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Problématique

La consommation d’alcool constitue une problématique importante en ce qui concerne la santé des Canadiens. En plus de pouvoir entraîner une dépendance physique et psychologique (Ben Amar, 2007), la consommation excessive d’alcool serait responsable d’environ du quart des cancers de l’oesophage et du foie, des cirrhoses du foie, des accidents automobiles, des actes de violence, des suicides et des homicides (Rodgers et coll., 2002). Afin de limiter les conséquences, le Centre de toxicomanie et de santé mentale (Center for Addiction and Mental Health) (CAMH, 2009) propose des directives de consommation à faible risque, soit : un maximum de quatorze consommations standards par semaine pour les hommes et de neuf pour les femmes, ainsi que pas plus de deux consommations standards par jour.

La consommation d’alcool se décline en un continuum allant de l’abstinence au diagnostic d’abus ou de dépendance. Au Québec, environ 20 % de la population se dit abstinente alors qu’environ 4 % a déjà reçu un diagnostic d’abus ou de dépendance (Tremblay et coll., 2004). Entre ces extrêmes du continuum, environ 60 % des Québécois n’excèdent pas les directives de consommation d’alcool à faible risque, 12 % dépassent les directives sans toutefois rapporter de problèmes liés à l’alcool et 4 % rapportent au moins un problème lié à l’alcool sans présenter de diagnostic d’abus ou de dépendance.

Alors que beaucoup de ressources sont déployées pour intervenir auprès de 4 % des consommateurs québécois présentant un diagnostic d’abus ou de dépendance à l’alcool (Bothelo et Richmond, 1996), ce sont les consommateurs à risque (approximativement 16 % de la population québécoise) qui engendreraient le plus de problèmes sociaux et de santé en lien avec leur consommation (Groupe de travail sur la stratégie nationale sur l’alcool, 2007 ; Powers, 2009). Cette observation est connue dans le milieu scientifique comme étant le paradoxe de la prévention : étant donné que l’on retrouve plus d’individus qui sont consommateurs à risque que dépendants, les méfaits causés dans le premier groupe sont plus importants en termes de volume (Demers et Quesnel Vallée, 1998).

Pour répondre aux besoins de ces consommateurs à risque et réduire les méfaits associés à leur consommation, différentes stratégies de prévention secondaire visant la réduction de la consommation, et non l’abstinence, sont généralement considérées comme appropriées (Sobell et Sobell, 2006). Parmi celles-ci, on compte : l’entretien motivationnel de Miller (1983), dans lequel l’intervenant adopte un style thérapeutique directif centré sur les besoins du client pour l’encourager dans sa motivation à changer ses habitudes de consommation (Hettema et coll., 2005) ; la prévention structurée de la rechute de Marlatt et Gordon (1985), dans laquelle l’intervenant tente d’identifier les situations à haut risque de consommation et de modifier la réponse du consommateur à ces situations ; ainsi que l’entraînement à l’autocontrôle comportemental qui vise à responsabiliser le client dans ses prises de décisions concernant sa consommation et qui peut notamment s’actualiser sous forme de bibliothérapie (Saladin et Santa Ana, 2004). Ces approches sont généralement à la base des programmes de boire contrôlé, qui permettent aux personnes à risque de réduire et maintenir leur consommation d’alcool à un niveau pouvant leur éviter les problèmes liés à la consommation d’alcool (Simoneau, Landry et Tremblay, 2005).

Le programme Alcochoix+, un programme de gestion de la consommation créé au Québec, s’inspire de ces trois approches (Simoneau, Landry et Tremblay, 2005). Entre autres, on y retrouve six phases intégrant ces éléments dont (1) l’auto-observation de la consommation, (2) l’établissement d’un objectif de traitement spécifique, (3) l’identification des situations à haut risque, (4) l’élaboration de stratégies pour réduire ou éviter la consommation, (5) l’élaboration de stratégies d’adaptation autres que la consommation et (6) l’augmentation de l’autorenforcement pour l’atteinte des objectifs (Miller et coll., 1992). Le style de l’Entretien motivationnel est intégré grâce à l’accent mis sur la liberté de choix et l’autonomie de la personne. Le programme Alcochoix+ est offert en trois formules : (1) la formule autonome où l’individu suit le programme seul à l’aide d’un guide (bibliothérapie), (2) la formule guidée où l’individu rencontre un intervenant pour le soutenir dans sa démarche (deux à six rencontres) et (3) la formule groupe où les usagers participent à six rencontres hebdomadaires de 90 minutes. Le contenu demeure toutefois identique dans les trois formules. Il est présenté dans un livret remis au début du programme, et ce, peu importe la modalité.

Le programme, tel qu’implanté au Québec, cible les adultes ayant une consommation d’alcool à risque avec manifestation ou non de problèmes conséquents à cette consommation, mais sans diagnostic d’abus ou de dépendance. Une consommation à risque ou plus grave de drogues illicites entrave l’admission au programme. Les personnes ayant une prescription d’abstinence de la part de leur médecin ne sont pas admises au programme. De même, les personnes qui présentent un problème de santé mentale venant entraver leur capacité de participer au programme sont exclues.

Une étude préliminaire auprès des intervenants et clients de quatre régions pilotes a identifié qu’une grande majorité des usagers considèrent que le programme les a aidés à modifier leurs habitudes de consommation (Simoneau, 2005). Alcochoix+ a par la suite été implanté dans plusieurs autres régions du Québec.

Pour vérifier les effets d’un programme tel qu’Alcochoix+, il est approprié de réaliser une évaluation d’impact. Toutefois, pour pouvoir interpréter les résultats d’une telle évaluation, il est essentiel de bien comprendre le contexte dans lequel le programme a été implanté et est offert (Gilliam, Ripple, Zigler, & Leiter, 2000) en faisant préalablement une évaluation d’implantation. Dans l’optique où le MSSS souhaite implanter des programmes de boire contrôlé à travers le Québec d’ici 2012 (MSSS, 2007), il est apparu souhaitable d’évaluer l’implantation du programme Alcochoix+.

