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Introduction

Le rôle des professionnels de l’information[1] est en constante transformation avec l’évolution des pratiques et des contenus informationnels. Ils doivent jouer un rôle stratégique accru tout en respectant des exigences de conformité et de reddition de compte plus strictes. Afin de s’acquitter de leurs activités et d’offrir des services pertinents aux usagers, les professionnels de l’information doivent faire preuve de créativité dans un contexte où les ressources sont souvent limitées et où plusieurs acteurs organisationnels investissent le territoire de l’information. Ainsi, ils devraient procéder à l’évaluation de leurs activités pour mieux démontrer la valeur ajoutée de celles-ci et leur contribution à l’atteinte des objectifs organisationnels.

Cet article fournit un aperçu des pratiques d’évaluation des activités en gestion de l’information et des archives au Québec à travers différents projets de recherche. D’une part, dans un projet de recherche portant sur la situation de la gouvernance de l’information dans les organisations, les questions liées au positionnement ont révélé que l’un des marqueurs d’influence repose sur les ressources allouées aux unités administratives. D’autre part, l’enquête statistique sur les centres et services d’archives du Québec a mis en lumière l’absence d’une culture normalisée d’évaluation pour démontrer la valeur ajoutée des activités au sein de son organisation. Enfin, un projet sur l’analyse des pratiques d’évaluation a permis de dresser un état des lieux sur les indicateurs utilisés pour mesurer les activités de gestion de l’information et des archives, sur les outils de collecte, et sur les dispositifs de gestion permettant de faire le suivi des indicateurs. Ce dernier projet documente aussi les mécanismes de communication mobilisés pour transmettre les données colligées à des fins d’évaluation aux parties prenantes de l’organisation, dont les gestionnaires. À la suite de cet aperçu, le présent article identifiera des pistes d’action que pourront utiliser les professionnels de l’information dans l’optimisation des ressources qui leur sont allouées. L’évaluation devient un levier pour convaincre de la pertinence et de la valeur des activités et, par conséquent, des ressources attribuées.

Gouvernance de l’information et intérêt d’une démarche d’évaluation

Des auteurs constatent que les activités des services d’information ne sont pas toujours positionnées stratégiquement au sein des organisations, ce qui a souvent un impact négatif sur les ressources (financières, humaines, etc.) qui leur sont allouées (Delabie, 2023 ; Elin et Rapaport, 2023). Afin de mieux se positionner parmi les autres acteurs de la gouvernance de l’information de leur organisation, les professionnels de l’information devraient utiliser différents leviers, dont la démarche d’évaluation, pour mieux mettre en avant la valeur ajoutée de leur expertise et de leur offre de services.

Gouvernance de l’information et acteurs de l’information

La gouvernance de l’information est reconnue comme étant un sous-ensemble de la gouvernance d’une organisation (Smallwood, 2020 ; Caron, 2021 ; ISO, 2022). Elle se définit comme

[a] strategic, cross-disciplinary framework composed of standards, processes, roles, and metrics that hold organizations and individuals accountable for the proper handling of information assets. The framework helps organizations achieve business objectives, facilitates compliance with external requirements, and minimizes risk posed by substandard information handling practices

ARMA International, 2018, p. 233

Elle consiste donc en un cadre stratégique de responsabilité qui encourage des comportements attendus au plan informationnel (Logan, 2010 ; Saffady, 2017). Qui plus est, elle est aussi reconnue comme une approche de contrôle de la qualité des différentes fonctions informationnelles dans les unités administratives (évaluation, organisation, accessibilité, protection de l’information, etc.). Ce faisant, l’organisation doit optimiser ses processus informationnels tout en se conformant aux exigences de conformité légales et réglementaires (Willis, 2005 ; Smallwood, 2020).

La gouvernance de l’information est aussi définie comme étant une « super discipline » intégrant plusieurs champs disciplinaires (Caron, 2020 ; Smallwood, 2020), ce qui implique que tous « les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en oeuvre » (Lacroix et St-Arnaud, 2012, p. 26) des actions nécessaires, dans une approche de coconstruction. En ce sens, elle s’inscrit dans une approche transversale et unificatrice visant à inclure des processus de gestion propres à des disciplines spécifiques, notamment la gestion des documents, de l’information et des connaissances, la gestion des technologies de l’information, la gestion des données opérationnelles et, dans le cadre des institutions de recherche, la gestion des données de recherche (AIIM, 2014 ; The Sedona Conference, 2018 ; Smallwood, 2020). Ces processus de gestion disciplinaires ne peuvent cependant faire abstraction les uns des autres, les contenus informationnels – qu’ils soient sous forme de données, documents, information ou connaissances – se croisant au sein des systèmes d’information organisationnels. Au sein de cette « super discipline », les professionnels de l’information devraient normalement avoir voix au chapitre. Différents moyens s’offrent à eux pour mieux démontrer, non seulement la valeur ajoutée de leur offre de services et leur contribution aux objectifs stratégiques de leur organisation, mais aussi la manière dont ils peuvent rendre compte des résultats et de l’impact de ces services, le tout dans un souci d’optimisation des ressources et de reddition de compte. Parmi ces moyens, mentionnons la planification et la mise en oeuvre d’une stratégie informationnelle pour l’organisation, l’analyse des parties prenantes, l’évaluation des activités de gouvernance de l’information, la réutilisation et le partage des connaissances, l’accompagnement du changement et la gestion des risques.

