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Cet article fait le bilan d’un ensemble de recherches évaluatives menées par un groupe de chercheurs de l’équipe du RISQ (Recherche et évaluation sur les substances psychoactives - Québec) en collaboration avec plusieurs centres de réadaptation en alcoolisme et autres toxicomanies (appelés maintenant « centres de réadaptation en dépendance ») et quelques centres privés de traitement. Après avoir situé le contexte de ces études, nous décrirons la méthode suivie et ferons état des résultats qui en sont issus au regard de l’impact des interventions dans les centres qui y ont participé. Suivra une discussion sur la portée de ces résultats, non seulement en ce qui concerne l’impact des interventions offertes dans les centres participants, mais également au regard des enseignements qui peuvent en être tirés pour mieux comprendre le processus de changement des personnes toxicomanes qui ont recours à leurs services. Pour ce faire, nous aurons recours à des données complémentaires tirées d’autres recherches de notre équipe et à d’autres études menées sur ces questions. Nous conclurons en suggérant des pistes de recherche prometteuses découlant de nos travaux.

Contexte

Les centres de réadaptation en alcoolisme et autres toxicomanies ont été créés dans les années 1970, dans la foulée d’une transformation profonde des services de santé au Québec[1]. En vertu de la Loi sur le ministère des Affaires sociales, adoptée en 1970 par le gouvernement du Québec, le ministère de la Famille et du Bien-être et le ministère de la Santé étaient fusionnés pour devenir le ministère des Affaires sociales (qui deviendra en 1985 le ministère de la Santé et des Services sociaux). Un réseau complet d’établissements à caractère principalement social fut alors créé pour compléter celui des établissements de santé. Il fut décidé, dans ce contexte, que l’alcoolisme et les autres toxicomanies étaient d’abord un problème psychosocial et que les services offerts devaient relever du réseau des établissements sociaux. C’est ainsi que s’est formé graduellement dans l’ensemble du Québec, à partir de 1976, d’abord avec le Centre Domrémy-Montréal, un réseau de centres de réadaptation publics et gratuits pour les personnes alcooliques et autres toxicomanes.

Cette orientation des établissements du système public de santé et de services sociaux ne fit cependant pas l’unanimité. La décennie des années 1980 fut marquée par des conflits idéologiques importants entre le milieu médical et les intervenants psychosociaux, entre les tenants du modèle de maladie et du modèle psychosocial, et enfin entre les professionnels et les bénévoles ex-buveurs et ex-toxicomanes. C’est ainsi que s’est créé un réseau parallèle de services privés, dont la philosophie d’intervention est orientée soit par le modèle des douze étapes AA, et plus particulièrement le « Minnesota Model », soit par le modèle des communautés thérapeutiques, vouées principalement au traitement des dépendances aux drogues illicites et plus particulièrement l’héroïne, notamment avec la création en 1973 du centre Portage.

C’est dans cette même période qu’est apparu au Québec un intérêt pour évaluer l’impact des services offerts aux personnes alcooliques et toxicomanes. Une des sources de cette préoccupation fut la compétition qui prévalait entre les diverses approches. Chacun avait tendance à prétendre que sa méthode avait de meilleurs résultats que les autres, qu’il s’agisse des tenants de l’approche psychosociale, de l’approche médicale, des communautés thérapeutiques ou des centres qui se réclamaient des Alcooliques Anonymes. Les chiffres les plus fantaisistes étaient parfois avancés à cet égard. Par ailleurs, les nombreuses rechutes constatées chez les personnes qui avaient reçu un traitement suscitaient de vives inquiétudes auprès de leur entourage et des organismes qui les orientaient : milieu de travail, agents de probation, médecins, etc. Une des questions les plus souvent posées aux responsables des centres de traitement était « quel est votre taux de succès ? ». À cette question étaient liées plus ou moins directement des questions financières : pour les organismes publics, le maintien du financement de l’État ; pour les organismes privés, le recrutement de leur clientèle auprès des organismes susceptibles de faire appel à leurs services.

Au cours de la même période, les études sur l’impact des traitements en toxicomanie qui se multipliaient aux États-Unis et en Angleterre ont exercé une influence décisive à cet égard. D’une part, elles offraient des modèles d’études déjà réalisées et confirmaient l’intérêt d’en entreprendre de semblables au Québec. Par ailleurs, ces études permettaient de situer dans une perspective plus réaliste la nature et la portée des résultats pouvant être attendus des traitements offerts dans ce domaine tout en soulevant d’autres questions en vue d’illustrer la nature complexe du processus de changement. Certaines d’entre elles suscitaient la controverse en s’attaquant à des dogmes bien établis : on y apprenait que des interventions relativement brèves pouvaient être efficaces (Edwards et coll., 1977 ; Sells et Simpson, 1980), que le traitement ambulatoire donnait des résultats aussi prometteurs que le traitement résidentiel (Annis, 1988), qu’il était difficile de démontrer qu’une forme de traitement est plus efficace qu’une autre (Polich, Armor et Braiker, 1981 ; Sells et Simpson, 1980) et que des personnes alcooliques réussissaient à revenir à une consommation non problématique d’alcool (Polich et coll., 1981 ; Vaillant, 1983).

Il apparaissait donc de plus en plus urgent d’entreprendre de telles études au Québec malgré les ressources limitées en recherche à cette époque. Déjà en 1969-1970, l’Office de prévention et de traitement sur l’alcoolisme et les autres toxicomanies (OPTAT) avait effectué une étude de suivi d’un an auprès des clientèles desservies par les centres Domrémy dans trois régions du Québec (Saint-Laurent-Simard, 1973). D’autres recherches évaluatives furent réalisées dans les années 1970 et 1980 (Brochu et coll., 1983 ; Cormier et coll., 1983 ; Dongier et coll., 1983 ; Laforest, 1983 ; Carle, Doré-Lamontagne et Mercier, 1987).