L’évaluation d’implantation s’inscrit dans le courant des recherches du soutien à l’innovation ; l’innovation étant une idée, une pratique ou un objet qui est perçu comme nouveau par un individu ou un groupe (Rogers, 2003). Ce courant réfère au processus qui s’intéresse à la façon dont un nouvel objet, idée ou pratique est perçu et intégré dans un environnement social (Rogers, 2003).

Parmi les motifs qui justifient une évaluation d’implantation, on retrouve : comprendre comment l’intervention fonctionne et identifier les composantes du programme qui sont les plus efficaces, trouver des façons de l’améliorer, apprendre à contourner les obstacles qui se dressent en cours d’implantation afin de favoriser une amélioration lors de l’implantation dans d’autres sites, vérifier si l’implantation est adéquate pour permettre l’évaluation d’impact du programme et finalement, faciliter l’interprétation des résultats qui découlent de l’évaluation d’impact (cerner les causes des effets observés) (Barry et coll., 2005 ; Desrosiers et coll., 1998).

À un niveau plus pratique, l’évaluation d’implantation pose les questions suivantes : « Qu’est-ce qui se passe ? », « Est-ce que ce qui se passe est attendu ou désiré ? » ainsi que « Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? » (Werner, 2004). Ces questions réfèrent donc, entre autres, au respect du canevas du programme, à la clientèle qu’il rejoint, à son intégration dans le réseau gouvernemental de la santé, à la formation reçue par les intervenants, aux obstacles surmontés ou à surmonter dans le cadre de son implantation ainsi qu’au contexte régional de l’implantation.

Cependant, il n’existe pas de consensus au niveau de la terminologie utilisée. Par exemple, Fixsen et ses collaborateurs (2005) distinguent différentes sous-catégories d’analyse de processus, dont l’analyse de la fidélité qui comprend trois aspects : le contexte qui réfère aux prérequis (ex. : formation, supervision, ratio client-intervenant, etc.) ; la conformité (compliance) qui mesure jusqu’à quel point l’intervenant se conforme aux pratiques recommandées par le programme et évite ce qui est proscrit ; et la compétence qui réfère au niveau d’habiletés démontré par le thérapeute au moment d’offrir le programme. D’autres auteurs ont cependant une vision beaucoup plus large du concept de fidélité incluant les modalités de dispensation des services, l’adéquation du processus d’orientation, l’intensité de l’intervention, l’atteinte de la population cible, etc. (Chen, 2005).

Différents déterminants qui influencent le processus d’innovation ont été identifiés dans la littérature (Berwick, 2003 ; Deschesnes et coll., 2008 ; Fleuren et coll., 2004 ; Landry et coll., 2007 ; Rogers, 2003 ; Wejnert, 2002) et peuvent être regroupés en trois types (Landry et coll., 2007). Tout d’abord, les déterminants relatifs à l’innovation et à ceux qui l’adoptent (ou attributs de l’innovation) réfèrent, par exemple, à sa simplicité, à sa compatibilité avec les valeurs, normes et procédures organisationnelles, à son adaptabilité, à l’observabilité des résultats, etc. Ensuite, les déterminants relatifs à l’organisation ou aux systèmes internes désignent, par exemple, les réseaux d’échanges et les canaux de communications entre les acteurs impliqués, le leadership et l’engagement, le roulement de personnel, les ressources continues en termes de temps et d’argent, etc. Finalement, les déterminants relatifs à l’environnement ou contexte externe concernent le contexte sociétal et géographique, les conditions politiques (orientations et directives générales du gouvernement, transformations majeures au sein des ministères), le rôle des médias, le soutien des acteurs externes, etc.

Objectifs de recherche

En lien avec ce qui précède, l’évaluation d’implantation du programme Alcochoix+ se centre principalement sur deux dimensions : les différents aspects concernant la fidélité au programme ainsi que les aspects organisationnels et environnementaux structurant et influençant l’implantation. En ce qui concerne la fidélité, nous abordons dans cet article les résultats relatifs aux questions suivantes : 1) est-ce que le profil de la clientèle admise au programme correspond à la clientèle ciblée ? 2) Est-ce que les attitudes des intervenants sont compatibles avec les valeurs qui le fondent ? 3) Dans quelle mesure les intervenants qui administrent le programme en respectent-t-ils le canevas ? En ce qui concerne les aspects organisationnels et environnementaux, les questions sont les suivantes : 1) Dans quelle mesure le programme s’intègre-t-il au réseau de soins et de services du Québec ? 2) Quels sont les obstacles à son implantation ? 3) Quelle est la dynamique de l’interinfluence entre ces obstacles ?

Méthodologie

Participants

Les participants à la recherche sont diversifiés, soit 38 intervenants appliquant le programme dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS), huit personnes-ressources de centres de réadaptation en dépendance (CRD) qui contribuent à la formation des intervenants au programme Alcochoix+, huit responsables régionaux qui veillent à l’organisation des services d’un point de vue macroscopique dans une région sociosanitaire et 349 participants au programme entre septembre 2007 et le 30 juin 2008. Tous ces participants proviennent de quatre régions sociosanitaires (Montréal, Laval, Chaudière-Appalaches et Capitale-Nationale) qui faisaient partie de la pré-expérimentation, c’est-à-dire de la première implantation du programme avant 2004 ainsi que de quatre régions pour lesquelles les intervenants ont été formés après 2004 (Laurentides, Saguenay – Lac-Saint-Jean, Mauricie et Centre-du-Québec et Abitibi-Témiscamingue). Tous les participants ont rempli un formulaire de consentement libre et éclairé. Les procédures de la recherche ont été approuvées par le Comité d’éthique de la recherche en toxicomanie du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances.