Un levier : la démarche d’évaluation

La démarche d’évaluation constitue l’un des moyens permettant de démontrer la valeur ajoutée des activités mises en place pour répondre aux besoins des utilisateurs, l’atteinte des objectifs organisationnels que permettent ces activités et le souci d’implanter des pratiques pérennes. L’évaluation consiste en une « démarche rigoureuse de collecte et d’analyse d’information qui vise à porter un jugement sur un programme, une politique, un processus, une activité ou un projet pour aider à la prise de décision » (Secrétariat du Conseil du trésor, 2013, p. 9). Les raisons qui motivent une démarche d’évaluation sont nombreuses (par exemple, reddition de compte, suivi des ressources, amélioration des activités, promotion des activités, étalonnage concurrentiel) (Voyer, 2009 ; Appleton, 2017 ; ARMA International, 2018). Une telle démarche « doit être en lien avec les préoccupations stratégiques » (Elin et Rapaport, 2023, p. 70) de l’organisation. Elle s’avère particulièrement utile dans une approche de gouvernance de l’information puisqu’elle doit tenir compte des différents éléments de l’écosystème organisationnel, soit les clients (usagers) (besoins, demandes de produits et services ainsi que possibilités d’intervention) ; les ressources (humaines, financières, informationnelles, matérielles ; partenaires et fournisseurs), les processus (activités) et les façons de faire ; les réalisations et les résultats ; les effets et impacts de ceux-ci sur l’organisation, et l’environnement interne et externe de l’organisation qui inclut toutes les obligations légales et réglementaires en lien avec l’information (Voyer, 2009, p. 100-101). La démarche d’évaluation fait partie des leviers stratégiques dont peuvent se prévaloir les professionnels de l’information, d’une part pour mieux se positionner parmi les autres acteurs de l’information au sein de l’organisation, et d’autre part pour optimiser les ressources à leur disposition. L’optimisation des ressources peut être comprise comme une « méthode de gestion des ressources financières, humaines et physiques [...] en vue de réaliser les objectifs de l’entreprise et de fournir de l’information utile aux décideurs » (OQLF, s.d.), et ce, dans une perspective d’efficience et d’efficacité de l’utilisation de ces ressources.

Analyse des pratiques d’évaluation à travers trois projets de recherche

À partir de trois de nos projets de recherche, nous présenterons des résultats qui permettent de mieux établir le lien entre des pratiques d’évaluation, le positionnement des professionnels de l’information et une stratégie d’optimisation des ressources.

Étude en gouvernance de l’information (2015, 2017-2019)

Nous avons tout d’abord mené une étude sur la gouvernance de l’information qui, comme cadre stratégique de responsabilité, peut être utilisée par les professionnels de l’information pour accroître leur positionnement. La première phase de cette étude (2015), quantitative, visait à dresser un portrait de l’état de la gouvernance de l’information dans les organisations canadiennes. La collecte des données a été réalisée à l’aide d’un questionnaire en ligne auto-administré, disponible en français et en anglais, envoyé à des professionnels de l’information canadiens par le truchement de listes de diffusion en sciences de l’information. Deux cents répondants ont complété le questionnaire, dont 80 en totalité, qui provenaient en majeure partie des secteurs public et parapublic. Les résultats obtenus ont mené à une seconde phase de l’étude (2017-2019), cette fois-ci qualitative, dont le but était d’examiner les relations de pouvoir entre les acteurs de la gouvernance de l’information. Treize entretiens individuels ont été menés avec dix professionnels de l’information et trois professionnels en technologies de l’information des secteurs public et parapublic au Canada. Les résultats des entretiens ont confirmé les résultats de l’enquête statistique. Ils ont aussi permis d’approfondir les connaissances sur les sources d’influence et les marqueurs de positionnement perçus par les répondants, de même que les compétences considérées essentielles pour la gouvernance de l’information (Maurel, Dufour et Zwarich, 2017 ; Zwarich et Maurel, 2020 ; Maurel et Zwarich, 2021).

Afin d’exercer leur rôle stratégique, les professionnels de l’information auraient intérêt à tirer parti de facteurs organisationnels qui peuvent être des vecteurs d’accélération de la gouvernance de l’information. En contrepartie, ils doivent aussi considérer différents obstacles susceptibles d’entraver leurs efforts. Le tableau 1 résume les principaux obstacles et facilitateurs mentionnés par les répondants de 2015 et de 2017-2019 ; ceux identifiés en caractères gras ont été mentionnés à plusieurs reprises.

Tableau 1

Obstacles et facilitateurs de la gouvernance de l’information

Obstacles et facilitateurs de la gouvernance de l’information

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Le manque d’imputabilité des gestionnaires à la tête des unités administratives a été souligné à plusieurs reprises par les répondants pour tout ce qui est lié à la gestion de l’information, notamment les exigences de conformité légale et réglementaire. Lors de la collecte des données, la Loi sur les archives du Québec (RLRQ, c. A-21.1) était considérée comme insuffisamment coercitive à cet effet ; par conséquent, la reddition de compte à tous les niveaux organisationnels – et notamment de la part des gestionnaires – était, selon nos répondants, déficiente. À cela s’ajoutent les enjeux et priorités parfois fort différents des parties prenantes pour tout ce qui relève de la gestion de l’information et des archives, de même que la culture organisationnelle qui n’intègre pas suffisamment la dimension informationnelle. Ces différents obstacles s’accompagnent de ressources insuffisantes. Les répondants ont toutefois manifesté l’espoir que la refonte de la Loi sur les archives fournisse des leviers réels aux professionnels de l’information. Enfin, certains ont souligné que c’est seulement lorsque la haute direction aura une compréhension exhaustive des enjeux informationnels menaçant leur organisation, qu’il sera possible d’obtenir leur soutien et les ressources nécessaires pour y faire face.