À la fin des années 1980, le Centre Domrémy-Montréal décidait de se doter d’un outil validé scientifiquement pour l’évaluation des personnes admises en traitement. Cet instrument, l’Addiction Severity Index (ASI) (McLellan et coll., 1980), permettait non seulement de procéder à l’évaluation biopsychosociale des personnes alcooliques et toxicomanes, mais également d’évaluer leur changement dans le temps, tant en ce qui concerne leurs problèmes de consommation que les autres domaines de leur vie susceptibles d’être affectés par cette consommation. Cet outil fut traduit et validé en français sous le nom d’Indice de gravité d’une toxicomanie (IGT) (Bergeron et coll., 1992 ; Bergeron, Landry, Brochu et Guyon, 1998). Un comité d’experts formé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec décidait en 1991, à la suite d’une recension des outils alors disponibles (Boivin, 1990), de recommander l’utilisation de l’ASI-IGT à tout le réseau public des centres de la réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes et d’en faciliter la diffusion. Cet outil allait être utilisé par la suite pour mesurer non seulement le profil bio-psychosocial des personnes reçues en traitement dans plusieurs centres de réadaptation du Québec, mais également dans des études ayant pour objectif d’évaluer l’impact des interventions qui y étaient offertes.

C’est ainsi que furent menées par une équipe de chercheurs du RISQ, à partir de 1991, un ensemble de recherches évaluatives dans plusieurs centres de réadaptation publics et quelques centres de traitement privés pour personnes alcooliques et autres toxicomanes. Notons ici que d’autres chercheurs ou équipes de chercheurs du Québec effectuaient au cours de la même période des études portant sur l’impact des traitements dans le domaine de la toxicomanie (Brown, Seraganian et Tremblay, 1993 et 1994 ; Brown, Seraganian, Tremblay et Annis, 2002a, et 2002b ; Charney et coll., 1998 ; Charney et coll., 2005 ; Dobkin et coll., 2002 ; Margolese et coll., 2006 ; Perreault et coll., 2007). C’est ainsi que l’équipe du RISQ rassemblait en 2001 la plupart des chercheurs ayant mené des recherches pour évaluer l’impact des traitements en alcoolisme et toxicomanie au Québec en vue de faire le point sur les résultats de ces études. Rassemblées dans une livre (Landry, Guyon et Brochu, 2001), ces présentations donnent un bon aperçu des travaux menés au Québec à cet égard et des chercheurs qui y ont contribué.

Les recherches évaluatives menées par le RISQ

Les recherches évaluatives du RISQ qui font l’objet du bilan présenté dans cet article sont au nombre de six et s’échelonnent de 1991 à 2004. Elles portent sur des sous-groupes variés d’usagers adultes en traitement, en fonction des problèmes associés à leur toxicomanie :

  1. La première étude (Brochu, Landry et Bergeron, 1995 ; Brochu, Landry, Bergeron et Chiocchio, 1997) a été menée entre 1990 et 1993 et porte sur un groupe d’usagers inscrits dans un centre de réadaptation en toxicomanie de Montréal. Tous les usagers inscrits au centre pouvaient participer à cette étude et le programme d’intervention offert était le même pour tous. Ce groupe sera identifié comme « mixte », du fait qu’il réunit des usagers adultes, qu’ils présentent ou non des problèmes concomitants à leur toxicomanie.

  2. La deuxième étude (Brochu, Bergeron, Landry, Germain et Schneeberger, 2002 ; Brochu, Sun, Landry et Bergeron, soumis), menée entre 1996 et 1998, s’intéresse aux traitements offerts en toxicomanie aux clientèles judiciarisées adultes suivies dans deux centres de réadaptation publics, un à Montréal et l’autre à Trois-Rivières. Cette étude sera identifiée comme « justice 1 ».

  3. La troisième étude (Nadeau, Cournoyer et Landry, 2001), menée entre 1997 et 1999, portait sur le traitement offert dans le cadre d’un programme spécialisé du Centre Dollard-Cormier aux usagers adultes présentant des troubles concomitants de toxicomanie et de santé mentale. Ce groupe sera identifié comme « santé mentale 1 ».

  4. La quatrième étude (Bergeron, Brochu, Landry et Joly, 2000) porte sur des usagers adultes suivis dans un centre de réadaptation en toxicomanie de Montréal et inscrits dans un programme non spécialisé, excluant les personnes ayant une problématique de santé mentale ou des problèmes légaux associés à leur toxicomanie. Cette étude a été menée entre 1997 et 1999 et sera identifiée dans la suite du texte comme « adulte général ».

  5. La cinquième étude (Brochu, Cournoyer, Tremblay, Bergeron, Brunelle et Landry, 2006) a été menée entre 2000 et 2002 dans quatre centres de réadaptation en toxicomanie du Québec auprès d’usagers toxicomanes judiciarisés adultes. Ce groupe sera identifié comme « justice 2 ».

  6. La sixième étude (Nadeau, Landry, Cournoyer, et Boucher, 2005) a été menée entre 2001 et 2003 et s’intéressait aux problèmes concomitants de toxicomanie et de santé mentale dans trois centres du Québec, un centre public de Montréal et deux centres privés, l’un s’appuyant sur le « Minnesota Model » et l’autre étant une communauté thérapeutique. Cette étude sera identifiée comme « santé mentale 2 ».

Objectifs

Nous retenons ici les questions de recherche communes à ces six études. Il est par ailleurs à noter que chacune avait des objectifs spécifiques reliés au rôle de variables comme les problèmes de santé mentale ou judiciaires associés, la motivation au changement ou au traitement, l’alliance thérapeutique, etc. Bien que les résultats de ces études aillent bien au-delà de ce tronc commun, les résultats présentés dans cet article y sont tous rattachés.

Ces questions sont les suivantes :

  • Est-ce que les participants à ces six études améliorent leur situation au cours de la période étudiée ?

  • Quelles sont les sphères de vie, incluant la consommation de substances psychoactives, où se produisent les changements ? La perspective adoptée alors est davantage celle du lien entre l’impact des interventions et l’approche biopsychosociale adoptée dans les centres de réadaptation en toxicomanie.