Les usagers du programme, participant à la recherche, n’ont pas été rencontrés directement. Ce sont plutôt les intervenants qui ont cumulé des informations à leur sujet concernant des aspects sociodémographiques, mais aussi des informations cliniques. Les usagers sont âgés de 18 à 85 ans et ont en moyenne 45,8 ans (écart type de 11,3 ans). Une proportion équivalente d’hommes et de femmes (49,7 % vs 50,3 %) compose l’échantillon. La majorité des usagers détient un diplôme universitaire (38,8 %) ou collégial (24,6 %), environ le tiers a terminé la quatrième ou la cinquième année du secondaire (30,7 %), tandis qu’une minorité possède une scolarité de niveau secondaire 1 à 3 (5,5 %) ou primaire (0,3 %).

Mesures et collecte de données

Les informations recueillies proviennent donc de quatre sources. Tout d’abord, la fiche de l’usager a été remplie par les intervenants pour chacun des usagers rencontrés. Elle permet d’établir le profil de la clientèle en fonction de variables sociodémographiques (sexe, âge, scolarité), de savoir qui a orienté l’usager vers le programme ainsi que de connaître la formule du programme suivi. Cette fiche comprend également un profil de consommation d’alcool et de drogues, lequel permet de vérifier si le participant correspond aux critères d’admission au programme. Ce profil de consommation s’appuie principalement sur le score obtenu au Questionnaire bref sur la dépendance à l’alcool (QBDA ; traduction du Short Alcohol Dependence Data de Davidson et Raistrick, 1986). Le QBDA a une structure à un seul facteur (Davidson, Bunting et Raistrick, 1989). Si le score unique varie de 0 à 45 : de 0 à 9, le client devrait être orienté vers une intervention de moindre intensité en première ligne[1], telle qu’Alcochoix+ ; de 10 à 17, une discussion entre les acteurs des première et deuxième lignes[2] est nécessaire pour déterminer le niveau de soins nécessaire ; et de 18 à 45, le client est généralement orienté vers une intervention de plus grande intensité en deuxième ligne. Ces points de rupture ont été proposés par les auteurs (Raistrick, Dunbar et Davidson, 1983) et permettent de discriminer les niveaux de sévérité (Jorge et Masur, 1985)[3]. Le QBDA présente également une forte validité convergente (r > 0,80) avec d’autres questionnaires sur la dépendance à l’alcool (Davidson et Raistrick, 1986).

Le questionnaire des intervenants visait à connaître leur point de vue sur différents aspects du programme ou de sa mise en application. Tout d’abord, l’attitude des intervenants envers l’objectif de boire contrôlé a été évaluée à l’aide d’échelles à choix forcé en six points (3 items) s’échelonnant de « totalement en désaccord » à « totalement d’accord ». La satisfaction professionnelle apportée par le rôle d’intervenant au programme Alcochoix+ a été mesurée à l’aide d’une échelle de type Likert en 5 points (1 item) allant de « pas du tout » à « extrêmement ». La façon dont l’intervenant a été intégré au programme (sans lui demander son avis ; en lui demandant son avis, mais avec pression ; ou en lui demandant son avis) a aussi été vérifiée. L’intervenant a été invité à identifier les modalités de dispensation du programme offertes dans sa région. Des questions concernant le contenu des deux premières rencontres avec un client, à savoir si l’intervenant aborde les principaux éléments du programme, ont été vérifiées avec des échelles de type Likert en quatre points s’échelonnant de « jamais » à « toujours » (16 items). Des questions ouvertes ont permis de documenter l’arrimage entre les services de première et de deuxième ligne (processus d’orientation en deuxième ligne et identification de la personne-ressource), les ajouts des intervenants au programme ainsi que les facteurs qui ont facilité ou nui à l’implantation du programme Alcochoix+. Toutes ces questions ont été développées pour l’étude actuelle.

Six groupes de discussion d’une durée de deux à trois heures, animés par le chercheur externe[4] et un agent de recherche, ont réuni des intervenants des CSSS dans un premier temps et des personnes-ressources des CRD dans un deuxième temps. Ces groupes de discussion visaient à évaluer la formation reçue et les services offerts aux intervenants par les personnes-ressources, documenter les critères qui font que l’intervenant admette ou non un client au programme et les modifications apportées au programme en fonction de différentes situations ainsi qu’à identifier les obstacles et pistes de solutions à l’implantation du programme. Des questions préalablement définies ont été posées selon un guide de discussion[5].

Finalement, des entrevues téléphoniques ont également été réalisées auprès des répondants régionaux dans le but de recueillir des informations contextuelles entourant l’implantation du programme Alcochoix+ pour chacune des régions. Des questions concernant le programme prédécesseur Alcochoix, l’attitude des principaux acteurs du programme Alcochoix+, le processus de formation, le recrutement des clients, les obstacles à l’implantation surmontés ou à surmonter ainsi que des pistes de solution ont été posées.

L’ensemble de ces sources permet de répondre aux questions de recherche énoncées plus haut et de comparer les points de vue des différents acteurs.

Stratégie de recherche

La stratégie de recherche privilégiée dans la présente étude repose sur une technique de validation par triangulation méthodologique, c’est-à-dire que des données à la fois quantitatives et qualitatives ont été recueillies et analysées en relation les unes avec les autres. Cette stratégie a pour but « de conduire à une compréhension et à une interprétation les plus riches possible du phénomène étudié » ainsi que de permettre « au chercheur d’objectiver ses pistes d’interprétation » (Mucchielli, 2009). Ainsi, la triangulation des données permet non seulement de corroborer les résultats obtenus, mais également de pallier aux limites qui sont propres à chacune des méthodes de collecte de données (Mucchielli, 2009).

