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Introduction

Des activités et services organisés par des personnes qui partagent un vécu commun sont proposés dans les groupes de pairs aidants (PA). Le soutien apporté par les PA se traduit principalement par des échanges où celui-ci écoute, informe, soutient et accompagne la personne aidée pour surmonter ses difficultés. Les groupes d’entraide les mieux connus sont sûrement ceux basés sur la philosophie des 12 étapes, tels que les Alcooliques Anonymes (AA) et les Narcomanes Anonymes (NA). Ces groupes s’adressent aux personnes aux prises avec une dépendance à l’alcool ou aux drogues et ont largement été documentés dans la littérature scientifique (voir Kelly et coll., 2003). Selon Caldwell (1999) et Kelly et coll. (2003), les groupes d’entraide qui ne sont pas basés sur la philosophie des 12 étapes conviendraient mieux aux personnes qui n’adhèrent pas aux valeurs religieuses qui y sont véhiculées. Puisque ces groupes prônent une abstinence de toutes substances psychoactives, y compris les produits de substitution, ils ne sont pas adaptés aux personnes en traitement à la méthadone qui peuvent s’y sentir difficilement acceptées (Kelly et coll., 2003 ; Gilman et coll., 2001). Néanmoins, l’aide et l’accompagnement dans les démarches d’insertion sociale sont identifiés comme des éléments qui renforcent les actions entreprises par le client, qu’il soit en traitement à la méthadone ou qu’il ait cessé la prise du produit de substitution (Le Bossé et Dufort, 2001). Les groupes d’entraide peuvent donc jouer un rôle capital à cet égard en rendant disponibles des services d’aide, d’accompagnement et d’information aux personnes en traitement. Le soutien social alors prodigué par ces groupes préviendrait la rechute (Krambeer et coll., 2001).

Clientèle des groupes d’entraide par les pairs pour les personnes toxicomanes

Selon Humphreys, Mavis & Stofflemayr (1991), qui ont mené une étude auprès de 290 consommateurs de drogues, les personnes qui présentent une situation particulièrement précaire sur les plans psychologique, familial et social, de même que de la consommation seraient plus enclines à fréquenter un groupe de PA que celles qui vivent dans des conditions plus stables. Les personnes qui participent aux groupes d’entraide seraient donc plus fréquemment désaffiliées sur le plan social et éprouveraient davantage de problèmes dans diverses sphères de leur vie. De la même manière, Brown et coll. (2001) ont conclu que les personnes qui utilisent fréquemment les groupes d’entraide destinés aux personnes toxicomanes présentent une situation plus difficile que celles qui ne les fréquentent qu’occasionnellement. Elles ont généralement un passé de polytoxicomanie, et déclarent un nombre plus important d’arrestations et d’épisodes de traitement. Elles sont également plus âgées et ont vécu leur première expérience de consommation à un plus jeune âge. Même si les clients les plus motivés sont les plus susceptibles de chercher de l’aide auprès d’un professionnel et de se conformer à la recommandation de participer aux activités d’un groupe d’entraide, la mise en place de mécanismes facilitant l’adhésion à un groupe est souvent nécessaire. Toutefois, Burlingame & Davies (2002) rapportent des études où l’on conclut que les personnes qui ne croient pas pouvoir bénéficier de leur participation à ces groupes cessent de les fréquenter. Il importe donc d’évaluer l’intérêt des clients envers les activités offertes par des PA.

À notre connaissance, il n’existe pas d’études qui portent spécifiquement sur la perception des personnes dépendantes à l’héroïne pour l’offre de services de PA. La présente étude porte sur l’intérêt de la clientèle de Relais-Méthadone à participer à des activités organisées par Méta d’Âme. Comme les services offerts par ces deux organisations montréalaises sont complémentaires, le but de l’étude est de connaître l’intérêt des personnes traitées dans le programme de méthadone à participer à des activités de soutien offertes par des PA.

