locke (1991) ont mené une recherche dans les prisons fédérales du Québec pour brosser un portrait général des services de bibliothèque et vérifier si les besoins et les intérêts des personnes détenues sont comblés. Elles concluent que, même si la bibliothèque est importante, les ressources sont réparties de manière inégale entre les établissements. Quelques décennies plus tôt, en 1973, André Castonguay et un groupe d’étudiants tentent de brosser un portrait des services de bibliothèque offerts à l’époque dans l’établissement de Bordeaux (Montréal) à l’aide d’un questionnaire remis aux détenus. Il en ressort que les détenus préfèrent échanger des livres entre eux avant de se tourner vers la bibliothèque, ce qui a amené l’équipe à émettre des recommandations pour améliorer les services de la bibliothèque et mieux répondre aux besoins de la population carcérale.

Grâce à la revue de la littérature, il a été possible de mieux appréhender les ressemblances entre différents contextes quant aux défis à relever tels que le manque de ressources et un budget insuffisant, et qui semblent affecter les bibliothèques en milieu carcéral dans la plupart des pays étudiés. Quelques différences apparaissent également entre certaines régions étudiées concernant la gestion de la bibliothèque, et plus spécifiquement, la création de partenariats avec la bibliothèque publique. De façon générale, on remarque que le modèle de la bibliothèque publique est très souvent préconisé.

Méthodologie

La recherche a débuté par une recension des écrits pour établir le cadre de référence de la recherche. Par la suite, une enquête descriptive a été effectuée afin d’obtenir un portrait actualisé des services de bibliothèque offerts dans les établissements de détention de juridiction provinciale de la province de Québec. Cette enquête a été réalisée par l’envoi d’un questionnaire autoadministré en ligne aux responsables des bibliothèques des établissements visés. En sus du cadre de référence développé à partir de la littérature, les lignes directrices de l’IFLA ont été utilisées pour structurer le questionnaire ainsi que pour élaborer les questions. Le questionnaire comportait 69 questions, la plupart étant des questions fermées.

Une fois les approbations éthiques obtenues de l’Université de Montréal et du ministère de la Sécurité publique, le questionnaire a été prétesté pour en assurer l’efficacité. Par la suite, le ministère a envoyé l’invitation pour participer de manière anonyme à l’enquête aux responsables de la bibliothèque dans les 18 établissements de détention de juridiction provinciale que compte la province. La collecte des données a été effectuée pendant le mois de juin 2022. Les données recueillies ont par la suite fait l’objet d’analyses quantitatives et qualitatives.

Résultats

Cette section présente un aperçu des résultats obtenus au niveau des services, de la gestion et de l’organisation de la bibliothèque et des rôles que celle-ci joue auprès de la population carcérale selon la perception des participants. Pour débuter, les résultats illustrent brièvement la situation des établissements.

Portrait des établissements

Sur les 18 établissements qui ont reçu l’invitation à participer à l’enquête, 15 ont répondu au questionnaire et sont répartis partout à travers la province, plus précisément dans 17 régions administratives. Certaines régions détiennent deux établissements sur leur territoire. Pour seulement deux établissements, la population carcérale dépasse 500 personnes tandis que pour cinq d’entre eux, elle est de moins de 100 personnes. On constate également que, à l’intérieur de 3 établissements, la population carcérale est très homogène comme elle s’identifie à un seul groupe ethnoculturel, tandis qu’un seul établissement a une population très hétérogène.

L’âge des personnes incarcérées se situe principalement entre 21 ans et 59 ans avec quatre établissements ayant indiqué avoir un groupe de 20 ans et moins et cinq centres de détention comprenant un groupe de 60 ans et plus, avec une population majoritairement masculine. Les établissements de détention comptent deux catégories, soit pour les hommes et pour les femmes. Selon les responsables, ce sont les 30 à 39 ans qui fréquentent le plus la bibliothèque (73 %) suivis par les 40 à 49 ans (60 %). D’après le tableau 1, une grande variation est observée entre les établissements pour ce qui est du taux de fréquentation de la bibliothèque allant de 20 % dans deux cas jusqu’à 90 % dans un cas.

Tableau 1

Pourcentage des personnes incarcérées qui utilisent les services de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Pourcentage des personnes incarcérées qui utilisent les services de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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Services

Dans le questionnaire, la section des services était structurée autour des questions d’accessibilité, d’aménagement, des collections, des activités et des technologies proposées dans les établissements de détention.

