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Objectif de l’article

La seule méthode éprouvée pour limiter les risques de maladies liées au tabagisme, et plus particulièrement le cancer, est d’arrêter de fumer (Shields, 2002). Cependant, que doit-on faire des fumeurs qui ne peuvent pas ou ne veulent pas cesser de fumer, en supposant que ceux-ci existent en nombre suffisant ?

La réduction des méfaits du tabac en tant qu’intervention de lutte au tabagisme (Anderson et Hughes, 2000) se définit par un maintien de la consommation tabagique. La consommation continue d’une substance dangereuse est à la base du concept de réduction des méfaits lorsque les formes d’exposition les plus nocives sont limitées ou que le risque pour l’usager d’en subir les méfaits est réduit.

Le présent article vise à présenter les approches utilisées en matière de réduction des méfaits dans la lutte au tabagisme, à examiner ce que l’on connaît de l’efficacité de ces approches et à cerner les difficultés que celles-ci présentent.

Réduction des méfaits dans la lutte au tabagisme – une courte histoire

Modifier les cigarettes afin de tenter de réduire leurs émissions toxiques a été la première approche adoptée par les compagnies de tabac au début des années 1950 pour essayer d’en diminuer les méfaits.

Le filtre à cigarette, introduit au début des années 1950 aux États-Unis, était une façon de limiter la quantité de certaines substances chimiques comprises dans la phase particulaire de la fumée principale du tabac. L’introduction du tabac reconstitué en 1957 et du tabac expansé en 1967, combinée à la réduction générale de la quantité de tabac par cigarette, illustre bien l’approche axée sur une diminution du tabac. L’introduction des papiers à cigarettes poreux en 1959 et des orifices de ventilation dans les filtres en 1971 est un exemple des changements apportés dans la conception d’une cigarette « ventilée » reposant sur la méthode de la dilution de la fumée principale par apport d’air. À l’exception de l’ajout des filtres, une modification visuellement évidente, ces changements étaient si subtils que les fumeurs ne s’en rendaient pratiquement pas compte. Avec les modifications visant à diluer la fumée principale, les teneurs nominales en « goudron » (matière particulaire totale sans l’eau et sans la nicotine) et en nicotine, telles que mesurées par les machines à fumer, diminuèrent, renforçant du même coup l’optimisme des autorités de la santé publique de l’époque. Toutefois, une recension faisant autorité de l’ensemble de la documentation scientifique et médicale a conclu que les tentatives de réduction des méfaits à l’aide de cigarettes ventilées et des autres modifications des dernières décennies n’avaient pas été un succès au niveau de la population, plus particulièrement lorsque l’on comparait cette approche aux mesures favorisant l’abandon complet du tabac (U.S. National Cancer Institute, 2001).

Après avoir étudié les diverses interventions de réduction des méfaits du tabac proposées au cours des 40 dernières années, nous croyons qu’il est possible de les regrouper en trois grandes catégories : i) modification des produits du tabac existants ; ii) substitution (c.-à-d. remplacer la cigarette par a) un produit utilisé à court terme pour aider le fumeur à cesser de fumer ou b) une forme de tabac sans fumée) ; et iii) réduction du nombre de cigarettes fumées, avec l’aide ou non d’un produit de remplacement nicotinique. Nous examinerons maintenant chacune de ces catégories en ordre inverse.

Réduction des méfaits par la réduction de la consommation tabagique

« Limiter sa consommation tabagique » est une approche strictement comportementale qui est depuis longtemps conseillée à ceux qui ne se sentent pas encore prêts à arrêter de fumer complètement. Selon Hughes (2000), les principales questions qu’il faut se poser sur la réduction du nombre de cigarettes par jour en tant qu’objectif de traitement sont les suivantes : 1) Combien de fumeurs peuvent réduire leur consommation et la maintenir à ce niveau réduit ? 2) Combien de « compensation » se produira-t-il chez le fumeur cherchant à corriger la baisse de l’apport nicotinique ? 3) Est-ce que cette consommation réduite limitera de manière significative les risques liés au tabagisme ; et 4) Est-ce que cette réduction favorise l’abandon ou y fait obstacle ? (Hughes, 2000).