  • Y a-t-il un lien entre les changements observés et l’exposition des participants au traitement ? On retient ainsi une interaction éventuelle entre le changement et l’exposition au traitement comme un indicateur de son impact.

Si l’on se reporte aux divers types de démarches évaluatives retrouvés dans l’évaluation de programmes, tels que l’évaluation des besoins, des possibilités d’action, de l’implantation d’un programme, des effets ou du rendement (Desrosiers et coll. 1998), on se situe ici de façon claire dans l’évaluation des effets. Ce choix s’explique aisément par le contexte historique dans lequel cette série d’études a débuté : au Québec, à la fin des années 1980, on se préoccupait d’abord d’évaluer les résultats des services dispensés par les centres de réadaptation en toxicomanie.

Méthode

On peut qualifier ces études de « naturalistes », c’est-à-dire que l’on ne trouve pas de groupes témoins, c’est en fait l’intervention telle que dispensée dans les centres participant à ces études qui a été évaluée. Dans ce sens, on ne vise pas à évaluer l’efficacité (efficacy) des interventions dans le cadre d’essais randomisés, mais leur impact sur le terrain (effectiveness). Le mérite relatif de ces deux formes de recherche évaluative a fait l’objet de nombreux débats au cours des vingt dernières années. Seligman (1996) a bien fait ressortir les enjeux reliés à l’emploi de ces deux approches. Les études d’efficacité permettent d’établir un lien de causalité entre une technique d’intervention et ses effets sur le changement des personnes, principalement par le recours à la méthode des essais randomisés et contrôlés. Leur validité interne est grande. En contrepartie, à cause des strictes conditions d’expérimentation auxquelles elles sont soumises (exclusion des participants présentant des conditions plus lourdes ou particulières, application stricte d’une approche manualisée, etc.), ces essais sont assez éloignés des conditions propres à la vie réelle. Les études d’impact (effectiveness), pour leur part, ont une validité externe plus grande en ce sens qu’elles permettent d’avoir une meilleure assurance que les résultats observés correspondent aux conditions d’application que l’on retrouve dans l’application des traitements et la vie réelle. C’est ainsi que Miller, Walters et Bennet (2001), pour répondre aux interrogations fréquentes sur l’effet des traitements dans le domaine de l’alcoolisme, adoptent dans leur étude How Effective is Alcoholism Treatment in the United States? une perspective qu’ils estiment « raisonnablement objective », soit celle de l’impact. Dans leur examen critique des traitements en toxicomanie qui bénéficient du meilleur soutien empirique et en s’appuyant sur les critères de l’American Psychological Association, McCraddy et Nathan (2006) pour leur part retiennent deux études qu’ils considèrent comme les plus solides. La première est une étude d’impact, le projet VAMCCS (Ouimette, Finney et Moos, 1997), l’autre est le projet MATCH (Project MATCH Research Group, 1997). On peut donc considérer que ces deux types de recherche évaluative sont légitimes et jouent un rôle complémentaire. Plusieurs études d’impact se retrouvent dans la littérature (Armor, Polich et Stambul, 1978 ; Sells et Simpson, 1980 ; Alterman, Randall et McLellan, 2000 ; Simpson, Joe et Broome, 2002 ; Gossop, Mardsen, Stewart et Kidd, 2003 ; Hser, Evans et Huang, 2005).

Par ailleurs, de nombreuses études ont trouvé une association entre l’impact des traitements et la dose reçue (exposition plus ou moins importante des participants au traitement) dans des études « naturalistes » (Baekeland et Lundwall, 1975 ; Sells et Simpson, 1980 ; De Leon, Jainchill et Wexler, 1982 ; De Leon, 1985 ; Simpson et coll., 1997 ; Moos et coll., 2000 ; Simpson, Joe et Broome, 2002 ; Moos et Moos, 2003). Ainsi, les résultats observés dans le cadre du projet RAND (Armor et coll., 1978 ; Polich, Armor et Braiker, 1981) indiquent que 20 jours de traitement en milieu résidentiel ou 15 rencontres en consultation externe constituent un seuil critique d’impact pour les consommateurs d’alcool. Le projet DARP (Simpson, 1979 ; Simpson et Sells, 1982) mentionne des seuils de 90 jours avec un accroissement de l’impact à 180 et 300 jours pour les usagers de drogues. Une étude plus récente (Gossop et coll., 1999) identifie, pour des traitements résidentiels, des durées critiques de 28 et 90 jours selon le type de traitement offert. C’est sur cette base qu’il fut décidé d’avoir recours à cette variable (exposition au traitement) pour évaluer dans quelle mesure l’évolution des usagers participant à nos études évaluatives pouvait être attribuée au traitement. Cette décision reposait également sur la volonté d’évaluer le mieux possible la réalité de l’intervention telle que dispensée dans les centres plutôt que de créer des conditions se rapprochant davantage du laboratoire. Enfin, compte tenu de notre décision, il apparaissait inacceptable éthiquement, tant aux yeux des chercheurs que des intervenants des milieux de pratique où se déroulaient ces études, d’adopter un plan de recherche qui aurait privé de soins certaines personnes en les assignant à une condition contrôle sans traitement ou même à un traitement moins adapté à leurs besoins, que ce soit aux yeux du clinicien ou du participant lui-même.

Les participants

Les participants à ces études sont tous inscrits dans un centre de réadaptation public ou privé du Québec pour y recevoir de l’aide. Sollicités au moment de leur entrée en traitement, ils ont accepté librement de participer à l’étude et ont signé un consentement éclairé, conformément aux normes canadiennes en éthique de la recherche. On retrouve dans le tableau 1 le nombre de participants pour chacune des études, la proportion hommes/femmes, leur moyenne d’âge et leur niveau de scolarité.

