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Seul dans son petit appartement d'Oshawa, un patient, Michael, survit péniblement. L’hépatite C s’attaque à son foie depuis cinq ans et son état de santé se détériore rapidement. Sa principale préoccupation : l’approvisionnement en cannabis, le seul médicament qui réussit à soulager ses nausées et à stimuler son appétit. La rage au coeur, il lutte quotidiennement pour défendre son droit au libre accès à la marijuana médicale, un droit qu’il considère bafoué par l’actuelle réglementation gouvernementale. L’absence d’études cliniques contrôlées évaluant de façon rigoureuse l’efficacité et l’innocuité du cannabis fait en sorte que ce produit n'est pas approuvé pleinement par Santé Canada comme médicament (Ben Amar et Léonard, 2002). Dans la réalité, la situation est plus complexe. Des exemptions sont tolérées, mais l'accessibilité au cannabis est très difficile comme en témoignent de nombreux cas, dont celui de Michael pour qui, au fil des ans, la lutte pour retrouver la santé s’est transformée en un véritable combat politique. Il tente désespérément de faire entendre sa voix et de la joindre à celle des centaines d’autres personnes aux prises avec le même drame.

En effet, comme le montre le débat qui a lieu actuellement, il appert que les cannabinoïdes, en plus de constituer une approche thérapeutique innovatrice dans le contrôle des symptômes de plusieurs pathologies (analgésique, antiémétique, antispasmodique, anticonvulsivant), pourraient également avoir pour effet de ralentir l’évolution de ces pathologies (Baker et Pryce, 2003 ; Croxford, 2003). Depuis une vingtaine d’années, plusieurs milliers d'individus ont demandé l'adoption d'une approche moins prohibitive afin de permettre la distribution du cannabis aux personnes qui pourraient en bénéficier (Morgan, Riley et Chesher, 1993).

Le présent article a pour but de sensibiliser le lecteur aux différentes problématiques auxquelles font face les patients pour qui une approche traditionnelle de la médecine a échoué, n’est pas indiquée ou désirée, et pour lesquels le cannabis pourrait être utile à titre de traitement, comme semblent le suggérer un nombre croissant d’études scientifiques. Depuis que Santé Canada a mis sur pied un programme permettant un accès limité à l’usage thérapeutique du cannabis, plusieurs aspects cruciaux de ce programme ont fait l’objet de controverses, de dissensions au sein de la communauté scientifique et même de contestations judiciaires (Thaczuk, 2003). Parallèlement, le gouvernement canadien est en voie de décriminaliser la possession simple de petites quantités de ce psychotrope dont on ne cesse de parler dans les médias.

Plusieurs questions seront soulevées. Les bienfaits de l’usage du cannabis sont-ils plus importants que les risques associés à sa consommation ? Ces bienfaits se comparent-ils avantageusement à ceux que procurent les traitements déjà existants ? Dans cet article, on traitera également de la problématique qui entoure l’accessibilité, licite et illicite, à ce psychotrope et l’on examinera les enjeux sociaux et légaux des lois ainsi que leurs conséquences sur l’individu et la société. Enfin, le rôle des professionnels de la santé sera abordé sous un angle critique dans le contexte d’une nouvelle approche de santé publique.

L’accessibilité au cannabis, la loi et le quotidien

À l'heure actuelle, les patients canadiens admissibles au programme d'accès au cannabis thérapeutique doivent cultiver leurs propres plants ou désigner une personne qui le fera pour eux. Pourtant, la condition physique de certains d’entre eux limite leur activité botanique et jardinière. Titulaire d’une exemption gouvernementale l’autorisant à utiliser la marijuana à l’abri de poursuites judiciaires, Michael ne considère pas que cette autorisation est suffisante pour lui garantir un accès libre, économiquement viable et sécuritaire au cannabis. Les maladies incapacitantes dont souffrent les demandeurs d’exemption ont inévitablement un impact négatif sur leur situation financière, tant sur le plan de la logistique (où, comment, combien) que sur le plan fiscal (déduction comme frais médicaux ) (Nolin et collaborateurs, 2003).