Les répondants de la seconde phase de l’étude (2017-2019) se sont aussi prononcés sur leur positionnement au sein des efforts de gouvernance de l’information, et sur leur reconnaissance par les autres acteurs de l’information. Ce positionnement et cette reconnaissance sont notamment liés à la perception qu’ont d’eux les parties prenantes (identifiées aussi comme « partenaires d’affaires ») avec lesquelles ils collaborent. Interrogés sur la manière dont ils perçoivent leur influence, les répondants ont souligné leur crédibilité professionnelle qui repose sur leur expertise et leurs compétences disciplinaires. Ils considèrent que leur crédibilité a un impact positif sur leur capacité à être de bons influenceurs.

Lorsqu’on leur demande comment ils perçoivent l’influence des acteurs organisationnels avec lesquels ils ont établi des partenariats, les répondants ont mentionné une plus grande diversité de facteurs d’influence : (1) le statut hiérarchique et l’autorité formelle de ces acteurs ; (2) les ressources disponibles dont disposent ceux-ci pour implanter des projets ; (3) le degré de dépendance des acteurs les uns par rapport aux autres (souvent lié aux ressources ou au caractère jugé indispensable des produits ou services fournis) ; (4) les intérêts et priorités d’acteurs jugés incontournables au succès des objectifs stratégiques de l’organisation ; (5) l’expertise et les compétences disciplinaires reconnues de ces acteurs ; (6) leur crédibilité, réputation et charisme ; (7) leur poids moral ; (8) leur sens de l’opportunité (ou timing) ; et (9) leur sens stratégique.

On remarque ainsi une disparité entre les sources d’influence perçues chez ces acteurs et celles que s’attribuent les professionnels de l’information. Ce constat devrait s’accompagner d’une réflexion sur les moyens à mettre en oeuvre pour que les professionnels de l’information puissent accroître leur positionnement au sein de leur organisation. Différents leviers s’offrent à eux pour ce faire, notamment d’adopter pleinement une approche stratégique afin de mieux faire comprendre et reconnaître leur expertise par toutes les parties prenantes. La démarche d’évaluation constitue l’un de ceux-ci. Il importe ainsi de connaître quelles sont les façons de faire en matière d’évaluation dans les différents milieux et quels types de statistiques sont recueillies. C’est ce à quoi ont contribué les deux projets de recherche entrepris par la suite. Si des pratiques normalisées existent déjà dans le domaine des bibliothèques, ce n’est en effet pas le cas dans le domaine de la gestion de l’information et des archives.

Enquête statistique des centres et des services d’archives (2017)

Le projet Portrait statistique des centres et des services d’archives a permis de jeter un éclairage sur les pratiques de collecte de données statistiques en gestion de l’information et des archives par les professionnels de l’information. Ce projet a été réalisé conjointement par l’Association des archivistes du Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec et le Réseau des services d’archives du Québec. De plus, pour sa réalisation, le comité de direction du projet a pu bénéficier d’un soutien financier de Bibliothèque et Archives Canada dans le cadre du Programme pour les collectivités du patrimoine documentaire. Ce projet se voulait une continuité de l’État des lieux du patrimoine, des institutions muséales et des archives, réalisé de 2006 à 2010 par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec. Or, puisque cet état des lieux n’avait pas été mis à jour depuis et que la profession archivistique avait considérablement évolué, il devenait important de colliger des données statistiques pour documenter les activités des centres et des services d’archives du Québec. Plus précisément, le Portrait statistique des centres et des services d’archives du Québec avait pour objectifs de permettre aux organisations d’avoir des données leurs permettant de comparer leur organisme à des centres ou services de taille et de secteur d’activité similaires, d’identifier les points forts et les points à améliorer dans leurs activités, de bâtir des argumentaires visant à obtenir de nouvelles ressources, et de permettre la création de nouveaux programmes et services. Ce projet visait, à terme, à créer une enquête récurrente similaire à celle réalisée pour les bibliothèques publiques. La collecte des données s’est faite à l’aide d’un questionnaire en ligne auto-administré avec la plateforme SurveyMonkey en 2017. Ce questionnaire de 154 questions comportait 4 sections : (1) identification ; (2) administration incluant les ressources humaines et les ressources financières ; (3) gestion documentaire ; et (4) gestion des archives historiques. Il s’adressait à l’ensemble de la population des centres et services d’archives du Québec et a permis de recueillir des données auprès de 349 répondants (Lemelin et Zwarich, 2017). Les données sont disponibles sur le site Web de Bibliothèque et Archives nationales du Québec[2].