Tableau 1

Profil sociodémographique des sujets

Profil sociodémographique des sujets

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Instrument de mesure

L’instrument utilisé pour évaluer le changement des sujets est l’Indice de gravité d’une toxicomanie (IGT) (Bergeron, Landry, Brochu et Guyon, 1998), une adaptation validée de l’Addiction Severity Index (McLellan et coll., 1980). Les échelles de l’IGT portent sur les domaines suivants : alcool, drogues, santé physique, emploi et ressources, état psychologique, familial et social, situation légale. Cet instrument permet d’évaluer la gravité des problèmes présentés dans chacune de ces sphères à l’aide d’un « score composé » qui peut varier de 0 à 1, dans un ordre croissant de gravité.

Suivi des participants

Toutes nos études sont de type pré et post traitement, avec au moins deux mesures post. Les participants sont donc évalués au moment de leur arrivée en traitement (pré) et la même évaluation est reprise au moins deux fois par la suite (post) pour mesurer le changement opéré entre ces temps. Il est à noter que c’est la date d’entrée en traitement des participants qui a été retenue pour calculer la date des mesures post, ce qui impliquait que les évaluations pouvaient être effectuées alors que la personne était encore en traitement. Les intervalles entre ces mesures varient de cinq à huit mois. L’évolution des sujets est mesurée dans sept sphères de vie qui portent non seulement sur la consommation d’alcool et d’autres substances psychoactives, mais également sur les problèmes généralement associés à la surconsommation de substances. Cette façon d’évaluer le changement est cohérente avec l’approche biopsychosociale adoptée par les centres de réadaptation en toxicomanie à l’étude. Notons que les sujets pouvaient être encore en traitement ou l’avoir cessé à chacun des temps de mesure 2 et 3.

La proportion des participants rejoints aux temps 2 et 3 (taux de suivi) varie considérablement selon les études, allant de 44 % dans l’étude « adulte général » à 81 % dans les deux études « justice », pour un taux moyen de suivi de 64 % pour les six études.

L’exposition au traitement

Dans la plupart des études, l’exposition au traitement a été mesurée de deux façons : le nombre d’heures d’intervention et le temps en traitement. La compilation du nombre d’heures d’exposition au traitement se faisait à partir des dossiers cliniques des usagers. En effet, les cliniciens sont tenus de noter au dossier toutes leurs interventions auprès des usagers en traitement externe. Une liste de l’ensemble des activités offertes aux usagers a été établie avec un code de durée pour chacune d’elles (par ex. : une heure pour une entrevue individuelle, quinze minutes pour un téléphone, etc.). Pour le traitement en milieu résidentiel, l’estimation s’est faite à partir du programme d’activités cliniques auquel les usagers participent et du nombre de jours du séjour. La durée du traitement a été déterminée en prenant pour point de départ la date d’ouverture du dossier et, pour point d’arrivée, la date correspondant au trentième jour après la dernière intervention clinique. Il importe de retenir qu’un épisode de traitement suivi par un usager des centres de réadaptation peut contenir à la fois des interventions en externe et un ou plusieurs séjours en milieu résidentiel, selon les besoins de la personne et le plan d’intervention. Pour la même raison, dans la plupart des centres étudiés, il n’y a pas de durée prédéterminée de traitement, celle-ci pouvant varier en fonction du plan d’intervention. Par ailleurs, dans la grande majorité des cas, ce sont les usagers eux-mêmes qui mettent fin à leur épisode de traitement sans entente préalable avec leur intervenant. Le tableau 2 donne la moyenne du nombre d’heures de traitement reçues par les participants ainsi que la durée moyenne en traitement. Cette donnée n’est pas disponible dans le cas de l’étude « toxicomanie santé mentale 2 ».

Tableau 2

Exposition au traitement des sujets des quatre groupes

Exposition au traitement des sujets des quatre groupes

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Analyses statistiques

Des analyses de variances ont été utilisées pour vérifier l’évolution des usagers à partir de leur score aux trois temps de mesure à l’IGT. Dans un premier temps, une analyse de profil a permis de vérifier le seuil de signification relatif à la différence globale entre les trois temps de mesure et une analyse MANOVA a permis de contraster les différences entre le score de premier temps avec celui des deux autres, d’une part, et entre les temps 2 et 3, d’autre part.

Une analyse statistique a également permis de vérifier la relation entre l’évolution des participants et l’exposition au traitement qu’ils ont reçu. Une analyse de variance a été effectuée dans deux études (mixte et justice 1) et des analyses de régression, multiple ou linéaire selon les études et les échelles de l’IGT, ont été réalisées dans quatre études : « santé mentale 1 », « santé mentale 2 », « adulte général » et « justice 2 ». Ces analyses sont présentées dans les études évaluatives mentionnées précédemment.

Les résultats

Les résultats de ces études sont présentés en détail dans les publications reliées à chacune d’entre elles, déjà mentionnées plus haut. Tout d’abord, nous nous intéressons ici à l’évolution des participants aux trois temps de mesure, quatre dans le cas de « justice 1 », et ensuite à la relation entre l’exposition au traitement et les changements constatés.

L’évolution des sujets

Le tableau 3 présente la différence entre le temps 1 et les deux autres temps dans les six études ainsi que le degré de signification des variations de ces scores.

Tableau 3

Différence entre le temps 1 et les autres temps aux sept échelles de l’IGT

Différence entre le temps 1 et les autres temps aux sept échelles de l’IGT

Il est à noter qu’une flèche vers le bas indique une diminution des scores et de la gravité des problèmes.

* p < .05

** p < .01

*** p < .001

n.s.= non significatif

n.d.= non disponible

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Les résultats présentés dans ce tableau indiquent que tous les groupes étudiés se sont améliorés de façon significative entre les temps 1 et les deux autres temps de mesure aux échelles « alcool », « drogues », « psychologique » et « familial/social ». Quatre groupes sur six se sont améliorés de façon significative à l’échelle « situation légale ». Les deux autres groupes ayant des scores initiaux très peu élevés ne pouvaient pas s’améliorer. Seuls trois groupes sur six se sont améliorés de façon significative aux temps 2 et 3 à l’échelle « emploi » et aucun changement significatif n’a été observé à l’échelle « santé physique ».