Accessibilité

L’accès à la bibliothèque est défini par la « faculté d’accéder librement, de se procurer et d’utiliser les documents et services offerts par la bibliothèque » (Lehmann et Locke, 2005, p. 20). La majorité des établissements qui ont répondu ne permettent pas à la population carcérale un accès sur place à la bibliothèque, soit 11 établissements sur 15. Un seul établissement a affirmé permettre l’accès à la bibliothèque à toute la population incarcérée incluant celle en isolation ou en hospitalisation.

C’est la sécurité des lieux qui est évoquée comme principale raison pour limiter l’accès à la bibliothèque. Le manque de personnel ainsi que le manque d’espace sont aussi avancés comme explication. Selon les réponses obtenues, l’horaire hebdomadaire de la bibliothèque est variable allant de 1 heure jusqu’à 6 heures dans certain cas. Cependant, toutes les bibliothèques sont ouvertes une fois par semaine.

Aménagement

La majorité des répondants ont mentionné disposer d’un espace exclusivement dédié à la bibliothèque comprenant des étagères de différentes hauteurs et d’un bureau professionnel pour la personne qui travaille à la bibliothèque. On note toutefois l’absence de chaises de lecture et de fauteuils dans tous les établissements et la présence de tables dans seulement deux d’entre eux. La bibliothèque semble davantage aménagée à la manière d’un lieu de passage plutôt qu’un lieu où l’on s’arrête.

Tel qu’illustré par la figure 1, on observe une grande variation dans la superficie occupée par les bibliothèques. La majorité (72 %) des bibliothèques occupe 70 mètres carrés ou moins et deux établissements se situent bien au-delà de la moyenne de 70 mètres carrés. Le peu d’espace de certaines bibliothèques peut limiter l’accès ainsi que les possibilités d’aménagement.

Figure 1

Histogramme de la distribution des établissements quant à la superficie en mètres carrés de la bibliothèque (n = 11 établissements détenant un espace dédié à la bibliothèque)

Histogramme de la distribution des établissements quant à la superficie en mètres carrés de la bibliothèque (n = 11 établissements détenant un espace dédié à la bibliothèque)

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Collection

Tous les établissements qui ont répondu proposent uniquement des documents imprimés avec la possibilité de retrouver des jeux, des casse-têtes et dans certains cas des revues. À ce titre, sept établissements offrent des revues. On ne retrouve toutefois aucun document de type audio ou vidéo, en format numérique ou sur support alternatif (par exemple en braille).

La variation est aussi au rendez-vous pour la taille des collections entre les établissements. La plus petite collection pour un établissement est de 200 documents allant à plus de 10 000 et 14 000 documents pour deux établissements. La moitié des établissements possède moins de 3 500 documents.

Pour autant, on retrouve différents types de documents dans les bibliothèques avec les biographies présentes dans tous les établissements et la fiction dans 14 établissements (voir figure 2). La fiction et les biographies sont les deux genres les plus populaires suivis par les bandes dessinées.

Figure 2

Types de documents présents dans la collection de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Types de documents présents dans la collection de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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Cependant, les responsables ne développent pas les collections selon une politique de gestion des collections. Si une politique existe au sein de l’établissement, elle concerne principalement l’élagage des documents. En contrepartie, les établissements s’appuient sur des critères de sélection pour choisir leurs documents tels que les intérêts et les besoins de leur clientèle ainsi que le budget alloué (voir figure 3). Très peu d’établissements prennent en considération la collection déjà existante ou les critiques ainsi que le succès public et commercial des publications dans l’achat de documents pour la bibliothèque.

Figure 3

Critères de sélection des documents de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Critères de sélection des documents de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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De plus, nous ne retrouvons pas de politique de censure à proprement parler dans les établissements, mais plutôt une restriction pour certains documents, notamment ceux avec une couverture rigide qui peuvent représenter un risque pour la sécurité (voir figure 4).

Figure 4

Critères de restriction du matériel à la bibliothèque (n = 11 établissements ayant des critères de restriction)

Critères de restriction du matériel à la bibliothèque (n = 11 établissements ayant des critères de restriction)

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Les personnes incarcérées peuvent emprunter jusqu’à deux documents dans 40 % des établissements, et un seul établissement permet d’emprunter jusqu’à six documents. Le temps de l’emprunt varie entre une et deux semaines pour 11 des établissements, mais peut se prolonger jusqu’à quatre semaines pour un établissement.