Bien que cette enquête ait permis de colliger des données statistiques sur les activités des centres et des services d’archives, elle a également contribué, indirectement, à jeter un éclairage sur les pratiques de collecte de statistiques et à dresser certains constats. Tout d’abord, l’enquête s’adressait à une grande diversité de milieux qui ont des réalités complètement différentes les uns des autres, notamment les activités qui y sont mises en oeuvre, les clientèles visées, et leurs besoins à l’égard de cette enquête. En effet, alors que les services d’archives de grandes organisations souhaitaient disposer de données afin d’effectuer des comparaisons, nous avons observé que les centres et services d’archives de plus petite taille souhaitaient utiliser les données statistiques pour bâtir des plaidoyers et défendre leurs intérêts. Par ailleurs, plusieurs centres et services d’archives ont rencontré des difficultés à fournir des données sur leurs ressources humaines et financières parce que, pour plusieurs milieux, la gestion des ressources est effectuée par d’autres services ou par leur supérieur, rendant ainsi difficile l’utilisation de ces données pour justifier l’obtention de ressources supplémentaires (Lemelin et Zwarich, 2017). Un second constat concerne la grande variabilité des unités de mesure utilisées par les centres et services d’archives, notamment pour mesurer les quantités de documents quelle que soit leur nature. Finalement, nous avons observé une quasi-absence de collecte de données systématique ou d’outils qui facilitent cette collecte et ainsi assurent la qualité de ces données. En somme, le portrait statistique sur les centres et services d’archives du Québec a mis en lumière, d’une part, l’absence d’une culture normalisée d’évaluation pour démontrer la valeur ajoutée des activités et, d’autre part, le fait que les professionnels de l’information disposent de très peu de référentiels validés et normalisés pour faciliter cette démonstration.

Analyse des pratiques d’évaluation en gestion de l’information et des archives (2020 – en cours)

Les résultats de nos projets de recherche précédents nous ont amenées à explorer spécifiquement les pratiques d’évaluation des activités en gestion de l’information et des archives et le rôle des professionnels de l’information dans ce processus. Ce projet visait à (1) identifier les pratiques d’évaluation des activités de gestion de l’information et des archives ; (2) identifier les similitudes et les différences de ces pratiques ; et (3) identifier les indicateurs utilisés pour mesurer la réalisation de ces activités. La collecte de données a été effectuée en deux temps. Tout d’abord, en 2020, des entrevues semi-dirigées ont été menées avec 6 professionnels de l’information issus du secteur public afin de bien comprendre les pratiques d’évaluation dans leur organisation respective. Sur la base des résultats obtenus, nous avons procédé, à l’automne 2023, à une seconde phase de collecte de données au moyen d’un questionnaire auto-administré en ligne sur la plateforme LimeSurvey. Une invitation a été envoyée aux professionnels de l’information du Québec par le biais de listes de discussion en archivistique et d’envois ciblés. Au total, nous avons obtenu les réponses de 78 répondants provenant principalement du secteur public (74 %), mais aussi du secteur parapublic (13 %) et du secteur privé (13 %). La moitié des répondants (50 %) travaillent dans de grandes organisations de 250 employés et plus, et le quart (27,3 %) dans des organisations de taille moyenne qui comptent 50 à 249 employés. Par ailleurs, les trois quarts des répondants (77,3 %) oeuvrent dans un centre ou un service d’archives comptant de 1 à 4 employés. Les municipalités (36,4 %), les institutions d’enseignement (27,3 %), les gouvernements fédéral et provincial (18,2 %) sont les plus représentés. Nous présentons les principaux résultats de cette seconde phase de collecte de données.

Pratiques d’évaluation

Notre projet de recherche sur la gouvernance de l’information a démontré que la reddition de compte est un facteur d’influence important. Dans le cadre du projet sur l’analyse des pratiques d’évaluation, les réponses au questionnaire révèlent que 59,3 % des répondants sont tenus de rendre compte des activités en gestion de l’information et des archives dans leur organisation, tandis que 16,9 % des répondants n’ont pas une telle obligation. Les répondants qui doivent procéder à la reddition de compte de leurs activités indiquent que cette demande peut émaner de différentes instances. Elle peut provenir de leur supérieur (78,3 %), de l’organisation-parent dont dépend leur service d’archives (34,8 %), du conseil d’administration dont dépend leur centre d’archives (26,1 %), des organismes de financement qui soutiennent les activités en gestion de l’information et des archives (8,7 %) ou de toute autre instance (21,7 %) telle que la vérification générale ou le Secrétariat du Conseil du trésor[3].

La mise en oeuvre d’une démarche d’évaluation[4] (planification, collecte et analyse des données) implique un élargissement des responsabilités des professionnels de l’information, car chez la majorité des répondants (78,3 %) l’évaluation est menée par le gestionnaire de l’information et/ou l’archiviste. Dans certains milieux, le démarche d’évaluation peut être menée par un consultant externe (4,4 %), un vérificateur interne (4,4 %) ou une autre catégorie de professionnels (17,4 %) tels qu’un gestionnaire, un directeur de service ou un greffier pour les municipalités.

Objectifs et indicateurs

Les résultats montrent que la capacité des professionnels de l’information à mesurer les activités en gestion de l’information et des archives dépend de la formulation, ou non, d’objectifs pour ces activités. Ainsi, 77,8 % des répondants affirment définir des objectifs de manière explicite pour les activités en gestion de l’information et des archives. Un faible nombre de répondants (13,9 %) indiquent ne pas définir d’objectifs et 8,3 % des répondants ne se sont pas prononcés sur cette question. Pour mesurer l’atteinte des objectifs, certains professionnels de l’information définissent des indicateurs comme en témoigne la figure 1.