Dans un premier temps, des analyses descriptives sous forme de fréquences, de proportions, de moyennes ou d’écarts types ont été effectuées pour les données quantitatives provenant des fiches d’usagers, des questionnaires des intervenants et des questionnaires sur les obstacles à l’implantation. Des tests de comparaison de moyenne (test-t) ont été utilisés afin de comparer les profils des clients admis au programme versus les clients non admis. La présence d’une relation entre certaines variables a également été vérifiée à l’aide de corrélations bivariées (r de Pearson). Certaines données qualitatives obtenues par l’entremise des questionnaires des intervenants ont été catégorisées et analysées de manière quantitative afin d’obtenir des fréquences ou proportions.

L’analyse qualitative est une démarche qui repose sur une logique « de la découverte ou de la construction de sens » et comporte différentes techniques d’analyse (Mucchielli, 2009). Pour la présente recherche, l’analyse de contenu thématique a été privilégiée. Ce type d’analyse vise à dégager du contenu d’analyse brut des thèmes généraux récurrents. Cette méthode peut se faire de manière inductive, c’est-à-dire que les thèmes émergent du contenu d’analyse, ou de manière déductive, alors que les thèmes sont préalablement définis (Deschenaux, 2007). Étant donné que les grands thèmes de la recherche ont déjà été définis en fonction d’objectifs et de questions de recherche précis, l’analyse des groupes de discussion a d’abord reposé sur une logique déductive. Puis, selon un processus itératif, les nouveaux thèmes émergeant du discours des intervenants ont été ajoutés aux thèmes déjà identifiés.

Trois sources d’information ont été l’objet d’analyses qualitatives, soit le verbatim des groupes de discussion, le verbatim des entretiens téléphoniques ainsi que les données qualitatives portant sur les obstacles et facilitateurs à l’implantation obtenues à partir des questions ouvertes du questionnaire des intervenants. Pour ce qui est des entretiens téléphoniques, seules les informations qui concernent les obstacles, les facilitateurs et les pistes de solution à l’implantation ont été analysées afin de comparer les différentes sources d’information. Les autres données recueillies visaient surtout à documenter le contexte régional et n’ont donc pas été l’objet d’analyses approfondies.

À l’aide du verbatim anonymisé du contenu des groupes de discussion, un premier regroupement par sujets à l’intérieur de thèmes communs a été fait à l’aide de N’Vivo. La seconde étape de catégorisation a consisté à regrouper ces thèmes ou codes en un tout intelligible et porteur de sens (Deschenaux, 2007 ; Mucchielli, 2009). Une grille de codification commune a été utilisée pour classer les sujets à l’intérieur des trois grands thèmes, soit les obstacles, les éléments facilitateurs et les pistes de solution.

Les analyses ont d’abord été effectuées de manière verticale, c’est-à-dire pour chacun des entretiens ou groupes de discussion de manière isolée. Puis, une approche horizontale a permis d’identifier des points de convergence ou de divergence entre les différentes sources d’information (intervenants des CSSS, intervenants des CRD et répondants régionaux) et les différentes régions (pilotes versus nouvelles) à l’étude.

Résultats

Tout d’abord, trois éléments de fidélité seront abordés : les résultats relatifs aux caractéristiques des clients et leur adéquation aux critères d’admission, les attitudes des intervenants en ce qui a trait à la philosophie du programme, ainsi que les aspects d’intégrité relatifs aux formules de dispensation du programme ainsi qu’au contenu de celui-ci.

Ensuite, il sera question des aspects organisationnels de l’implantation du programme. Les différents obstacles à l’implantation identifiés par les participants ainsi que leurs interrelations seront exposés.

Analyse de la fidélité de l’implantation

Clientèle rejointe

Une majorité des 349 usagers ayant fait une demande d’aide ou ayant été orientés vers Alcochoix+ au cours de l’étude (90,4 %) ont été admis au programme. En moyenne, les usagers admis au programme boivent 26,3 consommations standards lors d’une semaine typique (écart type de 12,4), ont vécu 114,9 épisodes de forte consommation (5 verres et plus par épisode pour un homme ; 4 verres et plus pour une femme) lors de la dernière année (écart type de 112,8) et ont reçu une cote de 9,7 au QBDA (écart type de 4,3). Par contre, la clientèle qui n’a pas été admise aurait un profil de consommation beaucoup plus sévère. Le nombre de consommations standards moyen lors d’une semaine typique pour ces usagers est de 44,4 (écart-type de 45,9), ils ont connu 167,9 épisodes de forte consommation lors de la dernière année (écart-type de 131,3) et ont reçu une cote de 13,9 au QBDA (écart-type de 6,2). Ainsi, les usagers non admis au programme boivent plus de consommations lors d’une semaine typique (t = -2,2, p < 0,05), rapportent plus d’épisodes de forte consommation lors de la dernière année (t = -2,3, p < 0,05) et obtiennent un score plus élevé au QBDA que les usagers admis (t = -3,4, p < 0,01).

Par ailleurs, la majorité des usagers recevant une cote située entre 0 et 9 au QBDA, zone où l’intervention de première ligne est recommandée, est admise dans Alcochoix+ (95,8 %). Pour ce qui est de la zone intermédiaire (QBDA de 10 à 17) où l’action recommandée est une discussion avec la deuxième ligne afin de déterminer la meilleure orientation, encore une fois la majorité des usagers est admise au programme (91,4 %). Finalement, la moitié des usagers devant être orientés vers la deuxième ligne selon le score obtenu au QBDA (entre 18 et 45) est acceptée dans le programme (50 %). On ne retrouve cependant que 14 usagers dans cette dernière catégorie.

L’analyse du profil de la clientèle révèle toutefois que les usagers admis ne remplissent pas tous les critères d’admission du programme. En effet, seuls les intervenants de deux régions participantes rapportent n’avoir accepté que la clientèle admissible au programme. Dans les autres régions, certains intervenants se sont sentis obligés de recevoir dans le programme des clientèles non admissibles pour différentes raisons telles que la situation géographique (CRD trop éloigné), la non-acceptation par les CRD d’usagers qui ne rencontrent pas les critères de dépendance aux substances consommées, bien qu’ils présentent un risque élevé, et le refus des usagers de consulter en deuxième ligne.