Méthode

Milieu

Relais-Méthadone : un programme de méthadone à exigences peu élevées

Relais-Méthadone a été inauguré en 1999 et fut le premier programme canadien de substitution à la méthadone à exigences peu élevées (Perreault & al., 2003a, 2003b). Cette ressource est située dans le centre-sud de Montréal et on y offre des services médicaux et psychosociaux. On y distribue également du matériel d’injection stérile et des préservatifs. La clientèle visée est dépendante des opiacés, polytoxicomane, et principalement utilisatrice de drogues injectables (UDI). Elle présente également un style de vie marginalisé, des comportements à risque pour la transmission du VIH-Sida et des infections transmissibles sexuellement ou par le sang (ITSS), et de nombreuses pathologies. Les conditions de vie des personnes admissibles au programme sont également caractérisées par l’instabilité du lieu de résidence, des relations avec l’entourage et de l’occupation (Perreault et coll., 2003a). La capacité d’accueil est d’environ 130 clients. Cette clientèle est généralement réticente à utiliser les ressources existantes ou éprouve des difficultés à s’adapter aux exigences des programmes réguliers. Comme l’approche de Relais-Méthadone est basée sur les principes de la réduction des méfaits, les exigences pour y être admis et demeurer en traitement sont minimales, et il est relativement facile d’être réadmis au programme après un abandon.

La clientèle ciblée par les programmes de méthadone à exigences peu élevées est marginalisée. Elle pourrait donc tirer des bénéfices du soutien offert par des PA dans son cheminement vers l’insertion sociale. Aussi, l’offre de services d’une ressource d’entraide par les pairs pourrait répondre à certains besoins de socialisation de cette clientèle. Elle pourrait aussi contribuer au soutien et à l’accompagnement dans les démarches entourant le traitement de méthadone.

Méta d’Âme : une ressource de pairs aidants

Méta d’Âme est un organisme d’entraide destiné aux personnes en traitement à la méthadone et aux personnes toxicomanes qui tentent de surmonter leur problématique de consommation. L’organisme a été créé en mars 2000 et est établi dans le centre-sud de Montréal. Son mandat est d’offrir un environnement stable et significatif à sa clientèle afin de l’aider à reprendre le contrôle sur sa vie. On y privilégie l’intervention de pairs aidants (qui sont nommés « intervenants pairs aidants » dans cet organisme). Ces PA possèdent eux-mêmes une expérience de dépendance à l’héroïne et de traitement à la méthadone. Ils offrent de l’aide, de l’information et du soutien, comme c’est le cas généralement dans la plupart des ressources qui offrent des services et des activités de PA (Burlingame et Davies, 2002).

Méta d’Âme est essentiellement administré par des PA et ce sont eux qui y dispensent les services. Cette structure correspond à celle des services prodigués et administrés par les pairs (consumer-run services) parmi les trois types de structure proposés par Davidson et collaborateurs (1999). Elle correspond aussi à une structure équivalente (peer run or operated group), identifiée dans la typologie élaborée par Solomon (2004).

Procédure

Entre janvier 2004 et août 2005, les 25 nouveaux clients admis à Relais-Méthadone ont été invités à participer aux activités du programme de Méta d’Âme. Ils ont été rencontrés à l’admission puis trois mois plus tard par une intervieweuse spécialement formée. Les deux entrevues portaient sur le point de vue de la clientèle à l’endroit des activités organisées par des PA qui lui étaient offertes. Le projet a fait l’objet d’une révision et d’une approbation par le Comité d’éthique de la recherche de l’Hôpital Douglas, l’établissement d’attache du chercheur principal (Michel Perreault).

Recrutement

Les 25 clients admis au programme de méthadone au cours de la période de l’étude ont tous accepté de participer à la consultation. En premier lieu, un intervenant du programme de méthadone sollicitait leur consentement à être contacté pour participer à la recherche. À la suite de l’acceptation, l’intervieweuse communiquait avec eux, leur présentait le projet et convenait d’un rendez-vous pour une entrevue dans les locaux de Relais-Méthadone.