Des auteurs ont suggéré que réduire le nombre de cigarettes fumées par jour pouvait diminuer le risque de certaines maladies associées au tabagisme (Jiménez-Ruiz et Fagerström, 1999). Cette possibilité semble être légitimée par des chercheurs danois qui ont examiné des études longitudinales existantes. Ils ont trouvé que, chez des individus fumant plus de 14 cigarettes par jour, une baisse de la consommation de 50 % réduit significativement les risques de cancer du poumon (Godtfredsen et coll., 2005). Cependant, les mêmes chercheurs ont également remarqué, après s’être penchés sur les taux de biomarqueurs observés à différents intervalles, que la baisse du taux de cotinine n’était pas proportionnelle à la réduction de la consommation. Ils ont alors conclu que la réduction de la consommation à long terme était associée, au mieux, à de faibles baisses de l’exposition à la fumée (Godtfredsen et coll., 2006).

À partir d’un suivi à long terme d’une cohorte de fumeurs, des chercheurs norvégiens n’ont trouvé aucune preuve que, chez les grands fumeurs qui réduisent leur consommation de plus de 50 %, le risque de décès prématuré pouvait être diminué de manière significative (Tverdal et Bjarveit, 2006). Ils ajoutent que conseiller à des fumeurs de réduire leur consommation tabagique, afin de restreindre les effets du tabac sur leur santé, revient à leur donner de faux espoirs.

Selon Le Houezec et Säwe (2003), il importe de noter que le simple fait de réduire le nombre de cigarettes fumées par jour, sans aucune autre forme d’aide, n’est généralement pas efficace. En effet, les fumeurs tendent à compenser cette réduction de leur apport en nicotine par diverses techniques, notamment en augmentant la quantité de nicotine qu’ils extraient de la fumée de chaque cigarette.

Hughes et coll. (1999) se sont également penchés sur la réduction de la consommation tabagique aux États-Unis, tout en tentant d’évaluer si cette approche nuit à l’arrêt complet. Ils ont constaté qu’une minorité de fumeurs américains étaient capables de réduire leur consommation de tabac et de maintenir cette réduction pendant de longues périodes, mais cette réduction de la consommation ne favorise ni ne freine l’abandon (Hughes, Cummings et Hyland, 1999).

Pour favoriser une réduction de la consommation tabagique, l’usage de produits d’aide à l’arrêt a également été proposé, comme les produits de remplacement nicotinique (Fagerström et coll., 1997). Hurt et coll. (2000) ont tenté de déterminer si la réduction de la consommation tabagique à l’aide d’un inhalateur de nicotine chez les grands fumeurs qui souhaitaient réduire leur consommation, sans toutefois arrêter complètement, entraînait une diminution des biomarqueurs de méfaits connus. Ils ont observé que la réduction de la consommation n’était pas associée à une diminution systématique des biomarqueurs. Ils ont conclu qu’avant de faire la promotion à grande échelle de la réduction des méfaits en tant que stratégie de traitement pour les grands fumeurs, il faut mener davantage de recherches pour prouver, de façon concluante, si les fumeurs qui veulent diminuer leur consommation, sans réellement arrêter, peuvent réduire leur consommation au moyen d’un produit de remplacement nicotinique et la maintenir à un niveau susceptible de limiter les méfaits du tabac.

Il faut ainsi reconnaître que la réduction de la consommation tabagique n’entraîne pas nécessairement une réduction des méfaits, quelle que soit la méthode employée. Nous ne savons pas encore dans quelle mesure il faut réduire sa consommation pour observer une réduction mesurable des méfaits sur la santé.

Réduction des méfaits par le biais de la substitution de produits

Au début des années 1980, l’industrie pharmaceutique a commencé à jouer un rôle plus actif dans le domaine du contrôle du tabagisme et a introduit les produits de remplacement nicotinique, mis à l’essai en Suède. Comme le nom l’indique, ces produits étaient conçus pour remplacer les cigarettes sur de courtes périodes et offrir aux fumeurs des produits nicotiniques moins nocifs que celles-ci pendant le processus d’abandon.

Les produits de remplacement nicotinique se présentent sous diverses formes, qui d’ailleurs ne sont pas toutes autorisées sur le marché canadien : gomme, timbre, inhalateur, pulvérisateur nasal, boissons, pastilles et même une sucette. Quelle que soit la forme, l’objectif est le même : maintenir la concentration de nicotine dans le sang des fumeurs afin de freiner leurs envies de fumer. Cependant, ces produits ne parviennent pas à reproduire l’expérience réelle vécue par un fumeur. Avec les cigarettes, les fumeurs peuvent exercer un contrôle, conscient et inconscient, en variant les moments et la façon dont ils fument (nombre et profondeur des inspirations, etc.). De cette façon, les fumeurs peuvent obtenir soit une forte dose de nicotine (le hit en anglais), soit une série de plus petites doses de maintien tout au long de la journée. En outre, le premier hit de nicotine est rapidement absorbé par le fumeur, entraînant ainsi sa satisfaction presque immédiate, et s’accompagne d’autres caractéristiques souhaitables, mais subjectives, notamment le « goût » et « l’effet de gorge ».