Les figures 1 à 7 présentent sous forme graphique l’évolution des participants à chacune des échelles de l’IGT.

Figure 1

Évolution des groupes à l'échelle alcool

Évolution des groupes à l'échelle alcool

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Figure 2

Évolution des groupes à l'échelle drogues

Évolution des groupes à l'échelle drogues

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Figure 3

Évolution des groupes à l'échelle psychologique

Évolution des groupes à l'échelle psychologique

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Figure 4

Évolution des groupes à l'échelle familial/social

Évolution des groupes à l'échelle familial/social

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Figure 5

Évolution des groupes à l'échelle emploi

Évolution des groupes à l'échelle emploi

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Figure 6

Évolution des groupes à l'échelle situation légale

Évolution des groupes à l'échelle situation légale

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Figure 7

Évolution des groupes à l'échelle santé physique

Évolution des groupes à l'échelle santé physique

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La présentation de ces figures permet de visualiser l’évolution des participants aux trois temps de mesure. Comme le confirment les analyses statistiques effectuées pour faire ressortir les contrastes entre le temps 2 et le temps 3, les changements significatifs constatés pour ces temps se maintiennent au temps 3, soit environ six mois plus tard, aux échelles « alcool », « drogues », « psychologique » et « familial/social », ainsi que pour les groupes qui s’améliorent aux échelles « emploi » et « situation légale ». Pour le groupe « justice 1 », cette stabilité se trouve également confirmée au temps 4, soit 18 mois après le début du traitement des participants. Une seule exception à ce patron est l’évolution des participants du groupe « santé mentale 1 » à l’échelle « drogues ». La gravité du problème de drogues de ce groupe remonte de façon significative entre le temps 2 et le temps 3. Cependant, leur score au temps 3 demeure significativement plus bas qu’au temps 1.

Notons par ailleurs que, en dépit d’un patron général d’amélioration des groupes de participants à ces six études, le niveau de gravité initial varie selon les groupes. Ces différences s’expliquent dans plusieurs cas par le fait que certaines études ont porté sur des groupes d’usagers qui présentaient soit une histoire de judiciarisation ou des problèmes légaux actuels (justice 1 et justice 2), soit des problèmes concomitants de santé mentale importants (santé mentale 1). Notons plus particulièrement ce fait pour le groupe « santé mentale 1 », dont le score initial à l’échelle « psychologique » est sensiblement plus élevé que celui des autres groupes. La courbe d’amélioration de ce groupe se situe en parallèle à celle des autres groupes, le point d’arrivée au temps 3 étant à peu près au même niveau que pour le score initial des autres groupes. Le groupe « santé mentale 1 » présente aussi le score initial le plus élevé à l’échelle « drogues », l’amélioration au temps 2 ne s’est par ailleurs pas maintenue au temps 3, les scores à ce temps demeurant toutefois significativement plus bas qu’au temps 1. Les groupes d’usagers toxicomanes judiciarisés, quant à eux, présentent en toute logique des scores initiaux plus élevés à l’échelle « situation légale ». Notons enfin que le groupe « mixte », recruté à partir de l’ensemble des usagers d’un centre de réadaptation situé à Montréal sans égard aux troubles associés à leur toxicomanie, présente des scores plus élevés que la plupart des autres aux échelles « alcool », « drogues », « psychologique » et « familial/social ».

La relation entre l’évolution des sujets et l’exposition au traitement

À l’exception d’une étude, les analyses pour étudier la relation entre l’exposition au traitement, soit en fonction du nombre d’heures de traitement, soit en fonction de la durée en jours, n’ont permis d’établir aucun lien significatif entre cette variable et l’évolution des participants. On observe une interaction entre l’amélioration des sujets et l’exposition au traitement dans seulement un groupe et seulement aux échelles « alcool » et « drogues », soit dans le groupe « mixte » à Montréal. Pour ce dernier, on observe une interaction entre les variables « alcool » et « drogues » en ce qui concerne le nombre d’heures d’exposition au traitement. Par ailleurs, rappelons que cette analyse n’a pas pu être effectuée dans l’étude « santé mentale 2 », faute de données sur l’exposition des participants au traitement. Bref, dans les cinq autres études sauf l’étude avec le groupe « mixte », aucune différence significative n’a été constatée en matière d’amélioration entre les participants qui avaient reçu peu ou très peu de traitement et ceux qui en avaient reçu davantage.

Interprétation des résultats

Cette discussion fait état des résultats présentés ci-dessus en regard des objectifs mentionnés au début de l’article.

L’évolution des sujets dans le temps

Dans ces six études, le principal résultat relève que les usagers admis pour une démarche de réadaptation dans les centres publics et privés ayant participé à nos études s’améliorent, comme groupe, non seulement en ce qui concerne leur consommation de substances psychoactives, mais aussi dans plusieurs autres domaines de leur vie. Cette amélioration se maintient sur une période d’environ 12 mois à deux temps de mesure après l’évaluation initiale, effectuée en début de traitement. Cette amélioration se produit autant chez des groupes dont le traitement est réputé plus difficile, notamment des usagers présentant des problèmes de santé mentale et les clients judiciarisés.

Précisons qu’il s’agit de résultats de groupes. Même si le groupe s’améliore en moyenne, les données de ces études ne permettent pas de qualifier précisément la proportion des participants voyant sa situation se détériorer, demeurer stable ou s’améliorer. Les données concernant la consommation sont basées essentiellement sur les scores composés de l’IGT-ASI. Si les scores composés de l’IGT-ASI permettent d’affirmer que la gravité du problème d’alcool ou de drogues a diminué, ils n’apportent pas de précisions sur les quantités consommées ni sur le fait que les personnes ont été abstinentes ou pas au cours des périodes étudiées. Bien que cette façon d’évaluer l’amélioration de la consommation soit incomplète, elle s’accorde avec la conception selon laquelle l’abstinence n’est pas le seul critère à considérer, c’est-à-dire l’approche de réduction des méfaits couramment adoptée au Québec et ailleurs à travers le monde.