Procédure d’information sur les services offerts par Méta d’Âme

Au moment de l’entrevue de recherche, l’intervieweuse faisait signer un formulaire de consentement au participant et elle répondait à ses questions, le cas échéant. L’intervieweuse lui présentait Méta d’Âme, sa mission et ses objectifs, les services et activités disponibles, de même que le rôle des PA. Elle remettait au participant une brochure sur les services offerts et l’invitait à assister à une rencontre d’initiation, tout en offrant la possibilité de l’y accompagner. Cette rencontre d’initiation avait lieu à Méta d’Âme et comportait un repas communautaire où étaient conviés les nouveaux clients admis à Relais-Méthadone, les PA, et les personnes qui fréquentent Méta d’Âme. Une invitation écrite personnalisée était également transmise à chaque nouveau client de Relais-Méthadone lors de son rendez-vous. La préparation et le service du repas étaient assurés par les PA. L’objectif de cette rencontre était de favoriser les échanges informels et la création de liens entre les participants.

Participants

Caractéristiques

Conformément aux critères d’admission de Relais-Méthadone, les participants à l’étude devaient : 1) être âgés de 14 ans et plus ; 2) consommer de l’héroïne régulièrement depuis plus d’un an ; 3) présenter des conditions de vie précaires en regard du logement, des sources de revenus et de la justice ; et 4) consentir au traitement. Une compensation financière de 20 $ leur a été versée pour chaque entrevue complétée. Cinq personnes n’ont pas participé à la seconde entrevue (deux n’avaient pu être rencontrées dans le délai prescrit, une avait été dirigée vers un programme de traitement à l’extérieur de la région métropolitaine, une était dans un établissement de détention et une autre était décédée).

La majorité des participants sont des hommes (52 %) âgés entre 20 et 55 ans, dont la moyenne d’âge est de près de 31 ans (30,8 ans ; écart-type [é-t]=9,2 ans). En ce qui a trait à la consommation de substances psychoactives (SPA), au cours du mois précédant l’admission à Relais-Méthadone, 23 participants rapportent avoir consommé de l’héroïne (m=14,6 jours ; é-t=11,4), 15 de la cocaïne (m=3,8 jours ; é-t=5,2), 12 du cannabis (m=7,3 jours ; é-t=10,5) et 11 de l’alcool (m =3,4 jours ; é-t=7,0). Pour ce qui est des comportements à risque pour la transmission du VIH-Sida et des autres ITSS, 23 participants rapportent avoir partagé des seringues souillées à une occasion au moins, deux indiquent avoir eu des relations sexuelles non protégées en échange d’argent, et dix des relations sexuelles non protégées avec un utilisateur de drogues injectables (UDI).

Mesures

Première entrevue : les participants étaient invités à répondre à trois questions ouvertes. Elles portaient respectivement sur : 1) la connaissance de Méta d’Âme ; 2) l’utilisation des services qui y sont offerts ; et 3) l’intérêt à rencontrer des personnes qui ont une expérience de dépendance aux drogues.

Seconde entrevue : une question fermée portait sur la participation ou la non-participation à des activités organisées par Méta d’Âme et une question ouverte portait sur l’évaluation de la participation aux activités de MA ou, le cas échéant, sur les raisons pour ne pas y avoir participé.

Analyse des données

Les entrevues ont été enregistrées et retranscrites. Une analyse de contenu a permis de dégager les thèmes abordés par les participants, le nombre de commentaires émis en rapport avec chacun de ces thèmes, ainsi que le nombre de participants les ayant abordés. La codification a été réalisée par deux des auteurs (Marie-Christine Héroux, Michel Perreault) selon le modèle des « catégories préalablement absentes et issues de l’analyse » décrit par L’écuyer (1988). Six catégories ont ainsi été définies et regroupent l’ensemble des commentaires.