Activités

À la différence des types de documents qui représentent une variété de choix, les établissements proposent très peu de services et d’activités dans 13 établissements sur les 15. Deux centres proposent un catalogue et des conseils de lecture. Pour les activités, seulement trois établissements en proposent (ateliers d’écriture, rencontres d’auteurs et club de lecture).

Technologie et système informatisé

Il en va de même pour ce qui est de la présence de technologie dans les bibliothèques. Ainsi, les personnes incarcérées n’ont aucun accès à des lecteurs de CD ou DVD, des liseuses, des ordinateurs portables ou des tablettes. Il n’y a aucun accès à Internet ou à des formations sur le numérique principalement pour des questions de sécurité. Cependant 13 des 15 établissements possèdent un système informatisé pour le catalogue et le prêt. Dans sept établissements le personnel de la bibliothèque peut consulter les documents disponibles.

Gestion et organisation

Pour comprendre le fonctionnement de la bibliothèque et son organisation, le questionnaire a couvert les aspects suivants : l’administration, le personnel, le budget et la communication.

Administration

Le bon fonctionnement d’une bibliothèque au quotidien peut être encadré par certains documents. Le prêt de document est l’aspect le plus souvent couvert par les documents de gestion (huit établissements), suivi par l’inventaire et l’élagage ainsi que le catalogue et le traitement (cinq établissements) (voir figure 5).

Figure 5

Aspects couverts par le document de gestion encadrant le fonctionnement quotidien de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Aspects couverts par le document de gestion encadrant le fonctionnement quotidien de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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Cependant, moins de 50 % des bibliothèques disposent d’un cadre de référence propre à leur établissement pour ce qui est du développement de la bibliothèque. Il n’est ainsi pas surprenant que pour dix établissements, la création de lignes directrices nationales soit jugée essentielle pour les aider à encadrer le développement et la gestion de la bibliothèque.

Personnel

La gestion de la bibliothèque relève de la responsabilité de personnes dont le titre est principalement responsable de la bibliothèque (9 établissements) (voir figure 6) et ayant un statut très variable (employé(e) civil(e) à temps partiel ou à temps plein, conseiller(ère) en milieu carcéral à temps plein) d’un établissement à un autre.

Figure 6

Titre de fonction à la bibliothèque de la personne responsable de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Titre de fonction à la bibliothèque de la personne responsable de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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Les tâches couvertes par cette fonction sont variées. L’achat des documents est la tâche la plus fréquente (60 % des responsables) suivi par le prêt et le retour (26,67 %). On remarque toutefois que le développement de collection n’est présent que pour un seul établissement et qu’aucune formation en lien avec la bibliothèque n’est suivie. De plus, on constate qu’aucun bibliothécaire professionnel diplômé et de technicien en documentation ne travaille à la bibliothèque. Finalement, dans près de la moitié des établissements (46,67 %), la personne responsable est accompagnée dans son travail par une personne incarcérée à temps partiel.

Les personnes responsables jugent que les compétences professionnelles doivent permettre de supporter la confrontation et la critique, d’être diplomate et d’avoir un bon sens des responsabilités. Cependant, posséder un diplôme dans une disciple en particulier, par exemple en bibliothéconomie, n’est pas perçu comme important. De plus, seulement le tiers des répondants considèrent important de connaître le fonctionnement d’une bibliothèque. Pour ce qui est des compétences personnelles, les personnes responsables mentionnent qu’il faut faire preuve d’adaptation, de tolérance, d’écoute, de patience et de bien connaître ses limites.

Budget

Le budget de financement la bibliothèque provient du Fonds de soutien à la réinsertion sociale. Différents postes budgétaires sont couverts dont l’acquisition des documents, des revues, des journaux, des bases de données, du mobilier, ainsi que l’acquisition et la maintenance du matériel et des logiciels informatiques. Le budget n’inclut pas le prêt entre bibliothèques ou la formation professionnelle. De fait, le budget ne dépasse pas 2 000 $ pour 60 % des établissements (voir tableau 2).