On peut toutefois s’interroger sur ce qui peut être considéré comme un seuil cliniquement significatif en ce qui concerne ces améliorations. Ce problème est bien illustré par l’amélioration observée à l’échelle « psychologique » dans le groupe « santé mentale 1 ». Si ce groupe s’est effectivement amélioré significativement par rapport à sa situation de départ, comment qualifier cette amélioration, compte tenu du fait que son point d’arrivée au temps 3 correspond au score initial des autres groupes. On ne peut certainement pas affirmer que, dans ce cas, cette amélioration puisse être considérée comme une rémission. Dans quelle mesure cette amélioration peut être considérée comme significative sur le plan clinique ? Le fait que ce groupe se détériore au temps 3 en ce qui concerne la gravité de l’échelle « drogues » peut être considéré comme un indice inquiétant à cet égard. Il n’en reste pas moins que l’amélioration constatée au sein de ce groupe représente un succès relativement à leur état initial, même si leur état mental peut demeurer objectivement au-dessus du seuil clinique d’un diagnostic de trouble mental.

Le taux de suivi des participants constitue une limite à la portée de ces résultats. Par ailleurs, les résultats comparables des autres groupes de « justice 1 » et « justice 2 », alors que plus de 80 % des participants ont été rejoints aux deux temps de suivi, constituent un indice encourageant à cet égard. Mentionnons également au nombre des limites de cette étude que nous n’avons pas contrôlé la nature des interventions dispensées dans les centres ni les approches utilisées. Dans la plupart de nos études, les centres étudiés se définissent comme adoptant une approche « biopsychosociale ». Il faut toutefois reconnaître que cette appellation peut recouvrir des interventions très variées et que nous ne disposons pas des données permettant d’apprécier ces différences, que ce soit entre les interventions au sein d’un même centre ou entre les centres.

Nonobstant ces limites, pour les six études ayant été menées dans les diverses régions du Québec, et ce, sur une durée de 15 ans, la constance des données recueillies permet de considérer ces résultats comme fiables et en accord avec les données accumulées dans un grand nombre d’autres études entreprises ailleurs dans le monde (Prendergast et coll., 2002 ; Gossop, 2006).

Trois études effectuées plus récemment au Québec auprès d’adolescents (Brunelle et coll., 2006 ; Bergeron et coll., 2009 ; Bertrand et coll., soumis) viennent appuyer encore une fois ces résultats. Dans la première étude, plusieurs améliorations ont été soulignées, dont une diminution de la consommation de drogues et des problèmes judiciaires chez les participants, alors que les résultats sont moins concluants en ce qui concerne le soutien familial et la détresse psychologique. Dans la deuxième, on a remarqué une amélioration chez les jeunes en ce qui concerne la gravité de leur problème principal de consommation, le cannabis, ainsi que pour l’échelle « occupation », laquelle porte notamment sur le fonctionnement au niveau scolaire. Dans la troisième étude, des améliorations significatives ont été notées en ce qui concerne la consommation de drogues, la situation sur le plan scolaire et des loisirs ainsi que la situation familiale. Les jeunes présentant des problèmes de santé mentale plus graves, malgré une gravité initiale plus élevée des problèmes de drogues, se retrouvent au même niveau que les autres à cet égard, après six mois. Par ailleurs, l’évolution de l’état psychologique de ces jeunes varie selon la gravité initiale de leurs problèmes.

Les sphères de vie où se produit le changement

Les centres de réadaptation pour les personnes alcooliques et autres toxicomanes du Québec (CRPAT) ont adopté à la fin des années 1970 une approche psychosociale qui s’est maintenue jusqu’à ce jour. Au coeur de cette orientation réside la conviction que la réadaptation des personnes toxicomanes ne se limite pas à la résolution de leur problème de consommation de substances, mais doit également s’étendre aux autres dimensions de leur vie affectées par leur dépendance ou à la source d’une consommation problématique de substances. C’est d’ailleurs ce qui a motivé l’adoption de l’IGT, lequel évalue la gravité des problèmes d’une personne dans l’ensemble de son fonctionnement biopsychosocial, comme instrument d’évaluation spécialisé dans les CRPAT. Le volet psychologique de l’intervention psychosociale a cependant occupé une place prédominante dans cette orientation, notamment par le recours privilégié à l’intervention individuelle de type psychothérapeutique. Par ailleurs, tout en reconnaissant l’importance de faire une place plus grande à la réinsertion sociale, les CRPAT n’y sont parvenus que difficilement et de façon incomplète. Notons enfin qu’au cours des dernières années, le volet biomédical a pris une importance accrue.

Les résultats obtenus par les participants dans chacune des sphères de leur vie, tel que mesurés par les échelles de l’IGT, reflètent bien cette orientation et l’actualisation de celle-ci dans les CRPAT. D’abord, tous les groupes s’améliorent au regard de la gravité de leur problème d’alcool et d’autres drogues, ce qui correspond bien à la mission première des CRPAT. Il en va de même des échelles « psychologique » et « familial/social ». Les résultats à l’échelle « psychologique » sont confirmés par les résultats des participants à d’autres échelles portant sur la santé mentale dans certaines de nos études « santé mentale 1 » et « santé mentale 2 ». L’importance accordée par les centres étudiés à des interventions de type psychothérapeutique semble donc se refléter dans l’évolution des sujets, tant sur le plan de leur état psychologique que de leurs relations avec leur entourage. Les variations des groupes à l’échelle « emploi » sont beaucoup plus modestes, même pour les trois groupes dont l’amélioration s’avère significative. Ce résultat pourrait refléter la place moins grande faite à la réinsertion socioprofessionnelle dans les CRPAT au cours de cette période. Il illustre aussi, sans doute, que les changements dans ce domaine demandent plus de temps, surtout pour ces personnes toxicomanes souvent stigmatisées, pour lesquelles trouver un emploi est plus difficile que pour la population générale. Notons enfin qu’une partie importante des personnes reçues dans les CRPAT dépendent de l’aide sociale et que leur niveau d’éducation est plus bas que celui de la population générale. Le parcours des groupes de participants à l’échelle « santé physique » va dans tous les sens, comme le montre la figure 7. Il est donc difficile d’interpréter ces variations, d’autant plus que cette échelle de l’IGT s’avère plus faible que les autres sur le plan psychométrique. Enfin, quatre des six groupes voient leur situation légale s’améliorer. Les deux groupes qui demeurent stables à cette échelle n’avaient pas de problème au départ, comme le montre la figure 6.