Résultats

Intérêt à rencontrer des PA

La question concernant l’intérêt à rencontrer des PA a suscité un total de 48 commentaires dont 22 « favorables » à leurs services (voir tableau 1). Toutefois, 13 commentaires reflètent un point de vue mitigé et 13 autres font état d’une perception défavorable des services offerts par les PA. L’ensemble de ces commentaires porte sur trois thèmes qui caractérisent l’intervention des PA : a) l’aide et le soutien qu’ils apportent ; b) leur rôle de modèle ; et c) les échanges et la socialisation avec eux.

a) Aide et soutien apportés par les PA

La presque totalité des commentaires émis en rapport avec ce thème, soit neuf sur dix, révèle une appréciation favorable quant à l’aide et au soutien que les pairs aidants peuvent apporter. Il s’agit d’ailleurs du thème qui a suscité le plus grand nombre de commentaires favorables à l’intervention des PA, parmi ceux qui ont été abordés par les répondants (voir tableau 1). Ainsi, l’expérience de consommation de substances des PA est présentée par plusieurs comme un aspect positif qui confère aux PA des compétences supérieures aux connaissances académiques des intervenants qui n’auraient pas eux-mêmes vécu l’expérience de la dépendance aux drogues.

« Oui, parce qu’un intervenant qui a déjà consommé a plus de vécu que juste avoir été à l’école ou lu des livres. Il en connaît plus, il a plus d’expérience, il l’a vécu. Il peut plus t’aider et comprendre la situation s’il l’a déjà vécue. »

« Eux autres, ils ont bien du bagage, ils ont le coffre d’outils. Ils vont savoir en même temps nous passer un outil de temps en temps. Tu peux savoir si t’as des bons outils toi aussi dans ton coffre. »

b) Le pair aidant en tant que modèle et figure d’influence

Seize commentaires ont été émis au sujet des PA en tant que « modèle » et figure d’influence. Il s’agit du thème où l’on dénombre le plus grand nombre de commentaires. Toutefois, ces commentaires sont répartis à peu près également entre participants qui estiment que cet attribut représente un élément « positif » des PA, ceux qui y perçoivent un élément « négatif » et ceux qui ont un jugement mitigé. Parmi les commentaires « positifs », des participants mentionnent l’espoir instillé au contact de personnes pour qui le programme de méthadone a réussi, ou encore la possibilité de connaître des trucs que les PA auraient développés à partir de leur expérience personnelle.

« Oui, pour nous montrer qu’il y a de l’espoir. »

« Si la personne a eu du succès, ça me montrerait que ça marche. »

À l’opposé, quatre commentaires ont été émis en rapport à l’influence négative que pourraient avoir les PA sur les participants qui souhaitent s’entourer de personnes abstinentes ou qui ne sont pas dépendantes aux drogues.

«Ils sont très négatifs. Ils inventent des histoires, j’ai pas besoin de ça. »

« Je vois plus des amis qui ne consomment pas ou qui n’ont jamais consommé. Sinon ça revient à la drogue et je suis quelqu’un d’influençable quand même. »

À mi-chemin entre ces deux positions, quatre des cinq participants ont émis un commentaire mitigé sur le rôle de modèle des PA. Ils considèrent que la seule expérience personnelle de consommation d’héroïne ne rend pas nécessairement un PA apte à intervenir. Selon eux, au-delà des aptitudes du PA à influencer positivement des personnes en traitement à la méthadone, la motivation de chacun à cesser de consommer demeure essentielle.

« Le meilleur intervenant c’est celui qui a déjà vécu ça et qui a étudié aussi. Ça peut aider à réveiller certaines personnes et les encourager à arrêter. Tu ne peux pas forcer quelqu’un à arrêter de consommer juste en lui parlant s’il ne veut pas arrêter de lui-même. »

c) Socialisation et échanges avec les PA

Il s’agit du second aspect le plus souvent mentionné par les participants, avec 15 commentaires. La possibilité d’échanger avec des personnes qui partagent une expérience commune de consommation de drogues et de traitement de substitution à la méthadone est perçue positivement dans six de ces 15 commentaires.

« Intéressant parce qu’on pourrait partager nos choses, on a quand même quelque chose en commun. Ça serait positif. »

Cependant, pour sept autres commentaires, il s’agit plutôt d’une perception négative de la socialisation et des échanges avec des PA qui est reflétée. On y fait état du manque d’intérêt des personnes qui ont commencé un traitement de substitution à la méthadone à entrer en contact avec d’autres personnes en traitement. Les participants mettent particulièrement l’accent sur le manque d’intérêt à devoir écouter les autres personnes qui fréquentent l’organisme s’exprimer sur les difficultés qu’elles rencontrent.