Tableau 2

Budget annuel alloué pour le développement de la bibliothèque (n = 15 établissements)

Budget annuel alloué pour le développement de la bibliothèque (n = 15 établissements)

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Le salaire des personnes incarcérées travaillant dans les bibliothèques varie entre 156 $ et 450 $ par année. Dans un cas, il a été précisé qu’il s’agissait plutôt d’une allocation par jour de 8 $.

Communications

Différents outils de communication sont déployés afin d’informer les personnes incarcérées de l’existence de la bibliothèque et de la manière d’en utiliser les services. Les moyens de communication les plus utilisés sont la séance d’information et l’emploi d’un dépliant sur les services ainsi que le catalogue des livres de la bibliothèque.

Rôles des bibliothèques

La bibliothèque joue différents rôles auprès de la population carcérale selon les personnes répondantes. Elle est avant tout une source de loisir, mais aussi un moyen de s’informer, de se développer sur le plan personnel, de s’éduquer et de se développer sur le plan culturel (voir figure 7).

Figure 7

Raisons pour lesquelles la bibliothèque est employée par les personnes incarcérées (n = 15 établissements)

Raisons pour lesquelles la bibliothèque est employée par les personnes incarcérées (n = 15 établissements)

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Elle est très importante pour les personnes incarcérées, voire très importante pour plus de 50 % des établissements. On n’y retrouve toutefois pas le rôle social que la bibliothèque pourrait jouer, ce qui est cohérent avec le fait que la fréquentation libre de la bibliothèque n’est pas possible dans 80 % des établissements.

Discussion et pistes d’améliorations

Bien que la bibliothèque joue un rôle important auprès des personnes incarcérées et que des points positifs ressortent, on observe des différences significatives entre chaque établissement. De plus, plusieurs des lignes directrices de l’IFLA ne sont pas respectées notamment en ce qui concerne l’accès à la bibliothèque, la variété des supports des documents, l’accès à des technologies, la tenue d’activités, l’absence d’espace suffisant et la présence de personnel qualifié dans une perspective de réhabilitation de la population carcérale.

Aménagement et accessibilité

Certains établissements respectent les recommandations de l’IFLA concernant l’espace, lesquelles préconisent une superficie de 15 m² pour 1 000 volumes de rayonnages (Lehmann et Locke, 2005, point 4.6, p. 11). Cependant, pour six établissements, la surface disponible est en deçà des normes suggérées par l’IFLA, tandis que quelques-uns dépassent ces recommandations. Les établissements détenant un espace plus important que ce qui est recommandé pourrait y ajouter un espace de lecture et permettre aux personnes incarcérées de profiter de la bibliothèque de façon sécuritaire. À cela s’ajoute le manque de personnel qui représente un frein à l’accessibilité de la bibliothèque.

Nous avons constaté que seulement quatre établissements autorisent l’accès à la bibliothèque, et parmi eux, seuls trois offrent un accès direct aux documents. Il est intéressant de noter qu’un seul établissement permet au personnel du centre de détention de fréquenter la bibliothèque, même si cette pratique est recommandée par l’IFLA.

Collection et développement des activités

Les bibliothèques, dans les établissements carcéraux au Québec, présentent des points forts qui concernent les collections, mais également des points qui ne correspondent pas aux recommandations de l’IFLA. L’IFLA recommande un « ratio de 10 titres par détenu » ou la possession d’au moins 2 000 titres. On observe qu’au moins six établissements ne disposent pas d’un nombre de documents adéquat en fonction du nombre de détenus dans leur établissement, tandis que pour sept établissements, on observe l’effet inverse avec un excédent de documents. Cet espace pourrait à la place servir à y installer du mobilier par exemple.

Pour permettre une diversité de support, un partenariat avec la bibliothèque publique la plus proche de l’établissement pourrait être envisageable. Cette approche se pratique en France par exemple. Cela pourrait également être bénéfique pour le développement des activités qui apparaît comme un des aspects les plus pauvres de la recherche. Créer des liens avec la bibliothèque publique comme cela se fait en France, mais aussi aux États-Unis par exemple, peut être bénéfique et contribuer à combler le manque de ressources de la bibliothèque en milieu carcéral (Fiorletta, 2015 ; De la Peña McCook, 2004).