Figure 1

Pourcentage des répondants qui définissent des indicateurs pour mesurer les objectifs

Pourcentage des répondants qui définissent des indicateurs pour mesurer les objectifs

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Nous remarquons que près de la moitié (44 %) des répondants définissent des indicateurs alors que 39 % n’utilisent pas d’indicateurs aux fins d’évaluation. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’absence d’indicateurs. Tout d’abord, dans certains milieux, il semble que les ressources soient insuffisantes pour mener un tel processus comme le résume un répondant : « manque de temps ; manque de ressources ; gestion axée sur les priorités ». Aussi, un répondant rapporte que « les outils ne sont présentement pas mis en place, mais sont en voie de l’être », montrant qu’une démarche d’évaluation n’est pas implantée dans tous les milieux et que des outils normalisés sont nécessaires. La troisième raison rapportée par un répondant réfère à la place qu’occupe la gestion de l’information et des archives dans son organisation : « la gestion des archives et la gestion documentaire sont des missions secondaires. Leur importance est inféodée aux missions principales de l’organisation qui occupe l’essentiel du temps professionnel ».

Pour les professionnels de l’information qui ont recours à des indicateurs pour mesurer l’atteinte des objectifs, les résultats indiquent que les mesures utilisées sont principalement des mesures quantitatives. Les répondants ont identifié deux types d’activités pour lesquels des indicateurs sont utilisés. D’une part, le traitement de fonds d’archives qui représente une activité au coeur de la mission de tout centre et service d’archives et qui, à terme, vise à rendre ces archives accessibles aux diverses clientèles. D’autre part, l’implantation ou l’utilisation de logiciels de gestion documentaire qui sont, bien souvent, des projets organisationnels pour lesquels des ressources importantes sont investies et qui mobilisent diverses parties prenantes. Par conséquent, un suivi étroit de la réalisation de ces activités semble pertinent.

Les résultats montrent que les professionnels de l’information ont différents motifs pour justifier une démarche d’évaluation, tel qu’illustré dans le tableau 2.

Tableau 2

Motifs pour procéder à une évaluation

Motifs pour procéder à une évaluation

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La majorité des répondants (73,1 %) veulent assurer la reddition de compte de leurs activités en gestion de l’information et des archives. Pour 61,5 % des répondants, la mesure permet de valider les ressources, tant humaines que financières, allouées à la réalisation des activités. Par ailleurs, l’amélioration continue des activités est aussi une raison pour évaluer chez 61,5 % des répondants afin d’assurer une adéquation entre les services offerts et les besoins des diverses clientèles. Certains (53,9 %) utilisent l’évaluation pour la promotion des activités en gestion de l’information et des archives tandis que d’autres (50 %) ont recours à une telle démarche pour demander l’obtention de ressources supplémentaires.

Diffusion et utilisation des résultats de l’évaluation

Une composante importante d’une démarche d’évaluation des activités est la diffusion des résultats aux diverses parties prenantes de son organisation. En effet, l’utilisation prévue des résultats d’une évaluation a une incidence sur le moment et le mode de diffusion privilégié selon les parties prenantes impliquées (Patton, 2018). Une diffusion à l’interne d’une organisation visera d’abord à faire connaître les activités réalisées, à en tirer des leçons et à prévoir, le cas échéant, les interventions. En revanche, une diffusion à l’externe de son organisation pourra contribuer à mettre en valeur les actions de son service et de son organisation, de présenter ses réalisations ainsi que de permettre la reddition de compte. Il faut considérer différents modes de communication pour répondre aux parties prenantes de son organisme. Les figures 2 et 3 montrent la proportion des répondants qui diffusent les résultats de l’évaluation à l’interne ou à l’externe de leur organisation.

Figure 2

Proportion de répondants qui diffusent les résultats de l’évaluation à l’interne

Proportion de répondants qui diffusent les résultats de l’évaluation à l’interne

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Figure 3

Proportion de répondants qui diffusent les résultats de l’évaluation à l’externe

Proportion de répondants qui diffusent les résultats de l’évaluation à l’externe

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Ainsi, 46 % des répondants affirment diffuser les résultats de l’évaluation dans leur organisation, 39 % ne font aucune diffusion tandis que 15 % ignorent si une diffusion des résultats est effectuée. Cette diffusion des résultats à l’interne s’adresse principalement au supérieur immédiat (75 %) ou aux employés (75 %) pour faire connaître les activités[5].

En revanche, peu de répondants (seulement 15 %) effectuent la diffusion des résultats à l’extérieur de leur organisation.

Les résultats révèlent aussi que lorsqu’une diffusion externe des résultats est réalisée, elle vise principalement à informer les organismes qui soutiennent financièrement le centre ou le service d’archives (50 %) de l’utilisation des ressources financières dans la réalisation des activités ou encore à informer les utilisateurs ou les membres de l’organisation (50 %) des activités[6].

Par conséquent, les mécanismes de diffusion des résultats varient selon les milieux, les objectifs de diffusion et les parties prenantes à qui s’adressent ces résultats, comme le démontre le tableau 3. On remarque que les présentations faites aux gestionnaires (50 %) et le rapport d’activités (46,2 %) sont les modes privilégiés par les répondants.

Tableau 3

Modes de diffusion des résultats d’évaluation

Modes de diffusion des résultats d’évaluation

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Outre les modes de diffusion, les répondants se sont prononcés sur l’utilisation des données de l’évaluation. Les résultats montrent que la démarche d’évaluation et les résultats obtenus présentent une utilité pour une majorité des répondants puisque 57,7 % de ceux-ci ont utilisé ces données dans le cadre de la gestion de leur centre ou service d’archives. Toutefois, 30,8 % des répondants n’ont pas utilisé les résultats à cette fin et 11,5 % ne savent pas quelle utilisation a été faite des résultats. Les répondants indiquent qu’une démarche d’évaluation est utile pour justifier des ressources existantes ou l’ajout de ressources qu’elles soient humaines, financières ou technologiques. Des répondants rapportent que l’évaluation sert à « [j]ustifier le maintien de postes. Justifier les besoins de ressources technologiques » et à « justifier la nécessité d’accorder plus de ressources humaines », ou encore à « [j]ustifier l’ajout de nouvelles ressources financières/humaines en améliorant nos méthodes de traitement de fonds ». Ainsi, l’optimisation des ressources semble au coeur des préoccupations d’une démarche d’évaluation. De plus, la démarche d’évaluation contribue à mieux comprendre les besoins des utilisateurs et ainsi à améliorer l’offre de service, tel que rapporté par un répondant : « Amélioration des services à la clientèle et des outils suite aux enquêtes régulières sur la satisfaction des utilisateurs ».