« J’ai déjà une expérience là-dedans. J’ai pas besoin d’avoir d’autres personnes pour me dire ce qu’ils ont eu comme problèmes, j’ai déjà assez des miens. »

Tableau 1

Distribution des commentaires favorables et défavorables quant à différents aspects de services offerts par des PA

Distribution des commentaires favorables et défavorables quant à différents aspects de services offerts par des PA

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d) Pertinence et intérêt pour des services de PA

Trois autres thèmes ont été abordés par les participants en rapport à la pertinence et à l’intérêt pour des activités de PA : la pertinence de services pour les PA, et l’intérêt de tels services pour soi et pour d’autres personnes (voir tableau 1). En rapport avec la pertinence des services de PA, trois personnes font état d’un intérêt mitigé, indiquant que la rencontre avec un PA est intéressante, mais qu’elles n’éprouvent pas le besoin de tels contacts puisque d’autres personnes ressources sont présentes dans leur entourage. Deux commentaires concernent le manque d’intérêt des participants pour des services de PA qui seraient néanmoins possiblement appropriés pour d’autres personnes. Enfin, deux participants rapportent n’avoir aucun intérêt pour ce type de services, mais ne remettent pas en question leur pertinence.

Utilisation des services des pairs aidants au cours de la période à l’étude

Six des 20 personnes qui ont complété la seconde entrevue ont utilisé les services de PA au moins une fois au cours de la période à l’étude (voir tableau 2). Quatre d’entre elles ont assisté à la rencontre d’initiation aux activités de Méta d’Âme (sous forme de souper-causerie), et deux ont participé à un atelier d’art. Une seule personne est allée à MA à plus d’une reprise (deux présences) au cours de la période à l’étude. Au moment de l’admission au programme de méthadone, l’une de ces six personnes avait manifesté un intérêt certain pour Méta d’Âme, quatre personnes avaient exprimé certaines réticences envers la participation à des activités organisées par des PA, alors qu’une autre disait n’avoir aucun intérêt pour ce type d’activités. Il a été impossible de documenter l’utilisation de Méta d’Âme par les cinq personnes qui n’ont pas participé à l’entrevue de recherche trois mois après leur admission en traitement.

Tableau 2

Distribution des participants en fonction de l’utilisation des services de Méta d’Âme (MA)

Distribution des participants en fonction de l’utilisation des services de Méta d’Âme (MA)
*

Ces cinq participants n’ont pas pris part à l’entrevue trois mois après leur admission à RM.

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Fréquentation de la ressource de PA

Les six personnes qui ont fréquenté Méta d’Âme ont des points de vue partagés sur ce qu’ils retirent de leur contact avec les PA et les autres utilisateurs des services de Méta d’Âme. Le contact avec les PA a donné lieu à quatre commentaires favorables, dont trois concernent le contact qui a été établi avec les PA, alors que l’autre concerne la motivation procurée par la rencontre d’un PA.

« Je les ai rencontrés. Ils ont été très gentils, ils m’ont fait sentir que j’étais bienvenue. Ils étaient cool. »

« Ça me motive, cette personne-là (PA) aujourd’hui, elle a changé son statut social. Aujourd’hui elle est productive, fonctionnelle, elle est comme tout le monde. C’est ça que j’ai envie de devenir moi aussi. »

Deux personnes ont indiqué n’être restées que peu de temps à Méta d’Âme et n’avoir eu qu’un contact minimal avec les PA.