D’autres intervenants ont choisi d’élargir les critères d’admission afin d’augmenter le taux d’achalandage pour acquérir plus d’expérience de travail. De plus, certains intervenants ont accepté d’emblée les clients pour qui l’orientation est incertaine, sans procéder à la discussion en raison de différents motifs qui seront traités en détail dans une section ultérieure. Parmi ceux-ci, on retrouve les difficultés d’arrimage entre les deux lignes de services, le refus de certains clients à consulter en deuxième ligne ou encore l’utilisation d’Alcochoix+ afin de provoquer une prise de conscience de l’ampleur de la consommation chez le client pour qu’il soit éventuellement orienté vers des services plus appropriés.

Attitudes des intervenants envers les valeurs du programme

Dans un deuxième temps, les données concernant les attitudes des intervenants envers le programme ont été analysées. La grande majorité des participants (94,5 %) croit que le boire contrôlé est un objectif pertinent pourvu qu’il s’adresse à une clientèle ciblée (des personnes qui n’ont pas de dépendance à l’alcool et qui ont une stabilité sociale et psychologique). Dans l’ensemble, les intervenants sont (81 %) enthousiastes envers l’approche d’intervention du programme Alcochoix+.

Des mesures d’association ont été effectuées entre les croyances des intervenants, leurs attitudes et le nombre de fiches d’usagers vus par région (calculées à l’aide du nombre de fiches d’usagers fournies par région). Des corrélations significatives sont observées entre la disposition de l’intervenant envers l’approche et la satisfaction envers son rôle (r = 0,58, p < 0,001), entre la disposition envers l’approche et le nombre de fiches d’usagers recueillies (r = 0,59, p < 0,001) ainsi qu’entre la satisfaction envers son rôle et le nombre de fiches d’usagers qu’il a recueillies (r = 0,49, p < 0,01). Lors de la présentation des résultats préliminaires, les intervenants ont expliqué cette association comme un cycle positif où le fait de croire au programme les amène à en être de meilleurs promoteurs et ainsi avoir plus d’usagers dans le programme (ce qui a été mesuré par le nombre de fiches clients recueillies). En retour, l’affluence des usagers leur permet d’observer un plus grand nombre de succès thérapeutique, ce qui confirme leur croyance et renforce leur enthousiasme envers le programme.

Respect de l’intégrité du programme

En ce qui a trait au contenu du programme, 93,7 % des intervenants rapportent qu’au moins 75 % de leurs interventions Alcochoix+ proviennent directement du manuel des intervenants. La majorité des modifications apportées respecte l’esprit du programme. Les ajouts les plus fréquents concernent des notions ou du matériel sur les besoins et les émotions (11 des 14 intervenants qui rapportent faire des ajouts)[6], sur la toxicomanie (9/14), l’approche motivationnelle ou la motivation au changement (7/14). Divers autres éléments sont aussi mentionnés sporadiquement à titre d’ajouts au programme (5/14) : plan d’urgence, communication non violente, sommeil, exercices physiques, santé mentale, etc. Il est à noter aussi que le programme est parfois adapté à des clientèles non admissibles. En effet, certains intervenants acceptent des clients vivant une crise personnelle ou un trouble de santé concomitant (par ex., anxiété) afin de les motiver à consulter des services plus appropriés ou encore qui consomment d’autres substances psychoactives, mais qui sont suivis par d’autres professionnels avec lesquels l’intervenant Alcochoix+ pourra collaborer.

Aspects organisationnels

Obstacles à l’implantation et leurs interrelations

Les groupes de discussion ont permis aux participants d’identifier 19 obstacles surmontés ou à surmonter dans le cadre de l’implantation du programme Alcochoix+. Comme l’implantation de programme est composée de facteurs dynamiques qui s’interinfluencent (Fixsen et coll., 2005), il a été choisi de présenter les obstacles identifiés en interrelations les uns avec les autres à partir des résultats tirés des analyses qualitatives. Ces liens sont nombreux et la séquence varie parfois d’un acteur à l’autre. Il n’est donc pas possible de proposer un modèle qui puisse regrouper l’ensemble de ces relations en un tout cohérent et représentatif du discours des participants à l’étude. Toutefois, certaines constantes ont été observées formant une chaîne d’obstacles initiaux, intermédiaires et finaux, telle que représentée par la figure 1.

Figure 1

Interrelations entre les obstacles à l’implantation

Interrelations entre les obstacles à l’implantation

-> Voir la liste des figures

Obstacles initiaux

En général, les obstacles « manque de ressources financières », « réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux » et « roulement de personnel » sont nommés comme des causes qui chapeautent différents autres obstacles.

Le manque de ressources financières

Les analyses qualitatives révèlent que le manque de ressources financières serait le principal responsable des lacunes sur le plan de la publicité et la promotion. Le manque d’argent occasionne également des difficultés organisationnelles en matière de gestion du programme et un manque de temps pour les intervenants. Plusieurs intervenants associent le manque de ressources financières au fait que, dans certains centres, il n’y a pas de budget exclusif au programme. Or, ce budget s’avère nécessaire à la mise sur pied d’un poste d’intervenant attitré au programme Alcochoix+ avec un temps défini qui lui est spécifiquement alloué. De plus, étant donné le manque de ressources, l’agence de santé et de services sociaux de certaines régions (laquelle s’occupe de la coordination des services du réseau) n’aurait pas suffisamment assuré de leadership et aurait joué un rôle plutôt effacé dans l’implantation du programme. De façon semblable, certains CSSS n’auraient pas voulu s’impliquer.

La réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux

Un second obstacle concerne la réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux, celle-ci serait la cause principale du taux élevé de roulement de personnel (troisième obstacle). Il est à noter qu’au Québec, au moment de conduire l’évaluation d’implantation, une réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux était en cours. Ces changements ont eu des répercussions sur le plan de l’organisation des services offerts en dépendance et particulièrement en ce qui concerne la première ligne. Aussi, le départ de nombreux dirigeants aurait nui de différentes façons au leadership dans la prise en charge du programme. Les participants ont mentionné que cela pouvait occasionner une confusion quant aux rôles et responsabilités de chacun, causer des retards dans la prise de décisions importantes et nécessiter de la part des nouveaux dirigeants un temps d’arrêt pour s’adapter et s’approprier le programme. L’isolement des intervenants découlerait également de ce roulement de personnel qui conduit à une perte de soutien et de liens.

Le roulement de personnel

Selon les participants, le roulement de personnel serait également à la source de nombreux autres obstacles. Par exemple, la baisse de motivation et du niveau d’engagement de certains intervenants ainsi que les difficultés au sujet de la communication et de la circulation de l’information seraient attribuables aux changements constants. D’ailleurs, le temps investi pour s’ajuster aux nombreux changements empiète sur le temps consacré à la diffusion du programme. La réorganisation du réseau ainsi que le roulement de personnel influencent également le manque d’accessibilité à la formation découlant de l’obligation de former les nouveaux intervenants. Les gestionnaires ont par ailleurs diminué le temps investi dans le programme en raison des problèmes encourus par la réorganisation et les postes à pourvoir.

Selon les participants, ces obstacles initiaux semblent avoir des répercussions sur différents obstacles intermédiaires.

Obstacles intermédiaires

Le manque de leadership

Les participants à l’étude notent que le manque de leadership dans la prise en charge du programme peut être mis en lien avec les priorités et exigences gouvernementales. En fait, même si le ministère de la Santé et des Services sociaux a décidé d’implanter le programme à l’échelle nationale, l’importance qui lui est accordée dépend des dirigeants, de leur intérêt ou des priorités au sein de leurs établissements.

Ce manque de leadership a également conduit à l’isolement et au désinvestissement des intervenants qui se retrouvent parfois sans soutien et vivent des difficultés quant à la communication et la circulation de l’information. Cet aspect a aussi engendré des difficultés d’accès au matériel promotionnel. Le manque de temps consacré au programme par les intervenants peut également découler du manque de leadership au sein de l’organisation, celui-ci ayant, en ce sens, un impact sur les priorités établies dans leurs tâches. L’isolement des intervenants est une des causes de leur désinvestissement. Cet état de fait a aussi comme conséquence d’occasionner des difficultés quant à la communication et la circulation de l’information. Le désinvestissement des intervenants est aussi vu comme une conséquence de l’obstacle « priorités et exigences gouvernementales », plus spécifiquement en lien avec la pression de rentabilisation imposée aux intervenants des CSSS.

Parallèlement, d’autres obstacles, dont le contexte régional et la réorganisation des services en dépendance, exercent une influence sur certains obstacles intermédiaires ou finaux de la chaîne. Ainsi, certains intervenants font un lien entre la taille des populations rurales et l’impopularité de la formule groupe étant donné les risques plus élevés encourus par les participants d’être connus et, par la suite, stigmatisés dans leur communauté. Les difficultés associées à la réorganisation des services en dépendance auraient eu un effet sur le manque de temps et de leadership tant des intervenants que des supérieurs.

Obstacles finaux

À l’extrémité de la chaîne, on retrouve les obstacles « lacunes au niveau de la promotion et de la publicité », « méconnaissance du programme » et « faible taux d’achalandage », lesquels sont généralement considérés comme des conséquences issues d’autres obstacles.

Les participants de l’étude soulignent que les lacunes sur le plan de la publicité et de la promotion, principalement le manque d’activités promotionnelles, sont causées en grande partie par le manque de ressources financières ainsi que le manque de temps des intervenants et les problèmes de gestion du mandat Alcochoix+.

Les retards dans les prises de décision (manque de leadership à tous les paliers) ainsi que les délais dans la réception du matériel promotionnel seraient d’autres sources d’explication. En effet, en attente de ce matériel, plusieurs régions n’ont investi aucun budget dans la publicité régionale et n’ont fait aucune activité promotionnelle.

Ces difficultés avec la publicité et la promotion du programme auraient pour conséquence que l’existence du programme et de son approche est méconnue. En retour, le manque de promotion et la méconnaissance du programme, tant de la part des usagers que des intervenants, expliqueraient le faible taux d’achalandage.

Discussion

Les résultats démontrent que, de façon générale, la clientèle rejointe est celle visée par le programme. De plus, la majorité des intervenants croit en l’objectif du boire contrôlé et est satisfaite quant au contenu de la formation. L’intégrité du programme semble globalement respectée. Les participants à l’étude émettent toutefois des réserves relatives aux aspects organisationnels. À ce sujet, ils ont généralement souligné une bonne collaboration entre les deux lignes de services et ont identifié dix-neuf obstacles à l’implantation d’Alcochoix, en plus de commenter leurs interrelations.

Fidélité

Profil de la clientèle

En général, la clientèle admise au programme Alcochoix+ correspond aux critères d’admissibilité. Ainsi, une clientèle de première ligne est rejointe. Il est intéressant de noter que le programme rejoint autant d’hommes que de femmes, ce qui peut être considéré comme un avantage. En effet, les hommes représentent usuellement près du deux tiers de la clientèle des programmes de réadaptation destinés aux personnes aux prises avec une dépendance (Tremblay et coll., 2004). Toutefois, des personnes non admissibles sont parfois acceptées dans le programme : des personnes dont la consommation suggère une orientation en première ligne, mais qui présentent une contre-indication à leur intégration au programme Alcochoix+, et des personnes dont le profil les destine à être orientées en deuxième ligne, mais qui refusent d’y être orientées. Le fait d’insister lors de la formation des intervenants sur les critères d’admissibilité et les solutions alternatives pour les clients non admissibles devrait pouvoir clarifier cette situation. Comme le mentionnent Fixsen et ses collaborateurs (2005), la formation est un moment de rencontre à privilégier pour la transmission de l’information aux intervenants. Les cas d’admission de clients qui devraient faire l’objet d’une orientation en deuxième ligne soulèvent la question de l’efficacité du programme Alcochoix+ pour ce type de clientèle. Une éventuelle étude d’impact permettrait de répondre à cette interrogation.