En bref, les groupes de participants à ces six études voient non seulement leur situation s’améliorer en ce qui concerne leur consommation de substances psychoactives, mais également au regard de plusieurs problèmes réputés comme étant les plus associés à la toxicomanie, soit les problèmes de santé mentale, les problèmes familiaux et les problèmes légaux.

La relation entre l’amélioration des sujets et l’exposition au traitement

De façon générale, les données de nos études n’ont pas permis de trouver une relation entre l’exposition au traitement (heures d’exposition et/ou durée de l’épisode de réadaptation) et l’amélioration des participants. En d’autres termes, nous n’avons pas trouvé de différence statistiquement significative entre les participants en ce qui concerne l’amélioration de leur situation : ils se sont tous améliorés, qu’ils aient eu peu ou beaucoup de traitement. Ces résultats se démarquent de ceux de plusieurs études qui ont observé une relation entre la dose de traitement reçue et l’amélioration des participants (Armor et Polich et Stambul, 1978 ; Simpson, 1979 ; De Leon, 1985 ; Gossop et coll., 1999 ; Moos et coll., 2000 ; Simpson, Joe et Broome, 2002).

Nous ne pouvons toutefois pas conclure de ces résultats qu’il n’y pas de relation entre l’amélioration des participants à nos études et l’intervention qu’ils ont reçue. En effet, le plan de nos études ne prévoyait pas de distribution au hasard des participants en fonction de doses variées et contrôlées de traitement, cette façon de faire ne permet donc pas de tirer de conclusions à cet égard. Il est donc possible que les participants ayant abandonné le traitement plus tôt aient eu besoin d’une exposition moins importante à une intervention alors que ceux qui ont persévéré plus longtemps aient bénéficié d’une dose plus importante.

D’autres hypothèses pourraient aussi expliquer cette absence de relation entre l’exposition au traitement et l’amélioration de la situation des participants. Il est possible que la taille des groupes ait été insuffisante pour produire la puissance statistique nécessaire à détecter une relation entre les deux variables. Le fait que le groupe « mixte », le seul où une relation significative a été trouvée, ait réuni au moins deux fois plus de participants que chacun des autres groupes viendrait appuyer cette hypothèse. Il est également possible que d’autres facteurs non mesurés dans nos études aient eu une influence sur l’évolution des sujets. Mentionnons le recours à d’autres formes d’aide, formelles ou informelles, pendant la période de l’étude, qui auraient pu aider certains participants à s’améliorer même après avoir quitté le traitement dans les centres étudiés. D’autres facteurs comme le niveau initial de la motivation, des événements critiques (Vaillant, 1983 ; Sobell, Sobell et Toneato, 1992 ; Cunningham et coll., 2000 ; Acier, Nadeau et Landry, 2008) survenus dans la vie des participants ou un travail prétraitement ayant joué un rôle de catalyseur dans le changement (Clark, 2009) ont pu avoir un impact dans leur évolution.

En bref, nos études évaluatives effectuées depuis 1991 montrent de façon constante que les personnes reçues en traitement dans les centres de réadaptation publics et privés du Québec s’améliorent, tant en ce qui concerne leur consommation de substances que dans d’autres sphères de leur vie. Ceci est vrai quelles que soient les caractéristiques des groupes étudiés, notamment pour les personnes qui présentent un profil lourd relié à des problèmes de santé mentale ou judiciaires associés à leur consommation. Nos études les plus récentes (Brunelle et coll., 2006 ; Bergeron et coll., 2009 ; Bertrand et coll., soumis) confirment ces résultats avec des groupes d’adolescents. Ces résultats vont dans le même sens que l’ensemble des études contemporaines sur l’impact des traitements en toxicomanie (Miller, Walters et Bennet, 2001 ; Prendergast et coll., 2002 ; UKATT Research Team, 2005 ; Gossop, 2006). De telle sorte que l’on peut affirmer que la question est maintenant moins de savoir si le traitement est efficace que d’étudier comment il peut être amélioré et adapté aux besoins des diverses clientèles (Prendergast et coll., 2002).

Impact de ces études sur nos travaux actuels et futurs

Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, les études rapportées dans cet article se centrent tout d’abord sur l’évolution biopsychosociale des participants adultes et la relation entre leur exposition au traitement et cette évolution. Ces études se sont intéressées également à d’autres déterminants susceptibles d’influencer l’issue du traitement. De fait, entre 1991 et 2003, celles-ci ont suscité des questions qui ont nourri les études ultérieures et fourni de nouvelles variables à étudier pour mieux comprendre les ingrédients personnels ou thérapeutiques à l’oeuvre dans le traitement. Notons les problèmes associés à la toxicomanie comme la présence de troubles mentaux à l’axe 1 (Nadeau et coll., 2005) ou l’axe 2 (Nadeau, Cournoyer et Landry, 2001 ; Brochu et coll., 2002) ou les problèmes légaux et les pressions judiciaires qui s’exercent sur les personnes (Brochu et coll., 2002, Brochu et coll., 2006), ainsi que d’autres dimensions telles que la motivation au changement ou au traitement (Bergeron et coll., 2000 ; Simoneau et coll., 2004), l’alliance thérapeutique (Nadeau, Cournoyer et Landry, 2001 ; Cournoyer et coll., 2007).

Les questions non résolues dans nos études sur l’impact des traitements nous ont également amenés à recourir à de nouvelles stratégies de recherche que nous mentionnerons brièvement ici.