Enfin, les répondants ont identifié un certain nombre de freins qui peuvent restreindre l’implantation d’une démarche d’évaluation des activités en gestion de l’information et des archives dans leur organisation. Ces freins peuvent être regroupés en 3 catégories : (1) une absence d’un processus systématique et d’outils, (2) des ressources insuffisantes et (3) un intérêt limité (ou une incompréhension) de la part des gestionnaires et du personnel. Tout d’abord, les résultats indiquent qu’il serait important que les milieux disposent d’un guide présentant la démarche d’évaluation, les étapes à suivre pour mener une telle démarche ainsi que de modèles ou d’outils pouvant être utilisés par les professionnels de l’information. Outre ces outils, il est mentionné l’importance d’être systématique dans la collecte et l’utilisation des données. Ensuite, les professionnels de l’information mentionnent ne pas avoir de ressources humaines suffisantes ou suffisamment de temps à consacrer à l’évaluation des activités. Finalement, une écoute attentive des gestionnaires et des employés sur l’impact des activités en gestion de l’information et des archives sur le fonctionnement global de l’organisme est nécessaire.

Pistes d’action

Les résultats des différents projets de recherche ont mis en évidence l’importance pour les professionnels de l’information de jouer un rôle stratégique au sein de leur organisation. Le premier projet sur la gouvernance de l’information révèle que les ressources dont dispose un service d’information constituent un facteur d’influence souvent associé à la perception de la valeur ajoutée du service dans l’organisation et à son positionnement. Le deuxième projet sur le portrait statistique des centres et services d’archives du Québec montre l’absence de collecte systématique de données sur les activités en gestion de l’information et des archives. Ce faisant, les centres et services d’archives ne disposent pas de données normalisées leur permettant de démontrer adéquatement leur contribution à leur organisation. Le troisième projet sur la démarche d’évaluation démontre l’importance de celle-ci pour justifier le maintien et l’ajout de ressources nécessaires à la réalisation des activités en gestion de l’information et des archives. Cependant, cette démarche n’est pas systématiquement utilisée par les professionnels de l’information en raison de la quasi-absence d’outils de collecte adaptés à la gestion de l’information et des archives, ainsi que de ressources insuffisantes pour mener un tel processus d’évaluation. Sur la base de ces projets de recherche, trois pistes d’action se dégagent : (1) une démarche d’évaluation structurée et systématique pour démontrer la valeur ajoutée des activités en gestion de l’information et des archives, (2) des stratégies d’advocacy et (3) le développement de compétences transversales.

Démarche structurée et systématique d’évaluation

Rappelons que dans une approche de gouvernance de l’information, il importe d’établir des orientations stratégiques et de mettre en place des activités pertinentes permettant l’atteinte des objectifs visés au regard des besoins de l’ensemble des parties prenantes impliquées. Or, la réalisation de telles activités en gestion de l’information et des archives peut représenter un défi de taille lorsque les ressources sont limitées. Les professionnels de l’information doivent donc se familiariser avec les diverses composantes d’une démarche d’évaluation pour ainsi démontrer la valeur ajoutée des activités en gestion de l’information et des archives. Une telle démarche est un outil d’aide à la décision puisqu’elle permet d’identifier les freins à l’atteinte des objectifs, les causes de ceux-ci et les correctifs appropriés (Goulding, 2020, p. 315). Les résultats indiquent que les professionnels de l’information s’intéressent peu à peu à l’évaluation de leurs programmes, activités et services pour les nombreux avantages qu’elle représente. La mise sur pied d’une démarche d’évaluation rejoint les objectifs suivants : disposer de données régulièrement mises à jour sur la gestion de son service ; identifier les succès ou les améliorations à apporter ; développer des programmes et services adaptés aux besoins évolutifs des utilisateurs ; bonifier, créer ou abolir de nouveaux programmes et services ; aider à bâtir des argumentaires pour justifier les programmes et services, de même que les ressources (financières, humaines, matérielles, technologiques) actuelles ou demandées ; assurer une meilleure reddition de compte ; aider à la prise de décision. De plus, l’évaluation permet de porter un jugement objectif sur les activités qui sont menées en gestion de l’information et des archives et permet plus aisément une prise de décision. Elin et Rapaport expliquent que

without metrics, […] everything becomes guesswork, and the stakes are too high to leave outcomes to chance

2023, p. 68

Une démarche d’évaluation requiert une connaissance fine du programme, du service ou de l’activité évaluée. En effet, il faut documenter les diverses composantes de cette activité, notamment par la formulation d’objectifs qui est essentielle pour identifier les changements souhaités et communiquer ceux-ci aux diverses parties prenantes. Ces objectifs permettront ensuite aux professionnels de l’information de déterminer les ressources requises, les activités nécessaires ainsi que les retombées attendues. Afin de démontrer l’atteinte des objectifs, des indicateurs doivent être identifiés afin de faire le suivi des activités en cours de réalisation et de juger des résultats obtenus. Sur la base de ces informations, les professionnels de l’information pourront conduire l’évaluation à l’aide de divers outils de collecte de données tels le questionnaire, l’entrevue, le groupe de discussion, l’observation, etc. Il est possible de s’appuyer sur des données tant qualitatives que quantitatives pour documenter les perceptions et les appréciations, car il peut être ardu de démontrer les nuances applicables aux activités en gestion de l’information et des archives. L’analyse des données permettra ainsi aux professionnels de l’information et à leurs supérieurs de mieux comprendre et de porter un jugement adéquat sur les activités qui sont menées.