Les produits de remplacement nicotinique ne visent pas à fournir aux fumeurs les mêmes types d’expériences qu’une cigarette. En effet, la seule aide pharmacologique qui simule le mieux le premier hit de nicotine est le pulvérisateur nasal qui, comme son nom l’indique, pulvérise une dose de nicotine dans les cavités nasales. Le timbre administre une dose contrôlée de nicotine qui est absorbée à travers la peau. Les autres formes (gomme, inhalateur, boissons, sucettes ou pastilles) administrent la dose par voie orale. Aucun de ces produits de remplacement nicotinique n’offre le même effet intense que la cigarette et ne peut maintenir les taux de nicotine dans le sang des fumeurs comme la cigarette ou reproduire les autres éléments associés à l’acte de fumer une cigarette. Malgré ces limites, les dispositifs qui dispensent de la nicotine sont considérés comme essentiels par certains experts pour le maintien nicotinique à long terme (Warner, Slade et Sweanor, 1997).

Un débat tumultueux a présentement lieu aux États-Unis et en Europe sur la question de la substitution comme approche légitime en matière de réduction des méfaits, avec les produits du tabac sans fumée dans la mire. Le débat semble campé sur une analyse réduisant les options offertes aux fumeurs de cigarettes par les acteurs de la santé publique à celles-ci : l’arrêt tabagique ou la mort. Selon certains, une autre voie, réduire les méfaits de la cigarette par le biais de la substitution, devrait être mise en oeuvre d’emblée par la promotion des produits du tabac sans fumée comme source de nicotine alternative de même que, dans une moindre mesure, les produits de remplacement nicotinique (Savitz et coll., 2006). Plus particulièrement, les produits du tabac sans fumée faibles en nitrosamines ont été proposés comme un substitut acceptable, qui présente des risques pour la santé se situant entre ceux des produits de remplacement nicotinique et de la cigarette.

Malheureusement, le débat a beaucoup souffert du manque de clarté des enjeux, voyant les promoteurs parler tantôt d’arrêt tabagique, tantôt de réduction des méfaits, sans s’attarder à faire la part des choses (Rodu et Godshall, 2006). En outre, on confond souvent les avantages possibles en matière de santé en ne précisant pas s’il s’agit d’avantages à l’échelle individuelle ou à l’échelle de la population. Comme avec les produits de remplacement nicotinique, on ne sait pas encore si une approche de réduction des méfaits axée sur la substitution par les produits du tabac sans fumée présente de réels avantages pour la santé de la population.

Réduction des méfaits par la modification du produit (cigarette)[1]

Tous les produits du tabac fumés dégagent, à divers degrés, des sous-produits de la combustion et de la pyrolyse[2], sous-produits qu’inhale le fumeur. En outre, la nicotine et le « goût » que recherchent les fumeurs sont étroitement reliés au profil de ces sous-produits dans la fumée principale.

Tel qu’il a été mentionné plus haut, le début des années 1950 a vu les fabricants réaliser leurs premières modifications en tentant de réduire les émissions toxiques par l’ajout d’un filtre à la cigarette. On a cru par la suite pouvoir également obtenir une réduction des émissions toxiques grâce à deux modifications principales : la dilution de la fumée par la ventilation de la cigarette et l’utilisation d’une moins grande quantité de tabac par cigarette.

Au fil des ans, l’industrie du tabac a introduit différents types de cigarettes. Parmi ces types, on note la cigarette qui ne contient « presque pas de goudron », et celle qui ne produit « presque pas de fumée ». Aucun de ces nouveaux produits n’a encore percé sur le marché, sans doute parce que la cigarette moderne est un dispositif qui dispense la nicotine efficacement et facilement, tout en créant chez le fumeur l’effet souhaité et en ayant un « goût » acceptable. Les aspects du tabagisme les plus difficiles à reproduire, auxquels il faut ajouter les modifications qui visent à réduire l’exposition aux substances toxiques afin de réduire les méfaits du tabac, sont les dimensions les plus subjectives et les plus variables : le goût, la sensation en bouche, l’effet de gorge, le rituel et le processus de combustion de la cigarette. Mais l’industrie du tabac persiste.