Les études qualitatives reliées à nos études d’impact

Nous avons donc décidé, dans un premier temps, de réaliser nos études par le biais d’études qualitatives, et ce, pour mieux comprendre, à partir du point de vue des usagers des services de réadaptation, leur trajectoire de changement et leur interprétation subjective de ce processus et des facteurs qui l’influencent. Mentionnons notamment une étude sur des femmes présentant des troubles graves de toxicomanie et de santé mentale (Bertrand et Nadeau, 2006), une étude sur les participants de l’étude « santé mentale 1 » (Acier, Nadeau et Landry, 2007) et auprès de participants de l’étude « santé mentale 2 » (Joly et coll., soumis).

Ces études ont permis d’apporter un éclairage intéressant sur les résultats de nos études quantitatives. Les entretiens avec les participants nous ont aidés à mieux situer les épisodes de traitement dans une trajectoire de changement plus étendue dans le temps. Cette façon de faire nous a fait comprendre que l’utilisation répétée des services, particulièrement chez les participants présentant les problèmes les plus graves, est considérée comme un processus nécessaire et un facteur de rémission ou un point d’ancrage leur permettant de se stabiliser en période de crise. Il nous apparaît donc nécessaire, dans nos études à venir, de pouvoir situer l’évolution des personnes sur une longue période de temps. Selon cette perspective, il faut considérer la toxicomanie comme un problème chronique chez un sous-groupe important de personnes qui en sont affectées. Ce problème peut d’ailleurs se maintenir pendant plusieurs années, ce qui nécessite une intervention au long cours (McKay, 2005 ; Moos et Moos, 2003 ; McLellan et coll., 2005). Pour ces personnes, il s’avère difficile d’isoler l’impact de l’un ou l’autre des traitements reçus. C’est le cas d’une proportion importante d’usagers des centres de réadaptation publics du Québec. L’étude des trajectoires addictives et des trajectoires de vie apparaît donc comme une piste de recherche des plus prometteuses.

L’introduction d’interventions structurées

Il est à noter que nos études n’ont pas été conçues pour déterminer si une forme de traitement est plus efficace qu’une autre. Ce n’est que tout récemment que nous avons entrepris de comparer les méthodes de traitement plus structurées et éprouvées avec le traitement offert de façon usuelle dans les centres de réadaptation. Ainsi, lors d’une étude menée auprès de jeunes de six centres de réadaptation publics et privés entre 2003 et 2007 (Bergeron et coll., 2009), les chercheurs ont étudié l’impact de l’utilisation de l’approche motivationnelle par les intervenants. Les résultats de l’étude ont permis d’établir un lien entre l’utilisation de diverses techniques associées à l’approche motivationnelle et la persévérance des jeunes en traitement ainsi que leur amélioration dans certaines sphères de leur vie. Il nous apparaît intéressant de poursuivre cette piste, laquelle s’allie avec l’orientation récente de l’Association québécoise des centres de réadaptation en dépendance (ACRDQ) en vue de recourir à des formes d’interventions structurées et fondées sur les données probantes. Il faudra s’appliquer particulièrement à déterminer les conditions d’application de ces techniques en fonction des caractéristiques et des besoins très diversifiés des personnes toxicomanes qui sont reçues en traitement.

Par ailleurs, les réflexions entourant les résultats de nos études nous amènent également à prendre en considération les débats des trente dernières années qui ont permis l’émergence de deux grands courants sur l’impact des traitements non seulement dans le domaine des toxicomanies, mais également pour la psychothérapie de façon plus générale. D’une part, un corpus important d’études s’intéresse à l’efficacité différentielle de certaines techniques d’intervention relativement à d’autres techniques ou à des interventions minimales (Holder et coll., 1991). On trouve par ailleurs autant d’études qui ne trouvent pas de différences entre les techniques et mettent plutôt en évidence des facteurs communs à ces techniques, comme l’alliance thérapeutique (Asey et Lambert, 1999 ; Morgenstern et McKay, 2007 ; Clark, 2009). Plusieurs, dont Seligman (1996), ont également soulevé la question des limites des études d’efficacité dans le cadre d’études randomisées avec des conditions qui s’apparentent davantage au laboratoire au regard des études dites « naturalistes » et portant sur les interventions telles qu’elles se déroulent dans les conditions réelles du terrain (Morgenstern et McKay, 2007). Ce courant nous amène à poursuivre l’étude de facteurs communs, comme l’alliance thérapeutique. L’approche motivationnelle apparaît particulièrement intéressante à cet égard, car elle se fonde explicitement sur ces facteurs communs mis en lumière depuis Rogers, notamment l’importance de l’empathie et du reflet.

Conclusion

Les études menées par le RISQ pendant quinze ans sur l’impact des traitements dispensés au Québec dans les centres de réadaptation publics et quelques centres privés constituent un corpus important. Leurs résultats frappent par leur constance à travers une période de temps considérable et auprès de groupes représentant un large territoire. Si on prend en compte les trois études plus récentes effectuées auprès d’adolescents, nous disposons de données en lien avec neuf recherches distinctes. Selon un patron très semblable d’une étude à l’autre, particulièrement en ce qui concerne les six études avec des participants adultes, on constate que la gravité de leurs problèmes de consommation de substances psychoactives diminue et que leur situation s’améliore dans plusieurs autres domaines de leur vie, principalement au regard de leur santé mentale, de leurs relations avec leur entourage et de leur situation légale, pour ceux qui présentaient initialement des problèmes à ces égards. Malgré les limites méthodologiques de ces études, qui ont été énoncées plus haut, nous pensons que ce corpus de données est suffisamment robuste pour conclure que le traitement offert dans les centres étudiés contribue à l’amélioration des personnes qui y sont reçues. Cette conclusion s’accorde avec les recensions d’écrits les plus récentes au sujet de l’impact des traitements en toxicomanie (Prendergast et coll., 2002 ; Gossop, 2006).