Michael était pourtant de ceux qui ont applaudi lorsque le ministre de la Santé a annoncé en mai 1999 le début de la distribution d’exemptions pour la consommation de cannabis à des fins médicales. À la suite de l’adoption par le ministère fédéral de la Santé d'une nouvelle réglementation sur l'accès au cannabis pour des patients ayant des symptomatologies spécifiques, seulement 498 demandes avaient été reçues en mai 2002 (Nolin, 2003). En effet, cette réglementation rend l'exemption en question difficilement accessible et l'admissibilité, étant donné les nombreuses conditions et procédures, est fort contingentée. Ainsi, les malades ont été rapidement déçus en découvrant les obstacles majeurs à affronter. Cette situation est préoccupante quand on sait que l'Association médicale canadienne estime que près de 400 000 Canadiens et Canadiennes fument du cannabis pour des raisons médicales (Hoey, 2001). Par ailleurs, le cannabis demeure une substance illicite et une autorisation à le consommer ne donne pas automatiquement au malade le moyen de se procurer le produit de manière facile et sécuritaire. De fait, les problèmes d’approvisionnement demeurent à ce jour le lot quotidien des centaines de malades à qui l’on a pourtant reconnu le droit d’utiliser cette médication.

Le gouvernement a bien tenté de remédier à ce problème, mais sans résultat tangible, et la situation fait aussi l’objet de lourdes rancoeurs des malades, qui se sentent trahis par les autorités. Pourtant annoncée en grande pompe en décembre 2001, la première récolte fédérale de cannabis thérapeutique n’a pas encore fait l’objet d’une distribution aux malades. Les nombreuses barrières érigées ici contre l’accessibilité au cannabis sont difficiles à accepter quand on constate qu’en France, le rapport Roques conclut que ce produit a une faible toxicité et qu'il est moins dangereux que l'alcool, le tabac ainsi que la plupart des autres drogues illicites (Roques, 1998). De plus, selon d'autres études, le cannabis présente une grande sécurité d’emploi et entraîne peu de réactions indésirables, aux doses thérapeutiques (Grinspoon et Bakalar, 1997a).

En juillet 2001, par suite d’une décision de la Cour d’appel d’Ontario, le gouvernement canadien, à travers Santé Canada, met en place un règlement qui permet à certains patients souffrant de maladies graves l’accès au cannabis à des fins médicales (Ben Amar et Léonard, 2002). Les tribunaux supérieurs ontariens avaient déclaré, en effet, que cette interdiction, ainsi que la prohibition générale de la possession de cannabis, ne respectaient pas les principes de justice fondamentale. Refuser à une personne de choisir elle-même la nature de son traitement brime ses droits à la liberté et à la sécurité, et cela pourrait être perçu comme contraire aux principes de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Néanmoins, tant que les risques de méfaits associés à l’usage du cannabis pourront être établis, les tribunaux devront se contenter de faire appliquer les lois existantes et de faire régner un certain statu quo ambigu et flou (Nolin et collaborateurs, 2003). Il est de notre opinion que la gravité réelle ou perçue de l’utilisation du cannabis à des fins médicales ne justifie pas les mesures légales et pénales en vigueur.

Force est de reconnaître que le gouvernement fédéral a ouvert un véritable panier de crabes avec son programme d’accès au cannabis médical. Le premier régime d’exemption gouvernemental ayant été critiqué par la Cour ontarienne en juillet 2000, Santé Canada s’est empressé de modifier ses règles touchant l’accès au cannabis thérapeutique. Malheureusement, les réglementations entrées en vigueur en juillet 2001 n’ont pas permis d’offrir les améliorations escomptées. En effet, tel que le souligne judicieusement le rapport Nolin dans les conclusions de son chapitre 14, « la réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales ne constitue pas le cadre humanitaire qu’elle se proposait d’être et restreint inutilement la disponibilité de la marijuana pour les patients qui pourraient en bénéficier » (Nolin et collaborateurs, 2003).