Un fabricant de tabac élabore actuellement une cigarette qui combine le tabac à une matière « inerte » qui produirait des particules de glycérol ; le contenu en tabac serait également réduit jusqu’à 50 % par rapport aux cigarettes ordinaires. Aux dires du fabricant, il y aurait moins de tabac brûlé, donc une plus faible quantité de substances chimiques toxiques dans les phases gazeuse et particulaire de la fumée de cette cigarette. On ne sait toutefois pas si un tel produit peut être créé. Si c’était le cas, est-ce que les fumeurs l’adopteraient ? Ces derniers inhaleraient-ils alors des quantités d’émissions toxiques « collatérales » similaires à celles provenant d’autres cigarettes en vue d’obtenir la nicotine dont ils ont besoin ? Les fumeurs seraient-ils satisfaits de la quantité de nicotine absorbée et du goût, ainsi que des autres caractéristiques d’un tel produit ?

Ces hypothèses mettent en lumière des questions essentielles de la réduction des méfaits axée sur la modification de produits du tabac : la nature de toute allusion aux bienfaits pour la santé, implicite ou explicite, exprimée au sujet de ces nouveaux produits, et le niveau d’acceptation des utilisateurs à l’égard des produits modifiés. En présumant qu’une modification particulière a bel et bien réussi à réduire une émission toxique, ou une famille d’émissions (p. ex. les nitrosamines), sera-t-il possible de communiquer ce fait aux utilisateurs sans risquer qu’ils en déduisent que toutes les émissions ont fait l’objet d’une diminution ? D’autre part, même si un de ces produits pouvait garantir une réduction significative de la production d’émissions toxiques, tant que les fumeurs n’auront pas adopté ces produits, on ne saura toujours pas s’il peut en découler un véritable changement dans l’exposition à ces substances et, ensuite, une réduction des méfaits du tabac.

Comme avec les deux approches précédentes, il n’est pas encore possible de savoir si une approche de réduction des méfaits axée sur la modification des produits du tabac peut réellement réduire les méfaits sur la santé.

Par ailleurs, dans l’analyse de cette approche, il faut se rappeler que l’industrie du tabac en est le principal promoteur. Et les tribunaux n’ont pas toujours eu de mots tendres à l’égard de leurs efforts en la matière. Le 17 août 2006, près de six ans après le début de la poursuite, madame la juge Gladys Kessler de la US District Court a statué que le gouvernement américain avait établi les preuves nécessaires démontrant que les compagnies de tabac mises en cause avaient enfreint la Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (United States of America v. Philip Morris Incorporated et coll., Civil Action N° 99-CV-02496). Selon la juge, les preuves du gouvernement établissent que les compagnies ont élaboré un complot s’étendant sur plus de 50 ans pour tromper le public américain et, en particulier, les utilisateurs de cigarettes. Ces compagnies leur ont fait croire que les cigarettes dites légères ou faibles en goudron étaient meilleures pour la santé, donc une option acceptable à l’arrêt tabagique, même si elles savaient que ces cigarettes ne présentaient aucun avantage pour la santé. (Ce jugement a depuis été porté en appel.)

Étant donné ce contexte, élaborer et mettre en marché un produit du tabac destiné à être fumé, lequel pourrait réellement réduire les méfaits avec preuves à l’appui (ou qui offrirait au moins une réduction vérifiable de l’exposition aux substances toxiques), est sans aucun doute une entreprise complexe et à l’issue incertaine.

Difficultés et défis

Malheureusement, l’arrêt tabagique complet de la cigarette à grande échelle demeure un défi, puisque le taux d’abandon (naturel et avec aide pharmacologique) continue d’être faible. L’appel aux méthodes de réduction des méfaits axées sur le produit est réapparu dans la documentation issue de la lutte anti-tabac, où l’on met l’accent sur la possibilité de remplacer la cigarette par un autre produit (p. ex., le tabac sans fumée ou les produits de remplacement nicotinique). On note également que les activités de mise en marché de l’industrie du tabac sont de plus en plus dirigées vers la possibilité de modifier la cigarette pour obtenir un produit qui pourrait garantir sensiblement les mêmes sensations que celle-ci, ce qui permettrait aux fumeurs d’obtenir la concentration souhaitée de nicotine, mais sans la charge chimique de la fumée causée par la combustion et la pyrolyse.

Ces deux approches présentent des difficultés techniques et sociopsychologiques puisque fumer constitue la façon la plus efficace pour les fumeurs d’obtenir leur nicotine, dans la forme à laquelle ils se sont habitués (et qui satisfait leur dépendance à la nicotine). En conséquence, le succès de tout nouveau produit sera assujetti à l’accueil que ces derniers lui réserveront.