« Je n’étais pas vraiment concentrée sur le souper. Je ne suis pas restée longtemps, quinze minutes. »

Non-utilisation de la ressource de PA

Les neuf personnes qui ont participé à la seconde entrevue, mais n’ayant pas fréquenté l’organisme au cours de la période à l’étude, évoquent diverses raisons pour expliquer leur choix de ne pas prendre part à l’activité d’initiation à Méta d’Âme. L’absence d’intérêt pour l’organisme est mentionnée par deux participants, lesquels révèlent ne pas être attirés par les activités et services offerts à Méta d’Âme, alors que quatre autres considèrent avoir suffisamment de soutien social de leurs proches ou des intervenants de Relais-Méthadone.

« J’ai pas besoin de ça, je suis bien entourée. Je n’ai pas besoin de leurs services. J’ai du monde autour de moi, des amis, je sais qui aller voir. »

« Depuis que je suis à Relais, j’ai des intervenants ici, mon docteur, mon infirmière, ça m’est jamais venu à l’idée d’aller avoir de l’aide vers d’autres services. »

Trois personnes ont indiqué ne pas avoir cessé leur consommation de drogues ou avoir abandonné le programme de méthadone, ce qui ne les incite pas à fréquenter un centre destiné à des personnes en rétablissement.

« Non. Parce que je n’y ai pas été. La raison principale c’est que je consomme pas mal. C’est toutes des gens qui ne consomment pas qui sont-là, je pense que je me sentirais mal à l’aise un peu. Je ne suis pas pour aller parler à du monde qui sont à jeun, pis que moi je suis buzzé. »

Discussion

Le but de l’étude était de mieux connaître l’intérêt de la clientèle d’un programme de méthadone à exigences peu élevées pour des activités dispensées par des PA. Les résultats indiquent que cet intérêt n’est pas partagé également entre les 25 participants de l’étude. La plupart ont exprimé une perception mitigée des services offerts par les PA et seule une minorité de clients ont participé aux activités qui leur étaient offertes.

Le principal intérêt exprimé par les participants était la possibilité de recevoir de l’aide et du soutien de PA en regard des démarches qu’ils entreprennent dans le cadre d’un programme de méthadone. Certains souhaitaient rencontrer des PA qui auraient pu leur servir de modèle et exercer une influence positive sur eux. D’autres craignaient toutefois d’être influencés négativement par des PA qui n’auraient pas complètement rompu avec un mode de vie axé sur la consommation ; ils ne souhaitent pas entrer en relation avec des personnes qu’ils associent à un mode de vie dont ils tentent de s’éloigner.

Ces résultats correspondent en partie aux résultats obtenus par d’autres études portant sur les éléments qui facilitent la participation à des activités mises sur pied par des pairs ou qui lui nuisent. Par exemple, dans le domaine des troubles mentaux graves et persistants, Biegel, Shafran & Johnsen (2004) ont mené une étude portant sur les groupes de soutien destinés aux familles dont un enfant adulte a une maladie mentale. Ils ont identifié les éléments qui facilitent la participation des familles aux rencontres d’un groupe de soutien proposé et les éléments qui lui nuisent. Selon eux, le principal obstacle à la fréquentation d’un groupe d’entraide par les pairs, chez des personnes qui n’ont jamais fréquenté de tels groupes, serait lié à une connaissance incomplète du fonctionnement de ces groupes. Leung et De Sousa (2002) ont réalisé une revue systématique de la littérature et une consultation auprès d’informateurs-clés dans le domaine de l’intervention en santé mentale concernant les différents modèles de groupes d’entraide par les pairs et les facteurs reliés à la participation à ces groupes. Les auteurs concluent à l’importance d’offrir à la clientèle une gamme de services complémentaires, y compris les groupes d’entraide, afin de contribuer au rétablissement et à l’actualisation de soi de la clientèle.

Éléments favorisant la fréquentation de la ressource de PA

Les résultats de l’étude révèlent que l’intérêt de la clientèle du programme de méthadone à exigences peu élevées à participer à des activités auxquelles prendraient part des PA aussi en traitement à la méthadone concerne plus spécifiquement la possibilité de socialiser et d’échanger avec leurs pairs.