Attitudes des intervenants

La majorité des intervenants adoptent une attitude positive envers le programme : ils croient en l’objectif de boire contrôlé, ils sont enthousiastes envers le programme, et leur rôle d’intervenant est pour eux une source de satisfaction professionnelle. Ces résultats sont intéressants puisque, comme le mentionne Wejnert (2002), le système de croyances jouerait un rôle important dans l’adoption d’une innovation. Une congruence entre l’innovation et les valeurs, les normes, le langage ou les idéologies d’une organisation ou d’un individu favoriserait ainsi son adoption.

Intégrité

La plupart des intervenants Alcochoix+ se conforment au contenu du manuel. En effet, les résultats indiquent qu’ils présentent l’ensemble des éléments recommandés. Les seules modifications apportées concernent des ajouts de matériel qui respectent l’esprit du programme. Les intervenants semblent donc, dans l’ensemble, avoir bien compris l’approche sous-jacente au programme et l’importance de chacun des éléments qui le composent. Comme le mentionnent Fixsen et ses collaborateurs (2005), certaines composantes centrales d’un programme doivent être maintenues afin d’assurer son efficacité. Selon eux, une fois l’approche bien comprise et acceptée, l’application du programme peut toutefois être plus flexible. L’adaptabilité de l’innovation serait un élément influent de son implantation (Barry et coll., 2005 ; Greenhalgh et coll., 2004).

Aspects organisationnels

Arrimage des services

Une bonne collaboration entre la première et la deuxième ligne est observée pour la majorité des régions. La plupart des intervenants qui ont réorienté au moins un usager vers le CRD de leur région sont satisfaits de la procédure. Quelques régions ont par contre vécu plus de difficultés. Les intervenants de ces régions ont exprimé certains irritants en lien avec le processus d’orientation des usagers. Ces résultats soulignent l’importance de favoriser la collaboration et des contacts étroits entre les organisations et les acteurs impliqués dans l’implantation d’une innovation afin de favoriser la réussite de son implantation (D’Amour et coll., 2007 ; Deschesnes et coll., 2008 ; Doray et Chaumette, 2001 ; Houle et coll., 2006 ; Landry et coll., 2007). La prise d’ententes entre les première et deuxième lignes associées à la création d’un corridor de services, la mise sur pied d’une table de concertation régionale permettant de personnaliser les liens entre les deux organisations et l’utilisation de la formation pour informer les intervenants des mandats propres à chaque ligne de services sont perçues comme des solutions à ces problèmes.

Obstacles surmontés ou à surmonter ainsi que leurs interrelations

Fixsen et ses collaborateurs (2005) mentionnent que l’implantation d’un programme implique un ensemble de déterminants et de facteurs qui s’interinfluencent de façon dynamique et qui ont un impact sur la mise en place du programme. L’analyse des données de la présente étude a permis d’observer ces interrelations complexes entre les différents obstacles à l’implantation du programme Alcochoix+. Ainsi, le manque de ressources financières et le roulement de personnel à tous les paliers entraîneraient plusieurs autres difficultés. Ces obstacles ont également été observés dans d’autres études (Fixsen et coll. 2005, Fleuren et coll., 2004) et pourraient compter parmi les facteurs les plus déterminants de l’implantation d’une innovation dans le domaine de la santé et des services sociaux.

Par ailleurs, l’organisation des données de cette étude en fonction des trois types de déterminants du processus d’innovation cités dans la littérature (déterminants relatifs à l’innovation et à ceux qui l’adoptent, déterminants relatifs à l’organisation ou aux systèmes internes et déterminants relatifs à l’environnement ou au contexte externe) en facilite la compréhension.

Il apparaît donc que la plupart des déterminants relatifs à l’innovation et de ceux qui l’adoptent ont facilité l’implantation d’Alcochoix+ : simplicité, compatibilité avec les valeurs, normes et procédures organisationnelles, adaptabilité, observabilité des résultats, etc. (Berwick, 2003 ; Deschesnes et coll., 2008 ; Fleuren et coll., 2004 ; Landry et coll., 2007 ; Rogers, 2003 ; Wejnert, 2002). Par exemple, les intervenants mentionnent que le programme est bien défini et facile à promouvoir (documents utilisés concrets et attrayants) et que l’observation de succès thérapeutiques augmente leur enthousiasme envers le programme. De plus, il permet une certaine flexibilité dans son application.

Ensuite, il apparaît que les obstacles à l’implantation se retrouvent principalement dans la catégorie des déterminants relatifs à l’organisation ou aux systèmes internes (canaux de communications, leadership et engagement, roulement de personnel, manque de ressources financières, soutien, etc.). Finalement, certains déterminants relatifs à l’environnement ou au contexte externe auraient également nui à l’implantation d’Alcochoix+, notamment les transformations au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Ainsi, les attributs du programme et de ceux qui l’adoptent constituent les points forts de l’implantation du programme, tandis que les facteurs organisationnels sont plus problématiques. Lors des groupes de présentation des résultats, les participants ont conclu dans le même sens en soulignant que les nombreux obstacles à l’implantation sont surtout d’ordre structurel et ne sont pas liés au programme lui-même. Ils considèrent qu’Alcochoix+ est un bon programme puisqu’il est toujours appliqué malgré les nombreuses difficultés rencontrées. Par ailleurs, des éléments facilitateurs et des pistes de solution à l’implantation du programme Alcochoix+ ont également été identifiés par les participants. Ces facteurs représentent les effets miroirs des obstacles. Autrement dit, l’absence ou le manque d’un élément bénéfique à l’implantation est généralement considéré comme un obstacle et la présence du même élément est nommée comme un élément facilitateur ou une piste de solution (Fixsen et coll., 2005).