Il peut toutefois exister une perception négative de l’évaluation, par exemple la crainte qu’à travers l’évaluation des programmes et services, les employés soient indirectement évalués et contrôlés dans leurs activités quotidiennes (Zwarich, Maurel et Verlaet, 2020). Il faut alors travailler à développer une vision commune positive des retombées d’une démarche d’évaluation, tout comme il importe de désamorcer ces craintes par la communication et la formation. De plus, la mise en oeuvre d’une démarche d’évaluation peut aussi s’accompagner de résistance au changement de la part des employés impliqués dans cette démarche. Comme la participation des professionnels de l’information est primordiale au succès d’une démarche d’évaluation, il importe que toutes les personnes impliquées en comprennent les avantages et se sentent engagées dans son opérationnalisation. Les résultats de l’évaluation doivent également être communiqués aux parties prenantes. Goulding (2020) rappelle les propos de Weiss (1998) concernant la communication et l’utilisation des résultats de l’évaluation :

Weiss explains that the outcomes of evaluation can be used as a form of internal persuasion, to mobilise staff and other stakeholder support for changes to an activity. External persuasion or “influence” in Weiss’ terms relates more to advocacy. […] at a more modest level the results of evaluations can be used to increase public, partners’ and politicians’ awareness of the value and impact of services in an attempt to influence their decision-making and levels of support

Goulding, 2020, p. 321

En somme, l’évaluation vise donc plusieurs objectifs et peut contribuer à améliorer le positionnement des professionnels de l’information qui peuvent alors documenter leurs activités et en communiquer les résultats aux parties prenantes de leur organisation.

Défense des intérêts à l’interne… pour rendre visible l’invisible

L’évaluation constitue un levier de positionnement pour les professionnels de l’information et, à ce titre, elle doit être accompagnée d’une stratégie d’advocacy. Le concept d’advocacy se définit comme des activités « consciously aimed to persuade individuals to act on behalf of a program or institution » (Hackman, 2011, p. vii), à l’aide d’un

focused, purposeful message to a targeted audience to effect a positive change

Roe, 2019, p. 6

Trois niveaux d’advocacy peuvent être identifiés : sensibilisation (awareness), défense des intérêts à l’interne (inreach) et à l’externe (outreach) et lobbying.

Dans le cadre de la gouvernance de l’information et de la démarche d’évaluation, la défense des intérêts à l’interne est particulièrement appropriée puisqu’elle vise à informer sur le travail des professionnels de l’information et les activités réalisées afin de mieux en faire connaître la valeur ajoutée. La défense des intérêts à l’interne consiste en

the activities conducted by an archives within its parent institution to raise awareness and gain support for its programs

Roe, 2019, p. 10

Cela implique de transmettre des messages ciblés selon les parties prenantes à rejoindre et le type de résultats souhaités, le but étant d’obtenir les ressources nécessaires au fonctionnement et au développement des programmes et des services offerts (Roe, 2019).

Cela est d’autant plus important à la lecture de constats tels que

The fact is that archives often appear to have very limited influence with the decision makers who have the greatest authority over them

Hackman, 2012, p. 10

Essentiellement, les personnes en position d’allouer des ressources considèrent que les professionnels de l’information peuvent manquer d’efficacité dans la défense de leurs intérêts et peuvent avoir tendance à se contenter des ressources qui leur sont octroyées (Hackman, 2011, 2012 ; Greene, 2015 ; Roe, 2019). Les efforts de positionnement et de défense des intérêts devraient ainsi faire partie d’une stratégie d’ensemble, laquelle doit tenir compte de l’influence à exercer face aux autres acteurs de la gouvernance de l’information. Il importe que les professionnels de l’information aient une très bonne compréhension de la valeur ajoutée des activités qu’ils mettent en place et soient en mesure de bien la démontrer. La défense des intérêts à l’interne requiert ainsi certaines actions telles que :

  • l’alignement des projets sur les objectifs et orientations stratégiques de l’organisation ;

  • la définition d’objectifs pour les projets (besoins, publics cibles, impact, bénéfices attendus) ;

  • une bonne compréhension de la valeur ajoutée des activités ;

  • la connaissance des parties prenantes de l’organisation et de leurs motivations (qui peut faire avancer, ralentir ou bloquer les initiatives ?) en utilisant des outils tels que l’analyse des parties prenantes ou la cartographie du pouvoir (Hackman, 2011 ; Roe, 2019).

La plupart des répondants de nos projets de recherche sont conscients de l’importance de mettre en oeuvre des initiatives de défense des intérêts de leur service, de leurs programmes et de leurs activités. Un répondant de l’étude sur l’évaluation, commencée en 2020, souligne ainsi : « Évaluer les retombées de nos services » rime surtout avec « Convaincre sur les retombées de nos services ». Cependant, peu de répondants, lors de cette étude, ont mentionné l’utilisation d’initiatives de défense des intérêts à l’interne. L’absence de telles stratégies peut rapidement s’avérer préoccupante si elle nuit à un bon positionnement.