L’évaluation de la réduction de l’exposition aux émissions toxiques et, le cas échéant, de la réduction des méfaits qui en découlerait, demeure sans doute la question scientifique la plus complexe. Hatsukami et coll. (2004) ont étudié les stratégies permettant de mesurer un changement dans l’exposition aux émissions toxiques (Hatsukami, Henningfield et Kotlyar, 2004). Bien que certaines méthodes (p. ex. analyse des biomarqueurs) permettent de mesurer l’absorption de quelques émissions toxiques, les auteurs reconnaissent que l’utilisation de celles-ci est encore trop récente pour avoir confiance dans leur spécificité et leur fiabilité. Les auteurs ajoutent que le polymorphisme génétique, qui se traduit par une variabilité dans le métabolisme des émissions toxiques, peut également fausser les mesures. Enfin, même si nous parvenons à maîtriser l’évaluation de l’exposition aux émissions toxiques au cours des prochaines années, il nous faudra encore plus de recherches pour obtenir les outils qui nous permettront de déterminer si une réduction de l’exposition à ces produits entraîne une véritable réduction des méfaits.

Même si une réelle réduction des méfaits du tabac pouvait être prouvée chez les personnes qui utilisent un produit de remplacement ou un produit modifié, entraînant des avantages pour la santé, certaines préoccupations demeureraient importantes. Il faudrait donc évaluer les situations à la lumière de tout avantage allégué (et jusqu’à présent hypothétique), par exemple : a) certains fumeurs pourraient retarder leur décision d’abandonner le tabac, car ils croient qu’ils ont trouvé une méthode qui réussit à réduire les méfaits ; b) les anciens fumeurs pourraient recommencer à fumer en pensant que cette nouvelle méthode est une façon sécuritaire de succomber à nouveau à leur dépendance à la nicotine ; et c) les non-fumeurs pourraient commencer à fumer parce qu’eux aussi perçoivent qu’il s’agit d’une façon sécuritaire de consommer les produits qui contiennent du tabac. Par conséquent, ces solutions « moins dangereuses » pourraient accroître de façon substantielle le nombre de personnes dépendantes à la nicotine et potentiellement exposées aux émissions toxiques du tabac. Si cela se produisait, les maladies liées au tabagisme pourraient connaître une recrudescence dans notre société, même si les fumeurs qui adoptent ces produits sont exposés à des émissions toxiques réduites.

Conclusion

Tous les produits dont l’absorption des ingrédients actifs passe par la fumée posent des problèmes particuliers, puisque la fumée est une combinaison complexe et changeante de substances toxiques chimiques et que l’inhalation de cette fumée est contrôlée par le fumeur.

Aucune des approches de réduction des méfaits du tabac mentionnées ci-dessus ne s’est révélée efficace pour améliorer la santé publique. Cependant, comme la plupart des fumeurs continuent à fumer, la possibilité de remplacer ou de modifier les produits du tabac destinés à être fumés en vue d’obtenir de véritables avantages pour la santé publique ne peut être ignorée. Les notions présentées ici peuvent être utiles aux chercheurs et aux décideurs et servir de grille d’analyse, puisque d’autres formes de réduction des méfaits du tabac seront sans doute mises de l’avant par l’industrie et les promoteurs de la santé publique au cours des années à venir.

Lectures supplémentaires

De nombreuses recensions ont été rédigées sur la réduction des méfaits du tabac (McNeill, 2004). Un supplément du journal Nicotine and Tobacco Research (vol. 2, suppl. 2, 2002) a été entièrement consacré à ce sujet. Il vaut la peine de souligner le travail de Shiffman et coll. (2002). Ces derniers y signent un article sur la structure conceptuelle et la nomenclature dans lequel ils répertorient 19 approches de la réduction des méfaits du tabac axées sur le produit, établissent une distinction entre ces approches et discutent de leurs caractéristiques en fonction de 11 dimensions distinctes, notamment l’objectif, les mécanismes, la toxicologie, les risques prévus pour la population et l’attrait pour les consommateurs.

Enfin, Ritter et Cameron (2006) ont préparé une recension des plus intéressantes sur les stratégies de réduction des méfaits dans les domaines de l’alcoolisme, de l’usage des drogues illicites et du tabagisme. Ces auteurs croient qu’il existe suffisamment de données probantes pour justifier l’adoption de politiques et d’interventions s’appuyant sur la réduction des méfaits dans le domaine des drogues illicites, mais pas encore pour l’alcoolisme ou le tabagisme.