Hser et ses collaborateurs (1999), dans une étude portant sur les effets du traitement en toxicomanie, insistent sur l’importance que les services offerts à des personnes en traitement pour une toxicomanie doivent correspondre à leurs besoins. La faible participation aux activités des PA met en relief les obstacles dans l’accès à leurs services. Cette question est cruciale puisque les activités de soutien proposées par ce groupe de PA semblent, du moins en théorie, pouvoir combler des besoins ressentis par la clientèle marginalisée en traitement à la méthadone.

Éléments faisant obstacle à la fréquentation de la ressource de PA

Les participants évoquent diverses raisons pour expliquer leur manque d’intérêt à fréquenter des PA ou d’autres personnes en traitement. Entre autres, plusieurs ne souhaitent pas entrer en relation, ou se divertir, en compagnie de personnes qu’ils associent à un mode de vie dont ils tentent de s’éloigner. La crainte qu’elles exercent une influence négative sur l’arrêt de leur consommation et le traitement de méthadone qu’ils ont entrepris traduit leur intérêt à passer à autre chose. Les personnes qui entrent en traitement à la méthadone souhaitent se détacher du mode de vie et des valeurs associés au « milieu de la consommation », ce qui rend difficile leur implication auprès d’un groupe perçu comme véhiculant ces valeurs.

Toutefois, il semble que cette réticence puisse être associée à la phase de traitement qui a fait l’objet de la présente étude. En effet, l’entrée en traitement des participants est souvent caractérisée par un désir de changement chez les personnes qui décident de cesser leur consommation. Peut-être seraient-ils davantage intéressés par Méta d’Âme quelques semaines, voire quelques mois, après leur admission en traitement. Les PA seraient alors sollicités pour combler un éventuel manque de soutien de la part de leur famille et de leur entourage. Cependant, si les personnes en traitement ne perçoivent pas de lacunes sur ce plan, elles ne seraient toutefois pas portées à recourir aux services de PA selon les résultats d’une étude menée par Humphreys, Mavis et Stofflemayr (1991). En effet, dans le cadre d’une étude menée auprès d’une cohorte composée de 201 personnes toxicomanes, ces chercheurs ont démontré que ce sont les personnes qui vivent des problèmes plus graves qui fréquentent davantage les groupes d’entraide. Ainsi, les personnes qui se portent le mieux présentent moins d’intérêt à fréquenter un groupe de PA. Il est possible que les personnes suivies à Relais-Méthadone aient perçu une amélioration de leur condition en début de traitement et qu’elles aient aussi senti que plusieurs de leurs besoins sociaux étaient comblés par les intervenants du programme de méthadone. De ce fait, leur intérêt pour des services additionnels de PA serait alors moins grand.

Par ailleurs, cinq des six participants qui ont eu un premier contact avec les services de PA n’en ont pas eu d’autres par la suite. Comment interpréter cette situation ? Burlingame et Davies (2002) peuvent fournir des pistes à ce sujet. Ils ont recensé des études sur les différents services offerts par des groupes d’entraide pour des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Selon leurs conclusions, les personnes qui ont utilisé les services de PA n’ont pas tiré les bénéfices escomptés et n’y sont donc pas retournées. Il se pourrait cependant que, justement, ces personnes aient effectivement obtenu les services d’ordre ponctuel qu’elles souhaitaient et qu’elles ne ressentaient donc plus le besoin d’obtenir des services additionnels.

Arrimage des activités des PA et du programme de traitement à la méthadone

On peut s’interroger sur le processus d’arrimage des activités offertes par le groupe de PA au traitement de méthadone. À cet égard, Nowinski (1999) conclut que la participation aux activités d’un groupe d’entraide par les pairs est favorisée lorsque les professionnels encouragent activement les personnes à y participer. De même, la participation à un groupe d’entraide est significativement plus élevée si l’intervenant principal oriente le patient vers le groupe de façon proactive, que s’il ne fait que l’informer et l’encourager à y participer (Kelly et coll., 2003). Dans la présente étude, le groupe d’entraide a été présenté par l’intervieweuse associée au projet. Il est possible de croire que des modalités différentes pour présenter les services des PA auraient pu favoriser une participation accrue à leurs activités. Par exemple, l’intervenant principal du programme de méthadone aurait pu présenter lui-même l’organisme de PA à son client ou lui suggérer d’entrer en contact avec un PA. À ce sujet, Caldwell (1999) mentionne que les intervenants sociaux peuvent faciliter la participation aux groupes d’entraide s’ils s’assurent d’orienter les clients vers une ressource qui correspond à leurs besoins et à leurs préférences de traitement. De même, l’implication auprès d’un groupe d’entraide serait liée à la compatibilité entre les caractéristiques personnelles des participants et les valeurs véhiculées par le groupe (Mankowski, Humphreys et Moos, 2001).