Développement des compétences transversales

Delabie mentionne qu’en gestion de l’information, un

frein rencontré régulièrement concerne la mise à disposition des ressources. Dans près de 90 % des organisations, les ressources financières, humaines, voire immobilières ou technologiques ne sont pas appropriées ou allouées adéquatement. Cette situation découle en partie du fait que la gestion et la préservation de l’information n’est souvent pas considérée comme un élément stratégique qui nécessite des compétences spécifiques et donc l’allocation de ressources appropriées

Delabie, 2023, p. 55

Les répondants aux deux phases de l’étude conduite en 2015 et en 2017-2019 reconnaissent que les compétences disciplinaires, enseignées dans les programmes en archivistique et en sciences de l’information, constituent une force qui assure leur crédibilité auprès des acteurs organisationnels. Par exemple, un répondant a constaté que lorsqu’il met de l’avant ses compétences disciplinaires et le vocabulaire spécialisé propre à son domaine, cela constitue une source de crédibilité et par conséquent d’influence. Un autre répondant a affirmé que ses connaissances liées à l’organisation de l’information et à la classification lui permettent d’avoir une compréhension complète des activités de son organisation. Ainsi, les compétences développées au cours de leur formation initiale contribuent, non seulement à une meilleure compréhension des enjeux de l’information, mais aussi à une meilleure compréhension des processus organisationnels.

Des compétences transversales sont toutefois nécessaires afin de mieux préparer les professionnels de l’information à jouer un rôle stratégique (ARMA International, 2017 ; Delabie, 2023). Roe (2019) indique que l’advocacy devrait faire partie des compétences enseignées dans les programmes de formation. Les répondants de notre étude menée en 2015 et 2017-2019 soulignent l’importance des compétences transversales suivantes pour l’exercice de la profession : habiletés analytiques, analyse des processus d’affaires, analyse du contexte et du mode de fonctionnement de l’organisation, gestion de projet, conduite du changement, leadership, vision à long terme, compétences politiques et stratégiques, notions juridiques, habiletés technologiques, collaboration, communication, médiation et négociation, sens de l’initiative, relations interpersonnelles, compétences en formation. Des répondants ont précisé que la gestion du changement et les compétences en communication sont essentielles pour faciliter l’adhésion des employés de l’organisation aux nouvelles pratiques. Les compétences pour créer et donner des formations serviront à soutenir les efforts d’accompagnement du changement. Des compétences en gestion de projet sont essentielles pour une planification à la fois stratégique, administrative et opérationnelle des activités, mais aussi pour leur évaluation à l’aide d’une démarche systématique et normalisée. Enfin, le développement de compétences politiques servira aux professionnels de l’information à mieux se positionner parmi les parties prenantes de la gouvernance de l’information et à mieux mettre en avant la contribution de leurs activités aux objectifs stratégiques de leur organisation.

Conclusion

En conclusion, l’évaluation fait de plus en plus partie de la réalité des professionnels de l’information pour démontrer et communiquer la valeur ajoutée de leurs activités aux différentes parties prenantes de leur organisation afin d’obtenir et de justifier les ressources dédiées à la gestion de l’information et des archives. Dans une approche de gouvernance de l’information où les professionnels de l’information veulent s’affirmer comme des acteurs clés, une démarche d’évaluation présente des atouts indéniables pour soutenir la défense des intérêts (Zwarich et Maurel, 2021).

La nécessité de pouvoir s’appuyer sur des leviers stratégiques a émergé des résultats de la première étude menée en deux phases, soit en 2015 sur l’état de la gouvernance de l’information dans les organisations, puis en 2017-2019 sur les rôles et responsabilités des professionnels de l’information et leurs facteurs d’influence face aux autres acteurs de l’information. Cette étude a aussi révélé que, pour mieux se positionner stratégiquement dans leur organisation, les professionnels de l’information doivent non seulement s’appuyer sur la crédibilité issue de leurs compétences disciplinaires, mais également puiser à des compétences transversales en gestion, en gouvernance et en stratégie. Cela implique notamment d’adopter une démarche stratégique incluant la planification, l’implantation et l’évaluation des activités dans une perspective d’optimisation des ressources. Une telle démarche doit s’inscrire dans un objectif d’amélioration des processus et éventuellement de la mesure de la performance des activités mises en place. Le projet sur le portrait statistique des centres et services d’archives, en 2017, a démontré à quel point les résultats de l’évaluation s’avèrent utiles pour les professionnels de l’information mais aussi à quel point ceux-ci doivent uniformiser leurs pratiques. Le projet en cours, sur les pratiques d’évaluation, indique pour sa part que les efforts restent à poursuivre pour qu’une culture d’évaluation soit pleinement adoptée par les professionnels de l’information dans les centres et services d’archives. Le positionnement passe notamment par le fait de pouvoir fournir des données probantes sur l’efficience, l’efficacité et la valeur ajoutée des activités aux objectifs stratégiques de l’organisation. Il passe aussi par la reconnaissance organisationnelle des professionnels de l’information comme acteurs de premier plan. Par ailleurs, à l’occasion d’un projet de recherche ultérieur, il serait pertinent d’établir des indicateurs permettant de mesurer comment se manifeste la contribution des centres et services d’archives à la performance des organisations, afin d’examiner les différentes facettes de cette contribution.