Évaluation du programme de Santé Canada et de l’approche de certains professionnels de la santé

L’une des contraintes majeures pour les patients en cause est de réunir toutes les conditions nécessaires aux approbations médicales demandées par Santé Canada[1]. Face à cette réglementation, en août 2001, l’Association médicale canadienne (AMC) a fait connaître sa position et recommandé à ses membres de ne pas prescrire de cannabis thérapeutique. Depuis que ce mot d’ordre a été donné, les médecins sont de plus en plus prudents. Plusieurs centaines de malades ont peine à obtenir les signatures nécessaires et risquent de ne pas obtenir le renouvellement de leur exemption. À cet effet, on peut signaler la diminution importante du nombre d’exemptions émises par Santé Canada. Le rapport Nolin nous indique que presque un an après l’entrée en vigueur de la réglementation, seulement 255 autorisations avaient été émises sur les 498 demandes reçues (Nolin et collaborateurs, 2003). Ces chiffres et la position de l’AMC permettent de douter de l’efficacité du nouveau cadre réglementaire. Il apparaît donc urgent de modifier les conditions d’admissibilité et d’accessibilité au cannabis thérapeutique. De plus, ces observations soulèvent le débat de l’implication du corps médical dans cet épineux dossier. Faut-il remettre en question le rôle du médecin au regard de sa relation avec le malade et de la capacité de ce dernier à l'auto-médication et à la reconnaissance de ce qui soulage sa souffrance ? Comment faire face aux obstacles de Santé Canada ?

À la lumière de ces observations, il nous semble clair qu'on ne peut qu'être empathique aux doléances des malades qui dénoncent le conservatisme des corporations médicales et les politiques gouvernementales réglementant l'accès au cannabis thérapeutique.

Les vertus thérapeutiques du cannabis : mythes et réalités

Malgré la controverse actuelle, les vertus médicinales du cannabis deviennent de plus en plus documentées. Les auteurs de publications, divers professionnels de la santé et les regroupements de patients nous rapportent continuellement la preuve du potentiel thérapeutique de cette plante (Baker et Pryce, 2003 ; British Medical Association, 1997 ; Croxford, 2003 ; Grinspoon, 1999 ; Grinspoon et Bakalar, 1997a ; Zimmer et Morgan, 1997). À travers le Canada, de nombreuses personnes souffrant de douleurs diverses, du cancer, du sida, de la sclérose en plaques, de lésions de la moelle épinière, d'épilepsie et d'autres maladies ont témoigné de l'importance du soulagement que leur procurait l'inhalation de marijuana (Zimmer et Morgan, 1997). Sur le plan judiciaire, toutefois, le maintien de mesures répressives freine toute recherche sérieuse portant sur l'ensemble du potentiel médical de cette plante. Plusieurs médecins travaillant auprès de nombreux patients ont validé l'efficacité du cannabis (British Medical Association, 1997 ; Croxford, 2003). En outre, Grinspoon (1999) souligne trois arguments militant en faveur de l'utilisation thérapeutique du cannabis :

  1. Le cannabis est remarquablement peu toxique, contrairement à divers médicaments présents dans la pharmacopée moderne. Il n'a jamais provoqué de mort par surdose. Comparativement aux médicaments utilisés pour le remplacer, les effets indésirables du cannabis à court et à long terme sont généralement plus faibles ;

  2. Le cannabis est beaucoup moins coûteux que les médicaments qu'il remplace (du moins lorsque le patient ne subit pas les inconvénients du marché noir) ;

  3. Ce psychotrope semble indiqué pour le traitement des symptômes de diverses maladies.

Bref, ses champs d’application sont multiples. L'expérience clinique démontre l'utilité du cannabis dans le traitement d'une vingtaine de pathologies (Grinspoon et Bakalar, 1997a). En outre, un des grands avantages thérapeutiques du cannabis demeure son aspect sécuritaire (Croxford, 2003). Entendons-nous bien : le cannabis n'est pas dénué de réactions indésirables, mais ses effets secondaires sont généralement peu marqués aux doses thérapeutiques et ne se produisent que dans certaines conditions d’abus (usage prolongé de fortes quantités) ou chez certaines populations particulières, notamment les individus souffrant de troubles de santé mentale. De façon générale, les risques associés à l'usage d'un médicament sont évalués par rapport aux avantages de son utilisation. Si un médicament procure un bénéfice considérable tout en présentant de faibles risques liés à son usage, il devrait être distribué en vente libre, sans ordonnance. Il n'y a pas à attendre le risque zéro en matière de médicament. Cela n'existe pas. L'exemple de l'aspirine est éloquent à ce sujet. La communauté scientifique considère l'aspirine comme un médicament sécuritaire, bien que ce produit soit directement lié au décès de 1000 à 2000 personnes par année aux États-Unis (Smith, Heiligs et Seymour, 1998). Enfin, administré à doses thérapeutiques, le cannabis a également l'avantage de ne pas entraîner des perturbations significatives des fonctions organiques chez la majorité des patients (Grinspoon et Bakalar, 1997a).