L’implantation du programme Alcochoix+ semble avoir été facilitée dans les régions où une prise en charge du programme fut assumée. Les analyses font également ressortir des éléments facilitateurs qui n’ont été mis en place que dans quelques régions, notamment les tables régionales, la présence d’un coordonnateur régional, l’intégration hâtive du programme Alcochoix+ au programme dépendance, l’implantation ou la formation simultanée dans tous les CSSS de la région ainsi que la création d’un poste avec un temps défini alloué au programme. Ces éléments proviennent surtout des régions pilotes et semblent avoir porté fruit. Il est toutefois difficile de dire si les taux d’achalandage plus élevés observés dans ces régions pilotes sont causés par l’implantation de ces éléments structuraux ou si les plus hauts taux d’achalandage ont poussé ces régions à mettre en place ces éléments de structure pour répondre à la demande. Le protocole actuel ne permettait pas d’évaluer la causalité. À tout le moins, ces éléments structuraux représentent des moyens d’action potentiellement intéressants afin de faciliter l’implantation du programme Alcochoix+ dans les autres régions ou encore pour améliorer le fonctionnement du programme lorsque les taux d’achalandage augmentent. D’ailleurs, les facteurs d’une implantation de programme réussie dans le domaine de la santé et des services sociaux s’apparentent à ceux nommés précédemment, soit l’accessibilité aux ressources en termes de temps, le soutien du milieu, un leadership fort qui assure la coordination, une collaboration et des contacts étroits ou des rencontres fréquentes entre les organisations et les acteurs impliqués (Berwick, 2003 Daeppen et Gaume, 2005 ; Doray et Chaumette, 2001 ; Houle et coll., 2006 ; Landry et coll., 2007).

Limites de l’étude

Les groupes de discussion ont fait ressortir l’importance du rôle joué par les gestionnaires des CSSS dans l’implantation du programme. Le fait de ne pas avoir prévu, dans la méthodologie, de recueillir l’opinion de ces acteurs constitue donc un maillon plus faible de l’étude. Cependant, les gestionnaires de tous les CSSS participants ont été invités à assister aux groupes de présentation des résultats dans le but d’obtenir leur point de vue sur les résultats de l’évaluation d’implantation d’Alcochoix+, mais seulement quatre gestionnaires sur les 18 invités se sont présentés à l’un de ces groupes.

Ensuite, au moment d’analyser les résultats quantitatifs, les unités de signification et les catégories conceptuelles identifiées n’ont pas été contre-codées par un deuxième évaluateur. Cependant, ces unités et catégories ont été définies et validées par deux évaluateurs indépendants, et le chercheur responsable de superviser ce processus a également émis son point de vue sur les analyses afin d’augmenter la validité des conclusions qui en ont été tirées.

Une autre limite concerne le risque d’influence des réponses des participants par la désirabilité sociale, notamment sur les échelles de satisfaction et d’accord avec le programme. Il aurait été avantageux de consulter les usagers du programme et les gestionnaires afin de créer une triangulation des sources d’information à ce sujet.

Conclusions et recommandations

La présente évaluation a permis de confirmer que le programme offert correspond au contenu du programme tel que conçu et a révélé que les déterminants à l’implantation interagissent de façon complexe. Certains aspects concernant la fidélité à l’implantation peuvent être clairement identifiés et des solutions précises peuvent leur être apportées. Toutefois, certains aspects dynamiques sont reliés à des composantes du système et s’interinfluencent. L’identification de ces éléments permet de trouver des pistes de solutions pour améliorer le processus. Certaines solutions apparaissent de façon plus évidente : des mesures de publicité et de promotion du programme plus fréquentes, des ressources financières récurrentes et exclusives ainsi que des efforts investis dans le maintien du personnel.

Des recommandations ont été émises à la suite de l’évaluation d’implantation du programme Alcochoix+. Parmi celles-ci, on retrouve l’importance d’insister et de clarifier les critères d’admission de la clientèle lors des formations des intervenants. De plus, il faudrait prioriser l’utilisation de la publicité et de la promotion ainsi que le processus d’orientation en provenance d’autres services du réseau pour assurer le recrutement d’une clientèle large et diversifiée. Ensuite, les formateurs devraient s’assurer que les intervenants formés adhèrent à la philosophie du programme Alcochoix+. Ces formateurs devraient d’ailleurs être plus nombreux et faciliter l’accès à la formation partout au Québec. Aussi, la création d’un corridor de services entre les première et deuxième lignes permettrait de clarifier le processus d’orientation de la clientèle ainsi que de spécifier et de clarifier le rôle et les responsabilités de chaque institution. Finalement, les facteurs identifiés par les participants comme étant les obstacles les plus importants à l’implantation devraient faire l’objet de modifications.

La prochaine question à investiguer a trait à l’efficacité du programme sur la réduction de la consommation d’alcool à plus long terme, soit une étude d’impact. Par ailleurs, la présente étude a permis d’identifier des variables à intégrer ou à contrôler lors de l’étude d’impact. Ainsi, en plus de mesurer l’efficacité du programme, cette étude pourrait aussi valider les critères d’admissibilité au programme pour savoir s’ils sont en mesure de prédire quels usagers atteignent leurs objectifs de consommation, réduisent leur consommation d’alcool sans nécessairement atteindre leurs objectifs ou ne semblent retirer aucun bénéfice du programme. En résumé, l’étude d’impact pourrait comparer l’efficacité en fonction des types de clientèles (admissibilité, gravité et patron de consommation), des formules suivies (autonome, dirigée ou groupe) et des régions (urbaines versus rurales).