L’IFLA met en avant l’importance des activités culturelles centrées sur la littérature dans le contexte carcéral. Selon leurs directives, de telles programmations, en encourageant une utilisation constructive du temps, le développement des compétences sociales et la confiance en soi, contribuent à améliorer la qualité de vie quotidienne des détenus. Il est souligné que l’administration pénitentiaire devrait être consciente du fait que les détenus engagés dans des activités culturelles ont moins de probabilités de poser des problèmes et de créer des perturbations (Lehmann et Locke, 2005, p. 18).

L’organisation d’activités culturelles au sein de la bibliothèque offre non seulement une manière d’utiliser l’espace, mais elle contribue également à améliorer la littératie des individus en détention, à développer leurs compétences sociales, à occuper leur temps et à faciliter leur réintégration dans la communauté. De plus, les activités de lecture en famille jouent un rôle essentiel dans le maintien du lien entre l’enfant et le parent qui vit une expérience de détention, une expérience souvent traumatisante pour les deux parties (McLeod et al., 2021).

Personnel

L’organisation d’activités au sein des bibliothèques des établissements de détention pourrait être facilitée par la présence de bibliothécaires professionnels qualifiés. À cet égard, l’IFLA recommande que toutes les bibliothèques dans les établissements pénitentiaires, indépendamment de leur taille, soient supervisées par un bibliothécaire professionnel ayant réussi les concours requis, que ce soient des professionnels de la lecture publique ou des bibliothécaires scolaires (Lehmann et Locke, point 6.1, p. 12, 2005). Plus précisément, l’IFLA préconise qu’un établissement accueillant une population de plus de 500 détenus devrait engager un bibliothécaire professionnel. Selon les données recueillies, au moins deux établissements devraient employer un bibliothécaire professionnel à temps plein, et 11 établissements devraient en avoir un à temps partiel. Les autres établissements devraient bénéficier d’une supervision professionnelle.

Établir un partenariat avec une bibliothèque publique ou scolaire peut être une solution pour pallier le manque de personnel qualifié en bibliothéconomie, comme observé en France où des bibliothécaires professionnels interviennent dans les établissements correctionnels, collaborant avec les bibliothécaires détenus responsables de la bibliothèque (Fiorletta, 2015, p. 107). La présence d’un ou une bibliothécaire professionnelle est cruciale pour répondre adéquatement aux questions et aux besoins des personnes incarcérées, ainsi que pour élaborer des programmes de qualité, ayant le potentiel d’avoir un impact significatif sur cette population (Vogel, 2009, p. 175).

Il est évident que chaque établissement présente des caractéristiques spécifiques qui nécessitent une approche adaptée afin d’améliorer ses services. Les réalités des établissements de détention au Québec partagent également des similitudes avec celles observées dans d’autres pays. En contribuant au développement des bibliothèques dans ces contextes, il est possible de favoriser simultanément le développement de la littératie chez les personnes incarcérées et la réduction de l’isolement souvent ressenti en détention. Engager des bibliothécaires professionnels est donc essentiel pour faire une véritable différence, ou à tout le moins, établir des partenariats fructueux avec les bibliothèques publiques et scolaires.

Conclusion

Cette enquête met en lumière un nombre non négligeable de points positifs ; toutefois ; il est indéniable qu’un effort important reste à faire pour améliorer les bibliothèques dans les établissements de détention au Québec si l’on souhaite respecter les recommandations de l’IFLA et offrir des services qui répondent encore mieux aux besoins de la population carcérale. À la vue des résultats obtenus, il semble que les personnes répondantes accordent une importance significative à la bibliothèque ainsi qu’aux demandes des personnes incarcérées. Nous constatons également la pertinence d’établir des lignes directrices nationales qui viendraient aider les responsables de la bibliothèque dans la gestion de la bibliothèque tout en prenant en considération les particularités de chaque établissement. Le sujet étant peu exploité au Québec, la recherche dans le domaine des bibliothèques de prison ouvre de nombreuses perspectives dans le futur. Quantité de données sont encore à exploiter et de nouvelles connaissances à explorer afin de continuer à développer une meilleure compréhension des bibliothèques en milieu carcéral ainsi que leur apport à la bibliothéconomie. Il serait notamment intéressant de connaître les habitudes de lecture des personnes incarcérées et leur lien avec la bibliothèque publique lorsqu’elles quittent la détention par exemple. Il reste encore un travail considérable à accomplir.