Les promesses de Santé Canada d’offrir un cadre plus humanitaire ne se sont pas concrétisées et les revendications légitimes des malades demeurent sans réponse. Il nous apparaît important, voire urgent, que le gouvernement canadien règle les problèmes associés à l’admissibilité et à l’approvisionnement en cannabis thérapeutique. Quoique Santé Canada ait lancé en 1999 un programme de recherche encourageant et facilitant la réalisation d'essais cliniques visant à évaluer les applications thérapeutiques du cannabis, ces études sont lentes à démarrer et les résultats se font attendre. Dans l'intérim, la situation continue à pénaliser les demandeurs d’exemptions. Notons enfin que, bien qu'on estime qu'environ 40 % de la population fait appel à la médecine alternative, ce qui illustre les valeurs et les besoins de notre société, la difficulté à breveter des substances d'origine végétale et les profits moindres réalisés avec ces produits ne motivent pas les compagnies pharmaceutiques à investir dans des recherches cliniques sur le cannabis et d'autre produits naturels (Ben Amar et Léonard, 2002).

L'expérience des clubs Compassion

Les nombreuses expériences personnelles rapportées relativement à l'efficacité du cannabis dans diverses maladies et le peu d’effets indésirables marqués ont conduit à la création d'organismes tels que les clubs Compassion, voués à la distribution du produit à leurs patients (Grinspoon et Bakalar, 1997a). Ces derniers agissent de plus comme groupes de pression au nom de ces patients. Ce sont des acteurs importants dans le soulagement des problèmes quotidiens auxquels font face les malades en besoin. La mise en place de centres de distribution de cannabis spécialisés s’est substituée au rôle que plusieurs souhaiteraient attribuer à l'État. Elle a pallié le manque d'initiatives de la part des autorités envers les demandeurs d'exemptions. La Compassion Club Society, fondée en 1997 en Colombie-Britannique par Hilary Black, offre ses services à près de 1 600 membres. Par ailleurs, une étude ethnographique menée auprès des usagers du San Francisco Cannabis Club démontre que la sociabilité inhérente à ce type de lieux de rencontre procure aux malades un bénéfice aussi important que la marijuana elle-même. Les usagers soulignent que le club leur offre un soutien affectif significatif (Feldman et Mandel, 1998). Le contexte humanisant de ce type d’organisme leur procure un environnement propice à la socialisation avec d'autres personnes qui sont non seulement aux prises avec une maladie, mais aussi, souvent isolées, craintives et déprimées.

Paradoxalement, le cadre humanitaire annoncé par Santé Canada est venu non pas du gouvernement, mais de groupes de citoyens sensibles à la souffrance des malades et qui ont mis sur pied le réseau des clubs Compassion. Les bâtisseurs de ce réseau ont souvent eu à affronter de nombreux risques en raison de l’ambiguïté de la réglementation sur l’approvisionnement en cannabis thérapeutique. Or, dans un esprit de partenariat, Santé Canada pourrait mettre à profit, à l’intérieur de son plan d'application, l’ensemble des connaissances que détiennent les clubs Compassion. Néanmoins, ces organismes fonctionnent actuellement dans une « zone grise », car la plupart des clubs font face à des problèmes juridiques et sont constamment exposés à des risques de poursuites. La récente poursuite judiciaire qu’a subie le président du club Compassion de Montréal constitue un exemple flagrant de l’ambiguïté et de l'ambivalence des systèmes policier, judiciaire et gouvernemental. Heureusement, la Cour d’appel d’Ontario vient d’épauler les clubs Compassion et leurs fournisseurs en changeant elle-même les dispositions de la loi afin qu’ils puissent obtenir le permis permettant de fournir la marijuana aux malades (Malboeuf, 2003).

Les mouvements pro-légalisation

L’action des clubs Compassion et les requêtes des malades sont largement soutenues par un plus large mouvement, soit celui des groupes activistes qui sont en faveur de la légalisation totale du cannabis, qu’il soit thérapeutique ou récréatif. Si ces groupes ont le mérite d’avoir ramené régulièrement sur la place publique les enjeux et les méfaits de la prohibition du cannabis, ils ont peut-être aussi contribué, involontairement, à entraîner une certaine confusion autour de la question du cannabis thérapeutique.