Outre les modalités de références évoquées plus haut, il convient d’examiner le mode de collaboration entre les organismes impliqués pour analyser l’utilisation des services par la clientèle. Dans la présente étude, l’offre de services des PA est administrée selon le modèle des services prodigués et administrés par les pairs de Davidson et collaborateurs (1999). Il s’agit d’un groupe de soutien géré par des PA qui a conclu une entente avec un organisme offrant le traitement de méthadone. Bien que respectant l’intégrité des PA dans la gestion de leurs services, tout en s’inscrivant dans la philosophie du rétablissement (recovery) développée pour les troubles chroniques en santé mentale (voir Anthony, 2000 ; Mead et Copland, 2000), le mode de collaboration privilégié entre l’organisme de PA et celui offrant le traitement à la méthadone paraît présenter plusieurs limites. Par exemple, il semble que la duplication de services (tels que l’accompagnement ou le soutien) puisse, en soi, constituer un obstacle. Les commentaires recueillis à ce sujet laissent croire que la clientèle suivie dans le programme de méthadone préfère recourir à ce type de services directement dans l’organisme qui lui offre le traitement. D’ailleurs, la majorité des nouveaux clients de ce programme ne s’est même pas déplacée pour participer à la rencontre « d’initiation » offerte par l’organisme de PA. Lorsque des services similaires sont offerts à la fois par des professionnels d’un programme de traitement et des PA, il est probable que les personnes favorisent ceux offerts par les professionnels. Le fait de devoir se déplacer vers un autre endroit constitue également, en soi, un obstacle et peut nuire à la fréquentation de Méta d’Âme. L’intégration de PA dans le cadre de la prestation de services, telle qu’elle a été préconisée récemment en psychiatrie dans les programmes de suivi intensif dans la communauté (voir Essock et coll., 2006), pourrait représenter un modèle plus efficace pour profiter de l’intervention de PA. Les PA devraient alors s’intégrer à des équipes de professionnels. Toutefois, leur rôle au sein de l’équipe traitante, de même que leur statut de non-professionnels pourraient devenir stigmatisants.

Afin d’améliorer l’accessibilité et la continuité des services offerts aux personnes dépendantes de l’héroïne, des études plus poussées sur les modèles de collaboration entre les programmes de traitement offerts par des professionnels et les activités offertes par des PA devront être menées. Il importe non seulement de mieux comprendre les attentes et les préférences de la clientèle en traitement, mais également les moyens les plus conviviaux pour offrir les services en raison de la difficulté à rejoindre les clientèles marginalisées et utilisatrices de drogues injectables. De la même manière, il importe de leur offrir des services qui répondent à leurs besoins et de fournir les conditions qui assureront leur assiduité en traitement. Plusieurs questions pourraient ainsi faire l’objet d’études futures : Quels sont les mécanismes qui pourraient faciliter l’arrimage entre un programme de traitement à la méthadone et un organisme d’entraide par les pairs ? Quelles sont les modalités de prestation des services qui conviennent le mieux à des personnes marginalisées en traitement de substitution à la méthadone ? Aussi, en lien avec la proposition formulée par Leung et De Sousa (2002), quels sont les mécanismes qui facilitent l’orientation vers un groupe d’entraide par les pairs, par les professionnels qui interviennent auprès de clients en traitement à la méthadone ? Et enfin, quels impacts auraient la participation à des activités organisées par les PA sur l’assiduité et les effets du traitement de méthadone ?