Mot de présentation[Notice]

  • Bastien Quirion et
  • Chantal Plourde

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  • Bastien Quirion
    Directeur du numéro

  • Chantal Plourde
    Directeur du numéro

Depuis la découverte, il y a environ 200 ans, du potentiel addictif de la consommation de certains produits psychotropes, la prise en charge sociosanitaire du toxicomane n’a cessé d’évoluer en s’inspirant des croyances et des découvertes concernant ce nouveau champ d’intervention (Yvorel, 1992). Au fil du temps, des concepts tels que l’alcoolisme, la toxicomanie et la dépendance ont évolué, en s’efforçant de recouvrir une réalité clinique dont les contours sont continuellement appelés à se déplacer. Bien qu’ils renvoient à des expériences individuelles et subjectives équivalentes, ces différents concepts impliquent néanmoins des mises en forme et des modélisations théoriques qui vont se modifier au gré des contextes dans lesquels ils seront utilisés. C’est ainsi que le concept de toxicomanie proposé par Dollard Cormier au cours des années 1980 sera très différent de l’héroïnomanie telle que décrite par Dole et Nyswander dans les années 1960. Soulignant le caractère fluide et polymorphe de ces concepts, certains auteurs vont même aller jusqu’à évoquer le manque de « consistance » de la catégorie du toxicomane (Zafiropoulos et Delrieu, 1996). À ceux qui clament qu’il y aurait autant de toxicomanies qu’il y a de toxicomanes, on pourrait répondre qu’il y a en fait autant de théories de la dépendance qu’il y a de théoriciens, et qu’il y a autant d’interventions qu’il y a d’intervenants. D’où la nécessité de s’interroger sur l’évolution des théories et des pratiques en matière d’intervention auprès des utilisateurs de drogues. Au gré de ces fluctuations théoriques et cliniques, l’intervention en dépendance s’est donc transformée en privilégiant, selon les cultures et les époques, différentes dimensions renvoyant chacune à différentes stratégies de soins. Considérée pendant longtemps sous le registre de la régulation morale, l’inébriété ou l’ivrognerie fut graduellement prise en charge dès la fin du 19e siècle par les médecins et les spécialistes du comportement, pour lesquels le toxicomane se reconnaissait principalement par la présence de traits ou de caractéristiques individuelles pathologiques. S’inscrivant principalement dans le registre médical, la toxicomanie est alors considérée comme un dérèglement physiologique qui peut être inné ou suscité par un usage prolongé ou abusif du produit. Le toxicomane est appréhendé avant tout comme un malade. S’instaure alors, surtout à partir du milieu du 20e siècle, un dispositif thérapeutique d’inspiration médicale pour répondre aux besoins des individus aux prises avec des problèmes de toxicomanie. La réponse thérapeutique s’articule alors principalement autour de la désintoxication, et la sortie de la toxicomanie passe nécessairement par l’arrêt définitif de la consommation. L’intervention auprès des toxicomanes se donne alors pour horizon normatif la quête de l’abstinence. Dans le dernier quart du 20e siècle, on assiste toutefois au Québec à une remise en question du modèle médical, alors que la toxicomanie est de plus en plus considérée comme le symptôme d’une mésadaptation sociale. Le toxicomane passe graduellement du statut de malade à celui d’individu en déficit d’adaptation. Cette nouvelle façon de penser la toxicomanie allait dès lors conduire à la mise en place d’interventions plus orientées vers la rééducation et la réhabilitation des toxicomanes. On assiste alors, au cours des années 1970 et 1980, à un renversement de perspective dans le champ de l’intervention en toxicomanie, alors qu’une poignée de cliniciens et de chercheurs vont se dissocier du modèle médical qui était alors prédominant, pour considérer la toxicomanie dans une perspective davantage sociale et psychologique. S’opère alors ce qui sera décrit plus tard comme le grand virage psychosocial. C’est à cette époque (1970-1980) que le psychologue américain Stanton Peele, figure marquante s’il en est de cette révolution psychosociale, propose un nouveau modèle pour penser la toxicomanie (Peele et Brodsky, 1975 ; Peele, …

Parties annexes