Dans son chapitre sur les applications thérapeutiques du cannabis, le rapport Nolin (2003) signale la division et l’ambiguïté qui règnent autour de la problématique du cannabis thérapeutique. Un des arguments soulignés est le fait que certains groupes plus conservateurs craignent que l’usage thérapeutique du cannabis n’ouvre la porte à la légalisation totale de la marijuana.

Le problème avec la marijuana, à la différence de l’héroïne, est que son créneau thérapeutique est vaste, touchant entre autres le soulagement des douleurs chroniques, du syndrome prémenstruel, des migraines, des troubles d’anxiété, des symptômes liés au sevrage d’alcool ou d’autres drogues, de certains méfaits secondaires de la chimiothérapie, etc. Trop large, en fait, lorsque l’on craint un changement culturel progressif à l’égard de cette drogue dans la population par la croissance du nombre de consommateurs à des fins thérapeutiques, changement qui remettrait en cause sa prohibition et déplairait aux Américains. Et trop vaste également quand on craint la réaction des compagnies pharmaceutiques[2], qui ont de puissants lobbies gouvernementaux pour freiner la recherche sur cette drogue.

Lorsqu’il quitta la CIA, en 1977, Georges W. Bush fut nommé directeur de l’une des plus grandes firmes pharmaceutiques américaines : Eli Lilly, firme contrôlée financièrement par les familles de Dan Quayle et de Bush. Alors qu’il était déjà vice-président, Bush participa au lobby qui essayait d’obtenir l’autorisation d’écouler dans le tiers-monde les médicaments périmés ou interdits aux États-Unis.

Or, en 1976, au lendemain de la conférence d’Asilomar, alors qu’en toute logique le gouvernement devait reconduire le financement des recherches sur les effets thérapeutiques de la marijuana, c’est le contraire qui se produisit. Par décision de l’administration Ford, il fut décrété qu’il n’y aurait désormais plus de financement pour des études indépendantes ni au niveau fédéral ni dans les universités. Désormais, les compagnies pharmaceutiques en avaient le monopole.

D’ailleurs, étrange coïncidence, la nouvelle campagne anti-marijuana qui sévit aux États-Unis depuis le début des années 1980 est financée pour près de la moitié par les industries pharmaceutiques. L’autre moitié des fonds est fournie en partie par une agence fédérale… et par les fabricants de cigarettes.

Pire : sous Reagan et son vice-président Bush, l’administration envoya, en 1983, une sonde en direction des universités et des chercheurs concernant une éventuelle destruction de toutes les études sur le cannabis menées entre 1966 et 1976 ! La suggestion souleva un tel tollé parmi les scientifiques qu’elle fut abandonnée…

Clinton, en janvier 1993, allait autoriser de nouveau les recherches sur l’usage thérapeutique de la marijuana, mais les pressions qu’il subit furent telles qu’il renonça à toute action en ce secteur.

Ce contexte fait que l’usage thérapeutique de la marijuana ne s’est toujours répandu au Canada qu’à coups de pressions judiciaires. Ces pressions ont conduit les autorités fédérales canadiennes, le 4 juillet 2001, à chercher un créneau d’action qui permette de préserver la légitimité de prohiber l’utilisation de cette drogue à des fins récréatives tout en permettant une distribution thérapeutique assez limitée de même que certaines recherches (Nolin et collaborateurs, 2003 ; Conroy, 2002 ; Erickson et Oscapella, 1999). Toutefois, celles-ci demeurent difficiles à réaliser du fait de l’illégalité du produit, particulièrement si des sujets humains sont en cause.

De nombreux articles soulignent aujourd'hui les avancées spectaculaires du Canada en matière de distribution thérapeutique du cannabis quand, en fait, il n'en est rien. Il est temps que l'on clarifie la situation réelle de la réglementation de Santé Canada.

Cette confusion nourrit les craintes des groupes favorables à la prohibition et a pour effet regrettable de davantage nuire aux malades que de leur apporter un soutien et un soulagement souhaités par tous (Nolin et collaborateurs, 2003). Une distinction légale des types d’utilisation du cannabis pourrait apaiser les craintes d'une certaine catégorie de la population et constituer une approche innovatrice où les préoccupations et revendications individuelles et sociales seraient respectées.

Quelques considérations

L’attitude à adopter à l’égard des drogues a toujours été un problème pour les gouvernements. Dans les années 1970, la question du cannabis thérapeutique a soulevé un regain d'intérêt. Cela peut être en partie expliqué par le fait qu'au cours des années 1960, cette plante a été le sujet d'une redécouverte sociale et que plusieurs travaux ont permis d'isoler ses constituants psychoactifs (Ben Amar et Léonard, 2002).

Aujourd’hui, cependant, nous constatons toujours une absence de consensus dans la communauté scientifique et médicale sur l'efficacité réelle des applications thérapeutiques du cannabis (Hollister, 2000). Combien de preuves faut-il amasser avant de laisser des patients faire librement le choix de l’usage de cette plante pour soulager leur condition médicale ? C’est une question légitime qui mérite réflexion. Le dilemme du consensus serait-il en fait un faux problème ? En se servant, par exemple, de l’étude du National Institute of Mental Health sur la dépression, on pourrait concevoir que certains produits, dont le cannabis, soient efficaces dans certaines conditions mais pas dans d’autres, chez certains patients et pas chez d’autres. Puisqu'il est clair pour les scientifiques que des approches particulières sont plus efficaces ou complémentaires dans le traitement de la dépression, peut-être en est-il de même pour le traitement et le soulagement des symptômes des maladies où le cannabis a suscité un intérêt, voire un espoir. Politiciens, agents de la loi, chercheurs et groupes de pression devraient peut-être revoir leurs stratégies respectives afin de répondre à un réel besoin : celui des patients.

Dans le passé, les politiques gouvernementales liées aux drogues n'ont pas créé un climat propice à l'étude du cannabis thérapeutique. Les mesures répressives adoptées à l’égard de ce produit n’ont pas entraîné la diminution de sa consommation et ont entravé la poursuite de recherches sur ses propriétés bénéfiques (Beauchesne, 1991). Force est de constater que la campagne moraliste anti-drogue influence toujours nos attitudes et nos préjugés à l'égard de cette plante. Le climat social d’aujourd’hui offre-t-il un environnement plus favorable au changement ? Le discours des activistes pro-légalisation a-t-il un impact sur la population quant à la crédibilité du débat ?

Conclusion

Bien que le cannabis ait diverses applications thérapeutiques et que son usage médical remonte à des millénaires, ce produit a été retiré dans les années 1930-1940 des pharmacopées occidentales. Il faudra encore bien des débats, des études et des comités pour trancher définitivement sur la légitimité de son usage (Lechat, 2002). Son efficacité et sa toxicité pourront être précisées avec la découverte des récepteurs cannabinoïdes et une meilleure compréhension de ses mécanismes d'action.

De nos jours, la controverse fait encore rage au Canada. Il est nécessaire, à tout le moins, que le gouvernement respecte ses engagements et assure un accès équitable et sécuritaire aux malades qui pourraient en bénéficier. Plusieurs de ces citoyens vivent dans un état de précarité et de vulnérabilité absolues, et il est urgent que le gouvernement leur accorde une oreille attentive et leur garantisse le droit à leur médication. En privilégiant la répression et la prohibition, nous empêchons des milliers d'individus de soulager leurs souffrances physiques par la méthode thérapeutique de leur choix et nous punissons sévèrement des milliers d'autres personnes qui recherchent les propriétés hédoniques de cette plante, d’autant plus qu’il n’est pas démontré que sa consommation nuise à autrui.

D’un point de vue scientifique, il nous apparaît important d'encourager la réalisation d'essais cliniques contrôlés sur les substances cannabinoïdes afin de mieux cerner leur potentiel thérapeutique et de préciser leur profil toxicologique. Comme le souligne Lechat (2002), permettre et encourager les recherches sur ce psychotrope favoriserait la découverte de nouveaux produits qui pourraient soulager des milliers de patients, sans les placer face aux problèmes médicaux et sociaux liés à l'usage du cannabis.En outre, une collaboration plus étroite entre les professionnels de la santé, les patients et les clubs Compassion faciliterait l'étude des applications thérapeutiques du cannabis.

Le débat est lancé. Michael attend toujours !